1942-2012 Stalingrad, L’honneur d’un peuple

Agafia

« Un soleil d’hiver brille au-dessus des tombes collectives, au-dessus des tombes improvisées. Les morts dorment sur les hauteurs des collines, près des ruines des ateliers d’usine, dans des ravins et des combes, ils dorment là où ils se sont battus et leurs tombes se dressent près des tranchées, des casemates, des murs percés de meurtrières qui n’ont pas cédé à l"˜ennemi, comme un monument majestueux à la simple loyauté payée au prix du sang. Terre sainte ! »

Ainsi Vassili Grossman, juif athée, communiste désenchanté et correspondant de guerre pour le journal Krasnaïa Zvezda, fit ses adieux à Stalingrad dans un dernier article, le soir du Nouvel An, remplacé par Konstantin Simonov sur ordre du général Ortenberg. La séparation d’avec cette ville martyre, avant même la fin des combats, attrista Grossman marqué par les mois passés au coeur de cet enfer. « La ville est devenue pour moi une personne vivante » confia-t-il dans une lettre à son père.

A Stalingrad, la sculpture miraculeusement épargnée par les raids aériens, ces enfants de pierre, faisant une ronde joyeuse autour d’un crocodile, apparaissait sur fond de ruines, comme le symbole de la victoire d’un peuple uni et fier terrassant le reptile nazi au prix du sang versé et de la souffrance.

Stalingrad… Hitler qui visait les champs pétrolifères du Caucase, fut stoppé dans son élan par la ville portant le nom même de son frère-ennemi. Il y a 70 ans, l’actuelle Volgograd marqua le tournant de la guerre, et fut le symbole d’un formidable espoir dans la lutte contre l’Allemagne du IIIe Reich et la barbarie nazie. Stalingrad, symbole de l"honneur d’un peuple et du formidable effort qu"il sut déployer lors de sa Grande Guerre Patriotique. Une volonté farouche qui le mènera jusqu’à Berlin, et le 9 mai 1945 à recevoir une capitulation sans conditions de l’Allemagne nazie, saluée par mille coups de canon tirés du Kremlin.

Ce sera alors la fin d’un cauchemar, une fin triomphale et amère, qui aura coûté à l’Armée Rouge 9 millions de morts, 18 millions de blessés, sans oublier la mort de 18 millions de civils, des milliers de villages ravagés, incendiés corps et âmes, et une somme incommensurable de souffrances et d’humiliations sous la botte nazie considérant les slaves comme des sous-hommes. Sur les 4 millions et demi de soldats qui seront faits prisonniers par les allemands seuls reviendront vivants 1 million huit cent mille soldats.

Dès le début de l’opération Barbarossa, l’avancée rapide des armées allemandes en terre russe durant le tragique été 41, avec son cortège d’horreurs, de monstruosités, d’inhumanité la plus extrême, à l’encontre des civils comme envers les millions de soldats faits prisonniers, avait laissé croire au IIIe Reich que les Russes seraient balayés d’un revers de cravache. C’est méconnaitre la volonté d’un Russe, méconnaitre la force d’âme de ce peuple capable de tout endurer, et méconnaitre l’Histoire. Hitler, comme Napoléon devra se heurter à l’ours slave.

Je laisse de côté la stratégie purement militaire, là n’est pas mon propos. Les opérations Uranus, Orage d’Hiver, Petite Saturne et Cercle concoctées par Joukov et Rokossovki piégèrent la 6e Armée de Paulus et firent ravaler sa morgue à Hitler. Les forces allemandes, roumaines et italiennes encerclées, épuisées, gelées et affamées s"effondrèrent sous les coups de boutoir soviétiques.

Une guerre urbaine parmi les ruines que les Russes surent utiliser à leur avantage, des immeubles et des usines défendues pierre par pierre, des quartiers effondrés perdus et repris maison après maison sous le feu nourri de l’artillerie.

Mes pensées vont à ces défenseurs, combattants hommes et femmes, officiers, soldats, et civils vivant terrés dans des caves, survivant à tout, mourant surtout.

A ces hommes, soldats et ouvriers brûlant vif plutôt que de quitter leur poste défensif, à ces téléphonistes hommes et femmes, courant sous le feu pour réparer les fils endommagés. A ces estafettes traversant la ville avec une chance de survie minime, à ces infirmières de 18 ans, la musette et le coeur en bandoulière rampant auprès des blessés et tombant sous les balles allemandes. A ces aviatrices, surnommées par les allemands "les sorcières de la nuit", volant en rase motte dans leur avion de bois et de papier, à portée de tir, et larguant leurs bombes sur les lignes ennemies. A ces sapeurs chargés de nettoyer les maisons occupées par les troupes allemandes. A ces tireurs d’élite, chasseurs de l’Oural ou sibériens ayant quitté leur lointaine taïga natale pour défendre cette ville du Sud, à tous ces soldats, comme ces fusiliers de la Garde, traversant la Volga sous les bombes, face à la ville en flammes, en route pour l’enfer. A ces officiers aussi, comme Tchouikov, Emerenko, Vatoutine, Rodimtsev, Voronov... et puis Rokossovski…

Konstantin Konstantinovitch Rokossovki, russo-polonais, soldat d’honneur talentueux, intelligent, victime des purges de 37, ayant survécu aux tortures du NKVD de Béria, et qui fut tiré de sa geôle en 40 pour pallier au manque cruel d"officiers, victimes expiatoires de la paranoïa stalinienne. Gravement blessé devant Moscou, il sera promu commandant du front du Don par la Svatska fin 42 et désigné comme responsable de la liquidation finale de l’ennemi. Il tenta de négocier une reddition allemande, envoya par deux fois des émissaires dans les lignes allemandes afin de limiter la casse. En vain. Paulus refusa.

Et ce fut à l’aube du 10 janvier que l’ultime offensive "Cercle" fut lancée. A 6h05, l’ordre d’ouvrir le feu fut donné, et durant 55 minutes, 7000 canons, mortiers et katioucha roulèrent tel un tonnerre apocalyptique. D’une façon si intense, qu’un officier d’artillerie soviétique, le colonel Ignatov, déclara qu’il n’y avait que deux façons de sortir d’un pareil déchainement : mort ou fou. La 6e Armée affamée, épuisée, reçut le coup de grâce, malgré une résistance acharnée et même extraordinaire si l’on considère son état de faiblesse physique et matérielle. Acharnement qui coûta au cours des trois premiers jours de l’offensive 26 000 soldats aux armée soviétiques du front du Don, ainsi que la moitié de leurs chars.

C’est à tous ceux là , illustres ou inconnus, à qui je rend hommage, …

Et l’imposant monument juché sur le Kourgan Mamaï rappelle à tous, cette bataille historique. La Mère Patrie veille sur ses enfants tombés pour elle, il y a 70 ans. Et je les salue.

Que la terre leur soit légère…


Sources :

Carnet de Guerre, Vassili Grossman

Stalingrad, Anthony Beevor

Le devoir d’un soldat, Konstanttin K. Rokossovski

La guerre n’a pas un visage de femme, Svetlana Alexievitch

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/1942-2012-stalingrad-l-honneur-d-124863

article signalé par Dwaabala

Un mot cependant au sujet des fameux « frères ennemis » au profit desquels s’efface souvent la réalité historique.

Le nazisme portait en lui la négation de l’humanité.
Il est la chose immonde qui sortit des entrailles du capitalisme.

C’est précisément le capitalisme que le mouvement communiste prétendait abattre pour permettre à une forme supérieure d’humanité (non pas une race supérieure) d’émerger. selon des voies qu’il leur appartient de trouver, dans la vie et non par la mort.

L’épisode historique désigné par le vocable "ère stalinienne", fut par certains de ses aspects un drame pour l’humanité encore plus douloureux et plus grave que celui de l’hitlérisme car il frappa un corps jeune, peut-être prématuré, porteur de l’avenir, alors que le second "ne fut qu’une" péripétie de l’agonie du vieux monde qui se perpétue.

Dwaabala

COMMENTAIRES  

29/10/2012 08:32 par CN46400

Précision importante ; la victoire éclair d’août39 des soviètiques en Manchourie du Nord sur les japs oblige ceux-ci à signer, avec Staline, un pacte de non agression (comme avec les allemands) qu’ils respecteront, eux, (ils ont choisi d’attaquer les USA). Et Staline constate alors qu’il dispose en Extrème Orient d’une armée, commandée par Joukov, au top niveau. Il fait alors, face aux nazis qui vont, il le sait, attaquer, un choix à la Koutouzov devant Napoléon : espaces, hiver puis contre attaque.
Pendant six mois, l’élite des troupes allemandes va s’user contre les armées tout venant, que Staline a décidé de sacrifier par millions bien qu’elles se battent souvent avec vaillance (La forteresse de Brest résiste un mois, les partisans pourrissent les arrières nazis à comparer avec la débandade française de l’année précédente)
Hitler a trois objectifs : Moscou, Léningrad et Stalingrad. En décembre 41, il croit tenir les deux premiers, il va déchanter, en moins d’un mois, les troupes d’élites d’Extrême Orient, libérée par le pacte qu’elles ont imposé aux japs, sortent de l’Oural et repoussent les allemands sur Smolensk. Si Léningrad s’enroule pour un siège, très dur, de 900 jours, Moscou est dégagé. Tous les ingrédients de la victoire finale ont été de sortie, les T34 en masse, les Katiouchas en batterie, les Yaks en nuées, les soldat en skis et en tenues d’hiver que les allemands attendent encore. Un an avant Stalingrad la tactique de la grosse tenaille a payé. Tout, camion, canons, tanks, munitions, soldats est alors soviètique à 100%.
Coté allemand, il y a de tout matériel, italien, tchèque, français surtout (depuis juillet 40 le complexe militaro-industriel français tourne plein pot pour les nazis, sans parler des récupérations directes sur l’armée française en déroute) et bien sûr les deux millions de soldats allemands remplacés à leur poste de
travail en Allemagne par autant de prisonniers français !
S’il est normal de rendre hommage aux combattants soviètiques pour la victoire, décisive dans la 2° guerre mondiale, de Stalingrad, il est bon, aussi, de replacer cette bataille, dans le contexte général de la conflagration.

29/10/2012 15:13 par Dwaabala

à CN46400
Vos quelques lignes sont plus convaincantes que tous les volumes d’histoire consensuelle.

29/10/2012 20:03 par Dwaabala

à CN46400
Ce qui suit ne me semble pas vous contredire, je l’emprunte à un commentateur d’Agoravox pour le même article.
Par L’immigré 29 octobre 19:30
Tout d’abord, encore une fois, rendons hommage à ceux et à celles qui sont tombés pour que nous ayons une vie meilleure. Remercions aussi (encore une fois) l’auteure d’avoir eu le courage d’écrire sur un sujet qui n’intéresse quasiment personne, sauf, des gens comme moi. Remercions aussi l’auteure, par son récit qui se veut truculent, de nous enseigner l’humilité dans ce monde de vanité !
Ensuite, essayons de remettre de l’ordre dans tout cela. La guerre, qu’elle soit justifiée, justifiable ou non, tente toujours de répondre à des objectifs qui n’ont aucun lien avec la guerre elle-même : maîtrise de sources d’approvisionnement, de marchés ou de technologies. Peu importe qui a tort ou raison : ce n’est pas le sujet.
Puis, ne refaisons pas l’Histoire, mais, tentons de rapporter quelques informations factuelles et scientifiques. Bien entendu, j’aurais très bien pu me tromper.
Ainsi, concernant la Bataille de Stalingrad, considérons d’abord le front russe (ou de l’Est) dans son ensemble :
1- Sur le plan militaire :
plus de 600 divisions allemandes engagées (environ 200 à l’Ouest) et vaincues
Les meilleures troupes du monde de l’époque (avis personnel) : les Waffen SS
2- Sur le plan technologique :
Le meilleur char d’assaut du monde de l’époque (à vérifier !) : le T34 soviétique
La meilleure technologie militaire conventionnelle terrestre du monde (avis personnel) : lance-roquettes multiples plus connu sous les termes affectueux de « katioucha » et ironique de « orgues de Staline »
Un des tous premiers avions de combat utilisant des missiles : l’Ilyouchine 2 Sturmovik (on dit qu’il est l’avion de combat le plus produit de tous les temps)
3- Sur le plan politique :
Haine des Nazis pour le peuple slave et le bolchevisme
Stalingrad : ville symbole
4- Sur le plan géostratégique :
Soit les produits stratégiques suivants :
Agriculture : Grenier à blé du monde = Ukraine
Pétrole : champs pétrolifères de Bakou, raffineries de Roumanie (c’est un peu à l’Ouest, certes)
Métaux : Mines de fer et de manganèse d’Oural (c’est un peu au Nord-Est, certes)
Certains faits historiques (oui, je sais, tout le monde connaît !) :
22 juin 1941 : opération Barbarossa (invasion de l’URSS)
décembre 1941 : fin du mythe de l’invincibilité de la Wehrmacht devant Moscou (Thank you Soviet Union !)
vers fin 1942 : le début d’une série de défaites allemandes
Octobre 1942 à février 1943 : Stalingrad
juillet à août 1943 : Koursk, opération Zitadelle, la plus grande bataille de blindés que le monde ait connu (7000 chars, près de 5000 avions, près de 3 millions de personnes engagés) qui marquera irréversiblement la fin de l’initiative allemande à l’Est
Que dire de Stalingrad ?
Si je devais décider à la place des nazis, c’est justement la prise de Stalingrad qui serait un de mes objectifs les plus importants. En cas de succès, ce serait :
1- une victoire politique (le symbole)
2- une victoire militaire (prise d’une position stratégique et formation d’une tête de pont au-delà de la Volga)
3- une victoire stratégique (sécurisation de l’Ukraine, de Bakou, etc.)
4- une victoire psychologique (moral des troupes de part et d’autre et de la population)
Par ailleurs, j’en profite pour dire que contrairement à ce qu’on a toujours fait croire, depuis fin 1942, l’Union Soviétique pouvait sans problème "’après 1943 en tous cas"’ défaire l’armée nazie sans l’aide de qui que ce soit. Tout comme chacun sait que le pacte germano-soviétique n’avait qu’un seul objectif : gagner du temps. Pas besoin d’être intelligent pour comprendre que si on est un slave bolchevique détesté par les nazis, on se fera attaquer un jour ou l’autre, surtout, si on a éliminé ses propres généraux, donc, il est urgent de gagner du temps.
De même contrairement à ce que certains voulurent nous faire croire dans ces commentaires, les Américains n’auraient jamais débarqué en Normandie s’ils n’avaient pas eu peur que les Soviétiques ne s’emparent des secrets industriels allemands (technologie des fusées, recherches sur l’eau lourde, technologie aéronautique, technologie chimique, etc.) et ne transforment toute l’Europe en satellites du communisme (fin de l’économie de marché, entre autres). En d’autres termes, s’ils pouvaient ne jamais débarquer en Europe, les Américains ne l’auraient jamais fait. En effets, si j’étais à la place des Américains, je ferais tout pour que l’Allemagne nazie et l’Union soviétique s’entre-tuent : je reste et j’attends parce que cela me coûterait moins cher quand j’aurais à intervenir. L’URSS ne cessa pas de demander un débarquement à l’Ouest qu’elle n’obtint que par défaut (c’est-à -dire, quand les Américains furent, par intérêt, contraints de débarquer). Quand les Américains se rendirent compte que les Soviétiques n’avaient plus besoin d’eux en termes d’autonomie militaire, ils se dépêchèrent de débarquer (Sicile, Normandie) : pragmatisme oblige. C’est ce que je ferais si j’étais les USA, en tous cas.
Enfin, que nous le voulons ou non, nous devons notre tranquillité à ce moment, résumé dans un seul mot : Stalingrad.

30/10/2012 08:05 par CN46400

Quelques objections :
- Stalingrad : c’est surtout du pétrole très fin (Bakou) pour celui qui gagne (Le T34 est conçu (moteur diésel) pour le consommer sans presque aucun raffinage)
- le "pacte" c’est du temps certe mais aussi de l’espace avec le retour aux frontières occidentales de la Russie admises en 19 (ligne Curzon) et toujours actuelles pour la Bielorussie, plus les pays baltes.
- En fait Stalingrad ne sera jamais analysée sereinement, comme peuvent l’être Austerlitz ou Waterloo, tant que le personage principal (Staline) ne sera, avec ses crimes, ses ombres et ses lumières, complètement, comme Napoléon, "entré dans l’histoire". Par exemple comment expliquer les purges militaires de 37 sans faire la clarté sur le "complot Toukatchevski" ?

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