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Ich bin eine Terroristin ou : les cendres de Rosa Luxemburg.

Le film de Valérie Gaudissart, Ich bin eine Terroristin, est bien sympathique ; il vous permet d’abord, quand la caissière vous demande quel film vous voulez voir, de faire une profession de foi défoulante : « Ich bin eine Terroristin ! », sans qu’on appelle la police pour fouiller votre sac.

Le sujet de départ est plein de bonnes idées, dans l’air du temps. Le cliché veut que les enfants soient des révoltés, étouffés par des parents et aïeux réacs. Aujourd’hui, depuis la mort des "grands récits", les enfants sont devenus très sages et il faut aller chercher la révolte dans les générations antérieures. On disait jadis, pour vous dénigrer : "Ta grand-mère fait du vélo" ; on peut dire aujourd’hui avec fierté : "Ma grand-mère était communiste, ou : anarchiste" ou : "Ma grand-mère posait des bombes pour détruire le capitalisme". Autre bonne idée, récupérer la mémoire d’une femme, communiste révolutionnaire, Rosa Luxemburg, présentée comme l’héroïne et le fil rouge du film. C’est ainsi que la petite Violette, 11 ans, vit dans le culte de sa grand-mère communiste, dont elle garde l’urne funéraire dans sa chambre ; quand son père veut la lui confisquer pour la déposer au cimetière, elle décide de partir (sans oublier de mettre l’urne dans son sac) sur les traces de Rosa Luxemburg (l’héroïne de sa mamie) à Berlin et en Pologne.

Cette grand-mère rappelle bien sûr la mère de Good bye Lénine, et Lénine trouve ici un pendant féminin. V. Gaudissart fait même un clin d’oeil au film, lorsque Violette vole dans un magasin deux bocaux de cornichons (russes, il est vrai, et non du Spreewald).

Aussi est-on prêt à « marcher », heureux de voir émerger une femme réalisatrice, qui ne fait pas son fonds de commerce des clichés anti-musulmans et ne fait pas l’apologie de la prostitution comme voie royale vers l’émancipation des femmes ( Elles, de Malgorzata Szumowska).

Malheureusement, les bonnes idées de départ retombent, comme un soufflé raté. La chanson de Rosa la Rouge, qui ponctue le film, est bien sympathique, mais Rosa Luxemburg n’est jamais évoquée pour ses idées et ses luttes, mais uniquement à travers les passages les plus personnels de ses Lettres de prison, (lues au théâtre, en 2006, par Anouk Grinbert), que la petite Violette récite, comme des mantras (y compris à des passants allemands qui ne peuvent la comprendre - curieuse conception de l’agit-prop), et qui culminent dans cette déclaration, qu’elle peint en grandes lettres sur un trottoir berlinois : La vie elle-même est l’unique secret. De telles formules sont émouvantes et même grandioses lorsqu’elles servent de socle ou de couronnement à toute une vie d’engagement militant (l’amour de la vie comme moteur de l’action révolutionnaire), mais, isolées de tout contexte politique, elles deviennent des banalités bisounours.

Et le film ne s’élève jamais au-dessus de ce niveau : l’itinéraire centre-européen de Violette (qui aurait pu être un bilan de crise) n’est qu’une auberge espagnole : Violette ne verra rien que les clichés qu’apporte la réalisatrice. Que voit-on de la Pologne ? Une bande de douaniers ahuris d’avoir trouvé une fillette dans un wagon, et qui fondent d’attendrissement devant elle (ils nous rejouent : Trois hommes et un couffin !), et qui s’entêtent à lui apprendre que le Breslau de Rosa Luxemburg est aujourd’hui Wroclaw. La séquence constitue ainsi une trahison caractérisée des idées de R. Luxemburg, qui condamnait le projet d’indépendance de la Pologne, comme un détournement de la seule vraie indépendance, celle des ouvriers, russes, polonais ou allemands.

Mais le film tourne au catalogue de lieux communs médiatiques lorsque Violette rencontre une famille de réfugiés accablés de douleur et redoutant de se faire encore battre par la police "comme en Serbie", dont on apprendra que ce sont des Kosovars ! V. Gaudissart, elle, n’a rien appris depuis les années 90 : le Kosovo, à la suite de l’intervention de l’OTAN, s’est déclaré indépendant et mène une politique d’épuration ethnique anti-serbe ; aussi, les seuls réfugiés en provenance du Kosovo qu’on peut trouver sur les routes sont des Serbes (et quant aux mauvais traitements, le Kosovo a encore à s’expliquer sur le trafic d’organes organisé à partir des prisonniers serbes).

La référence à Rosa Luxemburg apparaît alors, non plus comme un mantra, mais comme un alibi et une mystification : si les grands communistes ne peuvent plus aujourd’hui nous aider beaucoup quant au problème : Que faire ? ils peuvent encore nous aider à comprendre ; mais, apparemment, la mamie de Violette n’a pas eu le temps de l’initier à la méthode d’analyse marxiste, et Violette, ou sa créatrice, se contente, face au contexte politique, de réactions émotionnelles et ponctuelles, totalement décontextualisées, celles mêmes que fabriquent les médias libéraux anti-communistes. Rosa Luxemburg, elle, est une grande théoricienne du marxisme (elle a lutté contre les dérives réformistes du SPD et des syndicats, et contre le paternalisme bourgeois de Lénine qui ne concevait d’action des ouvriers que guidée et encadrée par l’élite du Parti) : elle n’aurait donc pas eu de mal à établir des analogies entre l’utilisation du Katanga, en 1960, pour affaiblir le gouvernement de Lumumba, nouveau Premier Ministre du Congo indépendant, et organiser une guerre civile pour le renverser, et l’utilisation du Kosovo pour faire sauter le dernier verrou de résistance anti-européenne que constituait la Yougoslavie, ou, aujourd’hui, l’utilisation des « rebelles » syriens contre l’indépendance de la Syrie.

L’ambiance bobo du film arrive à son apogée, quelque part entre Lorraine et Luxembourg, dans un immeuble HLM qui abrite une communauté de femmes battues (dont une Algérienne, on arrive, finalement, aux clichés anti-musulmans) ou abandonnées, qui préparent un couscous world food, agrémenté de cornichons et arrosé de vodka (la vodka fonctionnant comme caution idéologique du film !).

La récitation appliquée des Lettres de prison de Rosa Luxemburg rappelle finalement une autre lettre, devenue tristement célèbre, dont Sarkozy a voulu, à l’aube de son quinquennat, imposer la lecture dans les écoles : là aussi, on faisait de Guy Môcquet une icône de la bien-pensance, rien qu’une victime (dans ses pérégrinations, Violette ne rencontre que des victimes ou des nostalgiques de luttes anciennes), qui dit adieu à sa maman, tandis que l’engagement qui le conduit au peloton d’exécution est occulté. De même, de Rosa Luxemburg, nous ne saurons que deux choses : elle a fait plusieurs années de prison (pourquoi ?) et elle "a été tuée par les riches" (ah ! la brillante analyse marxiste…).

Le film ne cite donc obsessionnellement Rosa Luxemburg que pour mieux la trahir : elle devient une icône doloriste qui, au lieu de nous insuffler un peu de son extraordinaire énergie, nous ramène vers le passé et la passivité, à l’image de l’octogénaire fille de mineur lorrain qui crie dans son sommeil : "Maman, je veux rentrer dans ton ventre !".

Honorer R. Luxemburg, ce n’est pas vouloir rentrer dans son ventre, ou se coucher sur sa tombe de Friedrichsfelde à Berlin, mais appliquer ses analyses politiques au contexte actuel et regarder le monde (pour désespérant qu’il semble) avec une volonté d’y intervenir.

Rosa Llorens

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