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Mariela Castro : « Le gouvernement des États-Unis est préoccupé et occupé par le mouvement LGBT cubain »

A HAVANE accueillera le 6e Congrès de sexologie, du 23 au 26 janvier prochain, à son siège habituel du Palais des Conventions. La rencontre sera placée sous le thème : L’éducation sexuelle dans les processus de transformation sociale.

A propos de cet événement et sur le travail éducatif réalisé depuis des décennies par le Centre national d’Éducation sexuelle (CENESEX), Mariela Castro Espin, directrice du Centre, a eu l’amabilité d’accorder une interview exclusive à Cubasi.

Licenciée en psychologie et pédagogie et master en Sexualité, Mariela Castro est reconnue internationalement comme une figure active de la défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles et intersexuelles (LGBTI) à Cuba.

Depuis le mois de novembre dernier, la fille du président cubain Raul Castro, s’est associée aux différents réseaux sociaux en ouvrant un compte sur Twitter, @CastroEspinM et un blog http://elblogdemarielacastro.blogspot.com. Un moyen supplémentaire pour désarticuler les préjugés historiques liés à la sexualité, et en finir avec l’homophobie.

Lors d’une rencontre avec des étudiants étasuniens, en novembre dernier, vous avez déclaré : « La Révolution a changé non seulement la vie des Cubains, mais aussi leur sexualité ». Pourquoi ?

La Révolution cubaine a représenté la conquête de la souveraineté nationale tant attendue, mais elle a aussi été un processus complexe de création et de mise en pratique du projet de justice, d’équité sociale et de solidarité que nous avons mis sur pied et défendu pendant ces 50 dernières années. Ce scénario a favorisé la confrontation et le dialogue entre les générations, les patrons culturels, les classes et les strates sociales ; les vieux paradigmes de pouvoir basés sur la domination et l’exploitation, hérités du système colonial espagnol et du néocolonialisme étasunien, ont été remis en question. Il ne fait pas de doute que ce processus a généré des transformations profondes et radicales dans notre culture, dans les préjugés sur les sexualités, dans les relations de domination des hommes sur les femmes, dans la reconfiguration des liens de séduction et de couple, dans les politiques sexuelles qui privilégient les relations hétérosexuelles en excluant d’autres modes de vivre les relations amoureuses et érotiques entre les êtres humains, et qui privent de certains droits les personnes qui ne respectent pas ces paramètres.

Le cinéma cubain et d’autres expressions artistiques ont abordé avec une grande créativité les vicissitudes traversées par des hommes et des femmes, de différents âges, confrontés à ces changements. Ils ont modifié par exemple les critères qui surestiment la virginité imposée aux jeunes filles comme condition au mariage, l’obligation du couple pour toute la vie, la responsabilité exclusive de l’homme comme soutien et chef de famille, la fidélité traditionnelle des femmes et l’infidélité des hommes, le rejet des relations interraciales, les mythes de la menstruation, la discrimination des mères et des femmes célibataires, les droits des femmes, la critique des personnes transgenres, des homosexuels et bisexuels, entre autres.

Où en est l’analyse du projet de loi proposant la légalisation de l’union entre homosexuels, la reconnaissance dans le nouveau Code de la famille de leurs droits patrimoniaux et personnels, et l’autorisation du changement d’identité pour les transsexuels ?

En ce moment, la proposition d’avant-projet de modification du Code de la Famille est soumise à l’examen de spécialistes du ministère de la Justice et de professionnels affiliés à l’Union nationale des juristes de Cuba.

Selon les déclarations de la ministre de la Justice à la presse nationale, la discussion du projet par le Parlement est incluse dans le plan législatif 2012. J’espère que la Conférence du Parti va permettre de définir clairement une politique de non discrimination pour orientation sexuelle ou identité de genre, et qu’elle permettra également de désarticuler les préjugés qui font obstacles à son approbation. L’objectif de ces propositions répond à la nécessité de reconnaître et de protéger en droit, chaque fois davantage, toute notre population.

Dans le but de faciliter le changement d’identité légale des personnes transsexuelles, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une intervention chirurgicale (comme c’est le cas actuellement), nous avons présenté, en 2008, à travers la Fédération des femmes cubaines, une proposition de Loi d’identité de genre au président de la Commission des Affaires constitutionnelles et juridiques de l’Assemblée du Pouvoir populaire. Nous n’avons pas encore d’information sur l’évolution de cette initiative législative. La proposition a un caractère inclusif pour toutes les personnes transsexuelles identifiées par une Commission spécialisée du ministère de la Santé publique, car toutes ne peuvent pas subir d’opération chirurgicale pour des raisons de santé ou par décision personnelle.

A propos de votre voyage aux Pays-Bas, vous avez écris dans votre compte twitter. « A Cuba, il existe une politique claire de prise en charge non seulement de la prostitution mais aussi de la sexualité transactionnelle, qui est invisible ». Pourriez-vous en dire plus ?

Concernant la question de la prostitution, je suis convaincue qu’on doit respecter l’autonomie sur leur corps de toutes les personnes, comme un droit. Cependant, le marché sexuel n’a pas disparu, et ceci du fait de la prédominance de formes d’organisation sociale basées sur les systèmes d’exploitation patriarcale et de classe entre les êtres humains. Certaines de ses expressions sont difficiles à visualiser parce que les gouvernements concentrent leurs efforts sur les formes les plus traditionnelles et les plus explicites, comme la prostitution et la traite des personnes. Ainsi, le sexe transactionnel qui concerne des femmes et des hommes qui obtiennent certains bénéfices - pas forcément financier - de la pratique du sexe. Cela a toujours existé, mais ce n’est que maintenant que l’on parle de ce phénomène car en Amérique latine il est très lié au tourisme sexuel qui a sa propre logique. A Cuba, depuis 1959, la Fédération des femmes cubaines (FMC) a dirigé la prise en charge des problèmes de prostitution comme forme d’exploitation, notamment concernant les femmes en situation défavorisée, non seulement à cause de leur condition de genre, mais aussi pour des raisons de race et de classe sociale. On sait qu’il y avait plus de 100 000 prostituées vivant dans des conditions d’humiliation très précaires. A travers des témoignages publics, elles ont pu exprimer de quelle manière la Révolution a changé leur vie, en leur permettant de jouer un rôle dans ce grand processus de libération qui a contribué à leur rendre leur dignité.

Le travail réalisé par la Révolution pour éradiquer la prostitution est un sujet de fierté nationale. Cependant, la crise qui a débuté en 1990 a favorisé sa réapparition, avec de nouvelles caractéristiques, notamment liées au développement du tourisme international et une présence importante de clients qui paient des services sexuels et encouragent ce marché. C’est pourquoi j’approuve l’expérience suédoise qui consiste à pénaliser le client, car elle a démontré son efficacité en contribuant à la diminution de l’exploitation sexuelle.

Combien d’opérations de changement de sexe ont-elles été réalisées jusqu’à ce jour à Cuba, et quels sont les critères de sélection ?

Quinze chirurgies de réattribution sexuelle ont été pratiquées, la première réalisée par des spécialistes cubains en 1988. Mais ce n’est qu’en 2007 que cette procédure a été reprise par le ministère de la Santé publique. Il existe une Commission nationale de prise en charge intégrale des personnes transsexuelles qui a reçu 175 demandes de la population trans depuis 1979, et qui sont analysées selon des critères internationalement reconnus. Dans la mesure où les medias vont informer sur l’existence de ces services, davantage de personnes qui vivent avec ce conflit et qui ignorent qu’elles peuvent recevoir de l’aide, devraient se faire connaître.

Jusqu’à présent, les personnes trans doivent être accompagnées par des spécialistes pendant une période de deux ans. En même temps, elles reçoivent un traitement hormonal personnalisé, le temps de la transition vers le genre avec lequel elles s’identifient. A la fin de ce processus, la Commission confirme les personnes éligibles, et qui sont aptes à la chirurgie de réattribution sexuelle (connue populairement comme « changement de sexe »), et pour le changement d’identité. Cette chirurgie n’a rien à voir avec un caprice esthétique : il s’agit d’une procédure scientifique qui fait l’objet d’un large consensus international, et qui démontre le bénéfice considérable pour le bien-être des personnes transsexuelles. L’opération chirurgicale permet d’apaiser la souffrance permanente que vivent ces personnes depuis leur plus tendre enfance, du fait des préjugés qui ont conduit à l’incompréhension et à la discrimination.

Que pensez-vous du financement de 300 000 dollars - confirmé par WikiLeaks - destiné par le gouvernement des États-Unis à la subversion du projet LGBTI à Cuba ?

En premier lieu, cette réaction explicite du gouvernement étasunien démontre que le travail réalisé à Cuba pour les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transsexuelles et intersex (LGBTI) le préoccupe, et l’occupe en temps et en ressources. Pour quelles raisons ? Parce que cela démontre la volonté politique du gouvernement cubain de faire face à l’homophobie et à la transphobie comme des formes de discrimination qui sont en contradiction avec le projet d’émancipation défendu par la Révolution cubaine.

Nos actions désarticulent les campagnes médiatiques rebattues qui tentent de discréditer la spiritualité du projet révolutionnaire, et cela met en évidence que les ressources du contribuable nord-américain sont utilisées à mentir, à diffamer, à diaboliser, et à détruire la Révolution, ainsi que ses dirigeants.

Ils ne cessent de privilégier quelques rares voix sans aucune légitimité, en les publiant dans les médias traditionnels, les blogs et les réseaux sociaux qui se consacrent à mener un travail grossier de désinformation à partir d’un scénario écrit à l’avance. On a désormais des preuves très claires - dont certaines ont été divulguées par WikiLeaks - que ces mercenaires reçoivent leurs ordres du Bureau des intérêts des États-Unis à La Havane.

Beaucoup de gens qui ont été témoins de faits concrets, et qui ensuite ont lu les nouvelles largement publiées, ont été scandalisés par la grossière manipulation de l’opinion publique internationale par des médias très influents, notamment CNN en espagnol, El Pais, Der Spiegel, Radio Nederland, entre autres.

A Cuba, des progrès en faveur de la promotion du respect de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, libre et responsable, ont été réalisés, bien qu’encore insuffisants. A votre avis, comment toucher le coeur de tous les Cubains et en finir, une fois pour toutes, avec l’homophobie dans notre pays ?

Les premiers pas ont été réalisés par la Fédération des femmes cubaines, avec la création du Groupe national de travail d’Éducation sexuelle en 1972, précurseur du CENESEX. La FMC s’est également occupée de favoriser un débat public sur ces questions. La publication du livre L’homme et la femme dans l’intimité (Sigfred Schnabel,1979), où une voix scientifique expliquait pour la première fois à Cuba que l’homosexualité n’était pas une maladie, a eu un impact considérable. Beaucoup de personnes homosexuelles m’ont expliqué la portée de ces messages, face au poids de la stigmatisation imposée par la société. En 2007, après avoir évalué que les actions réalisées étaient insuffisantes, nous avons adhéré à l’initiative du militant français Georges Tin de célébrer la Journée internationale contre l’homophobie, tous les 17 mai. En effet, c’est à cette date, en 1990, que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a éliminé l’homosexualité de son manuel de classification des maladies mentales. A partir de cette expérience, en 2008, nous avons mis en place une stratégie éducative avec le soutien des médias, pour promouvoir le respect de la libre et responsable orientation sexuelle et de l’identité de genre. Ces actions ont été soutenues par de nombreuses institutions de l’État et des organisations de la société civile, avec l’appui du Département idéologique du Comité central du Parti communiste, et elles ont contribué à articuler un mouvement LBGTIH, avec la particularité d’inclure des personnes hétérosexuelles qui participent activement à cette cause.

Pourquoi avoir choisi une stratégie d’éducation et de communication ?

Parce qu’il s’agit d’un processus profond de transformation culturelle, d’apporter des éléments d’analyse pour en finir avec les préjugés qui se sont établis historiquement pour dominer les personnes, leur sexualité et leur corps. Le changement de la conscience sociale est très complexe et demande beaucoup de temps. Cependant, il faut une volonté politique pour faciliter le changement. Autrement, nous serions obligés de reproduire les formes de penser des sociétés d’exploitation qui nous ont précédés.

Qu’y a-t-il de Vilma Espin [sa mère - NdR] dans Mariela ?

L’opposition permanente à toutes les expressions d’injustice sociale. L’engagement avec le processus révolutionnaire qui s’est mis en place depuis les premières initiatives pour l’émancipation de notre peuple, qui se sont concrétisées dans les luttes pour l’indépendance définitive de la nation cubaine. La sincérité, le non-conformisme, l’humilité, et la persévérance.

Aday del Sol Reyes, spécial pour CubaSi

http://www.granma.cu/frances/cuba-f/25enero-Mariela%20Castro.html

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