Par le passé, il avait fallu deux ans à François Mitterrand (en 1983 donc), et six mois à Jacques Chirac (en novembre-décembre 1995) pour arriver au bas niveau de popularité auquel François Hollande est descendu en à peine plus de deux mois.
L’orientation générale du gouvernement, avec pour axe central l’austérité (auquel Hollande voulait rajouter un volet « dialogue social » et un autre « croissance ») était prévisible depuis longtemps, et Hollande, d’ailleurs, ne s’en est jamais caché [1] . Ce qui l’était moins, c’était la dégradation de la situation politique pour le gouvernement, malgré tous ses efforts pour générer au moins une petite lune de miel après cinq années très dures de sarkozyme de choc. Quel est donc la profondeur de ce mécontentement social, que démontrent l’ensemble des enquêtes d’opinion ? Sur quoi pourrait-il déboucher, notamment si l’extrême gauche se donnait les moyens de proposer une véritable alternative aux luttes qui pourraient émerger dans les prochaines semaines ?
La raison de la dégradation accélérée de la côte de confiance de Hollande et de Jean-Marc Ayrault est sans doute à chercher du côté de l’aggravation plus rapide que prévue de la situation économique, avec tout ce que cela implique d’un point de vue politique et social. On songera au dépassement du cap des trois millions de chômeurs officiels ou à la succession d’annonces de plans sociaux dans des groupes historiques du capitalisme hexagonal, chez Carrefour, Sanofi, Doux, Air France, SFR ou, bien entendu, PSA, à quoi il faut rajouter un cortège de licenciements dans des entreprises moins importantes et dont la répercussion médiatique est moindre. A la clef, ce sont prés de 400.000 emplois qui pourraient disparaître dans les prochains mois. Hollande a été élu avec le soutien d’une fraction du patronat et avec l’appui de la « gauche » politique et syndicale, avec l’objectif de temporiser sur le terrain social et de « réformer », lui aussi, mais avec beaucoup plus d’efficacité et en suscitant beaucoup moins de tensions que sous le précédent quinquennat. D’où l’importance de la « présidence normale » et du « discours de la méthode » sur la concertation et le dialogue avec l’ensemble des partenaires sociaux, syndicats inclus bien entendu.
Mais ces belles projections des socialistes, c’était sans compter l’évolution de la crise. En Europe d’abord, où la situation est particulièrement préoccupante pour la bourgeoisie dans des pays situés aux portes de la France géographiquement comme sur le plan de l’importance économique. L’approfondissement du marasme dans l’État espagnol et en Italie explique la mise en place par Mario Draghi, sur les conseils de Angela Merkel, du dernier plan de la Banque Centrale Européenne (BCE), qu’il qualifie lui-même d’extraordinaire au sens premier du terme. Ce contexte exceptionnel pèse également en France et pourrait contribuer à transformer le climat général, en nous faisant passer d’une phase de mécontentement sourd mais diffus à une période davantage marquée par des tensions sociales, localisées ou plus généralisées.
Le peu d’impact des effets d’annonce et de la « nouvelle méthode » du gouvernement
En raison de ce contexte de crise plus profond que prévu, les effets d’annonces et les demi-mesures des socialistes et de leurs alliés écolos n’ont pas suffi à donner une réelle marge de manoeuvre au gouvernement pour étaler dans la durée la batterie de contre-réforme promises par Hollande au patronat, et vendue comme « de gauche » aux syndicats. De l’ordre du symbolique ou de la pichenette (comme dans le cas du SMIC), les annonces du gouvernement, qui se voulaient « rupturistes » vis à vis quinquennat précédent, n’ont pas suffi pas à déplacer du centre des préoccupations des classes populaires et de la jeunesse les questions du chômage, des menaces de licenciement et du pouvoir d’achat.
Parfois progressistes [2] mais plus souvent essentiellement symboliques [3] , ces annonces, qui pour certaines ne sont pas encore effectives, n’ont pas suffi pour établir le cadre d’une trêve politico-sociale avec l’opinion populaire. Plus encore, elles ne suffisent pas à camoufler les éléments de continuité complète de ce gouvernement avec le précédent, sur la forme comme sur le fond, comme on a pu le voir avec la question de la répression (à Amiens) ou de l’immigration (avec les destructions de camps Roms et la reprise des expulsions) [4] . Enfin, elles ne permettent pas à l’exécutif de donner l’impression qu’il répond aux questions qui sont au coeur des inquiétudes, des préoccupations et des exigences de l’ensemble des acteurs économiques et sociaux du pays, à tous les échelons de la société. C’est ce qui explique le fait que Hollande semble, jusqu’à présent, mécontenter tout le monde…. alors qu’il ne fait rien.
Les raisons de la « sarkostalgie »
C’est tout cela qui explique pour partie la grande nouveauté de la rentrée, à savoir la « sarkostalgie ». C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République que le précédent président est si rapidement plus populaire que son successeur, et ce dernier si rapidement impopulaire comme nous venons de le voir. On imagine mal, en 1981 ou même, dans une autre séquence politique, en 2007, un Valéry Giscard d’Estaing ou un Chirac plus populaires, à cent jours de leur arrivée à l’Elysée, que Mitterrand ou Sarkozy. Cette situation est d’autant plus inédite que l’opposition officielle est inaudible, avec une droite enfermée dans ses querelles de personnes, entre François Fillon et Jean-François Copé, pour la direction de l’UMP. C’est le FN qui fait ces choux gras de cette situation, en se positionnant comme opposition de droite et anti système, y compris sur la question du TSCG.
Cette « nostalgie de Sarkozy » qui s’étale dans les gros titres de la presse et sur les unes des journaux, tous extrêmement durs à l’égard de Hollande, ne s’explique pas seulement par une stratégie de vente agressive ou le regret d’une « sakozysation » du temps politique auquel auraient été habitués les journalistes, avec une annonce par jour du temps de l’ancien président. Cette « sarkostalgie » est avant tout le symptôme du fait que la sensation diffuse qui domine dans la société (et qui vise un contenu diférent en fonction des secteurs sociaux auxquels on se réfère), c’est qu’il faut que « le gouvernement gouverne ». La « sarkostalgie » est avant tout cet appel à l’action et à l’interventionnisme qui, pour une fraction de la bourgeoisie, en dernière instance, révèle un désir de bonapartisation de la vie politique. Il faut en tout cas, de l’avis général, que les problèmes soient pris à bras-le-corps par le gouvernement, avant que ce ne soient d’autres qui le fassent.
La morale politique de la séquence post-présidentielle c’est donc qu’on ne peut pas être un président normal en période anormale. C’est ce que réclament de façon de plus en plus dissonante patronat, syndicats et partis politiques (même de manière très ambiguë et modérée dans le cas du Front de Gauche [5] ), à un Hollande qui avaient comme objectif premier de « donner du temps au temps » pour opérer, par la suite, les réformes anti ouvrières et anti populaires. Celle du marché du travail et de l’emploi public notamment, qu’il ne s’est jamais caché de vouloir mettre en oeuvre. Mais n’est pas Mitterrand qui veut, et surtout à n’importe quel moment. Ce n’est pas seulement une trentaine d’années qui séparent 1981 de 2012, mais un gouffre au niveau de la gravité de la crise et des réponses que les classes dominantes entendent y donner afin de faire payer la facture à notre camp social, à savoir le salariat, les classes populaires et à la jeunesse.
De la concertation à l’action (télévisée sur TF1) : les changements du hollandisme
Jusqu’à la rentrée, Hollande a continué à donner comme feuille de route à ses ministres la poursuite de la mise en place du « dialogue social », qui devait être la marque de fabrique de la présidence Hollande : accompagner les contre-réformes en faisant des syndicats des partenaires centraux. C’est ainsi qu’après la « conférence » de juillet, Marisol Touraine devait mettre sur pied pour la rentrée un dialogue social au long cours, jusqu’à la fin de l’année, avec les syndicats du secteur de la Santé. Idem pour Vincent Peillon, orchestrant sa « Concertation [bidon] refondons l’école de la République » [6] ou pour Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique, qui devait lancer une grande concertation sur les parcours, les carrières et les rémunérations, au moment même où le point d’indice est gelé pour la troisième année consécutive… Le gouvernement, convaincu du caractère performatif du discours socialiste, pensait sans doute réussir à endormir autant les salariés du public qu’il n’avait réussi à le faire début juillet avec les directions syndicales qui raffolent de ce genre de « conférences » et qui y répondent bien volontiers. Enfin, pour finir sur le front de la concertation, on a même organisé pour cette rentrée une réception en bonne et due forme des syndicalistes de Fralib à l’Elysée, la seule visite ouvrière qui ne menaçait pas de dégénérer en une violente apostrophe du chef de l’Etat, puisque la CGT locale est tenue par le PCF, toujours bien discipliné au PS [7] .
Cependant, sous la pression de la dégradation de la situation sociale et des sautes d’humeur du patronat, la stratégie gouvernementale a dû être entièrement revue afin d’accélérer le train des réformes et de répondre aux exigences du Medef. Celui-ci ne se satisfaisait plus des ronds de jambe (patrons invités à petit-déjeuner à l’Elysée, présence de ministres socialistes à l’université d’été du Medef à Jouy-en-Josas) pour s’excuser des quelques sorties abruptes (mais toujours très courtoises…) d’Arnaud Montebourg et de Jean-Marc Ayrault sur PSA et les plans sociaux au début de l’été.
Le signal a donc été donné à Michel Sapin, ministre du Travail, pour accélérer le calendrier de réformes qui ne devait initialement entrer en vigueur que plus tard. Afin d’essayer d’éteindre plusieurs foyers d’incendie potentiels, le gouvernement a ainsi avancé de trois mois la mise en place des « emplois d’avenir », sorte « d’emplois jeunes » bis mais revus à la baisse. L’idée est de parer au plus pressé sur le front du chômage des jeunes dans les zones les plus délaissées (campagnes mais également zones urbaines dites sensibles) en créant un contrat renouvelé d’année en année financé très largement par l’État, et entérinant l’emploi précaire et sous payé. L’autre dossier que Sapin a été chargé d’ouvrir pus rapidement que prévu concerne la reforme en profondeur du marché du travail.
Ce que le patronat appelle désormais la « flexisécurité » a donc fait l’objet d’une accélération de calendrier à la demande de Hollande. L’enjeu est de détruire, de l’intérieur, le droit du travail et des contrats, en officialisant le chantage patronal à l’emploi : ou on baisse les salaires et/ou on augmente le volume de travail, en fonction des carnets de commande et des impératifs, et ce en « échange » du maintien de l’emploi… ou alors ce sont les emplois qui passeront à la trappe. Il suffit de lire l’édito de Jean-François Pécresse dans Les Echos le 11 septembre pour voir de quoi il retourne : « le ministre du Travail a su faire preuve de doigté pour rendre possible l’ouverture prochaine de ces négociations devenues d’intérêt national (…). En esquissant une voie moyenne entre réglementation et déréglementation, [la feuille de route] tente bien d’introduire plus de flexisécurité dans notre droit du travail, pas comme l’aboutissement d’une volonté politique, mais comme le résultat d’un compromis social rendu impérieux par la gravité de la crise ». Et l’éditorialiste des Echos de prévenir qu’en cas de blocage, et malgré tout le bien qu’il pense du « compromis social », (« les négociations patronat-syndicats [risquant simplement de] freiner l’essor des droits sociaux et des raideurs juridiques »), ce serait au gouvernement de trancher. Pécresse rappelle ainsi à Hollande la nécessité d’agir et de trancher, le cas échéant, et ce afin d’assurer le pseudo « gagnant-gagnant » [8] .
Inutile de préciser que le Medef a salué « un schéma de négociation ouvert » qui intègre les demandes de « simplification » et de « souplesse » émanant des entreprises. La CGPME participera en ce qui la concerne « dans un esprit constructif » mais se montrera « vigilante, notamment sur une éventuelle modulation des charges pour les CDD et l’intérim ». Côté bureaucraties syndicales serviles, la CFDT est toujours à la pointe avec François Chérèque, qui juge les thèmes retenus « pertinents », tandis que la CFTC, si dangereusement à gauche, les considère comme « une bonne base pour négocier » ! Le seul point noir à l’horizon pour le gouvernement émane de la CGT, non pas que la centrale de Montreuil refuse de négocier sur de telles bases, mais parce qu’elle regrette que le texte « ne ferme pas la porte aux revendications patronales », comme s’il avait pu en être autrement : « d’accord, dit en quelque sorte Thibault, à la flexisécurité, qui ne veut rien dire d’autre que la précarisation de l’emploi et la fin du CDD, mais pas trop quand même ». Comme le souligne un spécialiste en ressources humaines, « la reprise des négociations pour créer des contrats de sauvegarde, permettant de sauver des emplois en contrepartie de chômage partiel et de baisses de salaires, est vue comme la seule voie efficace, d’autant que le plus dur est à venir : "dans six mois, on ne parlera plus de plans de départs volontaires, mais de plans sociaux secs, quand la crise touchera des entreprises qui n’auront pas les moyens de payer deux ans d’indemnités à leurs salariés’ » [9].
Plus question dans ce cadre-là , donc, de dire que le gouvernement souffre d’immobilisme. Les choses, désormais, ont le mérite de la clarté : la dynamique dont souhaite faire montre Hollande se fait, désormais, exclusivement en faveur des patrons. Alors bien entendu il y aura encore de l’enrobage de « gauche » aux mesures d’austérité. C’est un peu ce que le président a essayé de faire passer lors de son petit cirque médiatique sur TF1. Il a certes fait moins de moulinets que son prédécesseur sur le plateau de la chaîne de Bouygues, et sa mine était plus grave. Mais sur le fond, c’est bien la même politique en faveur du patronat, dont il s’est fait le représentant du service après-vente.
Pour Hollande, il suffit d’être patient : deux ans de vaches maigres avant le rebond ?
A la télévision le 10 septembre Hollande a donc eu le culot de nous présenter sa cure d’austérité et sa politique de « sécurisation de l’emploi » comme le fruit de « sacrifices partagés » devant aboutir à un « compromis historique » à la française. Il n’y aurait que deux années un peu difficiles à passer (qu’il faudrait rajouter, au bas mot, aux quatre précédentes que l’on vient de vivre), et après tout s’améliorera, promis-juré ! Inutile de dire que, une fois toutes les mesures dans la balance, c’est, au bout du compte, presque exclusivement les ménages populaires, les salariés et la jeunesse qui vont trinquer. Hollande doit imaginer que nous ne sommes même plus capables de compter ! Pour ce qui est de la cure d’austérité supplémentaire de trente milliards qui a été annoncée, il y aura dix milliards de ponctionnés sur le budget des services publics, avec une dégradation des conditions de travail, d’emploi et de service à la clef bien entendu, et dix autres sous formes d’impôts supplémentaires. Le reste viendra des efforts demandés aux patrons. On a déjà vu mieux, en termes de « compromis » [10] ! Du côté de l’emploi, en plus d’une baisse des cotisations patronales et de la réforme du financement de la protection sociale (sur le dos des salariés) avec une « CSG sociale » (qui n’a, paraît-il, rien à voir avec la « TVA sociale » de son prédécesseur...), la mesure phare de la « politique juste et équilibrée » défendue par Hollande vise à « sécuriser » les procédures de licenciements, tant pour les salariés que pour les entreprises. Evidemment, personne n’est vraiment tombé dans le panneau. Le lendemain de son intervention, les discussions dans les bureaux, les ateliers et les usines allaient bon train autour de la question : « sécurisé » ou pas, une fois licencié, c’est toujours à la rue que l’employé-e ou l’ouvrier-e se retrouvera, avec en plus sa famille et ses proches dans la galère. Dans ces conditions, on voit bien à quoi sert l’optimisme hypocrite de Hollande, qui sait très bien que la crise ne va pas se régler à court terme, et qu’il n’y aura aucun rebond de l’économie : le but est de menacer les travailleurs et les jeunes via un chantage à la relance.
Sans perdre de temps, il faut préparer la contre-offensive : pour un mouvement national contre les licenciements et le chômage !
Devant une situation d’une telle gravité, la réaction des organisations syndicales et politiques de gauche est pour l’instant largement insuffisante, lorsqu’elle ne constitue pas carrément une tentative de déviation des combats à venir. Il y a d’abord le TSCG, que le Front de Gauche notamment transforme en un épouvantail à abattre, axant toute sa propagande là -dessus. Même si le TSCG vise à coucher par écrit, pour mieux la justifier, la politique d’austérité, on sait pourtant que sa mise en place ainsi que les plans de licenciements, ce n’est pas à Bruxelles que cela se décide, mais à l’Elysée et dans les conseils d’administration d’entreprises bien de chez nous, chez Doux, Air France ou PSA [11] . Les directions syndicales, elles, ont été d’un attentisme scandaleux jusqu’à la rentrée, maintenant une certaine expectative à l’égard du gouvernement et sa nouvelle méthode de « concertation », alors que les plans sociaux massifs commençaient à tomber [12].
Sous la pression cependant d’un mécontentement social perceptible, et ayant tiré les leçons des bagarres contre les licenciements de 2008-2009, qui parfois s’étaient développées en marge voire même contre les structures syndicales fédérales et confédérales (Continental, Molex, Philips, etc.), la CGT a finalement appelé à une journée d’action pour le 9 octobre. La CGT y fait état de « l’urgence que des choix soient fait (…) pour peser sur les choix patronaux » [13]. Rien de concret ni de précis, en termes de plans de lutte un tant soit peu coordonnée, n’est prévu à moyen terme, si ce n’est cette manifestation « pour l’industrie et pour l’emploi ». L’appel se garde bien d’ailleurs de souligner qu’on ne peut faire abstraction du lien étroit entre gouvernement et patronat si l’on veut organiser conséquemment la défense du travail et la lutte contre le chômage [14] .
Alors bien entendu, l’extrême gauche sera partie prenante de ces différentes dates, celle du 30 septembre contre le TSCG, mais également d’autres rendez-vous dont elle est parfois à l’origine, comme dans le cas de PSA Aulnay, avec le meeting du 29 septembre à la Cité des 3.000 ou le rassemblement devant le salon de l’auto le matin de la manif du 9. Le 29 au matin, à l’appel des travailleurs de Ford Blanquefort, un grand rassemblement est aussi prévu devant ce même salon. Il n’en reste pas moins que si l’on veut être conséquents avec l’analyse que l’on fait de la crise, il faudrait défendre un programme dans toutes ces luttes, de façon à proposer au monde du travail et à la jeunesse un débouché réel offrant des perspectives de victoires, de façon à arrêter de subir et commencer à renverser la vapeur. C’est aujourd’hui une question centrale. Comme le souligne dans un entretien au Monde des 9 et 10 septembre le « philosophe » (au service du patronat « de gauche ») Marcel Gauchet, « répartir la pénurie suppose un minimum de cohésion et de justice. Sur ce terrain, la gauche a un avantage structurel face au modèle de la réussite individuelle de la droite qui ne sait pas bien répondre aux problèmes collectifs ». De façon un peu emberlificotée, Gauchet veut dire que Hollande peut compter sur les directions syndicales pour faire passer l’austérité. Il poursuit cependant : « la grande inconnue de l’année [2012-2013], c’est la réaction de la société française lorsqu’elle va prendre conscience que nous sommes embarqués dans une crise de longue durée, où le retour des vaches grasses n’est pas pour demain et où il ne sera plus possible de jouer comme avant. Le moment où cette découverte va se produire est imprévisible et l’on ne sait pas quelles en seront, alors, les conséquences ». Au moment où trois millions de salarié-e-s sont privés d’emploi, que six millions sont en situation de sous-emploi ou de très grande précarité et que huit millions d’entre nous vivent sous le seuil de pauvreté, il est assez incongru que les intellectuels de la bourgeoisie soit davantage conscients des risques de dérapages et d’explosions que l’extrême gauche elle-même !
Alors que les questions de licenciements, de chômage et de salaire et de pouvoir d’achat sont des enjeux centraux, l’extrême gauche devrait défendre, de façon cohérente en direction du reste des organisations ouvrières, populaires et de jeunesse, la perspective d’un grand mouvement d’ensemble contre les licenciements et le chômage. Un tel mouvement ne répondrait pas seulement à un problème structurel aujourd’hui, mais également à des préoccupations qui touchent des millions de familles ouvrières et populaires. Il n’y aura pas de luttes conséquentes contre les licenciements s’il n’y a pas une sortie de la logique de lutte entreprise par entreprise, site par site, sans lien entre les différentes boites concernées. Il est central aussi de s’adresser à l’ensemble de la population, sans oublier celles et ceux qui n’ont plus aujourd’hui d’emploi. Réciproquement, il n’y aura pas non plus de lutte contre le chômage sans un grand mouvement d’ensemble contre les licenciements, pour contraindre le patronat à ravaler ses plans sociaux, ce qui serait une des étapes pour commencer à exiger la répartition de l’emploi et la répartition des heures de travail, dans le privé comme dans le public, jusqu’à disparition du chômage et sans baisse de salaire.
Pour lutter contre les licenciements, il faut également poser la question de l’expropriation, sous le contrôle des salariés, de l’ensemble des groupes qui aujourd’hui licencient, souvent après avoir engrangé des milliards en trésorerie au cours de ces dernières années. Que ce soit dans l’industrie automobile ou dans la chimie, c’est la seule façon non seulement de sauvegarder les emplois mais aussi de pouvoir envisager sérieusement les bases d’une possible reconversion des productions au service de la population, des besoins des collectivités et dans un souci de protection de l’environnement.
Pour lutter contre le chômage, il faut également poser la question de la titularisation de l’ensemble des précaires dans le privé comme dans le public. Il faut se battre pour l’embauche massive dans les services publics, que ce soit dans la Santé, l’Éducation ou dans les transports. Ce serait là encore la seule façon pour renforcer des services qui répondent réellement aux besoins de la population, afin d’accompagner des quartiers entiers à sortir de la ghettoïsation dans laquelle la politique de la ville et les patrons voyous les ont enfoncés depuis plus de trente ans, ces mêmes quartiers que le gouvernement actuel stigmatise et que Valls veut quadriller de CRS et de flics pour prévenir tout débordement. Avec la crise, le chômage et le sous-emploi concernent un secteur toujours plus important de la jeunesse des quartiers. C’est en défendant avec détermination les intérêts de ce secteur du prolétariat que les travailleurs aujourd’hui menacés pourront construire la puissante alliance de classe qui fait bien plus peur aux patrons et au gouvernement que les émeutes légitimes mais isolées auxquelles ils ont eu jusqu’à présent à faire face. Ce serait enfin une façon de poser la question de la nécessité de construire ou reconstruire et rénover des logements populaires de qualité, rompant avec la logique des cités dortoirs périphériques, avec un plan ambitieux, sous contrôle de la population et des travailleurs, afin de répondre au problème criant du logement qui ne fait que s’approfondir.
Ces revendications sont les seules à pouvoir concrétiser la perspective d’une interdiction des licenciements et de la résorption du chômage. Les boites qui aujourd’hui sont sous le feu des projecteurs et qui s’apprêtent à se défendre, par la bagarre et la mobilisation, pourraient les reprendre et chercher à les étendre. L’extrême gauche, lorsqu’elle y intervient et y joue un rôle de premier plan, à l’image de Lutte Ouvrière dans le cas d’Aulnay, pourrait être en capacité de proposer sur cette base une coordination, d’abord des sites, entreprises et boites en lutte. Cette dernière serait alors en capacité de s’adresser à l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier et de la jeunesse, pour exiger que, réellement, on puisse mettre en oeuvre un grand mouvement de lutte contre les licenciements et le chômage.
Une bataille décisive est en train de se préparer. Notre classe ne peut pas la perdre
L’attaque qui est portée sur de nombreux bastions ouvriers, que ce soit dans l’automobile, les transports, l’agroalimentaire et la chimie, fait partie d’une offensive plus large qui se développera au cours des prochains mois et dans laquelle se joue une bonne partie du rapport de force à venir entre la bourgeoisie impérialiste française et le prolétariat hexagonal [15].
Le patronat a besoin d’avoir les coudées franches, en interne et en externe, afin de pouvoir défendre ses marges de manoeuvres, aussi bien en direction de son arrière-cour semi-coloniale qu’en face de ses principaux partenaires et concurrents impérialistes, à commencer par Berlin. Laisser le gouvernement à la manoeuvre décider de l’approfondissement et de l’accélération de la politique autoritaire, sans réagir ni proposer une perspective qui soit radicalement distincte des journées de mobilisation isolées - sur la question de l’Europe mais aussi et surtout de l’emploi - voilà qui signifierait renoncer à vouloir convaincre toutes celles et tous ceux qui sont inquiets, en colère et qui veulent se battre, d’avoir des perspectives pour en découdre, pour unifier les luttes et remporter des premières victoires.
C’est en ce sens que notre parti ne doit pas se poser la question de telle ou telle campagne de façon isolée des combats de classe centraux qui sont en train de se nouer cette automne. C’est en ce sens aussi qu’il serait criminel de laisser les bagarres qui sont en train de murir isolées les unes des autres, sans une perspective claire, d’ensemble, pour faire payer la crise au patronat, en luttant contre les licenciements et le chômage. Une fois encore, ce dont nous avons besoin c’est d’un mouvement d’ensemble, de classe, et c’est cela qu’il faut promouvoir auprès du mouvement ouvrier et de la jeunesse. C’est sur ces axes en tous cas que les camarades du Courant Communiste révolutionnaire du NPA chercheront à intervenir dans la période à venir, période qui pourrait s’avérer décisive. Il n’est écrit nulle par qu’il n’y a que le patronat qui doive forcer le gouvernement à changer son calendrier et le rythme des contre-réformes en fonction de l’accélération de la situation. Le mouvement ouvrier, si les secteurs les plus combatifs qui agissent en son sein le veulent, est en capacité de contrer l’agenda gouvernemental et patronal et d’accélérer lui aussi la mise en place de ses propres instruments pour que ce soit au patronat, et non plus à nous, de régler la facture.
Jean-Patrick Clech
16/09/12
NPA. Courant communiste Révolutionnaire
Source : http://www.ccr4.org/Face-a-l-acceleration-des-plans-sociaux-et-a-l-aggravation-de-la-situation-sur-le-front-de-l-emploi