La Habana / ANNCOL / 19 Octobre 2012. Lors de l’ouverture de la table de dialogues à la périphérie d’Oslo, a commencé le processus de paix entamé entre les FARC-EP et le gouvernement colombien.
La cérémonie publique a débuté par l’intervention du porte-parole principal du gouvernement, Humberto de la Calla Lombana et s’est poursuivie avec la déclaration des FARC-EP, Ivan Marquez, membre du Secrétariat National de l’organisation insurgée.
Nous publions le texte complet du discours des FARC-EP :
Notre rêve, la paix dans la justice sociale et la souveraineté
« La paix que nous avons toujours voulue, pour laquelle nous avons longuement lutté a toujours visé à la disparition des inégalités qui sont si puissantes dans ce pays, la Colombie… » Manuel Marulanda Vélez (1)
Mesdames et Messieurs
Amies et amis de la paix en Colombie
Compatriotes
Nous sommes venus jusqu’à ce 60eme parallèle, jusqu’à cette ville d’Oslo depuis le lointain tropique, depuis le Macondo de l’injustice, le troisième pays le plus inégalitaire du monde avec un rêve collectif de paix, avec un rameau d’olivier dans les mains.
Nous sommes venus dans cette Norvège septentrionale à la recherche de la paix dans la justice sociale pour la Colombie au moyen du dialogue, dont le peuple souverain est l’acteur principal. C’est sur lui que repose la force irrésistible de la paix. Celle-ci ne dépend pas d’un accord entre les porte-paroles des parties en présence. Celui qui doit tracer la route vers la solution politique, c’est le peuple et c’est à lui qu’il appartiendra d’établir les mécanismes qui ratifieront ses aspirations.
Une telle entreprise stratégique ne peut se concevoir comme une course contre la montre. La soi-disant paix express que certains revendiquent, emportés par des élans irréfléchis et versatiles, ne ferait que conduire à des abîmes de frustration. Une paix qui ne prendrait pas en compte la solution des problèmes économiques, politiques et sociaux à l’origine du conflit, ne serait qu’une velléité et équivaudrait à répandre des chimères sur le sol colombien. Pour une paix stable et durable, il nous faut bâtir notre coexistence sur des bases aussi solides que les fjords rocheux et inamovibles des terres où nous nous trouvons.
Nous ne sommes pas les bellicistes que certains media ont voulu dépeindre, nous venons à la table de négociations avec des propositions et des projets susceptibles de nous conduire à une paix définitive, une paix impliquant une profonde démilitarisation de l’Etat et des réformes socio-économiques radicales, fondements de la démocratie, la justice et la liberté véritables. Nous venons ici avec le passif d’une lutte historique pour la paix, dans le but de rechercher, coude à coude avec notre peuple, la victoire de la solution politique sur la guerre civile qui ravage la Colombie. Cependant, notre détermination a suffisamment de force pour faire face aux bellicistes qui croient que grâce au fracas des bombes et des canons, ils peuvent faire plier la volonté de ceux qui comme nous brandissent très haut la bannière du changement et de la justice sociale.
On ne peut pas faire coïncider ce schéma avec une politique destinée uniquement à l’accaparement démesuré de richesses par quelques capitalistes qui n’ont rien à faire de la pauvreté qui s’abat sur 70% de la population. Ils ne pensent qu’à accroître leur butin, pas à réduire la misère. Plus de 30 millions de Colombiens vivent dans la pauvreté, 12 millions sont indigents, 50% de la population économiquement active agonisent entre le chômage et le sous-emploi, presque 6 millions de paysans déambulent dans les rues, victimes du déplacement forcé. Sur les 114 millions d’hectares que compte le pays, 38 sont assignés à l’exploitation pétrolière, 11 millions à celle des mines, on projette de passer des 750.000 hectares actuels consacrés à l’exploitation forestière à 12 millions. L’élevage extensif occupe 39,2 millions. La surface cultivable est de 21,5 millions d’hectares, dont 4,7 millions seulement sont consacrés à l’agriculture, et ce chiffre est en baisse car le pays importe 10 millions de tonnes d’aliments par an. Plus de la moitié du territoire colombien est géré en fonction des intérêts d’une économie enclavée.
De notre point de vue, mettre sur la table le thème du développement agraire intégral comme premier point de l’accord général revient à assumer l’analyse de l’un des aspects centraux du conflit. Le problème de la terre est la cause historique de la confrontation de classes en Colombie. Selon les termes du Commandant Alfonso Cano (2), « nous les FARC sommes nés de la résistance à la violence oligarchique qui utilise systématiquement le crime politique pour liquider l’opposition démocratique et révolutionnaire. Nous sommes la réponse paysanne et populaire à l’agression de la grande propriété qui, en usurpant les terres des paysans et des fermiers, a inondé de sang les campagnes colombiennes … »
Et ce qui fut la cause essentielle du soulèvement armé ainsi que d’une héroïque résistance paysanne s’est accentué au fil du temps. La géophagie des grands propriétaires a accentué le caractère déséquilibré et injuste de la propriété de la terre. Le coefficient de GINI3 atteint 0,89 dans les campagnes. Une inégalité épouvantable ! Les mêmes données officielles indiquent que les propriétés de plus de 500 hectares sont entre les mains de 0,4% des propriétaires qui contrôlent 61,2% de la surface agricole. Il s’agit d’une accumulation par la dépossession, la donnée la plus récente fait allusion à 8 millions d’hectares arrachés à feu et à sang, à coup de massacres perpétrés par les paramilitaires, de fosses communes, de disparitions et de déplacements forcés, de crimes de lèse-humanité, aggravés encore pendant les 8 ans du gouvernement de Uribe, telles sont les composantes du terrorisme d’Etat en Colombie.
Pour les FARC, Armée du Peuple, le concept de la Terre est indissolublement lié au territoire. Ils forment un tout indivisible qui va au-delà de l’aspect simplement agraire et touche les intérêts stratégiques, vitaux de toute la nation. C’est pourquoi la lutte pour le territoire est au coeur des luttes qui sont livrées aujourd’hui en Colombie. Parler de terre signifie pour nous parler du territoire, en tant que catégorie qui, en plus du sous-sol et du sol renferme les relations socio-historiques de nos communautés qui portent en elles le sentiment de patrie ou la conception de la terre comme protection et sentiment du bien vivre. A ce propos, nous devrions intérioriser la profonde définition du Libérateur Simon Bolivar sur le contenu du mot patrie, notre sol, notre territoire : « Avant tout, le sol natal dont les éléments ont pétri notre être ; notre vie, n’est rien d’autre que l’essence de notre pays, c’est là que se trouvent les témoins de notre naissance, ceux qui nous ont créés et ceux qui par l’éducation nous ont donné une âme, les tombes de nos ancêtres y sont enfouies et ils nous réclament sécurité et repos. Tout nous rappelle notre devoir, tout suscite chez nous des sentiments tendres et des souvenirs délicieux ; c’est là que se trouve le théâtre de notre innocence, de nos premières amours, de nos premières sensations et de tout ce qui nous a formés. Comment imaginer des titres plus sacrés pour être dignes d’amour et de consécration ? »
Nous sommes partis de cette vision pour alerter la Colombie toute entière : l’attribution des titres de propriétés sur les terres (les titulations) telle qu’elle a été dessinée par l’actuel gouvernement est un piège ; elle sous-entend une espèce de dépouillement légal à travers lequel le paysan, une fois son titre de propriété en poche, n’a pas d’autre issue que de vendre ou de louer aux transnationales et aux conglomérats financiers, à ceux que seul intéresse le saccage exacerbé des ressources énergétiques et minières du sous-sol. Cette stratégie intègre l’utilisation qui est faite du sol à savoir l’extension des exploitations forestières et des plantations immenses, non pas pour résoudre le grave problème alimentaire dont souffre notre peuple, mais pour produire les agro-combustibles que consommeront les voitures. Dans le meilleur des cas, les gens de la campagne se retrouveront avec un revenu misérable, mais loin de leur territoire et confinés dans les bidonvilles à la périphérie des grandes villes. Au bout de 20 ou 30 ans de contrat, personne ne se souviendra de l’identité du vrai propriétaire de la terre. Nous affirmons sans l’ombre d’une hésitation que la bancarisation de la terre conséquence de la titulation finira par « dépouiller » le paysan de sa terre. Nous sommes acculés à l’accaparement de nos terres par des mains étrangères et au désastre environnemental accéléré brutalement par l’exploitation énergétique, minière et forestière. La nature comme source d’information génétique ne peut devenir un butin pour les transnationales. Nous nous opposons à l’invasion des semences transgéniques, à la privatisation et à la destruction de notre biodiversité, à la volonté de faire de nos paysans des pièces de l’engrenage des agro-négoces et de leurs chaînes agro-industrielles. C’est notre souveraineté et la vie elle-même qui sont en jeu.
Dans cette situation, l’attribution de titres de propriété n’est qu’une légalisation qui sert de toilettage au visage ensanglanté du pillage que le terrorisme d’Etat a perpétré pendant des décennies. Pour une transnationale, il est plus présentable de dire « j’ai un titre de propriété sur une mine » plutôt que d’être accusé d’avoir financé des groupes paramilitaires et expulsé une population de sa terre pour rendre possible son projet d’exploitation minière. Dans ce type de dynamique, le régime colombien pratique l’assassinat non seulement à travers des actions guerrières perpétrées par des paramilitaires et des tueurs mais aussi avec des politiques économiques qui provoquent la famine. Nous sommes venus ici pour démasquer cet assassin
métaphysique que représente le marché, dénoncer la criminalité du capitalisme financier, asseoir le néo-libéralisme dans le box des accusés, comme bourreau des peuples et fabriquant de mort.
Ne nous trompons pas : la politique agraire du régime est retardataire et trompeuse. La pure et simple vérité, comme le dit le Libérateur Simon Bolivar, est la meilleure façon de persuader. Le mensonge ne conduira qu’à l’aggravation du conflit. Le but ultime de ces politiques, qui est au détriment de notre souveraineté et du bien-être commun, c’est de donner une sécurité juridique aux investisseurs, de libéraliser le marché des terres et de précipiter le territoire national dans le camp de la spéculation financière et des marchés spéculatifs. Indépendamment de l’existence ou non d’une insurrection armée, cette politique multipliera les conflits et la violence.
Accumulation par usurpation et agrandissement de l’espace capitaliste, telle est la formule du projet politique et économique des élites néo-libérales qui font ruisseler le sang sur la patrie toute entière.
C’est contre cela que nous résistons. Les FARC ne s’opposent pas à une véritable restitution des terres ni à la titulation. Nous avons lutté pendant des années, nous le peuple en armes, pour une réforme agraire efficace et transparente et c’est précisément pour cela que l’on ne peut pas permettre l’extorsion légale que le gouvernement projette avec sa loi sur la terre. A travers la violence du Plan Colombie et le projet paramilitaire, le territoire a été préparé à l’agression des transnationales. La loi générale agraire et de développement rural est essentiellement un projet de réaménagement territorial conçu pour laisser le champ libre à l’économie minière au détriment du marché interne, en superposant la carte minière et énergétique à l’espace agricole. On ne tient même pas compte de la promotion d’une agro-écologie qui permettrait une interaction amicale avec la nature.
D’autre part, la restitution de terres doit absolument concerner les terres qui ont été usurpées par la violence aux paysans, aux indigènes et aux afro-descendants et non pas des friches éloignées des sites où ils ont leurs racines, convoitées elles aussi d’ailleurs par les multinationales. Mais il se trouve que ceci est un problème concernant l’ensemble du peuple colombien et qui de fait constelle de conflits tout le territoire. Il y a une incompatibilité profonde entre le pays, la nation et la pègre financière qui est en train de s’approprier l’Orénoquie. On voit apparaître maintenant de « nouveaux llaneros (4) » qui n’ont rien de llaneros, comme les magnats Sarmiento Angulo et Julio Mario Santodomingo (fils), les grands propriétaires Eder del Valle del Cauca, monsieur Efromovich, le vice-président Francisco Santos (gestionnaire du groupe paramilitaire Capital), les fils de Alvaro Uribe Vélez, entre autres flibustiers, qui n’ont aucun doit sur ces terres et dont le seul but est de s’accaparer le pétrole, l’or, le coltan, le lithium, d’exploiter de grands projets agro-industriels et la biodiversité des hauts plateaux. Aborder la question agraire, cela signifie parler de ces problèmes avec le pays. Qu’on laisse la parole aux véritables llaneros, ceux qui ont la peau tannée par le soleil des prairies de la savane, ceux qui pendant des siècles ont vécu en harmonie avec les palmiers et le vol des grues et des butors, les va-nus-pieds qui, avec leur bravoure historique empoignèrent leurs lances pour nous donner la liberté.
Le peuple a la parole. Il y a la résistance patriotique des travailleurs du pétrole contre la société canadienne Pacific Rubiales à Puerto Gaitan, dont l’activité assimilable à un pillage a été préparée dans le sang par les paramilitaires de Victor Carranza. Le vampire transnational s’empare chaque jour de 250.000 barils de pétrole et suce le sang de plus de 12.600 travailleurs qui travaillent comme des esclaves 16 heures par jour sur 21 jours sans interruption pour une semaine de repos. Leur situation professionnelle est encore plus atroce que celle qui régnait dans les plantations bananières des années 20.
Il y a la résistance des habitants de Quimbo, d’où le gouvernement prétend évacuer à coup de pied les gens qui ont vécu là pendant plus d’un siècle, ce qui signifie la destruction de leurs trajectoires culturelles, de vie et de leur environnement. Allons nous permettre que le fleuve de la patrie, le Magdalena soit blessé à mort, rien que pour construire un barrage qui produira de l’énergie électrique ? Pour le gouvernement, l’important ce sont les profits de la transnationale EMGESA et pas le sort des familles qui sont arrachées à leur terre.
Il y a la résistance des habitants de Marmato (Caldas), des gens humbles qui ont toujours vécu de l’exploitation artisanale de l’or et que maintenant la transnationale MEDORO RESOURCES veut rayer de la carte pour transformer leur village en mine d’or à ciel ouvert, la plus grande du continent. A ce sujet, rappelons que même l’église colombienne a accompagné cette lutte juste et le prêtre José Idarraga, chef du Comité Civique pour la Défense de Marmato, fut criblé de balles par les sbires des transnationales.
Il y a la formidable résistance des indigènes et des paysans du Cauca pour la défense de leur territoire et de leurs cultures ancestrales et celle de leurs frères afro-colombiens, gardiens patriotiques de la souveraineté du Peuple sur la région Pacifique et sur nos forêts.
Les castes dominantes persistent à détruire le plateau de Santurban qui regorge de richesses en biodiversité et en eaux indispensables à des villes aussi importantes que Bucaramanga et Cucuta. Excités par la convoitise de l’or, ils n’hésitent pas à détruire les zones de haute montagne et la pureté des eaux du fleuve Surata. La dignité des descendants de José Antonio Galan le paysan, a mobilisé la résistance, contribuant même à unifier le peuple des llanos avec les entrepreneurs locaux qui ont commencé à comprendre qu’il s’agit d’une lutte de la Colombie toute entière.
Comment pouvons-nous tolérer que sous prétexte de satisfaire la voracité de la Anglo Gold Ashanti pour l’or de notre territoire, on abandonne à cette multinationale 5% de ce dernier ? Le projet d’extraction de cette entreprise à La Colosa (5) (Cajamarca) provoquera une destruction écologique sans nom et privera d’eau 4 millions de colombiens qui dépendent de ses ressources hydriques.
La locomotive minière et énergétique est une espèce de monstre destructeur de l’environnement et si le peuple ne la stoppe pas, en moins d’une décennie, elle fera de la Colombie un pays non viable. Commençons par freiner les locomotives physiques du Cerrejon et de la Drumond qui 24 heures sur 24 pillent notre charbon, projettent de la pollution depuis leurs interminables wagons et comme le chante l’auteur de vallenatos (6), Hernando Marin, ne nous laissent qu’un sol criblé d’excavations et la misère. Freinons la BHP BILLINTON, la XS Strata et la ANGLO American, qui pour extraire 600 millions de tonnes de charbon des gisements situés sous le lit du fleuve Rancheria, envisagent de dévier son cours, ce qui réduira son débit de 40%, dévastant l’environnement et entraînant la destruction irréparable du tissu social des communautés Wayuu. (7)
Que d’embarras de la part du gouvernement pour défendre la souveraineté face à la transnationale BHP BILLINTON, coupable du crime de lèse-patrie ! En effet, elle dévaste avec une insolence inqualifiable le ferro-nickel de Cerro Matoso (province de Cordoba) qu’elle inonde de compensations financières, en échange de la souveraineté, du bien-être social et de l’environnement.
Il faut mettre un terme à la monstruosité que constituent les contrats à 20 et 30 ans qui privilégient les droits du capital au détriment de l’intérêt commun.
Et bien sûr, on entend les porte-paroles du gouvernement et de l’oligarchie proclamer la croissance de l’économie nationale et des exportations. Mais non, en Colombie, il n’y a pas d’économie nationale. Ceux qui exportent le pétrole, le charbon, le ferro-nickel, l’or et en tirent des bénéfices, ce sont les multinationales. La prospérité est pour elles et pour les gouvernants vendus, pas pour le pays.
L’espace où je me trouve n’est pas fait pour résoudre les problèmes particuliers des guérilleros mais pour résoudre les problèmes de l’ensemble de la société, et comme l’un des facteurs qui affecte le plus négativement la population est la souscription des Traités de Libre Commerce, ce thème devra être abordé de manière indéfectible. Pauvre Colombie, contrainte d’entrer en concurrence avec les transnationales avec une infrastructure ruinée par la corruption et le laisser-aller !
Alors, la paix… oui. Nous voulons sincèrement la paix et nous nous identifions à la clameur majoritaire de la nation pour trouver une issue négociée au conflit en ouvrant des espaces à la pleine participation citoyenne dans les débats et les décisions.
Mais la paix ne signifie pas le silence des fusils. Elle implique la transformation de la structure de l’Etat et le changement des méthodes politiques, économiques et militaires. Non, la paix ne veut pas dire la démobilisation pure et simple. Le commandant Alfonso Cano disait : « La démobilisation est synonyme d’inertie, de lâche capitulation, c’est une reddition et une trahison à la cause populaire et à l’idéal révolutionnaire que nous cultivons. Nous luttons pour les transformations sociales, c’est donc une indignité qui porte implicitement un message de désespoir au peuple qui croit en notre engagement et notre projet bolivarien ». Nous devrons nécessairement aborder les causes génératrices du conflit et en premier assainir le panier de crabes que constitue l’ensemble des institutions. Du strict point de vue économique, il est évidemment plus facile pour une transnationale de piller les ressources naturelles du pays sans l’existence d’une résistance populaire et d’une guérilla. En nous appuyant sur de simples exercices mathématiques, nous pouvons affirmer que la guerre est insoutenable pour l’Etat, pour les raisons suivantes :
La dépense militaire colombienne est parmi les plus élevées au monde par rapport à son PIB. Ce dernier atteint 6.4% alors qu’il y a 20 ans, il était de l’ordre de 2.4%. C’est-à -dire qu’il a triplé et ceci est remarquable. La dépense militaire oscille actuellement entre 23 et 27.000 milliards de pesos par an, sans compter que la Colombie est le troisième bénéficiaire au monde d’ « aide » militaire étasunienne et que, au titre du Plan Colombie, elle reçoit un financement équivalant à 700 millions de dollars par an.
Il existe en Colombie un système juridique qui s’accompagne de la protection militaire des investissements. Sur les quelque 330.000 unités que comptent les effectifs des Forces Militaires, 90.000 soldats sont utilisés pour prendre soin de l’infrastructure et des intérêts des multinationales. Le coût énorme que cela représente, ajouté à celui de la technologie utilisée, met en évidence les limites de la poursuite de la guerre. Nous adressons un appel sincère aux soldats colombiens, aux officiers et aux sous-officiers, aux hauts gradés qui sentent encore dans leur coeur palpiter la fibre patriotique pour qu’ils retrouvent la dignité et l’héritage de l’idéologie bolivarienne, qui réclame aux militaires de se servir de leur épée pour défendre la souveraineté et les garanties sociales. Quelle bonne chose ce serait de voir surgir de nouvelles FORCES ARMÉES ! Finie la soumission à Washington, finie la subordination au Comando Sur et finie la complaisance avec l’expansion de bases militaires étrangères sur notre territoire.
Telle est la flamme qui brûle dans notre coeur, c’est pour cela que les prétendus instruments juridiques de justice de transition (8) qui visent à convertir les victimes en proies sacrificielles ne sont qu’une injure. N’oublions pas que le soulèvement armé contre l’oppression est un droit universel que possèdent tous les peuples du monde, qu’il a été consigné dans le préambule de la déclaration des Droits de l’Homme approuvée par l’ONU en 1948, et qu’en outre, c’est un droit consigné dans de nombreuses constitutions de nations au monde. Nous ne sommes pas la cause mais la réplique à la violence de l’Etat. C’est lui qui devrait être soumis à un cadre juridique pour répondre de ses atrocités et des crimes de lèse-humanité comme les 300.000 morts de la période nommée « époque de la violence » dans les années 50. Pour qu’il réponde pour les 5.000 militants et dirigeants de l’Union Patriotique assassinés par le paramilitarisme comme stratégie de contre-insurrection de l’Etat, pour le déplacement forcé de près de 6 millions de paysans , pour les plus de 50.000 cas de disparitions, pour les massacres et les « faux positifs » (9), pour les tortures, pour les abus de pouvoir que signifient les détentions massives, pour la dramatique crise sociale et humanitaire, en somme qu’il réponde pour le Terrorisme d’Etat. Ceux qui doivent avouer la vérité et dédommager les victimes, ce sont les bourreaux retranchés derrière les institutions abâtardies.
Nous sommes une force belligérante, une organisation politique révolutionnaire et notre projet pour le pays a été ébauché dans la Plateforme Bolivarienne pour la Nouvelle Colombie. Nous sommes animés de la conviction que notre havre est la paix, mais pas la paix des vaincus, la paix dans la justice sociale.
L’insurrection armée motivée par une lutte juste ne pourra pas être anéantie à coups de bombardiers ni d’aucune technologie, ni par des « plans », pour aussi ronflants et variés que soient leurs intitulés. La guerre de guérillas mobiles est une tactique invincible. Ils se trompent ceux qui grisés de triomphalisme parlent de la fin de la guérilla, de points d’inflexion et de déroutes stratégiques, ils confondent notre disposition au dialogue en vue de la paix avec une inconsistante preuve de faiblesse. Ils nous ont frappés et nous les avons frappés, ça oui. Mais avec le romancero (10) espagnol, nous pouvons dire « Vous avez l’heur de vous glorifier parce que vos armes sont polies, en revanche, regardez les miennes, elles sont ébréchées parce qu’elles entaillent et ont été entaillées ». Ce sont les avatars de la guerre. Le Plan Patriote du Comando Sur des Etats-Unis a été anéanti et l’intensité de la confrontation guerrière a gagné aujourd’hui tout le territoire national. Cependant, un sentiment de paix palpite en nous, il se fonde sur la conviction qui est la nôtre que la victoire sera toujours entre les mains de la volonté de notre peuple et de sa mobilisation. « Ceci est un message de fermeté, disait il y a peu de temps Alfonso Cano : ici parmi les FARC, personne n’a peur, nous avons un moral d’acier, un moral de combattants ! ».
Président Santos, construisons la paix en nous fondant sur les aspirations de la nation.
Nous faisons appel à tous les secteurs sociaux du pays, à l’Armée de Libération Nationale ( l’ELN), aux Directoires des partis politiques, à Colombiennes et Colombiens pour la Paix, l’organisation dirigée par Piedad Cordoba qui a travaillé vaillamment pour ouvrir cette voie, nous faisons appel à la Mesa Amplia Nacional Estudiantil (MANE) (11), la Coordination de Mouvements Sociaux de Colombie (COMOSOCOL), les instigateurs de la Rencontre pour la Paix de Barranca, les indigènes, les afro-descendants, les paysans, les organisations de déplacés, la ACVC (12), l’Association Nationale des Zones de Réserve Paysanne (ANZORC), les centrales ouvrières, les femmes, le mouvement juvénile colombien, la population LGTBI (13), les académiciens, les artistes et personnes du monde de la culture, les communicateurs alternatifs, le peuple dans son ensemble, les émigrés et exilés, la Marche Patriotique, le Pôle Démocratique, le Congrès des Peuples, le parti Communiste, le MOIR, la Minga Indigène, les amants de la paix dans le monde, afin qu’ils remplissent d’espoir cette tentative de solution diplomatique du conflit.
Depuis la prison étasunienne de Florence (Colorado) où il purge une injuste peine de 60 ans de réclusion, Simon Trinidad a déjà manifesté qu’il était totalement disposé à participer aux dialogues de paix de Colombie. Avec beaucoup de bon sens, le Ministère Public colombien a déclaré qu’il avait parfaitement le droit de faire partie de la délégation des FARC à la table de négociations et le Conseil Supérieur de la Magistrature a offert la technologie et la logistique pour que cela soit possible. Le gouvernement étasunien apporterait une forte contribution à la réconciliation de la famille colombienne en favorisant la participation de Simon, en chair et en os, à cette table.
Finalement, nous voulons exprimer notre éternelle gratitude aux gouvernements et aux peuples de Norvège, du Vénézuéla et du Chili, qui ont conjugué leurs efforts depuis la Scandinavie, la Caraïbe, depuis le berceau de Simon Bolivar et depuis le farouche Arauco (14) de Neruda et Allende, afin que le monde puisse contempler le prodige de la nouvelle aurore boréale de la paix. Nous soulignons aussi la contribution du CICR (15) en tant que garant du déplacement, sous la mitraille, des porte-parole des FARC depuis les agrestes régions colombiennes.
Nous rendons hommage à ceux d’entre nous qui sont tombés, ou sont restés estropiés, à nos prisonniers de guerre, à l’abnégation des Milices Bolivariennes, au Parti Communiste Clandestin, au Mouvement Bolivarien pour la Nouvelle Colombie, et à leurs côtés, au peuple fidèle qui nourrit et accompagne notre lutte.
Alors que les discussions n’ont pas encore commencé, ne posons pas comme une épée de Damoclès la menace de mettre un terme à cette table ronde. Soumettons les arguments de chacune des parties en présence au verdict de la nation, à la jurande citoyenne. Ne permettons pas que les manipulateurs d’opinion dévient le cours de cette cause nécessaire que représentent la réconciliation et la paix des Colombiens dans la justice et la dignité. La grande presse ne peut continuer d’agir comme un juge inique dans ce conflit, car selon les paroles de Cicéron : « Un juge inique est pire qu’un bourreau ». Des efforts de tous et de la solidarité du monde dépend le destin de la Colombie. Que la prière pour la paix de Jorge Eliecer Gaitan (16) illumine notre chemin : « Bienheureux ceux qui comprennent que les paroles de concorde et de paix ne doivent pas servir à occulter des sentiments de rancune et de haine exterminatrice. Malheur à ceux qui au gouvernement occultent derrière la douceur de leurs paroles leur cruauté envers les hommes du peuple, car ils seront montrés du doigt de l’ignominie sur les pages de l’histoire ! ».
Nos voeux de bienvenue à cette nouvelle tentative de paix dans la justice sociale. Soyons tous pour une solution non sanglante au conflit colombien.
Vive la Colombie ! Vive Manuel Marulanda Vélez ! Vive la Paix !
Secrétariat de l’Etat Major Central des FARC-EP
http://anncol.eu/index.php/colombia/insurgencia/farc-ep/444-anncol-presenta-el-texto-completo-del-discurso-del-comandante-ivan-marquez-de-las-farc-ep-en-la-instalacion-la-mesa-de-dialogo-en-oslo
Traduction de l’espagnol : Simone Bosveuil-Pertosa pour le Grand Soir