RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Pourquoi la Turquie fait-elle des affaires avec Israël ?

Les relations entre la Turquie et Israël sont en train de prendre un nouveau cours : la raison d’État cède désormais la place aux affaires. Après avoir rompu tout lien diplomatique à la suite de l’arraisonnement par des militaires israéliens du navire turc Navi Marmara en 2010 (l’assaut sanglant contre les militants de la mission Free Gaza qui se dirigeait vers Gaza avait fait neuf morts parmi des militants de nationalité turque), le quotidien Today’s Zaman annonçait dimanche 17 février la signature d’un accord portant sur la vente par Israël de systèmes électroniques aériens au gouvernement d’ErdoÄŸan.

Ce nouvel équipement viendra compléter les systèmes déjà mis au point par l’industrie militaire turque. L’AWACS (système de détection et de commandement aéroporté) est un système de détection radar monté sur des avions de guet qui peuvent surveiller un vaste espace aérien et servir de postes de commandement pour les opérations anti-aériennes ou de lutte anti-aérienne. L’accord en question, d’une valeur supérieure à cent millions de dollars, remonte à l’année 2002 et prévoyait la vente de quatre Boeing 737, tous dotés du système de détection et de commandement aéroporté (AWACS).

Le contrat, cependant, n’avait jamais été appliqué en raison du refus d’Israël de fournir les deux derniers équipements nécessaires à l’achèvement du système de défense AWACS. Ce refus était la conséquence de la rupture par la Turquie des relations diplomatiques avec Israël et de sa volonté d’intenter un procès par contumace à l’encontre des soldats de Tsahal coupables de la mort des neuf militants de la flottille.

Peu après l’attaque des forces spéciales israéliennes contre le Navi Marmara, le Premier ministre turc ErdoÄŸan avait exigé d’Israël des excuses officielles et l’octroi d’une indemnisation économique aux familles des neuf victimes. Des conditions pour la reprise des relations bilatérales qu’Israël n’a jamais voulu satisfaire. Bien au contraire, dans le rapport final de la commission Turkel, commission gouvernementale chargée d’enquêter sur les événements du 30 mai 2010, les experts de Tel-Aviv ont complètement absous le gouvernement d’alors et estimé que l’usage de la force contre des militants désarmés était « approprié et proportionnel à la menace ».

C’est l’intervention directe de la société Boeing qui aurait débloqué la situation. Selon un responsable du ministère turc de la défense, qui a tenu à garder l’anonymat : « Boeing a fait savoir à Israël que le refus de l’état hébreu de ne pas honorer la totalité du contrat contribuait à mettre à mal sa situation économique ». En 2010, le gouvernement Netanyahou avait interdit les exportations vers la Turquie. Les affaires étant les affaires, Israël met aujourd’hui, de facto, un terme à l’embargo avec son voisin.

En jeu, il y a également ce vaste projet turco-israélien de construction d’un gazoduc sous-marin en provenance d’Israël, via la Turquie, pour favoriser l’exportation de gaz naturel vers l’Europe. Cette fois-ci, c’est au tour de la Turquie de traîner les pieds. La semaine dernière, le ministre turc de l’énergie, Taner Yildiz, a affirmé au quotidien anglophone Hürriyet daily News qu’Ankara n’approuverait pas le projet sans le consentement du Premier ministre ErdoÄŸan. L’offre israélienne prévoit la construction d’un gazoduc qui partirait du bassin de Levant, le plus prometteur d’Israël, et qui se poursuivrait le long de la côte méridionale de la Turquie pour venir satisfaire, au final, les nécessités énergétiques des pays européens. Un total de 425 milliards de mètres cubes de gaz.

L’empressement d’Israël de vouloir boucler ce dossier est bien compréhensible. Mais la Turquie freine parce qu’elle doit satisfaire aux conditions politiques posées par M. ErdoÄŸan. Le Premier ministre s’est toujours montré, au moins en paroles, un farouche opposant à l’État d’Israël : il l’a à plusieurs reprises qualifié d’Etat terroriste, la dernière en date remontant aux bombardements israéliens dans la bande de Gaza.

Nous ne devons pas oublier un élément clé dans la compréhension des relations entre les deux pays : l’intention d’Ankara de jouer un rôle de premier plan dans son périmètre géographique, en profitant de l’instabilité de l’Égypte et de la Syrie en proie à une vaste entreprise de déstabilisation. Depuis longtemps, M. ErdoÄŸan ne cache pas son désir de faire de la Turquie la nouvelle puissance régionale, en rompant au besoin ses relations avec son ex-allié Bachar el-Assad et en entretenant des relations conflictuelles avec l’Iran.

Évoluant dans un contexte similaire, Israël a tout intérêt à se rapprocher de la Turquie, étant donné ses rapports tendus, pour ne pas dire dignes de la guerre froide, avec Damas et Téhéran. La Turquie pourrait ainsi devenir pour l’État hébreu ce qu’a été l’Égypte pendant des années : sous la dictature de Moubarak, Israël s’était assuré la non-belligérance du Caire, une garantie qui vaut son pesant d’or dans le monde arabe.

Mais qu’est-ce qui pousse la Turquie à se rapprocher d’Israël ? L’écrivain et politologue palestinien Nassar Ibrahim est bien placé pour en parler : « il est nécessaire de se plonger dans l’histoire pour comprendre l’actuel jeu des alliances : pendant très longtemps, la Turquie et Israël ont maintenu d’excellents rapports politiques et militaires. L’attaque contre le Navi Marmara est l’exception qui confirme la règle. Le Premier ministre ErdoÄŸan a rapidement saisi l’occasion d’apparaître aux yeux du monde arabe comme le seul leader en mesure d’affronter Israël et de défendre les droits du peuple palestinien, si bien que les drapeaux turcs étaient particulièrement nombreux dans les manifestations en Cisjordanie. Cette situation ne découle à vrai dire pas tant de la stature de ce leader qu’à la frustration concomitante au silence observé par les pays arabes ».

« Lors du déclenchement du Printemps arabe, M. ErdoÄŸan, président de l’AKP, affilié aux Frères musulmans, a compris que l’heure de la Turquie avait sonné », poursuit Nassar Ibrahim. « Ankara aurait pu faire la différence et devenir le nouveau leader au Proche-Orient, guidé en cela par les Frères musulmans. C’est la raison pour laquelle M. ErdoÄŸan s’est lancé contre le régime de Moubarak, de Ben Ali, de Kadhafi et enfin contre celui de Bachar el-Assad. Tout en commettant une erreur stratégique de premier plan : la Syrie a été un allié loyal de la Turquie pendant des décennies. Les deux pays avaient noué d’excellentes relations… jusqu’à la décision d’ErdoÄŸan d’abandonner son vieil ami el-Assad, croyant qu’il allait rapidement céder la place à un régime guidé par les Frères musulmans, comme en Tunisie ou en Égypte ».

Mais deux ans après le début de la guerre civile syrienne, la Syrie n’est toujours pas tombée et, pendant que les groupes islamiques traditionnels (parmi lesquels ces mêmes Frères musulmans) perdent du terrain, les milices d’Al-Qaïda avancent. « ErdoÄŸan tout comme son régime sont en crise. En cause, le mécontentement du peuple turc, traditionnellement historiquement proche de son voisin syrien, qui n’a pas compris cette subite nécessité d’abandonner Damas. L’armée, qui jouit en Turquie d’une position particulière, a très durement critiqué M. ErdoÄŸan, accusé d’avoir favorisé les intérêts de son parti tout en sacrifiant les intérêts économiques et politiques de la Turquie ».

C’est dans ce contexte que doit être lu le rapprochement avec Israël. La Turquie s’est isolée et est désormais entouré d’États antagoniques : la Syrie, l’Iran et l’Irak. Il reste à Recep ErdoÄŸan l’OTAN, les États-Unis et l’Europe, soit les plus fidèles alliés d’Israël. Et si Ankara souhaite s’assurer le soutien de l’Occident et des missiles Patriot de l’alliance atlantique, elle a tout intérêt à se rapprocher de Tel-Aviv. Ce qu’ont déjà commencé à faire les Frères musulmans. La confirmation vient d’une instruction donnée par le ministre égyptien des affaires religieuses « de faire des fatwas sur l’importance de faire preuve de bon voisinage, notamment avec Israël ». Le ton est donné…

Capitaine Martin

http://www.resistance-politique.fr/article-pourquoi-la-turquie-fait-elle-des-affaires-avec-israel-115805484.html

URL de cet article 19556
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Code Chavez - CIA contre Venezuela
Eva GOLINGER
Code Chavez présente des documents secrets de la CIA et d’autres organismes des Etats-Unis, obtenus par l’avocate Eva Golinger. Son investigation passionnante révèle le mode opératoire de la CIA pour déstabiliser et renverser un pouvoir trop indépendant. Là où le Chili d’Allende avait été assassiné, le Venezuela de Chavez a réussi à résister. Pourtant, Bush, par l’odeur du pétrole alléché, met le paquet : coup d’Etat militaire en 2002, coup d’Etat économique et sabotage en 2003, campagne (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’étais déterminé à faire entrer les Etats-Unis dans le 21ème siècle, toujours comme le plus grand facteur de paix et de liberté, de démocratie, de sécurité et de prospérité."

Bill Clinton, 1996

"A travers le monde, chaque jour, un homme, une femme ou un enfant sera déplacé, torturé, assassiné ou "porté disparu", entre les mains de gouvernements ou de groupes politiques armés. Et la plupart du temps, les Etats-Unis en sont complices. "

Amnesty International, 1996

Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.