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La Palestine, un état qui donne à penser* (Palestine Chronicle)

Quand Stevie Wonder a annoncé qu’il annulait sa participation à un gala organisé par les "Amis des Forces de Défense Israéliennes" pour lever des fonds, beaucoup de pro-Palestiniens se sont réjouis. Moi aussi je me suis senti soulagé. Voir un des plus grands génies de la musique contemporaine, dont je peux dire qu’il a été une des principales sources d’inspiration de mon développement musical, se produire devant les assassins de l’armée sioniste, aurait été une grande déception pour moi.

Pour protester, j’avais rapidement écrit et enregistré une chanson qui critiquait son projet. Quand elle est sortie, j’ai promis à mes auditeurs de retirer la chanson (que j’avais intitulée "Injudicious" (pas judicieux) sur la base de la propre chanson de Stevie "Superstitious") s’il renonçait à ce spectacle et j’ai tenu ma promesse. Je n’ai pas été surpris que tant de gens du mouvement pro-palestinien aient applaudi le changement de programme de Stevie Wonder en le qualifiant de victoire du BDS (Boycott, Divestment and Sanctions). J’étais du même avis. Cependant, il ne me semblait pas que la star de la musique ait mérité qu’on lui en soit reconnaissant, et c’est pourquoi je n’ai pas fait circulé ni signé la "la pétition de gratitude" que beaucoup ont signée.

Les raisons pour lesquelles la gratitude ne me semblait pas nécessaire ont été énoncées avec éloquence par Mouin Rabbani dans un récent article paru sur Jadaliyya**. Cela m’a fait du bien de voir que d’autres partageaient mon sentiment. J’aurais peut-être quand même une toute petite restriction : personnellement, je comprends pourquoi les militants du BDS ont voulu en profiter pour encourager les autres artistes qui se trouvent dans la situation d’avoir à choisir entre se produire ou non devant des Israéliens, de ne pas le faire. En dehors de ça, je suis d’accord avec toutes les raisons que donne Mouin Rabbani de ne pas être satisfait par la déclaration que Stevie Wonder a faite pour annoncer sa décision.

Le jour même où Stevie Wonder a annulé sa participation à ce regrettable spectacle, l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas a obtenu le statut "d’état non-membre" aux Nations Unies pour la délégation Palestine. J’expliquerai ci-dessous pourquoi je n’ai pas sauté de joie. Dans le même article, Mouin Rabbani exprime son soutien total à cette démarche diplomatique au contraire d’Ali Abunimah*** qui a critiqué avec force la demande palestinienne à l’ONU ; aucun des deux n’exprime exactement ce que j’en pense. C’est pourquoi je me suis décidé à exposer brièvement ma propre analyse de ces évènements.

Je suis d’accord avec la plus grande partie de l’article critique d’Abunimah. On ne peut nier les tristes faits qu’il dénonce et il dévoile avec concision et audace le vrai rôle de l’Autorité Palestinienne. Mais je pense qu’il sous-estime l’effet psychologique du changement de statut de la Palestine à l’ONU. Je crois qu’il a tort de dire que "cela n’a pas plus de portée que de gagner un match de football international". Pour les citoyens du monde, qui ont appris à considérer avec respect les décisions de l’ONU, la Palestine est aujourd’hui devenue un "état" et cela peut avoir une grande influence sur la réaction du public aux continuelles violations israéliennes du Droit International.

En annonçant, tout de suite après, la construction, dans un endroit éminemment stratégique, de 3000 logements qui couperaient la Cisjordanie en deux entités séparées, l’état sioniste a fait la preuve de l’existence de cet effet psychologique : des protestations indignées se sont élevées de tous les coins du monde contre cette flagrante violation de la souveraineté palestinienne. Il ne faut pas oublier que ce genre de situation peut fortifier la campagne de boycott parce qu’elle pousse davantage de gens, spécialement en Occident, à s’intéresser aux Palestiniens et au déni de justice qu’ils subissent.

Il me semble que l’analyse de Joseph Massad parue dans le Guardian****, exprime avec raison l’inquiétude collective des Palestiniens, à savoir les effets négatifs sur le droit au retour que l’amélioration du statut de la Palestine à l’ONU pourrait avoir. Et certains analystes ont déjà admis que ce progrès diplomatique a sonné le glas des droits de la diaspora palestinienne, mais moi je crois que ce n’est pas possible. La Résolution 194 de l’ONU, qui garantit le droit inaliénable de nos réfugiés à revenir dans leur patrie, n’a pas été annulée. Il faut continuer à le défendre car il est au coeur de la cause palestinienne et il faut faire attention de ne pas fabriquer des prophéties auto-réalisatrices en disant qu’il a déjà -littéralement- passé "le point de non retour" à cause du nouveau statut de la Palestine à l’ONU. Il faut faire attention de ne pas prêter la main sans le vouloir aux efforts des superpuissances pour réduire notre cause à des problèmes de "représentation légale" et il faut être bien conscients du fait que nous avons réussi à garder notre identité en tant que peuple en dépit de 70 ans d’expulsions, de ségrégation et d’application du principe "diviser pour régner".

Par ailleurs je suis en désaccord avec la fin de l’article de Mouin Rabbani, où il critique le mouvement BDS et semble comparer l’OLP au Congrès National Africain (CNA) d’Afrique du sud. Au départ, dans les années "pré-Oslo" la comparaison aurait pu être valable. Mais depuis que l’OLP a fait un grand pas en arrière en acceptant de céder la place à la nouvelle "Autorité Palestinienne" dans beaucoup de domaines, elle a abandonné son objectif initial qui était la solution d’un état pour la remplacer par une éventuelle solution de deux états aux termes de laquelle un état morcelé serait établi sur 22% (dont la plus grande partie a été colonisée par "Israël" dans l’entre-temps) de la Palestine historique et gouverné par l’AP.

Si on va par là , ce n’est pas à Mandela et à son CNA qu’il faut comparer Abbas mais plutôt à Buthelezi et à son parti Inkatha. Inkhata soutenait "l’auto-détermination" pour les Bantoustans sud africains et s’opposait fermement à la solution d’un état qui était au contraire le fer de lance de la stratégie anti-apartheid du CNA. Leur opposition à la solution d’un état était si violente qu’elle a engendré un cercle vicieux de représailles sanglantes qui a souvent été qualifié de "guerre civile"par la population noire du pays.

En conséquence, quand Rabbani dit : "le mouvement de solidarité mondiale n’aurait pas été aussi efficace sans la direction stratégique du CNA et l’imprimatur des Nations Unies", il a sans doute raison, mais il oublie que dans notre cas, c"est notre "Buthelezi", pas notre Mandela, qui essaie de nous représenter aux Nations Unies. Notre Mahmoud Abbas se comporte comme un Buthelezi qui n’appelle pas à la fin de l’apartheid sioniste mais le sanctifie en essayant d’obtenir le statut d’état pour un tout petit morceau de la Palestine avec sa propre collection de bantoustans palestiniens racialement discriminés et économiquement non viables.

De plus il ne faut pas semer la confusion en décrivant le mouvement BDS comme un simple mouvement de solidarité réunissant des citoyens internationaux engagés. Il s’enracine dans la société civile palestinienne et il est parvenu à mobiliser la solidarité mondiale comme aucune Autorité Palestinienne n’a jamais réussi à le faire. Sa puissance ne doit donc pas être minimisée et encore moins ignorée, au contraire il faut s’en réjouir et y voir le signe que c’est une direction morale et stratégique que notre peuple doit suivre dans sa lutte. S’il est vrai que le CNA a réussi à mobiliser les pop stars et les militants occidentaux ; il faut bien admettre, hélas, que notre AP a misérablement échoué dans ce domaine.

Vous ne me verrez pas applaudir Stevie Wonder, parce qu’il ne le mérite pas. Vous ne me verrez pas non plus applaudir le vote de l’ONU, parce qu’il est moins important qu’on ne nous le dit, mais vous ne m’entendrez pas non plus nier les quelques résultats positifs qu’il engendre. Vous m’avez vu l’examiner de près et vous m’avez entendu souligner ses éventuelles conséquences sur le droit du retour, sans toutefois prétendre qu’il aurait sonné le glas de nos droits inaliénables. Mais j’applaudis le peuple palestinien, sa résilience et sa détermination dans la lutte. J’applaudis le mouvement BDS et sa persévérance, et j’applaudis tous les internationaux qui se joignent à notre lutte contre le sionisme et qui veulent voir la fin de l’apartheid, du vol de notre terre et des persécutions que nous subissons.

Tariq Shadid

Tariq Shadid est un chirurgien palestinien qui vit au Moyen Orient. Il a écrit de nombreux articles sur la Palestine. la plupart ont été publiés par Palestine Chronicle et ont été regroupés dans le livre : "Understanding Palestine", disponible sur Amazon.com. Il tient aussi un site web de musique à destination du monde entier au profit de la cause palestinienne : www.docjazz.com.

Pour consulter l’original : http://palestinechronicle.com/a-state-that-makes-you-wonder/

Traduction : D. Muselet

Note :

* Dans le titre en Anglais : A State That Makes You Wonder, il y a aussi une allusion à Stevie Wonder.

** On the insignificance of Stevie Wonder : http://www.jadaliyya.com/pages/contributors/8829

*** http://www.ism-france.org/analyses/La-veritable-reussite-de-Mahmoud-Ab...

**** Le vote de l’ONU sur la Palestine légitime un statu quo raciste :
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/nov/30/un-vote-palestine-...

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