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Les sanctions contre l’Iran : Les grandes puissances ne voient pas que les temps changent (Al Akhbar)

L’image d’un Iran isolé au bord du désastre économique à cause des sanctions croissantes perd toute crédibilité à la lumière de la multiplication des liens politiques et commerciaux iraniens avec les puissances mondiales non occidentales.

Selon un reportage exclusif de Reuters, au début du mois, des acheteurs iraniens n’ont pas pu payer les 144 millions de dollars étasuniens qu’ils devaient pour une cargaison de 200 000 tonnes de riz en provenance d’Inde. D’autres rapports similaires de Reuters ont suivi, un affirmant que les commerçants asiatiques commençaient à prendre leurs distances avec la république islamique et un autre suggérant que des commerçants pakistanais "prenaient peur" de faire des affaires avec l’Iran. Un troisième rapport disait que l’Iran troquait de l’or et du pétrole contre des denrées de première nécessité, ce qui montrait les immenses difficultés que le pays traversait.

Cette série de reportages a suivi la mise en place par le président étasunien Barack Obama de nouvelles sanctions plus sévères contre le gouvernement iranien visant à geler les avoirs iraniens aux Etats-Unis et à pénaliser les transactions des banques et institutions financières iraniennes. La décision d’Obama a été accompagnée de sanctions unilatérales de l’Union Européenne contre le secteur pétrolier iranien qui constitue presque 90% des revenus de la république islamique. Pour les officiels iraniens, ces actions ne sont qu’une simple "guerre psychologique".

Les commentateurs et les observateurs européens et nord-américains notamment, analysent les faits soulignés par Reuters comme le signe qu’il n’y a pas que les nations et les entreprises occidentales qui veulent isoler l’Iran et qui souhaitent que les sanctions soient efficaces. Les difficultés du marché de l’alimentation et la dévaluation du rial iranien qui ont causé une hausse exponentielle du prix des denrées de base sont salués comme les premiers résultats des pressions destinées à forcer l’Iran à arrêter sa course supposée vers la bombe nucléaire.

Mais la vision d’un Iran isolé et s’écroulant progressivement sous le poids d’une guerre économique pourrait fort bien n’être qu’une illusion.

L’Iran est-il isolé au plan international ?

L’article de Pepe Escobar, "l’Isolement de l’Iran est un mythe" qui a été publié sur plusieurs sites remet en question le mythe selon lequel l’Iran serait tout à fait isolé et même démontre le contraire.

Selon Escobar, l’Iran renforce ses relations économiques avec ses voisins directs, il a aussi réussi à resserrer ses liens avec l’Amérique du Sud et à maintenir et même à approfondir ses importantes relations pétrolières et commerciales avec des puissances asiatiques comme le Japon, la Corée du sud, et surtout la Chine. De plus ses relations avec la Russie sont toujours aussi bonnes. Bref, l’Iran fait des affaires principalement avec le monde non occidental qui représente la plus grande partie de la communauté internationale. L’Iran est, selon l’expression d’Escobar "plus relié que Google".

L’état iranien ne semble pas être en difficulté en dépit des décennies d’embargos et de sanctions. Un reportage paru dans le New York Times, la semaine dernière, a confirmé l’analyse d’Escobar. L’article révélait que l’Inde "provoquait l’irritation des puissances occidentales en minant leurs efforts pour isoler l’Iran par l’annonce qu’elle allait envoyer une large délégation commerciale en Iran dans les semaines à venir pour profiter des opportunités créées par les sanctions antinucléaires des Etats-Unis et des Européens.

Il est frappant de constater que l’Inde et l’Iran mettent la dernière main à un nouveau mode de paiement complexe qui inclue le règlement du pétrole en roupies au lieu du dollar et l’usage de toute une série de moyens d’échange qui s’apparentent au troc pour contourner les restrictions engendrées par les sanctions.

Pour l’Occident et surtout pour les Etats-Unis, l’abandon du dollar qui est, depuis longtemps, la monnaie officielle pour l’achat du pétrole, est inquiétante, surtout qu’elle est le fait d’un producteur de pétrole important ; cela pourrait en effet accélérer le processus d’abandon du dollar comme monnaie de réserve par différents pays et encourager l’usage régulier d’autres monnaies pour acheter du pétrole. Cela affaiblirait encore davantage la valeur et l’influence du dollar étasunien qui proviennent, selon certains analystes, au fait qu’il a le monopole des achats de pétrole.

Qui plus est, les sanctions récemment décrétées par l’Union Européenne contre le secteur pétrolier iranien semblent avoir des répercussions négatives sur l’économie européenne elle-même, comme cela a été démontré dans un article de Moammar Atwi pour Al-Akhbar.

Selon Atwi, les pays européens, surtout les pays endettés comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce qui totalisent les trois-quarts des importations de pétrole iranien en Europe, "ne sont pas encore certains de pouvoir trouver une alternative appropriée au pétrole iranien de bonne qualité et doutent aussi de la capacité de Riyad de tenir son engagement de hausse de production". L’obsession de sanctionner l’économie iranienne a grande chance "d’endommager encore davantage l’économie européenne en difficulté" si le prix du pétrole augmente comme c’est prévu.

L’Iran est-il faible sur le plan intérieur ?

Quand nous avons demandé à Escobar dans un Email si les nouveaux développements indiqués par Reuters modifiaient son analyse, il a répondu : "Il est certains que les élites cléricales et militaires, les bonyads, et les élites entrepreneuriales liées au régime peuvent [s’accommoder de] n’importe quelles sanctions —comme elles le font depuis des années. Et comme toujours, ceux qui souffrent sont les classes moyennes et —ce qui est de mauvaise augure pour la faction d’Ahmadinejad et même pour le sommet de la hiérarchie— les classes laborieuses. Une importante dévaluation de la monnaie signifie une grande inflation ajoutée à des coupures dans les subventions. C’est une recette dangereuse."

Les Iraniens qui ont accumulé une longue expérience des sanctions et des embargos depuis 1979 ont peu de chance de laisser les sanctions nuire à leur développement économique sans réagir.

Djavad Salehi-Isfahani, un professeur Etasunien-Iranien de Virginia Tech University aux Etats-Unis a fait remarquer dans son blog que grâce aux sanctions "la politique économique s’est améliorée en Iran." Selon lui, la Banque Centrale iranienne a convaincu le président iranien Mahmoud Ahmadinejad de relever notablement les taux d’intérêt pour augmenter les dépôts bancaires et empêcher l’inflation, ce qui constitue un changement de politique majeur du gouvernement.

Ahmadinejad et ceux qui le soutiennent, comme le pressentent Escobar et Salehi-Isfahani, pourraient avoir à souffrir des problèmes et des difficultés que rencontrent les classes moyennes et laborieuses en Iran. En effet, la campagne d’Ahmadinejad a consisté principalement à faire des promesses aux classes laborieuses pauvres, en insistant sur la poursuite de la politique de soutien et de subventions du gouvernement et en s’engageant à ne pas augmenter les taux d’intérêt et de change. La décision sans précédent du parlement iranien de convoquer Ahmadinejad pour lui demander d’expliquer sa politique économique semble indiquer qu’il aura à répondre du mécontentement populaire intérieur à la place de l’appareil d’état.

Selon les prévisions économiques de la Banque Mondiale de 1012, on s’attend à ce que la croissance économique de l’Iran persiste, en dépit des sanctions, pendant l’année en cours et la suivante. Selon la Banque Mondiale, cela est dû au fait que "la réorganisation du système des subventions et de transferts de liquidités pour un meilleur équilibre des remboursements et des recettes fiscales est vue d’un bon oeil par les observateurs extérieurs". Cependant le rapport mentionne bien que "de grandes difficultés persistent dans les secteurs non pétroliers (industrie et services)".

Plus étonnant, les agences d’information iraniennes ont rapporté que le Fond Monétaire International (FMI) avait classé l’Iran au rang "de la 17ième plus grande économie du monde", c’est à dire, apparemment devant l’Australie, l’Arabie Saoudite, la Pologne et l’Argentine.

Selon les données économiques interprétées par les principales institutions financières occidentales, l’état iranien ne semble pas décliner en dépit de décennies de sanctions et d’embargos. Cependant cette image apparemment positive ne tient pas compte des profondes difficultés dont souffre la vaste majorité du public iranien ni de son mécontentement croissant.

Le mécontentement croissant du public fait-il le jeu de l’Occident ?

Escobar ajoute que "le cocktail meurtrier pour déstabiliser le régime... ne fonctionnera pas parce que les Iraniens sont parfaitement conscients des machinations occidentales. La classe ouvrière iranienne qui, il y a peu, applaudissait Obama, le rend désormais responsable des sanctions et de la pénurie croissante. Le programme nucléaire est en fait une source de fierté nationale —même les verts le défendent. Il est exact que l’administration d’Ahmadinejad a complètement échoué sur le plan économique et financier —mais l’approche agressive des Etats-Unis et de l’Europe, ne rallie personne en Iran. Cela prouve une fois de plus que tous ces mauvais [politiciens] ne comprennent rien à la culture persane ni à la mentalité [persane]."

Quel est le but des sanctions ?

"Le but des sanctions est de mettre la pression sur l’Iran pour qu’il revienne à la table des négociations," a dit Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique sécuritaire, après que la dernière série de sanctions ait été mise en place.

Il faut analyser cette déclaration à la lumière du rejet des Etats-Unis et de l’UE de l’ingénieux accord signé par la Turquie et le Brésil à Téhéran en 2010 sur un échange d’uranium faiblement enrichi contre du combustible.*

D’ailleurs, Vali Nasr, un ancien conseiller du Département d’Etat d’Obama a noté dans une interview avec la revue Foreign Affairs qu’en fait ce sont les Etasuniens qui ont toujours catégoriquement refusé de négocier et qui se sont entêtés dans une escalade qui pourrait facilement tourner en guerre régional destructrice.

De fait, Glenn Greenwald, dans un article pour Salon, a montré que les médias et les politiciens étasuniens avaient intentionnellement déformé l’image de l’Iran et l’avaient présenté comme "la racine de tous les maux" et donc une menace existentielle aux Etats-Unis afin d’alimenter une atmosphère d’hystérie.

Les Etats-Unis et l’UE font semblant d’accorder de l’importance à la diplomatie mais en réalité ils poursuivent une politique qui se rapproche dangereusement du "changement de régime". Au cours des deux dernières années, cette politique est devenue de plus en plus agressive et se manifeste par des attaques cybernétiques, l’envoi de drones dans l’espace aérien iranien et la permission donnée à Israël de financer et d’armer les Mujahedin-e Khalq (MEK) pour assassiner des savants iraniens. De plus Israël ne cesse de menacer l’Iran de le bombarder, ce qui n’aurait pas seulement pour conséquence de retarder l’enrichissement d’uranium mais plongerait la région dans la guerre.

Le mois prochain, l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) doit publier, selon certains analystes, un rapport plus sévère sur l’Iran qui ne tient pas compte de sa dernière visite du 20 février en Iran. La position de l’AIEA, et celle de son directeur général Yukiya Amano,** a été remise en question lorsqu’un câble diplomatique a été publié par Wikileaks. Dans cette dépêche, Amano assurait les officiels étasuniens de Genève "qu’il était solidement dans le camps étasunien pour toutes les décisions stratégiques, qu’il s’agisse de nominations à des postes de responsabilité ou de la gestion du supposé programme nucléaire iranien."

Jusqu’à présent, les actions et sanctions n’ont réussi qu’à solidifier la position de l’Iran sur son programme d’énergie nucléaire. Pendant la célébration du 33ième anniversaire de la révolution islamique, Ahmadinejad a déclaré dans son discours aux Iraniens : "Dans quelques jours le monde sera informé des avancées prodigieuses du nucléaire iranien".

Les sanctions sont finalement contre productrices pour les Américains et les Européens, et révèlent leur manque de volonté politique d’imaginer des solutions diplomatiques pour sortir de l’impasse. Qui plus est, on peut y voir un signe que leur pouvoir sur le monde diminue et qu’ils sont de plus en plus déconnectés des positions du reste du monde. Mais l’image d’un Iran isolé n’en continue pas moins de prévaloir dans les capitales d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, portant en elle-même les germes d’un désastre universel.

Yazan al-Saadi

Note :

* http://www.france24.com/fr/20100518-iran-accord-turquie-bresil-reaction-mohamed-el-baradei-aiea-onu-confiance-crise-nucleaire

** http://sergeadam.blogspot.com/2011/11/iran-et-le-rapport-de-laiea-un-choux.html

Pour consulter l’original : http://english.al-akhbar.com/content/sanctions-iran-blind-changing-times

Traduction : Dominique Muselet

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