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Qatar : L’Hyperpuissance…

« La chétive Pécore s’enfla si bien qu’elle creva » - La Fontaine (1)

Un confetti

Qatar…

Excroissance côtière du Golfe Persique, péninsule de 160 km de longueur face à l’île de Bahreïn, confetti géographique frontalier de l’Arabie saoudite, couvrant 11.437 km2. Superficie, à 10% près, similaire à celle du département français de la Gironde.

En population, l’équivalent d’un autre département celui des Vosges : 400.000 habitants ou nationaux. Car le chiffre de sa population globale, approchant les 2 millions (2), est composé pour les 4/5° de "non nationaux", travailleurs immigrés venant d’Inde, du Pakistan, du Bengladesh, des Philippines, du Sri Lanka, et d’autres pays arabes. L’essentiel des postes de direction du pays étant monopolisés par des expatriés, essentiellement, anglo-saxons.

Habile à s’entourer des meilleurs spécialistes en communication et en image, le Qatar est mondialement courtisé pour ses largesses. Inondant à profusion médias, milieux académiques, sportifs et artistiques. Achetant des clubs sportifs comme des petits pains, même des bateaux de courses avec leur équipage (3). Accueillant les Jeux Asiatiques en 2006, promoteur de nombreux évènements sportifs généreusement dotés : moto, tennis, tennis de table, golf, cyclisme, etc.

Tant et si bien que le Qatar sera, en 2015, l’hôte de la coupe du monde de handball. Jusqu’à la FIFA, renommée pour sa "rigueur éthique", qui l’a choisi comme organisateur de la coupe du monde de football, en 2022 !...

Son meilleur "coup de pub", celui qui a fait connaître ce pays, a été la création de la chaîne télévisée à diffusion internationale Al-Jazeera, en 1996. Avec, au démarrage, une excellente équipe de BBC Arabic Television qui venait d’être licenciée pour ne pas respecter la ligne éditoriale exigée par le gouvernement britannique. Emettant à partir de 1998 en continu, en arabe puis aussi en anglais, elle était célèbre pour sa liberté de ton par rapport aux autres télévisions de la région. Seul bémol, évidemment : éviter de parler de la politique intérieure et extérieure du Qatar.

Dans un surprenant revirement la fragile indépendance d’Al-Jazeera a, toutefois, fondu comme neige au soleil lors du « Printemps Arabe ». Ses meilleurs éléments l’ont quittée devant l’obligation de s’aligner scrupuleusement sur la propagande de l’Empire, imposant la diabolisation de ses futures proies au Moyen-Orient.

A présent, rabaissée au niveau des autres chaînes arabes, notamment saoudiennes, spécialisées dans la glorification des tyrans locaux adoubés par l’Occident et la désinformation, allant jusqu’à des mises en scène en studio et des faux témoignages interprétés par acteurs et figurants. (4)

Ce Micro-Etat, par ses postures et mises en scène médiatiques, se revendique à présent en ’hyperpuissance’, financière et militaire. Lors de la récente opération de ’démocratisation’ en Lybie, nos journalistes ne cessaient de s’extasier devant son impressionnante présence armée, éclipsant pratiquement les corps expéditionnaires coloniaux de la Grande-Bretagne et de la France : forces aériennes, forces spéciales, instructeurs, aviation de transport ravitaillant les rebelles en armes et munitions, etc.

Nous savons que les soldats du Vatican ont, par tradition, la nationalité suisse. Mais, quelles étaient, quelles sont, les authentiques nationalités des hyperactifs porteurs d’uniforme qatari ?... Question que journaliste et « expert » du Moyen-Orient ne doivent surtout jamais formuler…

Le chef de cet "Etat" est un émir : Hamad bin Khalifa Al-Thani. Son "gouvernement" est dirigé par un premier ministre, Hamad bin Jassim Al-Thani. Oui, tout se passe en famille. Cette autocratie ubuesque est, en effet, un clan familial gérant le pays comme s’il s’agissait de sa ferme, ou de son patrimoine personnel. Ce qui n’empêche pas, comme dans toute féodalité, des règlements de compte réguliers entre pères et fils, frères et cousins…

D’après le classement et les estimations du magazine américain Forbes, publié en juillet 2010, la fortune personnelle de l’émir était estimée à 2,4 milliards de dollars. Possédant un des yachts privés les plus grands du monde (Al-Mirqab, 133 mètres…), résidences somptueuses et chapelet de palaces sur les principales places financières de la planète (5). Ce montant est évidemment à multiplier, au minimum par dix, du fait des insondables astuces et artifices comptables, mettant en jeu la nébuleuse des ascendants, descendants, collatéraux, fondations, holdings, cascades de sociétés-écrans et paradis fiscaux.

Aucune élection (6). Aucun parti politique. Aucun syndicat. Aucune presse indépendante. Aucun opposant. Aucun dissident. A l’exemple des autres pétromonarchies du Golfe Persique.

L’incarnation du rêve ploutocratique…

Bizarre.

D’ordinaire en proie aux plus ravageuses hystéries « droits-de-l’hommiste », nos vestales médiatiques et politiciennes, gardiennes des "valeurs républicaines", se révèlent étrangement silencieuses devant ce déni des libertés élémentaires, fondement de la dignité de tout citoyen. (7) Jamais ne sera évoqué le commencement d’une allusion à l’impérieuse et urgente nécessité d’un « changement de régime » !

Tétanisées, probablement, par la vision féérique de cette caverne d’Ali Baba. Croulant sous les excédents financiers à ne pas savoir qu’en faire, d’autant plus qu’il lui est interdit par son suzerain de les réinvestir dans les pays de la région non producteurs d’hydrocarbures, le Qatar peut tout acheter.

Avec autant d’efficacité, de rapidité, de récurrence, que luxe, faste, caprices, armes et mercenaires, starlettes et sportifs, l’argent n’achète-t-il pas les consciences ?...

Sur une bombonne de gaz

Richissime producteur de pétrole mais, avant tout, troisième producteur mondial de gaz naturel après la Russie et l’Iran, le Qatar est, actuellement, le premier exportateur de gaz liquéfié. Le hasard de son positionnement géographique dans le Golfe Persique octroie au Qatar, sous ses eaux territoriales, une des plus grandes réserves de gaz de la planète : le fameux gisementNorth Dome Field (6000 km2), mitoyen du South Pars (3700 km2) relevant des eaux territoriales de l’Iran.

Curieux destin que cette entité lilliputienne. Pendant des siècles, noyée dans les immenses territoires de la Perse. Stérile, désertique, seuls subsistant de petits villages côtiers vivant de la pêche, du commerce ou, suivant les saisons, de la contrebande et de la piraterie. La seule importance que lui ont trouvée les Portugais, lors de leurs explorations et implantations de comptoirs au XVI° siècle, était son eau potable. Vitale pour les équipages de leurs voiliers. Expliquant leur présence pendant une vingtaine d’années, de 1517 à 1538. Avant d’en être chassés par l’expansion de l’Empire Ottoman.

Profitant de son affaiblissement, au XIX° siècle, les britanniques ont imposé leur protectorat sur la région. Organisant la sécession du Qatar, rattaché alors à Bahreïn, en 1867 en application du dogme de la prédation coloniale : ’diviser pour régner’. Créant un émirat, bombardant comme premier « émir » le plus riche commerçant du coin avec qui ils étaient en affaires, un certain : Al-Thani…

Renforçant leur emprise dès la chute de l’Empire Ottoman à la suite de la première guerre mondiale et, surtout, devant la découverte des hydrocarbures. L’indépendance du Qatar en 1971 n’étant qu’une couverture pour un protectorat de l’Empire administré, de fait, par les compagnies pétrolières anglo-saxonnes. C’est le Qatar qui servit de Quartier Général des forces US lors de l’invasion et la destruction de l’Irak. Elles y détiennent une de leurs plus grandes bases aériennes hors de leur territoire : Al-Eideïd.

La France n’est pas en reste. Nos gouvernements, tous partis confondus, ne savent que faire pour complaire à ces despotes. Ouvrant une base navale, accordant, entre autres faveurs, des privilèges fiscaux inimaginables.

Rappelons quelques termes de la Convention fiscale du 4 décembre 1990 avec le Qatar (8), sous couvert d’éviter les doubles impositions, notamment (9) :

=> art. 9.1. Les revenus de créances provenant d’un Etat et payés à un résident de l’autre Etat ne sont imposables que dans cet autre Etat.

=> art.10.1. Les redevances provenant d’un Etat et payées à un résident de l’autre Etat ne sont imposables que dans cet autre Etat.

=> art. 19.2. Les personnes physiques qui sont des résidents du Qatar et qui disposent d’une ou plusieurs habitations pour leur usage privé en France sans y avoir leur domicile fiscal au sens de la législation française sont exonérées de l’impôt sur le revenu établi sur la base de la valeur locative de cette ou de ces habitations.

L’avenant du 14 janvier 2008, entré en vigueur le 23 avril 2009, est encore plus croustillant. Extraits :

=> art. 3.1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un Etat à un résident de l’autre Etat ne sont imposables que dans cet autre Etat si la personne qui reçoit ces dividendes en est le bénéficiaire effectif.

=> art. 3.5. Lorsqu’une société qui est un résident d’un Etat tire des bénéfices ou des revenus de l’autre Etat, cet autre Etat ne peut percevoir aucun impôt sur les dividendes payés par la société […]

=> art. 3.6. Une société qui est un résident de l’Etat du Qatar et qui est imposable en France selon les dispositions des articles 5, 6 ou 11 n’est pas passible en France de la retenue à la source sur les revenus réputés distribués […]

Véritable légalisation de « l’évasion fiscale », permettant à nos gouvernants de se lamenter sur le « vide » des caisses de la France…

L’Occident protège, encourage ces pétromonarchies, ploutocraties baignant dans la gabegie et l’irresponsabilité, aussi indécentes que stupides. Se croyant tout permis devant une telle complaisance, elles se permettent depuis peu de donner des leçons de « démocratie » et de « droits de l’homme » à certains de leurs voisins. Le Qatar se distinguant, tout particulièrement, dans ce nouveau jeu de rôle en décuplant déclarations fracassantes, agitations diplomatiques, organisations de sommets.

D’abord, pour participer à la destruction de la Lybie afin de libérer le pays d’une "infâme dictature". Ensuite, ne cessant de fustiger le gouvernement syrien, d’y attiser la guerre civile, sommant son chef d’Etat de quitter immédiatement ses fonctions. Dernièrement, souhaitant que des troupes envahissent la Syrie. Rêvant, peut-être ou sûrement, de doubler, tripler son pactole, en bénéficiant de l’embargo imposé par l’Empire sur le pétrole et le gaz iraniens, dans la multiplication des contrats de substitution…

Alors que depuis de nombreux mois, l’île de Bahreïn au large de ses côtes est à feu et à sang. Le peuple ne veut plus endurer la tyrannie de leur émir Al-Khalifa et de sa famille. L’atroce répression de cette courageuse révolte populaire sur fond de fusillades, tortures, enlèvements, disparitions, s’effectue par des troupes saoudiennes et des mercenaires. Toute la région côtière saoudienne du Golfe Persique notamment à Qatif est, elle aussi, en révolte contre la tyrannie des Saoud.

Mais, solidarité ’pétromonarchique’ oblige : le Qatar se tait. Aussi hermétiquement que notre propagande médiatique.

Jusqu’à quand pareille imposture ? Question de temps, de hasard ou de nécessité…

Comme les autres aberrations territoriales héritées de la colonisation occidentale dans la région, cette satrapie impériale de carton-pâte sera balayée par les vents de l’Histoire.

Ou, telle la grenouille de la fable de La Fontaine explosant dans son fantasme bovin, emportée par le souffle des prochains champignons atomiques que nous promettent les fous de guerre qui nous gouvernent…

Georges STANECHY

(1) Fable : La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf

(2) Chiffre officiel de la population, nationaux et non nationaux, pour 2010 : 1 696 563 habitants.

(3) La navigatrice britannique Tracy Edwards a empoché 55 millions d’euros, en 2005, pour enregistrer son bateau dans ce pays et le baptiser "Qatar" .

(4) A titre d’exemple, voir le document Wikistrike du 14 décembre 2011 : Al-Jazeera pris en flagrant délit de faux reportages !, http://www.wikistrike.com/article-al-jazeera-pris-en-flagrant-delit-de-faux-reportages-92420183.html

(5) Parmi ses actifs en France : Le Royal Monceau et la résidence Lambert (hôtel particulier) à Paris, ou encore une luxueuse propriété à Mougins. Propriétaire du Manhattan Palace à New-York, etc.

(6) Pour la forme ou le folklore, mentionnons des « élections » de conseils communaux sur des listes soigneusement filtrées par le pouvoir, depuis 1999. Et, celle d’un « conseil consultatif », faisant office de « parlement » de 45 membres, dont 15 sont nommés directement par l’émir. Tout cela à titre « consultatif » et, bien entendu, sans parti politique, ni critique autorisée de la gestion du pays sur le mode de la "cassette personnelle" ou, encore moins, de la « politique étrangère » du clan Al-Thani.

(7) Pour le "fun" , souvenons-nous des attaques d’apoplexie de Daniel Cohn-Bendit hurlant sa rage antichinoise au parlement européen la veille des Jeux Olympiques de Pékin. Ou, encore sur le même thème, les séances d’incantation antichinoise organisées par la célèbre ONG : Reporters Sans Frontières. Affublés de leurs T-shirts de boycott des Jeux…

(8) Convention du 4 décembre 1990, signée par Cheikh Mohamed Bin Khalifa Al-Thani, Secrétaire d’Etat aux finances et au pétrole, et Michel Charasse, Ministre délégué chargé du budget

(9) Textes téléchargeables : Convention signée à Paris le 4 décembre 1990

(http://www.impots.gouv.fr/portal/deploiement/p1/fichedescriptive_2100/fichedescriptive_2100.pdf), et, Avenant à la Convention avec le Qatar du 14/01/2008 - en vigueur au 23/04/2009 (http://www.toutsurlesimpots.com/convention-fiscale-france-qatar.html)


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La Chine sans œillères
Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, (…)
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Partout où le hasard semble jouer à la surface, il est toujours sous l’empire de lois internes cachées, et il ne s’agit que de les découvrir.

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