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Une vache "˜politique’ aux abattoirs… Avec Adel Abidin.

Une vache "politique’ aux abattoirs… Avec Adel Abidin.

L’écran est panoramique, l’image grise tendre et blanche. Quelques chaises invitent le public à une pause dont il ne sortira pas indemne…

Au fond, Bagdad fume sous le ciel sombre de la guerre qui est passée… Le Tigre qui traverse la ville et l’écran est croisé par un pont effondré en deux endroits… Paysage désert, désolation…

Sur la rive à droite un troupeau de vaches tournées vers, en face à gauche, celle que le bombardement a séparée du troupeau… Celle-ci s’écarte de l’ombre d’un palmier et s’avance vers l’infranchissable obstacle… Son beuglement déchire l’air pesant, se répète, attire l’attention du troupeau dont quelques éléments se rapprochent de la berge devenue inaccessible… Certaines saluent de la tête son beuglement avant de baisser les cornes… Impuissance…

Celle restée sur la mauvaise rive s’avance sur le moignon restant du pont, beugle encore au bord du vide… Semble rebrousser chemin… Mais c’est pour, avec lourdeur et maladresse prendre un élan et tenter le saut… S’accroche brièvement sur le bord du tablier central, glisse, tombe et meurt sur une roche au milieu de la rivière… Après un dernier beuglement…

Et c’est tout… Le gris obscurcit le ciel et s’étend sur l’ensemble de l’écran.

C’est tout ? Ce film de trois minutes quarante quatre est la contribution de l’irakien Adel Abidin au "Printemps de Septembre’ de Toulouse (1). Le thème cette année en est « L’Histoire est à moi ! ». L’oeuvre d’animation est visible au Musée des Abattoirs, au premier étage. Elle représente "la’ traduction du drame de son pays vécu par l’auteur, mais en faisant le choix de signifier bien plus que cette simple scène…

L’encart de présentation nous apprends que Adel Abidin (2) est né en 1973 à Bagdad. Il avait dix sept ans au lendemain de l’un des premiers bombardements américains de sa ville en 1991, lorsqu’il s’est rendu à vélo longeant la rivière pour voir son "pont préféré’ depuis son enfance (Le Al-Jumhuriyya Bridge)… Désastre… Et sur le rocher en bas au centre de la rivière, cette vache morte…

Cette image le hantera au long des ans… Il tentera de reconstituer dans son imaginaire les circonstances du dénouement précédent cette mort… C’est son film «  Mémorial Vidéo 2009  » qui est ici présenté. (3) :

http://vimeo.com/30302084 (3’44)

Bien plus que l’évocation de cette simple anecdote vue à Bagdad, c’est du déchirement de son peuple dont témoigne la scène du pont et son drame…

Bien plus qu’une "chose vue’ à Bagdad, cette courte séquence est la métaphore de toutes les déchirures et souffrances des hommes, des femmes, des enfants, des peuples, séparés de ceux qu’ils aiment par des fossés, des murs ou des frontières… Séparés par la folie des hommes.

L’image "beugle’ la détresse de tous ceux là  ; de tous ceux qui connaissent la séparation ou l’exil forcé, qui sont plongés dans ce malheur universel présent dans chaque guerre…

L’image "beugle’ la raison de la tentation folle, du saut suicidaire, pour tenter rejoindre le troupeau… Le dernier beuglement déchirant précède le saut puis la chute et le silence couvert du gris qui recouvre nos mémoires aussi…

Adel Abidin a choisi de ne pas montrer ceux là , dont les "vrais’ reporters de guerre pourchassent les grimaces de douleurs les larmes ou les cadavres… Ils finissent au pied des murs dressés par nous, dans les cratères de bombes jetées par nous ou pendus aux barbelés étirés par nous ou parfois, souvent, au fond des océans séparant leur rive de la notre…

Ceux là , les déchirés de partout, Adel Abidin ne les montrera pas ; c’est leur beuglement pathétique qui nous est offert… Pas même un vrai cri… Sommes nous encore des hommes pour qu’une vache dise nos détresses ?

"A force de tout voir l’on finit par tout supporter… A force de tout supporter l’on finit par tout tolérer… A force de tout tolérer l’on finit par tout accepter… A force de tout accepter l’on finit par tout approuver !" écrivait saint Augustin. (354-430)

L’artiste Adel Abidin a d’autres productions, grinçantes ou dérangeantes, jamais gratuites (4-5)

Jacques Richaud 3 octobre 2012-10-03

(1) Printemps de Septembre (Toulouse 28 septembre- 21 octobre 2012) :
www.printempsdeseptembre.com

(2) Adel Abidin
http://www.adelabidin.com/
http://www.adelabidin.com/index.php/about.html

(3) Adel Abidin - Memorial (2009)
http://vimeo.com/30302084 (3’44)
Adel Abidin - Memorial (Texte, trois vues et extrait de la vidéo, 54 secondes…)
http://www.adelabidin.com/index.php/works/2009/memorial.html

(4) Voir aussi et écouter l’artiste avec suite de l’extrait et d’autres oeuvres : Adel Abidin
http://www.youtube.com/watch?v=1C9nj-ne6do (4’22)

Tuesday, 8/3/2011 - Adel Abidin explores concepts of cultural alienation, gender and war. His humorous approach plays with stereotypical occidental ideas of the East, resulting in artworks that echo the artist’s own sarcastic remarks. Marginalization and war play an important role in Abidin’s work ; he uses these concepts to subvert cultural ideologies in a precarious and paradoxical world. Working with film Abidin is able to address these absurd yet common scenarios that are often experienced in this age of substantial diaspora and communicate them directly to his audience. He acknowledges and thus questions the contradictions in the many social frameworks that one is exposed to when living in exile.

(5) Adel Abidin- De l’artiste aux oeuvres (En Français)
http://www.macval.fr/francais/residences-commandes/archives-des-residences/article/adel-abidin

Et aussi déclaration (doublé en Français) : Adel Abidin : 5 pièces vidéo au Wharf à Hérouville Saint Clair Par : Normandie TV - Durée : 1min 59sec Postée : 14/11/2011
http://www.normandie-tv.com/Adel-Abidin-5-pieces-video-au-Wharf-a-Herouville-Saint-Clair_v113.html

Abel Abidin : Mommy, why are they doing this ? Passé : 21 mai - 30 juillet 2011
http://www.slash.fr/evenements/abel-abidin
(Maman, Pourquoi ils font ça ?) est une exposition provocante qui explore la vision du monde à travers le regard d’un enfant. Adel Abidin concentre sa vision de l’innocence sur les paysages trompeurs des rêves, des espoirs et des désirs…/…Adel Abidin confronte le spectateur avec le miroir d’un enfant qui essaye de paraître raisonnable dans environnement, car il reflète le comportement des croyances enfantines dans le « vrai » monde des adultes. Ce regard innocent permet à Adel Abidin d’exposer l’absurde qui se trouve en chacun de nous.

Quelques autres productions :

 Adel Abidin "Ping pong" (Clip) (2009)
http://nadour.org/fr/collection/Ping-Pong-2009/ (3’44)
Dans la veine du registre subtilement ironique, Ping Pong (2009) met en scène un match acharné entre deux joueurs particulièrement pugnaces, autour d’une table sur laquelle une femme nue sert de filet de manière tout à fait incongrue. Sous la violence des coups, elle geint faiblement et subit avec lassitude les impacts de balles qui la couvrent peu à peu d’ecchymoses. Innocente victime d’un jeu qui la dépasse, elle semble incarner l’aliénation et la fragilité des faibles face aux ambitions contradictoires des puissants.

 Adel Abidin "Alyaa" (2005)
(Clip 01) : http://vimeo.com/8838352 (1’08)
(Clip 02) : http://vimeo.com/8839042 (1’25)
Hommage de l’artiste à Alyaa, jeune femme étudiante des Beaux-Arts qu’il a connue à l’université de Bagdad avant qu’elle ne soit contrainte à la réclusion par sa famille. L’attachement à l’histoire et la culture irakiennes se retrouve ainsi dans la plupart de ses oeuvres. Abidin évoque son calvaire en filmant une jeune femme nue, affolée, se cognant aux parois métalliques d’une boîte hermétique dans laquelle elle est retenue prisonnière, métaphore volontairement littérale d’un obscurantisme qui se passe de commentaires.

 Adel Abidin - Jihad
http://www.youtube.com/watch?v=jBKT2lkFSKE (3’31)

 Adel Abidin "Foam" (2007) (Clip)
http://vimeo.com/8692322 (1’)

 Adel Abidin "Three love Songs" (2010)
(Clip 01) : http://vimeo.com/18703275 (1’)
(Clip 02) : http://vimeo.com/18706842 (0’57)
(Clip 03) : http://vimeo.com/18708365 (0’58)

 Adel Abidin "Green Mouse" (2008) (Clip) : http://vimeo.com/8690627 (2’21)

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