Le père putatif du journal, Jean-Paul Sartre, a dû, quant à lui, en avaler sa pipe dans sa tombe. Bien que nous lui préférions de loin Camus (légère digression), le philosophe précurseur du « bobo » avait voulu une ligne éditoriale résolument à l’extrême gauche. Il se serait senti sûrement gêné aux entournures de voir son « bébé » transformé en Home sandwich par … OptiHome.com à la Une.
Le réseau immobilier en ligne ne s’arrête pas là puisqu’il se paye aussi la « Der » : celle-ci étant incontestablement la plus regardée avec la première page. Et puis, tant que nous y sommes, la deuxième page et l’avant dernière car, le lecteur finira bien par le comprendre, son Libé du 4 février est emballé par la pub comme une vulgaire botte de poireaux. Le journal n’arrivera qu’ensuite. Et lui qui ne va pas sur internet pour éviter d’être pollué par les réclames non sollicitées … Il enrage.
CASSE TOI
Ce lecteur, peut-être bien cet abonné, devra se consoler en se disant que son quotidien, qu’il choisit de lire parmi ceux qui surnagent dans la crise qui ébranle le secteur, est contraint de se refaire une santé après l’audace de sa Une « courageuse » sur Bernard Arnault.
Le 10 septembre dernier, Libération souhaitait à l’homme d’affaires français, multimilliardaire et désireux de connaître la douceur du plat pays qui n’est pourtant pas le sien, de faire bon voyage. « Casse toi ! Riche con » titrait l’audacieux quotidien. Reprenant la célèbre invective sarkozyenne.
Ce qui avait suscité un certain émoi au sein du géant mondial du luxe. LVMH avait sucré derechef ses achats d’espaces publicitaires au titre de la rue Béranger. Et, comme les patrons du CAC 40 sont réputés pour leur sens de la solidarité, bon nombre d’entre eux lui ont emboîté le pas.
Résultat des courses : un manque à gagner en terme de recettes publicitaires évalué entre 500 et 700.000 euros. Sale coup pour la fanfare. D’autant qu’au 31 décembre 2012, Libé devait payer le 1,8 million d’euros résultant de la dette générée par son plan de sauvegarde de 2006.
Bref, Libé qui a sorti tout récemment la tête de l’eau après une période des plus incertaines, sort l’artillerie lourde pour ne pas replonger.
Ce qui se comprend sur un plan « industriel » mais laisse rêveur au niveau éditorial. Il y avait déjà eu débat lorsque le journal avait offert sa Une au candidat Hollande le 3 janvier 2012.
NOBLESSES
Nicolas Demorand, le directeur de la rédaction, avait plaidé ce choix « pour rendre ses lettres de noblesses à la parole politique ». Et promis que d’autres candidats à la présidentielle auraient droit aux mêmes égards. Générosité visiblement sans suite.
L’arrivée, en 2005 , d’Edouard de Rothschild au capital de Libé avait déjà semé le doute au sein des lecteurs traditionnels du quotidien. Et d’une bonne partie de la rédaction.
L’homme d’affaires, au dernier comptage, détenait 26,64 % du capital tandis que la même proportion était entre les mains du promoteur immobilier Bruno Ledoux. A eux deux, ils forment le bloc de contrôle de la holding « Refondation ». Ce que c’est quand même que la beauté du viable...
Reste que les salariés de Libé n’ont sans doute pas fini de se faire du mouron. Les héritiers du business man italien Carlo Caracciolo (mort en 2008) qui détiennent en héritage 31% du groupe n’ont qu’une idée : revendre leur parts dès que l’entreprise sera en santé financière suffisante pour les racheter.
La présidente du conseil de surveillance, Anne Lauvergeon a déjà la tête chez l’avionneur EADS, où elle vient d’entrer au conseil d’administration, cette fois. L’ex sherpa de Tonton est poussée par Paris pour prendre la présidence du groupe franco-allemand. Exit ses bons offices en matière de placement du capital …
Bon gré, mal gré, il semble bien qu’il nous faille nous habituer quelque temps encore aux bandeaux du style « Revenez Gérard, on a de bonnes idées pour vos projets immobiliers ».