Rarement campagne n’aura été aussi indigeste, inintéressante et marquée par une petite musique de fond aussi réactionnaire. Elle devient d’ailleurs de plus en plus assourdissante, depuis que Sarkozy et les siens ont sorti la grosse caisse, avec les événements de Toulouse. Elle n’est pas sans rappeler, cette ritournelle, les tonalités de 2007, sur un autre registre néanmoins. Le contexte, en effet, est bien différent.
La crise est passée par là et a fortement ébranlé le système capitaliste mondial, le faisant plier ça et là (Lehmann Brothers par exemple), se répercutant avec force en Europe. Ceux que Berlin et Paris appellent avec condescendance les PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Etat espagnol) sont loin d’avoir sorti la tête hors de l’eau. Pire encore, les remèdes de cheval qui leur sont appliqués coulent un peu plus l’économie de ces pays, avec des répercussions catastrophiques pour les travailleurs et les peuples. Si un défaut de paiement de la Grèce a été évité, la question qui se pose reste « pour combien de temps ? » [1] , et l’attention se porte désormais sur l’Etat espagnol.
Si la situation n’est pas tout à fait comparable, la France n’a presque rien à envier aux pays du Sud de l’Europe, sommés d’appliquer des purges d’austérité inédites depuis les années Trente. Ce sont ces mesures d’austérité que les principaux candidats tentent de faire oublier, tout en les gardant sous le coude, bien déterminés à les mettre en oeuvre. C’est l’enjeu de la campagne actuelle. Vient également la question consistant à savoir comment les travailleurs et la jeunesse réagiront, dans les prochains mois, aux mauvais coups que ne manquera pas de décocher, avec un calendrier et un style différent en fonction de sa couleur politique, le prochain gouvernement.
Du discours chauvin sur la crise…
Toute la période de précampagne a été marquée par la thématique de la crise. Cela découlait notamment d’une situation objective caractérisée, à l’extérieur, par les fortes interrogations pesant sur le destin de la Grèce au sein de la zone euro. Cela était également lié à la façon dont Sarkozy entendait dramatiser la situation du point de vue économique, allant jusqu’à parier sur son aggravation afin d’apparaître comme le seul capitaine capable de tenir la barre, face à un Hollande qui n’aurait pas été à la hauteur. Cela s’est traduit par tout une batterie de mesures pré-annoncées en grande pompe lors du discours de Toulon II en décembre. Elles ont été confirmées lors du premier entretien du « président-pas-encore-candidat », fin janvier, diffusé en stéréophonie sur toutes les chaines, et qui a succédé au round de « négociations » avec les organisations syndicales, petit cirque auquel Chérèque et Thibault ont bien voulu se plier [2] . Même en sachant que certaines de ces annonces ne seraient jamais mises en application, Sarkozy faisait le pari de jouer le « président-en-action » jusqu’au bout, ne reculant devant aucune mesure, même les plus impopulaires, afin de laisser entrevoir ce dont demain serait fait, de façon également à rassurer une partie du patronat. Sous-tendant cette thématique de la crise, il faut également rappeler l’agitation des salariés de certaines entreprises, du privé surtout, forçant les candidats, Sarkozy en tête, d’accepter le parcours obligé de la visite d’usines et de promettre le sauvetage de tel ou tel site, ce sur quoi nous reviendrons.
Au sein de l’entourage présidentiel, certains ont estimé que cette centralité du discours sur la crise risquait de jeter de l’huile sur le feu, tant vis-à -vis des luttes en cours que par rapport à Bruxelles et Berlin. Manifestement, cela ne permettait pas non plus d’inverser les courbes électorales, largement en sa défaveur au second tour. Usé jusqu’à la corde, Sarkozy ne tirait aucun bénéfice de ce « catastrophisme de crise » ni des solutions bonapartisantes qu’il commençait à faire entrevoir. Hollande, de son côté, était gêné aux entournures, sachant que sa marge de manoeuvre, en matière sociale et économique, est des plus réduites. Alors même que la question sociale et économique était traitée jusque-là sur un registre superficiel, électoraliste et pro-patronal, la plupart des candidats, à des degrés divers, ont commencé à l’occulter sciemment. A cette séquence a succédé un crescendo réactionnaire dont la base est la soi-disant crise sécuritaire et identitaire que traverserait le pays. Et tous d’emboité le pas de la droite et de l’extrême droite. La tragédie de Toulouse n’explique pas tout.
En effet, le terrain de ce discours profondément nationaliste et xénophobe, décliné sous toutes ses formes, avait, dans un premier temps, été retourné et labouré par tous ceux qui essayent de faire dérailler la question de la crise vers un débat sur la « France versus l’extérieur » dont l’enjeu est de maquiller, avec de fausses solutions chauvines, la question systémique. La question était de faire oublier que la crise est le produit du capitalisme et, pour ce qui est de l’Hexagone, de sa version déclinante, en décalage avec le dynamisme d’Outre-Rhin. La gauche, avec Montebourg et Mélenchon, a d’ailleurs rendu un fier service à cette glissade progressive vers un discours chauvin, nationaliste et tendanciellement xénophobe. Ces deux là ont notamment instauré les termes du débat en un sens toujours plus protectionniste et hexagonal, opérant une distinction entre ce qui serait un capitalisme productif, bien de chez nous, et une dérive financière à combattre, souvent liée à « nos » concurrents étrangers, adeptes du « dumping social et écologique ». « Ce nouveau protectionnisme, que Montebourg appelle de ses voeux, moderne et flambant neuf [alors qu’il ne s’agit en fait que d’une resucée de Keynes, que le candidat à la primaire PS cite en exergue de son opuscule] n’est pas un protectionnisme de la peur (…) haineux et revanchard, de l’extrême droite, qui stigmatise l’étranger pour mieux laisser tranquilles les multinationales » [3] . Outre le fait que, pour se différencier clairement de l’extrême droite, Montebourg ne se prononce pas sur la régularisation de tous les sans-papiers, sans exclusion, ni sur le droit de vote pour tous les travailleurs étrangers, outre le fait qu’il n’écorne pas beaucoup les multinationales françaises, il réclame l’instauration d’un « protectionnisme "nouvelle vague’(…), une façon de remodeler le monde avec nos mains, progressivement, comme les Français qui composent une grande nation politique l’ont à leur manière toujours réussi » [4] . Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la France impérialiste a toujours su, hélas, défigurer (plus que remodeler) les territoires et les peuples qu’elle a cherché à coloniser et qu’elle continue à dominer.
Dans le cadre de ce mélange des genres, Mélenchon sait abonder. « Quand les travailleurs, dit-il, défendent leur entreprise, l’industrie, ils défendent l’intérêt général du pays [qui nécessite] une industrie puissante [afin de garantir] une économie puissante et harmonieuse [dans laquelle] les capitalistes doivent lâcher une part de ce qu’ils ont pris pour eux, c’est-à -dire les dix points de la richesse produite par le pays qui sont passés des poches du travail à celles du capital au cours des trente dernières années » [5] . La traduction graphique de cet appel à une meilleure répartition des richesses dans le cadre de « l’intérêt générale du pays », ce sont tous ces torchons tricolores que l’on voit dans les meetings de Mélenchon. Pas étonnant, après cela, d’entendre Yves Cochet, député européen écolo, ministre sous Jospin, déclarer sans vergogne « nous, on en a marre des merdes chinoises plastiques qu’on offre à nos enfants (…) et donc on préfère avoir des jouets en bois qui viennent du Jura » [6] . Ce n’est que l’expression « de gauche » du « produire français » et du « made in France » que la droite et le centre ont asséné à longueur de journée au cours des derniers mois.
…. au discours xénophobe : la glissade réactionnaire des candidats
Le pas était facile à faire par la suite pour laisser dériver le débat et le faire évoluer non plus seulement sur une ligne de distinction entre « ici » et « ailleurs », mais « ici même », entre les bons Français et les autres, étrangers, pauvres, assistés, cégétistes, sans-papiers, islamistes, chômeurs, bref, tous ceux qui menaceraient la nation. C’est ainsi que Sarkozy n’a pas hésité à marteler en meeting à Nantes le 27 mars que « l’Europe passoire, c’est fini pour l’immigration. La France a le droit de choisir qui elle veut accueillir sur son territoire », demandant dans la foulée aux candidats au regroupement familial de passer un test de français car « une mère qui ne parle pas français, comment peut-elle suivre la scolarité de ses enfants, comment peut-elle les éduquer ? Pensons à l’enfant dont la mère ne parle pas le français et imaginons l’image qu’il se fait de l’autorité ». C’est tout « naturellement » et avec encore plus de « légitimité » que Marine Le Pen peut par la suite enfoncer le clou en se demandant « combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui, chaque jour, arrivent en France remplis d’immigrés ? (…) Combien de Mohamed Merah parmi les enfants de ces immigrés non assimilés ? ». Arno Klarsfeld, nommé au Conseil d’Etat en 2010 et soutien du président sortant, a beau jeu de dire que « Nicolas Sarkozy va gagner, car les électeurs du FN ne veulent pas d’une immigration incontrôlée » [7] . Le calcul est grotesque. La justification scandaleuse. L’enjeu est d’essayer de concourir le plus possible au fractionnement idéologique du salariat, après avoir contribué à l’affaiblir dans ses conditions de vie et de travail. Mais dans les entreprises et dans les bureaux, les travailleurs ne sont pas dupes, tuerie de Toulouse ou pas. Car la crise est bien présente et continue à s’approfondir même si Sarkozy a eu le toupet de nous dire que la France avait mieux résisté que d’autres pays et que le chômage avait moins avancé que prévu…
Des « programmes » économiques destinés à nous faire payer la crise
Du côté économique, on a rarement vu une campagne sonner aussi faux, et en même temps à l’unisson. Faux, car sous les vagues promesses électorales, c’est une politique en faveur de la bourgeoisie que les candidats défendent. A l’unisson parce que, par delà les différences de forme, c’est un seul et même programme qu’ils défendent : passer la facture, au final, aux salariés, aux travailleurs au chômage, aux jeunes et aux retraités, et la leur faire payer jusqu’au dernier centime.
Comme nous l’écrivions il y a deux mois, « comme l’ont souligné de nombreux journalistes qui sont loin d’être de dangereux gauchistes, à l’image du "Monsieur politique’ de France Inter, Thomas Legrand, on a pu voir comment, lors du "débat’ Juppé-Hollande [qui a marqué le début de la campagne le 26 janvier,] ce n’était pas de deux programmes alternatifs dont il était question mais bien de la manière de mettre en musique l’austérité programmée » [8] . Cette tendance est allée en se renforçant au cours des dernières semaines et nombre d’observateurs l’ont constaté de façon empirique. « C’est une constante des fins de campagne présidentielle. Dans les semaines précédant le premier tour, les candidats ont tendance à multiplier les promesses, sans en préciser le financement. (…) La campagne 2012 connaît un alourdissement plus modéré du coût des programmes » [9] . Voilà qui montre combien, même y compris du strict point de vue de la démagogie électoraliste, les candidats sont partisans de l’austérité…
Si l’on va voir de plus prés, du côté des programmes, c’est encore plus édifiant. L’échange publié entre les deux « conseillers économie » de Hollande et Bayrou, Jérôme Cahuzac et Jean Peyrelevade , est assez exemplaire. D’abord parce que Bayrou, partisan de la « rigueur d’abbaye », s’est choisi comme conseiller l’ancien président du Crédit Lyonnais. Il est vrai que, François Bayrou, petit curé de campagne qui compte faire des économies coûte que coûte, candidat « antisystème » pour un électorat conservateur qui ne veut pas voter Sarkozy mais n’ose pas aller jusqu’à voter Le Pen, n’est pas à une contradiction prés. Mais la discussion est surtout intéressante dans la mesure où, lorsque Peyrelevade accuse Hollande de vouloir baisser les « pensions et les rémunérations dans les fonctions publiques, c’est-à -dire [d’appliquer] une politique à la grecque », Cahuzac se défend… en acquiesçant. « Hollande, dit-il, a choisi de ramener le rythme de progression, en volume de la dépense, de 1,7% l’an, ces dernières années [sous Sarkozy] à 1,1%, [soit encore moins…]. (…) Clairement cet objectif interdit la création nette de postes dans la fonction publique (…) pendant le prochain quinquennat. Ce chemin-là est donc courageux et difficile » [10] . Les énarques du PS nous demandent donc d’être courageux comme les Grecs. A nous de les prendre au pied de la lettre, en termes de grèves et de mobilisations.
On sait ce que valaient les promesses de changements de Mitterrand et de Jospin. Mais cette fois-ci, le candidat socialiste, à la différence de ses prédécesseurs, se présente sans aucun engagement en termes de transformation ou d’amélioration des conditions de vie, comme cela se lisait encore (sur le papier) dans le programme de 1981 ou celui de la Gauche Plurielle (même si c’est la rigueur, les privatisations et les cadeaux aux patrons qui ont fait la politique gouvernementale des socialistes au pouvoir). Pas étonnant, dans ce cadre, que, si Hollande dit vouloir « renégocier » le nouveau Pacte budgétaire européen, les députés socialistes se sont majoritairement abstenus (autre façon de voter pour) sur la question du Mécanisme européen de stabilité. Hollande n’a pas hésité d’ailleurs, alors qu’il était invité d’honneur au congrès du SPD, le parti social-démocrate allemand, à chanter les louanges des réformes profondément anti-populaires connues sous le nom de Hartz IV, adoptées sous le gouvernement Schröder... Avec ce genre de positions, on comprend comment le candidat socialiste a des marges de manoeuvres considérablement réduites, lui qui veut apparaître comme aussi bon gestionnaire de l’austérité et de la rigueur budgétaire que ses homologues européens, Angela Merkel et Mario Monti.
Des miettes pris aux riches, la boulangerie entière offerte aux entreprises et au CAC 40
Les « 75% » de Hollande et ses « 60 propositions »
R.L. La proposition de François Hollande de taxer à 75 % les revenus au-dessus d’un million d’euros par an a agité, un temps, la campagne électorale. Il n’y a pas de quoi se réjouir cependant. Le PS ne s’intéresse pas spécialement à l’imposition des plus grandes fortunes. C’est un simple effet d’annonce. Cette imposition ne rapportera que 0,2 à 0,3 milliard d’euros à l’Etat. Pendant ce temps-là , l’application des 60 propositions de François Hollande « rapporterait » 7,3 milliards d’euros à l’Etat. Ainsi, au nom de son « contrat de génération », le favori des sondages souhaite offrir 2,3 milliards d’euros aux entreprises par le biais d’exonérations d’impôts, en échange d’un CDI pour un jeune et du maintien de l’emploi pour un senior. Pour « aider l’industrie et la relocalisation de la production », le candidat socialiste propose un nouveau cadeau de 2,5 milliards d’euros. L’ensemble des entreprises de moins de 5.000 salariés (nous sommes loin de l’image de la-petite-entreprise-dont-le-patron-travaille-beaucoup-et-n’arrive-pas-à -payer-ses-charges-à -la-fin-du-mois) recevraient quant à elles, 2,3 milliards d’euros par le biais d’une réforme du taux de l’impôt sur les sociétés. Un dernier petit cadeau supplémentaire sera réservé aux seules PME par le biais d’un crédit impôt recherche de 0,2 milliard d’euros. Pour résumer, François Hollande prend 0,3 milliard aux riches pour donner, au bas mot,… 7,3 milliards aux entreprises. Qui va payer la facture ? Parisot ou les travailleurs ? Hollande n’a pas encore répondu à la question… mais il y a fort à parier que c’est nous qu’il pense faire passer à la caisse.
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Pour ce qui est du candidat Sarkozy, son programme a le mérite d’être clair. A trois semaines du premier tour, il n’a toujours pas été publié. Mais c’est en fait le dernier rebondissement du scandale politico-financier Woerth-Bettencout qui est le plus révélateur de ce qui est le fond du programme du président sortant : continuer à être, fidèlement, le président des riches. Il semble néanmoins que Sarkozy fait de moins en moins l’unanimité dans certains milieux patronaux, fatigués de sa suractivité politico-politicienne. Ses ministres et les membres du premier cercle, hormis Guéant et certains second-couteau de la Droite populaire, se tiennent à l’écart de la campagne. C’est cette lassitude que résume dans un jugement sans appel le journaliste américain Philip Gourevitch : « Sarkozy est effronté et déterminé quand il veut le pouvoir, autoritaire quand il l’exerce. C’est un exhibitionniste et un opportuniste (…) guidé non par l’idéologie mais l’instinct (…) souvent décrit comme un "aspirant-Bonaparte’, ce qui n’est généralement pas un compliment. (…) Au début de son mandat il a été un temps le président le plus populaire de la Vème République. Puis le plus impopulaire. (…) Cela pourrait sembler normal, au vu des problèmes économiques du pays. Mais la popularité de Sarkozy s’est écroulée bien avant l’économie » [11] .
Le dernier cadeau de l’UMP à l’Assemblée : « fermez des écoles, ouvrez des prisons ! »
R.L. Depuis cinq ans, sous prétexte de remboursement de la dette publique, l’Etat coupe, supprime, cisaille et liquide à tout-va. 150.000 postes de fonctionnaires ont ainsi été supprimés depuis 2007, dont 70 000 dans l’Education Nationale. Si les services sociaux ont droit à des cures d’austérité, ceux de la répression ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, dans un dernier vote de l’Assemblée Nationale, la majorité sortante a adopté un projet de loi prévoyant la création de 24.000 places de prison dans les cinq ans à venir pour un coût total de 3,5 milliards d’euros pour le prochain quinquennat. Il y a un siècle et demi, Victor Hugo déclarait « vouloir résorber le bagne par l’école ». L’UMP a bien compris la corrélation mais l’applique en sens inverse.
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Il n’y a que Borloo (rallié avec armes et bagages à l’Elysée) qui soit satisfait du soi-disant « tournant social » de la campagne de Sarkozy, qu’il doit être le seul, d’ailleurs, à percevoir [12] . Sarkozy, comme on l’a vu, se contente entre-temps de vomir sur les immigrés pour tenter de siphonner l’électorat du FN, de taper comme un sourd sur les syndicats pour capter le vote de la petite bourgeoisie et des petits patrons réactionnaires, et enfin de tancer « l’Europe » (à la fois bouc-émissaire et solution-miracle de sortie de crise) pour essayer de grappiller quelques voix d’électeurs du « non » de 2005, définitivement désorientés.
Rien n’y fait pourtant. Le ras-le-bol qu’inspire Sarkozy est tel qu’à la différence de tous les scénarios électoraux précédents sous la Vème république, il est systématiquement donné battu à plate couture au second tour. Il affirme vouloir se retirer de la politique si tel était le cas. Il y a fort à parier qu’en cas de victoire de Hollande, scénario le plus probable à l’heure actuelle, ce n’est pas lui qui déciderait de tirer ou non sa révérence. Ce sont ses « amis » politiques aux dents longues et à l’ambition féroce, les Copé, les Fillon et les Juppé qui le débarqueront.
La crise sociale sur fond de vote Hollande
Cette campagne molle de la gauche peut sembler d’autant plus étonnante si l’on s’attarde sur la situation que traversent des millions de ménages ouvriers et populaires, de jeunes et de salariés, qui sentent sur leur nuque le souffle de la crise, avec son corolaire de risque de chômage, partiel ou complet, de précarisation accrue des rapports au travail, de baisse de salaire, de pauvreté et même de misère pour les quelques deux millions de Français qui vivent avec moins de 640 euros par mois. Même si la campagne est aussi pauvre en promesses et peu enthousiasmante, même si l’abstention s’annonce élevée, la colère existante se traduit aujourd’hui par un vote populaire anti-Sarkozy qui va surtout se porter sur Mélenchon et Hollande au premier tour et sur le candidat du PS au second.
En effet, l’alternative qui est discutée, en ces temps d’élections, dans le monde du travail, ce n’est pas « c’est eux, ou c’est nous », ce n’est pas la question de la sortie de la crise qui, d’une façon ou d’une autre, implique qu’une des deux classes s’impose totalement sur l’autre. Beaucoup pensent, sans doute sans grande conviction, que l’alternance qui se prépare, avec l’arrivée au pouvoir de Hollande, sera un moindre mal par rapport aux dernières années du sarkozysme, qui ont été très dures. Cette canalisation électorale n’occulte cependant pas une colère sourde qui continue à monter depuis des mois. Elle a explosé lors du grand mouvement des retraites de l’automne 2010 puis a reflué, en raison de la défaite revendicative largement due à l’orientation des principales directions syndicales [13]. La décantation, par manque de victoires ou d’un renforcement, même minime, du rapport de forces, se joue donc aujourd’hui sur le terrain électoral.
Les travailleurs doivent rejeter les deux visages de l’austérité
Chez les travailleurs, parmi les classes populaires, nombreux sont ceux qui voteront Hollande, notamment au second tour, pour exprimer leur rejet de Sarkozy et de sa politique. On peut les comprendre. Rarement président aura été aussi arrogant et méprisant à l’égard des salariés, de la jeunesse et des habitants des quartiers populaires. Rarement président se sera rangé aussi manifestement du côté des riches et des patrons, s’affichant ouvertement à leurs côtés. Rarement président aura été aussi brutalement raciste et rétrograde dans son discours et dans ses actes. Après la défaite revendicative du mouvement des retraites, l’idée que les urnes étaient le seul moyen afin de chasser l’actuel locataire de l’Elysée s’est peu à peu imposé. Cela ne veut pas dire que l’enthousiasme qui entoure la candidature de Hollande soit débordant dans les bureaux, les ateliers, les usines ou chez les jeunes. Le seul capital politique significatif du candidat PS, c’est l’anti-sarkozysme qu’il canalise électoralement. Si Hollande se pose en candidat de l’alternance et en candidat de la rupture avec les années Sarkozy, il n’avance aucune orientation concrète qui soit réellement alternative à la politique portée jusqu’à présent par le gouvernement sortant. Hollande est lui aussi pour la rigueur budgétaire, même s’il entend « donner du sens » à l’austérité. Sur le reste, le candidat PS ne s’engage sur rien. Il sait en effet que, s’il est élu, son gouvernement sera amené à appliquer, comme en Grèce sous Papandréou, au Portugal sous Sócrates et dans l’Etat espagnol sous Zapatero, une politique d’austérité et d’attaque contre les conditions de vie des travailleurs. Sarkozy et Hollande sont les deux visages d’un même projet : faire payer la crise au monde du travail, à la jeunesse et aux classes populaires. Malgré ses origines au sein du mouvement ouvrier, le Parti Socialiste a subi au cours des trois dernières décennies des transformations profondes. Depuis le début des années 1980, il a été à l’origine de l’application d’une bonne partie de l’agenda néolibéral en France. Tout cela a d’abord commencé sous Mitterrand, notamment à la suite du « tournant » de 1983, et s’est par la suite poursuivi, notamment sous Jospin et son gouvernement de « Gauche plurielle » qui en cinq ans a privatisé plus que tous ses prédécesseurs de droite. Au-delà même des frontières de l’Hexagone, le PS a joué un rôle significatif dans la mise en musique du programme néolibéral. Sans aborder le rôle de Dominique Strauss-Khan lorsqu’il était à la tête du Fonds Monétaire International (FMI), il suffit de songer à Jacques Delors par exemple, ou encore à Pascal Lamy. Tous deux ont orchestré la « libéralisation » à échelle européenne et mondiale, à Bruxelles pour le premier, à la tête de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour le second. Au cours des trente dernières années, avec une accélération notoire au cours de la seconde moitié des années 1990, les liens organiques du PS avec le monde du travail et les classes populaires ne se sont pas simplement distendus. Le PS a peu à peu largué les amarres qui le rattachaient à la classe ouvrière, en devenant de plus en plus un des appareils opérationnels de la bourgeoisie, activement au service du patronat. Il suffit là encore de songer aux personnalités liées au monde du CAC40 comme les « amis » de Pierre Moscovici, directeur de campagne de Hollande et vice-président du Cercle de l’Industrie - lobby réunissant les PDG des principaux groupes industriels français et représentant les intérêts des trusts hexagonaux à échelle européenne et internationale. C’est pour toutes ces raisons que nos camarades représentés à la direction du NPA (CPN) ont demandé à ce que notre parti soit totalement conséquent dans sa stratégie d’indépendance vis-à -vis du PS et de refus de toute logique de pression sur un futur exécutif de gauche. Une telle stratégie de pression, à l’image de celle qu’envisage Mélenchon à court ou moyen terme, est parfaitement stérile. Elle désarme de surcroit les travailleurs pour les combats qu’ils auront à livrer dans les mois à venir. C’est en ce sens que nos camarades ont demandé à ce que le NPA appelle les travailleurs à refuser de choisir entre les deux visages de l’austérité que sont Sarkozy et Hollande et qu’il appelle le monde du travail et la jeunesse à s’abstenir au deuxième tour, en préparant dès à présent la résistance contre les attaques qui nous seront imposées, quelle que soit la couleur du gouvernement qui sortira des urnes.
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Il s’agit de voir maintenant comment ce malaise va se traduire à court et moyen terme, car une chose est sure : c’est l’austérité qui sera le maitre-mot du prochain quinquennat. Tous les candidats redoublent d’inventivité pour nous enfumer et nous faire oublier que c’est bien là leur objectif. Par-delà les différences de forme (et elles sont majeures), les deux candidats en lice partagent les mêmes oreientations en termes de rigueur à appliquer et d’attaques à poursuivre. Ceci parce que, pour la bourgeoisie aussi, la situation est grave et la crise est historique, réduisant d’autant les marges de manoeuvre. C’est bien parce que, l’UMP comme le PS sont deux partis qui sont des agents directs de la bourgeoisie. Ce rôle est désormais pleinement assumé par des « socialistes » français qui ont définitivement opéré leur mue, de « parti ouvrier-bourgeois » à « expression de gauche du capital », comme cela s’est fait dans tant d’autres pays européens.
Les usines s’invitent dans la campagne… et après ?
Ce qui est frappant néanmoins, c’est que contre toute attente et en dépit de ce que peut laisser entrevoir la tendance, dans les classes populaires, à voter Hollande pour chasser Sarkozy, les usines se sont invitées dans la campagne. Certaines bagarres sont paradigmatiques et ont fait la une des journaux : Fralib, SeaFrance, Lejaby, Petroplus, Photowatt, PSA Aulnay, ArcelorMittal, Sernam ou encore dernièrement, dans un autre registre, le mouvement des éboueurs lyonnais contre la privatisation rampante des services de nettoiement décidée par l’agglomération dirigée par le PS Gérard Collomb. Ce climat social, dont le calendrier électoral français est assez peu coutumier, a obligé les candidats à faire le tour des entreprises en lutte, s’engageant parfois à apporter une « solution » plus ou moins satisfaisante de façon à éviter la fermeture.
On peut, certes, regretter que ces luttes soient aussi isolées et peu coordonnées alors qu’elles pourraient devenir des points d’ancrage pour d’autres bagarres et servir de catalyseur à la colère sociale. La responsabilité en incombe avant tout aux directions syndicales qui ont décrété depuis des mois déjà la trêve des confiseurs et veulent une alternance de gauche pour regagner toute leur place à la table des négociations. « Votez bien », à savoir pour la gauche bourgeoise et leurs supplétifs réformistes, c’est en résumé ce qu’a déclaré la Commission exécutive cégétiste le 13 mars, prenant ouvertement position contre la droite dans ces élections pour la première fois depuis 1988.
(Sarkozy en visite à la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne le 24 février dernier)
Ces luttes et les situations qui en découlent sont néanmoins intéressantes à plusieurs points de vue. Cela montre tout d’abord que la détermination et le rapport de forces font bouger les lignes. Cela indique également qu’en étant sous pression les politiciens bourgeois ne peuvent plus avoir recours au sésame de Bruxelles pour justifier leur inaction et sont capables de prendre des décisions allant y compris contre cette grande machine à gaz de coordination des bourgeoisies les plus puissantes de l’UE qu’est la Commission. Alors bien sûr, cela ne veut pas dire que les travailleurs doivent faire confiance à un gouvernement de la bourgeoisie pour résoudre leurs problèmes, mais bien que c’est par leurs luttes et leurs mobilisations qu’ils sont capables de faire bouger le curseur.
Cela indique également un climat tendanciel qui risque de perdurer par-delà la période électorale, au grand dam d’ailleurs de François Hollande. Quelle sera son attitude si des actions comme celles portées par les Petroplus ou les Arcelor se poursuivent avant ou après l’été ? Sa position est claire par rapport aux trois questions objectives que portent ces luttes : l’interdiction des licenciements, la question du contrôle des salariés sur les décisions qui sont prises contre eux et contre l’instrument de travail ainsi que plus largement la question des salaires. Hollande est pour le gel de la RGPP (ce qui fait perdurer, dans les faits, les licenciements dans le public), contre toute intervention concrète sur le terrain des fermetures de boites et, bien entendu, contre toute augmentation généralisée des salaires. Ces questions vont néanmoins continuer à dominer la question sociale, plus encore si la crise s’approfondit, par effet de contrecoups espagnols ou grecs ou tout simplement en raison d’une possible nouvelle contraction internationale.
En attendant, l’option Hollande peut apparaître conjoncturellement comme moins traumatique, pour les classes populaires, qui veulent se débarrasser par les urnes de Sarkozy, mais aussi pour un secteur du patronat, qui préfère, dans la situation actuelle, le dialogue avec la bureaucratie syndicale que la cassure avec les partenaires sociaux, un secteur du Médef qui n’est pas convaincu de la nécessité, pour l’instant, d’avoir recours à une option gouvernementale plus dure et bonapartisante. Le réveil, après une lune de miel socialiste plus ou moins longue, risque d’être rude cependant. Mario Monti, en Italie, nous offre un bon exemple du scénario qui pourrait attendre Hollande. Après le traumatisme qu’ont été pour des pans entiers de la population les années Berlusconi et en dépit d’une nomination qui relève plus du coup de force bonapartiste que du jeu démocratique bourgeois traditionnel [14], Monti a pu se lancer dans plusieurs réformes ambitieuses au service de Confindustria, le Medef italien : relèvement de l’âge du départ à la retraite et libéralisations économiques notamment. Il a bénéficié, pour cela, d’un consensus passif, y compris dans la gauche et chez les salariés. Il escomptait pouvoir faire passer sa réforme du marché du travail dans ce contexte de résignation, grâce à une popularité élevée, mais cette dernière a chuté de vingt points, en passant à 40%, en l’espace d’un mois. En effet, la question de la réforme de l’article 18 qui serait une brèche décisive pour le patronat suscite une opposition extrêmement vive sur les lieux de travail et dans les entreprises, redynamisant la classe ouvrière, prise à la gorge, par delà les secteurs les plus combatifs du syndicalisme de base et des métallos de la FIOM.
C’est ce qui peut attendre Hollande s’il choisit de prendre plus vite que prévu un certain nombre de mesures auxquelles, par la force des choses, il sera contraint. Le souvenir des années Sarkozy pourra un temps faire passer la pilule, mais certainement pas indéfiniment. L’opposition sociale actuelle, perlée et intermittente, pourrait prendre une forme plus massive et résolue. Il faudra toute la capacité de la bureaucratie syndicale à jouer le rôle de médiateurs et de pompiers sociaux, comme cela avait déjà été le cas sous le gouvernement Jospin-PC-Verts, pour que cette colère ne déborde pas. La situation est néanmoins très différente et encore plus dégradée qu’entre 1997 et 2002, qui avait vu éclore des grèves et des mouvements durs contre les licenciements. Passées les élections, les patrons ne se priveront pas de mettre en application leurs plans de dégraissage d’effectifs qu’ils ont sous le coude depuis des mois. Plus que jamais l’échelle mobile des salaires, la question du partage des heures de travail et de l’interdiction des licenciements par le contrôle ouvrier et la réquisition des entreprises qui ferment vont devenir des questions objectivement centrales dans les luttes qui ne manqueront pas de se développer [15].
Tout ceci pose la question de la façon dont il nous faudra nous préparer à contrer les mauvais coups que nous prépare le prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur et quel que soit le degré de négociation qu’il concédera à des directions syndicales qui ne demande que cela. C’est donc tout l’enjeu aussi du message que les révolutionnaires ont à porter dans le cadre de cette campagne et de celle qui va suivre, pour les législatives, à la fois pour faire entendre la voix du monde du travail et de la jeunesse, de tous ceux et celles qui ne se résignent pas, mais également pour profiter de cette tribune pour préparer la résistance déterminée qu’il faudra opposer au prochain gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous soutenons et faisons la campagne de Philippe Poutou, ouvrier de l’automobile, candidat anticapitaliste de notre parti, aux élections présidentielles. Car nous sommes convaincus que pour virer Sarkozy et la politique qu’il représente, c’est-à -dire une politique en faveur du grand capital et du patronat avec lequel Hollande entretient d’excellentes relations [16], il faudra organiser la résistance frontale, de notre camp, contre la prochaine majorité de gauche qui très probablement sortira des urnes.
Jean-Patrick Clech
Source : http://www.ccr4.org/Chronique-d-une-austerite-annoncee
02/04/12