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MALI : Une intervention indécente (The Independent)

Impressions of Africa - Salvador Dali (1938-1939)

Nous sommes indignés non pas par le massacre d’innocents, mais parce que les otages qui ont été tués étaient principalement des gars blancs aux yeux bleus plutôt que des gars aux yeux bruns sombres.

Etonnant non, à quel point nos "dommages collatéraux" diffèrent de leurs "dommages collatéraux" ? Discutant hier avec un vieil ami algérien qui travaille dans l’aviation, je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’assaut lancé par les autorités de son pays contre le site gazier d’In Amenas. "Une superbe opération, Robert", s’est-il exclamé à l’autre bout du fil. "Nous avons détruit les terroristes !" Et les otages innocents, alors ? Ils sont morts, tout de même, ai-je fait remarquer. "Les pauvres, a-t-il concédé. Nos femmes et nos enfants sont morts par milliers pendant notre guerre [dans les années 1990], c’est une tragédie terrible - mais c’est le terrorisme que nous combattons."

Voilà . Nos morts ne lui ont fait ni chaud ni froid. Et il n’a pas tout à fait tort au fond, n’est-ce pas ? Car si nous nous indignons aujourd’hui, ce n’est pas devant le massacre d’innocents, mais parce que les otages tués par l’armée algérienne (aux côtés de certains de leurs ravisseurs) étaient plus souvent des gars aux yeux bleus et à la peau blanche que des types au teint mat et aux yeux noirs. Si tous les otages "occidentaux" (et j’inclus les Japonais dans ce qualificatif ridiculement globalisant) avaient été sauvés et que les seuls innocents morts avaient été algériens, personne n’aurait parlé d’"opération bâclée".

Si toutes les victimes du bombardement aveugle de l’hélicoptère algérien avaient été des Algériens, nous aurions évoqué les "conséquences tragiques" de l’assaut, mais nos titres auraient mis l’accent sur le courage et l’efficacité des sauveteurs de l’armée algérienne, et les comptes rendus auraient été agrémentés d’interviews de proches des Occidentaux sauvés, débordant de reconnaissance.

Le mot "racisme" ne convient pas ici. Quand George W. Bush et lord Blair de Kut al-Amara [nom donné à Tony Blair par l’auteur depuis la guerre d’Irak, en référence au siège de Kut al-Amara, pendant la Première Guerre mondiale, décrit par un historien comme "la plus abjecte capitulation de l’histoire militaire britannique"] se sont lancés dans leurs crimes de guerre en envahissant purement et simplement l’Irak, nous n’en avions rien à cirer, des Irakiens. Dix mille morts par an ? Vingt mille ? Ou bien, comme l’a dit George Bush, "trente mille, plus ou moins" ? Plus ou moins quoi ? En revanche, pas de problèmes statistiques du côté de nos chères victimes à nous. Nous savons ainsi que, depuis le début de la grande aventure Bush-Blair, ce sont très exactement 4 486 membres de l’armée américaine qui ont péri dans cette guerre.

Nous aurons atteint Tombouctou avant Noël

Vous voyez donc bien qui compte à nos yeux. Et qui ne compte pas. Je vous invite donc à suivre avec attention, dans les semaines à venir, la liste des Français qui tomberont au champ d’honneur au Mali, les entretiens donnés par leurs proches dans la presse française, le recensement des blessés. Mais ne perdez pas votre temps à chercher des informations précises sur les soldats nigériens morts (ni, a fortiori, sur les soldats maliens morts), car leur sacrifice à eux ne sera pas détaillé.

Vu du Moyen-Orient, tout cela ressemble à un indécent remake télévisuel d’autres interventions grotesques auxquelles nous avons pris part ailleurs dans le monde. Les troupes françaises ne resteront au Mali que "quelques semaines", nous assurent Hollande et ses acolytes. N’est-ce pas ce que nous avions dit quand des soldats britanniques ont fait leur apparition dans les rues de l’Irlande du Nord, avant d’y passer des décennies à combattre ? N’est-ce pas ce qu’ont dit les Israéliens quand ils sont entrés au Liban en 1982, avant d’y rester 18 ans ? N’est-ce pas ce que nous croyions quand nous avons envahi l’Afghanistan ? Que nos petits gars n’y essuieraient sans doute même pas un coup de feu ?

Ce vieux filou de Bernard Kouchner s’est livré la semaine dernière à un spectacle incroyable, exigeant avec malveillance que des troupes britanniques viennent sur le sol malien aider les Français à combattre le "terrorisme" islamiste. Des flammes de cynisme et de patriotisme (mélange typiquement français) éclairaient son regard tandis qu’il nous faisait son petit numéro façon Entente cordiale de 1914 sur le mode "nous aurons atteint Tombouctou avant Noël". Mais pourquoi "nous", Occidentaux, sommes-nous au Mali ? Combien de lecteurs connaissaient il y a seulement deux semaines le nom de la capitale malienne (levez la main, chers lecteurs honnêtes et francs) ?

Hier, j’ai aussi téléphoné à un autre ami, un ancien légionnaire français. Pourquoi la France est-elle au Mali ? Lui ai-je demandé. "Eh bien, ils disent que les islamistes risquaient d’atteindre Bamako et qu’on se serait retrouvé dans une situation façon talibans à Kaboul, avec un Etat tombé aux mains d’extrémistes. Mais, personnellement, je ne comprends pas. Le Mali est une construction artificielle, dont les habitants du Nord, en particulier les Touaregs, ont toujours refusé l’autorité d’un gouvernement noir, et du Sud. C’est une question tribale, derrière un voile d’"islamisme’. Et maintenant, on s’en sort comment, de ce cirque ?"

L’ire de Kouchner "le Croisé"

Peut-être devrions-nous poser la question à Mokhtar Belmokhtar, "cerveau" présumé (on remarquera ici la rhétorique très BD à laquelle nous en sommes réduits pour désigner ces vagabonds) de la prise d’otages algérienne. Cet homme n’est autre que le "légendaire (remarquez encore l’adjectif) Mister Marlboro", dont l’intérêt pour la contrebande et les ceintures explosives bourrées de Semtex semble largement dépasser le sens qu’il a de ses devoirs envers l’Islam.

Les journalistes nord-africains connaissent bien Belmokhtar et son trafic transfrontalier de cigarettes, d’armes, de 4 x 4, de drogues, de diamants et d’immigrés clandestins, et ils sont aussi consternés de voir aujourd’hui l’Algérie (d’ailleurs terre natale de Belmokhtar) engagée dans la croisade occidentale au Mali. Les survols de l’espace aérien algérien font l’objet d’amères critiques dans la presse algérienne (ce qu’on ignore superbement à Londres, où les "guerres contre le terrorisme" l’emportent sur le sentiment de l’opinion algérienne), décriés comme autant d’humiliations de l’Algérie par ses anciens colonisateurs.

Mais pourquoi nous soucier des Algériens quand ils ont pour nos morts le même mépris que nous avons toujours manifesté pour les musulmans morts en Irak, en Afghanistan ou encore en Palestine ? Vous noterez que la Syrie se trouve temporairement classée dans une autre catégorie : notre désir de détruire Bachar El-Assad nous permet en effet de faire de toutes ses victimes des Occidentaux à titre honorifique. Etonnant, ce phénomène. Car parmi les rebelles qui affrontent l’impitoyable Assad figurent des gens très semblables à ce monsieur Belmokhtar et à ses joyeux islamistes, ceux-là même qui suscitent l’ire de Kouchner "le Croisé".

Mais, serait-ce un vieux relent d’insanité coloniale que je reconnais là  ? On continue le long du fleuve Niger [référence à Carry on... up the Khyber, un film satirique sur les Britanniques en Inde] ? Des troupes françaises qui combattent des insurgés. Des "terroristes" qui battent en retraite. Des gros titres qui rappellent ceux de 1954 à 1962. Dans un pays qui s’appelle l’Algérie. Or, croyez-moi, cette guerre-là , les Français ne l’ont pas gagnée.

Robert Fisk - (The Independent)
Le 18 janvier 2013.

Source : Algeria, Mali, and why this week has looked like an obscene remake of earlier Western interventions

Traduction française : Courrier international http://www.courrierinternational.com/article/2013/01/22/une-intervention-indecente

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François Cusset. Contre-discours de mai. Ce qu’embaumeurs et fossoyeurs de 68 ne disent pas à ses héritiers. Actes Sud, 2008. Bizarrement, on a très peu célébré le cinquantenaire de Mai 58, la chute de la Quatrième République, le coup d’État feutré de De Gaulle, l’instauration d’une nouvelle République, donc d’un nouveau partage institutionnel du pouvoir, avec un renforcement du rôle de l’État, de sa prééminence, tout ce que les " gaullistes " libéraux d’aujourd’hui vomissent. (…)
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Viktor Dedaj

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