"Par ordre de notre Ordre, nous vous faisons chevalier d’Eulogie". L’homme déguisé en Don Quichotte frappa avec force l’épaule gauche de l’initié avec l’épée de cérémonie, mettant fin à un rite qui transformerait pour toujours et
de façon insoupçonnée la vie de ce jeune homme. Cela se passait en 1967 et ce jeune homme qui avait l’air de ne pas trop savoir ce que serait son avenir avait accompli ce que son père et son grand-père firent également du temps de leur jeunesse : entrer dans la mystérieuse secte Skull and Bones, la société secrète qui règne sur l’université de Yale et qui fréquemment gouverne aussi le monde. Le jeune homme était George W. Bush, président des Etats-Unis et fier "bonesman", comme s’appellent eux-mêmes les membres de ce groupe élitiste.
Personne ne se doutait il y a quelques mois que le candidat démocrate aux élections présidentielles du deux novembre prochain serait John F. Kerry. Tout le monde pariait sur Howard Dean comme challenger de Bush. Ce que l’on soupçonnait encore moins, c’est que la lutte pour le gouvernement le plus puissant du monde se livrerait entre deux "bonesmen".
Car tout comme George W. Bush (promotion de Yale de 1968), John F. Kerry (promotion de 1966) appartient à la secte. Ils ont tous deux le rang de "patriarche", attribué à vie aux membres à la fin de leurs études. L’appartenance de Bush à ce clan a été occulté par ses coreligionnaires, mais
une investigation journalistique a mis à jour les secrets de cette secte, ce qui n’a pas beaucoup plu à l’administration. Une journaliste du New Yorker, Alexandra Robbins, a publié en septembre 2003 le livre "Secrets de la tombe", dans lequel elle révèle les mystères de cette secte fondée en 1832 à l’image des sociétés secrètes universitaires allemandes qui proliféraient à cette époque là en Allemagne. Ce qui surprend, ce n’est pas tellement les étranges rituels de la secte, mais ses membres. Seule l’élite de l’élite fait partie de cette confrérie dont la finalité, selon Robbins, est de "placer les bonesmen à des postes de prestige et de pouvoir". Selon la journaliste, depuis le premier emploi obtenu par George W. Bush à la sortie de l’université jusqu’à son arrivée à la Maison
Blanche, en passant par la direction du club de base ball des Texas Rangers, la secte a été présente pour l’aider et se servir de lui.
Tout d’abord, il s’est entouré d’éminents "patriarches" : le sous-secrétaire d’état John Bolton, l’actuel "vice-roi" d’Irak Paul Bremer, l’ex-directeur de la CIA James Wollsey -fervent néoconservateur-, ou le secrétaire de la commission
du marché des valeurs Bill Donaldson, sont des "bonesmen". Pour Robbins, cela montre que le président ne fait rien d’autre qu’appliquer le programme que Skull and Bones prévoit pour ses membres, à savoir s’entraider pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir. Dans l’Histoire, il y a eu d’autres "bonesmen" à des postes privilégiés. Le propre père de George W. a été bonesman ainsi que le 27ème président, William Howard Taft.
On les retrouve aussi dans les médias : Henry Luce, fondateur de l’empire Time, fut membre de la secte. Selon Robbins, il y a même eu d’éminents "bonesmen" dans les services secrets, la diplomatie, le tribunal suprême et d’autres instances de pouvoir.
Secret sexuel.
Certains diront qu’il s’agit d’une coïncidence et que de grandes personnalités publiques sont membres des confréries des universités les plus prestigieuses, mais dans le cas de Skull and Bones, les statistiques infirment cette assertion. Chaque année, la secte n’accueille que 15 nouveaux membres selon le rituel décrit au début de cet article, ce qui porte à environ 800 le nombre de ses
membres vivants. C’est pourquoi il est singulier qu’en novembre, deux membres de cette institution si fermée et opaque se disputent la présidence des Etats-Unis.
Robbins déclare qu’il "n’est pas bon pour la démocratie que le président ait des liens avec un groupe obscurantiste". Et elle remarque : "Je ne crois pas que ce soit une coïncidence si l’administration la plus hermétique depuis celle de Nixon soit sous le commandement d’un membre de la société occulte la plus infâme du monde". Lorsqu’ils seront face à face dans les débats télévisés, Bush et Kerry penseront probablement qu’ils pourraient saborder facilement la carrière de leur adversaire en révélant ses frasques de jeunesse. Mais ils ne le feront pas. Le secret est la base de Skull and Bones et le moyen de garantir la loyauté entre ses membres.
Pour s’assurer le pacte du silence, à leur entrée dans la secte, les nouveaux membres doivent se coucher nus dans un cercueil et raconter toute leur vie sexuelle à leurs confrères qui écoutent attentivement assis autour du sarcophage. Robbin raconte dans son livre que ces actes durent une à trois heures ; le temps suffisant pour se remémorer et raconter tous les détails de leur vie en dessous de la ceinture. Il est également fréquent qu’ils combattent nus lors d’interminables sessions de lutte libre. Ils prêtent serment sur des crânes humains, que vénèrent tout particulièrement les chefs de la secte. Ceux-ci encouragent leurs membres à dérober d’autres crânes susceptibles d’être gardées dans la "tombe", nom sous lequel est connu le souterrain ultra-secret qui sert de siège à Skull and Bones. La confrérie et son influence dans la vie quotidienne obsède tellement ses membres que beaucoup d’entre eux utilisent le nombre magique de la secte, le 322, comme code pour leur carte de crédit ou le
pin de leurs téléphones portables. C’est le cas de John F. Kerry, d’après son ex beau frère, David Thorne, un autre bonesman. Le nombre 322 n’est autre que l’année au cours de laquelle la déesse Eulogie monta au ciel, selon les membres
de la secte. Elle n’en redescendit qu’en 1832, date de création de Skull and Bones.
D’après la légende universitaire recueillie par Robbins, c’est le grand-père de l’actuel président des Etats-Unis, Prescott Bush, qui déroba le crâne du chef indien Jéronimo, sur lequel des dizaines de "bonesmen" jurèrent de garder le
silence. Parmi les "reliques" dérobées se trouveraient également les crânes de Pancho Villa et du 8ème président des Etats-Unis, Martin Van Buren.
Ces actes aident à maintenir une relation de fidélité que d’aucuns comparent à ceux de la mafia. Ron Rosenbaum, éditorialiste du New York Observer et ex étudiant de Yale obsédé par la secte -il admet lui même que c’est parce qu’on ne lui proposa jamais d’en être membre-, considère que "Skull and Bones" a été plus chanceuse que la mafia en ce sens où les capos des cinq familles sont en train
de purger cent ans de prison alors que les dirigeants des familles de Skull and Bones en sont déjà à 48 ans de Maison Blanche". Une chose est sûre en ce qui concerne les prochaines élections : Skull and Bones s’assure encore quatre années de présence au centre du pouvoir mondial.