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Entretien avec Rodrigo Granda, membre de la direction des FARC (Resumen Latinoamericano)

Carlos Aznárez, directeur du journal RESUMEN LATINOAMERICANO a eu un entretien à La Havane avec le commandant Ricardo Téllez, alias Rodrigo Granda, qui fait partie de la direction des FARC, une semaine avant l’ouverture des discussions de paix.

« Il est toujours dangereux de dialoguer sous le feu. Essayer de parler sous les balles et les bombardements comporte un très grand risque »

La Havane, le 29/09/2012 A quelques jours des conversations de paix entre le gouvernement colombien et les FARC, celui qui fait partie de la direction de cette organisation de guérilla, le Commandant Ricardo Téllez (alias Rodrigo Granda) a signalé que « la conviction qu’a le gouvernement de Juan Manuel Santos que la guerre ne pouvait être gagnée rapidement les a conduits à négocier ».

Téllez, connu également comme « Ministre des affaires étrangères des FARC », est dans l’opposition depuis 1980. Il était déjà passé à la clandestinité depuis de nombreuses années du fait de son militantisme au Parti Communiste de son pays. Il a reconnu avoir traversé un moment très difficile au cours des conversations d’approche initiées en 2010, lors de l’assassinat de Jorge Briceño alias Mono Jojoy, suivi de celui du principal responsable des FARC, Alfonso Cano, mort au combat. « A ce moment, nous nous sommes vus dans l’obligation de réfléchir à une prise de décision : ou nous continuions, ou nous renversions l’échiquier. Cependant, nous nous sommes rendu compte que l’objectif était la paix, comme cela avait toujours été établi par notre Commandant Manuel Marulanda Vélez, et nous avons décidé de continuer notre travail dans ce sens ». Téllez ne doute pas un instant que si le dialogue avance, cette fois, les portes de la pacification pourront s’ouvrir définitivement.


Cela a-t-il été difficile d’en arriver au moment présent ? Comment se sont passées les conversations d’approche ?

Le chemin n’a pas été facile car nous vivons une guerre assez dure, dont huit ans de Monsieur Uribe et deux ans de Juan Manuel Santos. Quand le président Santos a pris ses pouvoirs, il a envoyé une lettre au Secrétariat des FARC, où il disait que ce que nous proposions dans l’agenda de la Nouvelle Colombie bolivarienne pouvait être discuté mais que ce qui nuisait au pays, c’étaient les formes de combat que nous utilisions. De toute façon, il reconnaissait qu’en Colombie, il y avait un conflit, ce que Uribe refusait de reconnaître.

A partir de là , commença un échange épistolaire, qui se termina par une réunion en Colombie, suivie de quelques rencontres sur d’autres territoires que la Colombie, pour se terminer enfin à Cuba, dans des réunions que nous qualifions de « discrètes et secrètes » pendant six mois, jusqu’à ce jour.

A la différence de l’ELN (1), vous avez insisté pendant longtemps pour que les conversations aient lieu en Colombie. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Sachez que depuis longtemps, pendant le gouvernement de Gaviria, nous dialoguions à Caracas, ensuite à México. Le lieu n’a jamais été une question de principe pour nous. Mais l’important est de posséder la rigueur dans l’analyse des fondamentaux et la conviction pour affronter les dialogues.

Pendant combien de temps allez-vous délibérer à Oslo ?

La rencontre d’Oslo n’est que l’installation de la plateforme de discussions. Nous délibérerons là -bas deux ou trois jours au maximum. Ensuite, les choses importantes seront discutées à La Havane. Selon l’évolution des discussions, nous avons décidé aussi, de l’éventualité de réunions dans d’autres pays qui pourraient être l’Argentine ou le Brésil.

Quelles raisons vous donnent à penser que les autorités colombiennes sont obligées d’envisager la paix précisément en ce moment ?

Ils ont appliqué le Plan Colombie de toutes leurs forces. L’idée était de nous exterminer physiquement en quatre ans. C’est-à -dire, de démontrer au monde que la guérilla pouvait être éliminée par la voie militaire. Ces quatre premières années d’Uribe n’ont pas donné exactement ce à quoi il prétendait. Grâce à sa réélection, il a bénéficié de quatre années supplémentaires et pendant cette période, 12 milliards de dollars ont été engloutis dans la guerre contre le peuple colombien. Il était déjà question de l’après-conflit et il se trouve que ce à quoi ils prétendaient ne s’est pas passé. Nous avons une guérilla forte, bien équipée qui, évidemment a encaissé quelques coups durs mais elle a su s’adapter, très facilement, aux nouvelles formes qu’a prises la guerre en Colombie.

Le fait de ne pas pouvoir remporter rapidement la guerre a convaincu Monsieur Santos et ses commanditaires, les Etats-Unis, que le dialogue était préférable. Nous, nous sommes partisans de la paix et de la négociation. Et si nous avons pris les armes, c’est précisément parce que ces solutions nous ont été interdites. Ceci étant dit, les responsables colombiens pensent renforcer au maximum leur politique néolibérale, attendu qu’ils ont signé 52 traités de libre-échange avec différents pays du monde, une bonne quantité de projets agro-industriels et miniers et portant sur des produits énergétiques pour des sommes colossales. N’oublions pas que la Colombie est l’un des pays les plus riches du continent : nous avons de l’or, de l’argent, des émeraudes, ce à quoi il faut ajouter deux façades côtières et la forêt amazonienne. Tous ces projets impulsés par les multinationales se heurtent à une résistance armée. C’est à partir de là que nos ennemis concluent que pour résoudre ce conflit, mieux vaut la négociation. De plus, en raison de la crise que traverse le monde, spécialement l’Europe, ils craignent que ses conséquences ne génèrent un bouillon de culture et qu’à partir de l’expérience des FARC ne surgissent d’autres guérillas sur le continent.

Cependant, Juan Manuel Santos persiste à dire que les FARC sont sonnés, que les derniers coups qui leur ont été portés les ont affaiblis et que c’est précisément pour cette raison que vous avez accepté de vous asseoir à une table de négociation.

Aucunement. L’un des principes de la guerre, c’est qu’avec les vaincus, on ne dialogue jamais. Si moi je gagne la guerre et que je domine mon adversaire, pourquoi voulez-vous que je me mette à négocier ? Cela n’aurait pas de sens. Ils ont la tête remplie de ce genre de présupposés mais la réalité leur démontre jour après jour qu’ils sont dans l’erreur. Aujourd’hui, la confrontation armée peut durer encore 20 ou 30 ans, d’ailleurs les hauts responsables militaires le savent et ils l’ont dit dans des réunions avec le chef de l’Etat. Ils se sont donc mis à réfléchir sur la nécessité de chercher d’autres voies pour en finir avec cette guerre. En fonction de cela, nous avons pris l’initiative de suggérer au gouvernement que ce qui serait important, ce serait de construire la paix, mais une paix dans la dignité, la justice sociale, de sorte que les problèmes du peuple colombien soient pris en considération.

Que réclame la guérilla de façon urgente ?

La guérilla ne réclame rien pour elle-même, nous n’avons besoin de rien venant des autorités. Ce qui nous anime, ce sont des questions altruistes, que le pays et aussi le continent puissent vivre en paix.

Si ces 48 années de lutte armée permanente réussissent à déboucher sur une ouverture démocratique, que la façon de faire de la politique en Colombie change, que les droits de l’Homme et l’intégrité physique des gens soient respectés, que notre pays rejoigne la nouvelle réalité latino-américaine, cette guerre aura apporté sa contribution à la paix de notre nation et du monde, je crois qu’elle aura accompli une mission très importante. Il ne faut pas oublier qu’à un moment donné, nous avons voulu changer notre forme de lutte. Donc, si maintenant on nous ouvre grandes les portes que l’on nous a fermées en 1964, si on nous permet de débattre publiquement et sur un pied d’égalité avec d’autres forces, nous serons disposés à le faire, mais il faut que nos ennemis soient bien persuadés d’une chose, c’est qu’ils ne vont pas négocier avec une guérilla vaincue. Ce fut l’erreur des gouvernements colombiens successifs, de croire que chaque fois que s’ouvrait la possibilité d’une négociation, c’était parce que la rébellion était en déroute. Cela est stupide et ils savent qu’à l’heure actuelle, ce genre d’arguments ne tiendra pas longtemps.

Ne pensez-vous pas qu’il pourrait y avoir une autre façon de voir le problème ? Je m’explique : le Président Santos va se trouver bientôt en situation de rééligibilité et il sait que si ces négociations progressent, il peut devenir le porte-étendard de la paix et ainsi, il valide son maintien au pouvoir.

La paix a de nombreux amis et il ne fait pas de doute qu’en Colombie, elle soulève une ferveur extraordinaire, de même qu’est palpable la ferveur d’un véritable plébiscite international pour porter ces négociations. N’oublions pas que ce conflit est le plus long de l’hémisphère occidental. Il est indéniable que celui qui portera le drapeau de la paix à ce moment pourra aspirer non seulement à une réélection mais aussi à entrer dans l’histoire comme l’homme qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour améliorer la vie de son peuple. Le Président est face à ce défi. S’il veut faire l’histoire, il a là une grande opportunité mais l’Etat dans son ensemble doit être préparé à accepter quelques unes des concessions que les FARC ont toujours réclamées, car il s’agit de deux parties dont aucune n’a encore vaincu l’autre.

Quelle différence y a-t-il entre ces pourparlers qui vont commencer et les précédents qui ont eu lieu à d’autres moments du conflit ?

Le Président bénéficie en ce moment d’un très important soutien au niveau national et l’environnement latino-américain est différent de celui qui existait lors des accords de Caguan (2). En même temps, on constate de la part des Etats-Unis un appui beaucoup plus important, afin d’éviter que la guerre en Colombie ne se prolonge. N’oublions pas que ce sont eux qui ont favorisé cette guerre, et s’ils cessent de jeter de l’huile sur le feu, il est sûr que l’on pourra progresser. On peut aussi observer un autre élément, c’est que le Président implique le haut commandement militaire en sollicitant la participation de quelques officiers de haut niveau dans les négociations. Il est prévu aussi la présence de représentants des corporations économiques. Ils savent qu’en faisant un effort, en reconnaissant la multitude de facteurs qui ont engendré le conflit, si ces derniers trouvent leur solution, alors on peut avancer vers un processus de paix. C’est pourquoi nous considérons qu’il existe cette fois des variantes qui nous permettent de vivre une expérience beaucoup plus conséquente que les autres fois.

Dans aucun des processus antérieurs, il n’y a eu de réelle volonté de paix de la part du gouvernement colombien. Si Monsieur Santos pense utiliser la même bannière pour sa politique politicienne, il devra en payer le coût historique face au pays. Aujourd’hui, il existe une vraie opportunité, nous les FARC, avons la volonté politique d’avancer, à condition de le faire avec sérieux, et de pouvoir démontrer que l’envie de résoudre le conflit est réelle.

Pour ces prochaines négociations, nous avons dit au gouvernement que nous venions autour de la table, sans arrogance, disposés à tout mettre en oeuvre de notre côté. Mais cela ne nous empêche pas d’être conscients que, s’agissant de la solution d’un problème aussi grave, celui qui a le plus est celui qui doit apporter le plus. Le gouvernement, l’Etat ont beaucoup à donner au peuple de Colombie. Nous, les FARC, de notre côté, nous avons des idées pour participer à la construction d’une Colombie digne, souveraine et en paix, mais dans le cas présent, celui qui a l’argent, c’est le gouvernement…

Dans ce contexte, quelle influence peut avoir le discours que tient Alvaro Uribe, hostile à ces négociations ?

A l’heure actuelle, ce secteur est minoritaire. Il représente à peu près 18%. C’est un discours exagérément rétrograde, plein de haine, d’esprit de vengeance et de rancune. Ce sont des fanatiques de la guerre, c’est pourquoi, nous ne nous en soucions pas davantage car chaque jour qui passe, le peuple colombien prend conscience de l’identité de ceux qui sont à l’origine de toute cette violence. Avec Uribe, ces secteurs qui sont extrêmement dangereux se repositionnent. Les Etats-Unis, en soutenant les négociations - c’est du moins ce qu’a déclaré le Département d’Etat - signalent qu’ils se détachent un peu de Monsieur Uribe Vélez. Et qui peut émettre ce signal mieux que les yankees ? Ils sont en possession de tous les dossiers permettant de savoir quel a été l’agenda d’Uribe depuis qu’il a fait son entrée dans la politique colombienne. Il figure à la 82ème place sur une liste qui est entre les mains de la DEA (3).

Revenons-en au sujet du cessez-le-feu : si cela ne se produisait pas et que les actions militaires engagées par le gouvernement Santos se multipliaient, ne croyez-vous pas que cela mettrait gravement en danger les négociations ?

Il est toujours dangereux de négocier sous le feu. Essayer de parler sous les balles et les bombardements comporte un très grand risque. Nous ne sommes pas en train de demander un cessez-le-feu, nous n’avons fait que suggérer d’éviter davantage de morts au pays. Le gouvernement a répondu non, qu’ils vont poursuivre les bombardements et les opérations militaires. La guérilla est donc dans l’obligation de se défendre. Nous avons répété avec insistance que nous voudrions éviter davantage de malheur, mais on dirait que pour le gouvernement, cela reviendrait à nous accorder un avantage militaire. S’il ne s’agissait pas de la tragédie que cela représente pour le peuple colombien, cela prêterait à rire. Mais il est indubitable que les autorités se soucient bien peu de la vie de leurs propres soldats et de celle des gens du peuple, que toute guerre provoque. Ils considèrent que le cessez-le-feu doit avoir lieu à la fin, et nous, nous pensons que la mobilisation permanente du peuple et la pression internationale elle-même pourraient aider les deux camps à cesser la confrontation armée, sans récupération de caractère stratégique pour aucune des deux parties.

Un autre sujet délicat est celui du calendrier. Pour le président Santos, le conflit devrait trouver une solution au plus tard en juin ou juillet 2013, en revanche pour Timochenko (4), le processus devrait être beaucoup plus long.

Timochenko l’a dit, mais cela n’a rien d’une fatalité. Seulement, pour arriver à élaborer cet agenda, il nous a fallu deux ans. Cette guerre dure depuis 60 ans, c’est pourquoi les propos du président nous paraissent très précipités, il considère que le conflit peut s’arranger du jour au lendemain. La vie est beaucoup plus complexe que tous les éléments pouvant figurer sur un agenda. Les plans les meilleurs échouent. Nous allons donc observer chacun des points de l’agenda et nous allons le mettre au point, sans délai ni précipitation, comme a dit l’un des présidents de la République. Ce qui compte, ce n’est pas de courir un cent mètres, mais que l’on débouche peu à peu sur des accords et que le pays et le monde entier voient que cela vaut la peine de poursuivre les discussions. Nous ne sommes pas disposés à travailler contre la montre, nous ne participons pas aux Olympiades qui viennent de se terminer.

Quelle signification donnez-vous à l’expression « dépôt des armes » qui figure dans l’Accord cadre pour commencer les discussions ?

Cette expression donne lieu à de nombreuses interprétations. Nous avons dit que si les portes de la paix s’ouvrent, si quantité de changements sont réalisés, si l’on respire un air nouveau, les armes, en fin de compte ne sont que des outils, qui à un moment donné peuvent se taire. Ce que l’on ne peut pas mettre sous silence, ce sont les idées que chaque combattant a dans la tête. Tant qu’il n’y a pas d’hommes disposés à les actionner, les armes en elles-mêmes ne jouent aucun rôle. Elles servent à défendre le peuple de la tyrannie, à l’arracher à l’esclavage. Ces armes ont rendu possible, enfin, l’espoir de la paix, tellement souhaitée par le peuple.

Vous avez pris les armes pour dénoncer un ordre injuste (ce sont les termes de vos communiqués constitutifs). Qu’est-ce qui vous fait penser maintenant qu’à cette table de négociations vous pourrez obtenir ce qui vous a été refusé pendant toutes les années d’insurrection armée ?

Nous avons dit que nous n’acceptions pas de négocier pour obtenir une Révolution par contrat. Il ne s’agit pas de faire la Révolution autour d’une table de négociations. Nous maintenons qu’il y a en l’occurrence deux parties opposées, qui ont des critères antagoniques. Nous ajoutons : vous nous avez obligés à prendre les armes, vous avez cherché à nous éliminer par tous les moyens et vous n’y êtes pas parvenus. L’essence de la guerre est d’avoir raison de la volonté de combattre de son adversaire, et cela non plus vous n’y êtes pas arrivés, et l’Etat colombien non plus n’y parviendra pas. Alors nous disons au président Santos : si vous ouvrez grandes les portes pour donner naissance à un nouveau pays, les armes pourront se taire et nos revendications pourront être satisfaites par d’autres méthodes. Nos fondateurs l’ont déclaré en 1964, nous voulions utiliser la voie pacifique pour obtenir le pouvoir mais vous nous avez repoussés violemment. Comme nous sommes des révolutionnaires, que de toute façon, nous avons un rôle à accomplir, nous prenons les armes jusqu’à ce que le pays change.

Si nous constatons des débuts de changements, alors nous intègrerons la politique, car les armes ne seront plus d’aucune utilité. Le système colombien est tellement tyrannique que c’en est une honte, si on le compare à celui d’autres pays de notre continent et du monde. Ailleurs, on n’assassine pas une personne parce qu’elle est opposée à telle ou telle position du gouvernement, ou simplement, pour avoir réclamé le respect de la dignité humaine, ou défendu la souveraineté du pays. Dans d’autres pays, on n’assassine pas les gens pour avoir participé à une manifestation ou à une occupation de terres. En Colombie, le fait de penser autrement que les autorités a causé 300.000 morts pendant la première étape de la violence, et dans celle où nous sommes actuellement, on a dépassé déjà les 250.000. Dans quel pays a été engagée une guerre plus cruelle et plus barbare contre un peuple sans armes ? Que n’a-t-on pas utilisé contre les FARC ces derniers temps ? La technologie la plus pointue, des drônes, des avions Super Tucano (5), des ballons-sondes, toute l’intelligence militaire de l’ennemi, les micro-puces, des bombes intelligentes pour briser la volonté des gens qui combattent pour la justice sociale, la liberté et une véritable démocratie.

L’un des points clé de l’accord cadre qui sera discuté au cours des négociations est le thème de la terre. Quels sont les positionnements des FARC pour résoudre la situation des paysans colombiens ?

Nous avons établi un pacte d’honneur, quelques points vont être discutés lors de la table ronde. C’est sur le thème de la terre et du développement agraire, que nous allons ouvrir la discussion. Donc, nous n’allons pas pour le moment publier haut et fort ce qui doit être discuté à la table de négociations. Nous avons une vision très concrète et des propositions à faire, en plus de rassembler le point de vue des organisations agraires, paysannes, indigènes et afrodescendantes. Devront également participer aux discussions et nous donner des orientations, les organisations liées aux problèmes ruraux, mais pas seulement, il faudra aussi envisager les questions de la santé, de l’éducation, du logement, de l’écologie et toute la question de la terre.

Exigerez-vous la réforme agraire ?

La Colombie est le seul pays d’Amérique latine où il n’y a jamais eu de réforme agraire. Les 87% des meilleures terres du pays sont entre les mains de 4% des propriétaires. Les grandes propriétés de plus de 500 hectares ont augmenté au détriment des petits paysans. Le problème de la grande propriété en Colombie est à l’origine des premières guérillas. Nous subissons maintenant les assauts des transnationales qui cherchent à s’emparer des terres, pour de grands projets miniers et d’agriculture industrielle. N’oublions pas que la terre à l’heure actuelle a atteint au niveau mondial des prix exorbitants.

Comment la société colombienne actuelle peut-elle participer aux conversations de paix ?

Quelques mécanismes ont été décidés à la table de discussions. Les gens qui sont dans le pays peuvent convoquer des forums, des assemblées, des rencontres, des mingas(6), où ils pourront discuter, par exemple, du problème de la terre. Il est possible également d’organiser des rencontres nationales où seraient présentées et rassemblées toutes les idées éventuelles. Le problème de la terre en Colombie n’a pas surgi du jour au lendemain, c’est un problème historique et les organisations paysannes, indigènes et afro-descendantes sont venues avec une trajectoire de combat, il se produit la même chose avec les FARC. Le 20 juillet 1974, les FARC ont divulgué le programme agraire de la guérilla. Maintenant, nous actualisons tout cela et le mettons sur la table pour discussion.

Mais le gouvernement Santos affirme qu’il s’occupe déjà du problème de la terre.

Le gouvernement envisage de réaliser quelques changements au niveau de la terre, car ils ont intérêt à traiter l’ensemble de la question du capitalisme rural. Le problème est qu’ils ont besoin d’intégrer ces deux tiers de la Colombie qui représentent un pays oublié. C’est sur ce territoire que se trouve la guérilla et l’Etat n’y est pas présent. Donc, nous aurons à discuter de tout cela lorsque nous aborderons le point du développement agraire.

Il y a aussi le sujet des espaces consacrés aux plantations de coca, et ce que cela signifie en tant que monoculture.

Les plantations de coca n’occupent pas que des espaces appartenant à la guérilla, on en trouve dans presque tout le pays. Dans l’accord cadre, il y a un point consacré à la discussion sur le sujet des monocultures. Savez-vous que maintenant, au sommet de Cartagena (7) et au sommet ibéro-américain qui va se tenir en Espagne, l’un des problèmes mis à la discussion est la lutte contre le narcotrafic ? En mars 1999, notre commandant Manuel Marulanda Vélez a fait une étude sur la Municipalité de Cartagena del Chaira. Il a présenté cette étude lors de la première réunion qui s’est tenue sur les cultures illicites et la défense de l’environnement dans le Caguan.

Ce plan est un plan global et pleinement d’actualité pour toute l’Amérique latine, il doit être discuté à l’OEA (8) ainsi qu’à l’ONU. Il est temps pour le Département d’Etat nord-américain de voir qu’il existe une façon différente de s’attaquer au sujet de la production et du trafic de stupéfiants dans le monde. Contre cela, il n’y a pas que la répression car il s’agit d’un phénomène économique, politique, militaire et social. Des sommes colossales sont brassées dans ce secteur. A l’heure actuelle, ce sont 670 milliards de dollars qui circulent de par le monde du fait du narcotrafic. Ces torrents de billets irriguent la sphère financière des Etats-Unis. Ils reversent 20 milliards à l’Amérique latine, et la Colombie qui, dit-on, exporte 80% de la cocaïne, touche 4,5 milliards de dollars. Qui est-ce qui s’en met plein les poches ? Mais, en plus, la coca est liée aux produits chimiques-bases qui sont produits par le premier monde. Elle est liée au thème des armements. Qui les fabrique ? Eux aussi, l’Occident, le premier monde.

Comme on le voit, ce sont des sujets extrêmement sérieux et l’Etat s’est rendu compte que cette guerre, il l’a déjà perdue. Les autres pays peuvent d’ailleurs observer comment ils s’attaquent à ce phénomène et les FARC ont des propositions permettant d’envisager des solutions. Ce qui est contradictoire, c’est que sur ce sujet, nous pouvons être les alliés des Etats-Unis. De même avec l’Europe, car là -bas aussi, la jeunesse est très affectée et nous, nous payons le coût d’une guerre qui n’est pas la nôtre.

Imaginons que les négociations de paix fonctionnent, sur la base de changements et de quelques concessions. Que faire avec les bases nord-américaines ?

C’est un problème de souveraineté nationale et nous sommes opposés par principe à la présence de bases militaires et de troupes étrangères en Colombie. Ils sont entrés sous le prétexte de lutte contre le narcotrafic, en réalité pour mener la guerre contre-insurrectionnelle la plus dévastatrice qui soit. Nous, nous avons reçu leurs bombes mais aucun narcotrafiquant n’a été victime d’une seule, alors qu’ils étaient supposés être l’objectif de ces bases. Tout ce qui se trouve en Colombie du fait de ces bases sert à contrôler le continent sud-américain, à surveiller aussi du côté de l’Afrique. Nous sommes fermement convaincus que ces bases, ces conseillers et autres troupes nord-américaines rendraient un grand service à la paix en abandonnant le territoire colombien.

Dans quelle mesure le résultat des élections nord-américaines peut-il influer sur ces négociations ?

Autour de ce problème, les spéculations vont bon train, malgré le fait que la politique étrangère nord-américaine s’équilibre entre les deux grands partis. On pourrait penser que le candidat républicain est beaucoup plus dur que Obama, ou que ce dernier va changer de position, mais en réalité, la politique étrangère marche comme un seul homme. On voudrait, mais ce ne sont que des voeux, que Monsieur Obama ait un regard différent sur l’Amérique latine. Qu’il voie que le blocus de Cuba est obsolète et que lui, en tant que démocrate, il devrait aider à le lever. Ou encore, cette prison de Guantanamo qu’ils maintiennent et qui devrait disparaître. Ce qui se passe, c’est qu’en politique étrangère, les Etats-Unis ont de plus en plus étranglé l’Amérique latine, ce n’est pas pour rien qu’ils sont désormais seuls sur le continent.

Appréciez-vous les changements qui se produisent sur le continent au niveau de l’intégration des pays ?

Bien sûr, une nouvelle manière de faire de la politique a surgi dans les pays latino-américains. Le fait que l’OEA soit aussi discréditée, et que des organismes comme la CELAC (9) et UNASUR (10) aient été lancés et qu’ils ne soient pas là pour représenter ni yankees ni canadiens, signifie que leur politique étrangère vis-à -vis de l’Amérique latine a échoué. Pour les peuples, ils sont un danger, un monstre assoiffé de nos ressources naturelles.

Vous voyez-vous en train de participer en quelque sorte aux prochaines élections colombiennes ?

Il est bien tôt pour en parler. Nous n’avons pas encore installé la table de négociations. Vingt quatre heures sur vingt quatre, nous réfléchissons à la manière d’être à la hauteur du défi : arriver à un accord final et commencer à construire une paix pour la Colombie. Nous ne sommes pas des politiciens de formation, il y a beaucoup de gens à qui cela plait mais nous, nous avons une autre manière de voir et de comprendre la politique. Nous ne sommes pas convaincus par le système électoral en vigueur, encore moins par cette pratique typiquement colombienne qui fait que vous ne siègerez jamais au Parlement sans un ou deux milliards de pesos en poche. Voilà pourquoi, si vous regardez bien, vous verrez que la majorité d’entre eux sont mis en examen (ou même en prison) car la corruption de ce Parlement colombien est ahurissante. C’est la même chose pour les gouverneurs de provinces et les mairies. C’est que toutes les classes dirigeantes de notre pays sont corrompues et elles ont abusé d’un peuple qui est bon, simple et travailleur.

Pensez-vous qu’à cette table de négociations qui va s’ouvrir, il aurait été préférable de pouvoir compter sur la présence de l’ELN ?

Nous avons déjà eu une expérience avec eux lors de la "Coordinadora guerrera Simon Bolivar". A Tlaxcala, nous étions là ainsi que l’ELN, l’EPL. (11) Malheureusement, cela n’a pas servi à grand-chose. Avec l’ELN, nous avions depuis quelques temps quelques frictions, cela au moins fut résolu, et nous étions dans un processus d’unité assez avancé. Nous avons entamé alors ce processus avec le gouvernement chacun de son côté. Nous avons toujours dit que les portes étaient ouvertes à l’union, mais l’ELN est une organisation souveraine, ils peuvent conduire leurs propres expériences. Si dans le futur, nous pouvions nous rejoindre, ce serait très intéressant de partager des négociations avec eux.

Qu’en est-il de l’idée de faire participer Simon Trinidad (12) aux négociations ?

C’est un point que nous mettrons sur la table des négociations. Il y a des précédents : Mandela était en prison depuis 7 ans lorsqu’il a réussi à peser très fort pour venir à bout de l’Apartheid. Simon est condamné pour des accusations portées contre lui mais tout le monde sait bien qu’il s’agit d’un montage et d’une vengeance, simplement pour son appartenance aux FARC. Nous considérons qu’il doit s’asseoir à cette table et nous allons nous battre pour l’obtenir. Nous avons suggéré que les Etats-Unis, pour réparer en partie tout le mal qu’ils ont causé, doivent faciliter les choses et ce serait une occasion de le faire, en permettant qu’il soit présent aux négociations.

Lorsque l’on considère ce type de négociations, les mots de « réconciliation », de « réparation », de « commission de la vérité » apparaissent toujours. Qu’en pensez-vous par rapport au processus que vous allez engager ?

Nous croyons qu’en Colombie peut exister un gouvernement de reconstruction et de réconciliation nationale. Cela peut arriver à un moment donné mais nous ne nous laissons pas abuser par les parlottes creuses et nous n’avons pas besoin de copier sur quiconque. Ici, il y a eu une guerre, si le gouvernement est disposé à régler le problème politiquement, comme nous, nous pouvons même apporter beaucoup d’idées nouvelles sur beaucoup de points. Chaque conflit a ses particularités, celui de Colombie a été extrêmement spécifique. Tous les sujets que vous signalez seront traités à la table de négociations au moment opportun.

Ces dernières années, plusieurs de vos compagnons du Secrétariat général ont été tués au combat, résultat de l’offensive de l’Armée. De quelle façon ces morts se sont-elles répercutées dans votre lutte ?

Les compagnons tombés au combat sont présents dans chaque activité des hommes et des femmes des FARC. Leurs portraits sont présents dans chacun de nos campements et tous les soirs, ils sont évoqués dans nos activités culturelles. Ils furent pour nous des guides, des maîtres, ce sont des hommes uniques qui ont tout donné pour la paix en Colombie. Des hommes irréductibles qui ont tout transcendé au-delà des apparences, et dont l’image prendra une dimension immense avec le temps. Ce sont de véritables Héros de la Patrie. Il faudra bien leur accorder tôt ou tard la reconnaissance qu’ils méritent. Cela se passe ainsi dans de nombreux pays au monde : on poursuit les gens, on les emprisonne, on les calomnie et ensuite, lorsque la situation change, il se trouve que c’étaient ces hommes-là qui portaient la vérité de l’histoire, qui ont prodigué tous leurs efforts pour changer la réalité faite d’humiliation que vit notre pays.

Comment croyez-vous que les femmes colombiennes vont accueillir ces négociations, elles qui sont mères, filles de guérilleros comme vous, ou bien ces autres femmes de la société colombienne qui ont souffert de la violence pendant toutes ces années ?

Les femmes et le peuple tout entier ont accueilli cette nouvelle avec une grande joie. La première enquête montre que 80% du peuple colombien est pour la paix. Quand nous nous sommes réunis pour la première fois avec le gouvernement, ils disaient pratiquement que le pays voulait la guerre, qu’ils nous détestaient et nous, nous leur disions : « Non, messieurs, c’est l’idée de la paix qui prédomine en Colombie et vous, vous avez une vision complètement déformée de toute chose ». Maintenant, ils ont dû reconnaître que nous avions raison et si les choses marchent, cela va continuer et de nouveaux acteurs, non seulement de la société colombienne mais aussi de l’extérieur, nous rejoindront. Vous n’ignorez pas que le Pape a soutenu les négociations, de même que les Nations-Unies et l’Union Européenne, la présidente d’Argentine, Cristina Fernandez et celle du Brésil.

Pourvu que nous qui avons la responsabilité de faire avancer ce processus puissions accomplir la mission qui nous a été confiée !

Le socialisme est-il toujours votre objectif ?

Bien sûr, c’est le seul système qui peut sauver la planète Terre. Nous avons combattu pour le socialisme les armes à la main car on ne nous a pas laissé d’autre choix. Nous allons, indéfectiblement, vers la prise du pouvoir pour le peuple. Cela, nous n’en avons jamais fait mystère. Ou bien on nous permet de faire de la politique pour exposer nos idéaux et atteindre nos objectifs par la voie légale, ou bien on nous barre la route par la violence, comme cela s’est toujours passé. Nous ne nions pas notre condition de socialistes. Les révolutions, ce sont les peuples qui les font et nous, nous faisons partie de ce peuple. Nous pouvons essayer d’organiser militairement notre peuple, mais nous voulons aussi l’organiser politiquement. A condition que l’on respecte la vie des personnes que nous organisons politiquement. Ce que nous ne pouvons revivre, c’est l’histoire de l’Union Patriotique (13), le génocide le plus grand d’Amérique latine, avec 5.000 morts, lorsque nous tentions d’ouvrir un espace politique. Le coût fut extrêmement élevé pour un pays comme la Colombie.

http://www.resumenlatinoamericano.org/index.php?option=com_content&task=view&id=3253&Itemid=1&lang=es

Traduction de l’espagnol : Simone Bosveuil

1 NdT : ELN = Ejército de Liberación Nacional : Armée de Libération Nationale

2 NdT : Processus de paix mené entre 1998 et 2002 entre les FARC et le gouvernement du président Pastrana et qui se termina sur un échec.

3 NdT : DEA = Drug Enforcement Administration : service de police fédéral étasunien dépendant du département de la Justice, chargé de la mise en application de la loi sur les stupéfiants et de la lutte contre leur trafic.

4 NdT : Onze jours après la mort de leur chef, Alfonso Cano, abattu par l’armée le 4 novembre 2011, dans le sud de la Colombie, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont annoncé la désignation à la tête de l’organisation de Rodrigo Londoño, alias "Timoléon Jiménez" ou "Timochenko", "à l’unanimité des compagnons du Secrétariat". Timochenko, entré dans la guérilla en 1982 est l’un des dirigeants les plus anciens des FARC.

5 NdT : En 2008, la Colombie a utilisé un Super Tucano armé de bombes Griffin dans l’espace aérien équatorien pendant l’opération « Phoenix », pour détruire une cellule terroriste et tuer le second-en-chef du Commandement des FARC, Raul Reyes. Cet événement aurait conduit à une rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

6 NdT : Vocable indigène désignant le travail solidaire.

7 NdT : Deuxième ville de Colombie. Grand port sur la côte Caraïbe

8 NdT : Organisation des Etats de l’Amérique qui regroupe l’ensemble des 35 états indépendants de l’Amérique.

9 NdT : CELAC = Communauté d’Etats Latino-Américains et Caraïbes. Nouveau bloc régional créé en 2010 qui pourrait constituer une alternative à l’OEA.

10 NdT : UNASUR : Union des Nations Sud-américaines. Organisation politique supranationale (2008). Son objectif est de construire une identité et une citoyenneté sud-américaines et de développer un espace régional intégré.

11 NdT : EPL : Ejercito Popular de Liberación = Armée Populaire de Libération

12 NdT : Ricardo Palmera alias Simon Trinidad, chef guerrillero, arrêté en Equateur en 2004, extradé aux Etats-Unis et accusé d’être l’auteur du prétendu enlèvement de 2 agents étasuniens a été condamné à une peine de 60 ans de prison.

13 NdT : Nom du parti politique fondé en 1984, à l’issue des accords de paix entre le gouvernement Betancur (1982-1986) et les FARC. Il obtint aux élections 16 maires, 256 conseillers municipaux et 16 députés. Au cours des deux décennies de son existence politique, plus de 5000 de ses militants furent assassinés par les paramilitaires dont 2 candidats à la présidence et 13 parlementaires.


Documents joints
Entretien avec Rodrigo Granda, membre de la direction des FARC - Français
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Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général.

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