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Triomphe sans gloire (RIA Novosti)

Comme je l’expliquais dans ma précédente chronique, la nouveauté des élections législatives du 4 décembre résidait dans la mobilisation exceptionnelle des citoyens, [1] bien décidés à voter et à défendre leur choix. Le premier point s’est produit, le taux de participation ayant frôlé 60%. C’est la deuxième partie de leurs aspirations qui a posé problème.

Des violations électorales ont eu lieu, c’est un fait. Elles ont été relevées par les observateurs internationaux, qui mentionnent de "sérieuses indications de bourrage des urnes", mais aussi et surtout par les citoyens russes équipés de Smartphones qui ont filmé et pris sur le fait les contrevenants. Les images ont fait le tour de la Toile dès le lendemain, provoquant une vague d’indignation. Une situation vécue comme une insulte par bon nombre d’électeurs.

La société civile s’était préparée à des infractions en amont du scrutin. Des sites internet fournissant une carte interactive des fraudes avaient été créés, avant d’être mis hors service par des attaques informatiques le jour J. Avant même le vote, des irrégularités liées aux listes électorales et aux certificats de transfert (papier permettant de voter hors de son bureau de vote habituel) avaient été relevées.

L’existence de ces fraudes a généré une simple question chez de nombreux Russes : à quoi bon ? Pourquoi un parti assuré de gagner les élections, soutenu par l’ensemble de la machine étatique, aurait-il besoin de ces violations ? De mes nombreuses conversations tenues cette semaine, il ressort que la population n’aurait pas contesté la victoire de Russie unie si celle-ci était intervenue de façon honnête. Cependant, les fraudes ont détruit la foi de nombreux électeurs dans le respect de leur décision, et leur confiance dans le pouvoir.

Le score du parti au pouvoir aurait dans tous les cas été élevé : inutile de nier que sa base électorale reste importante, malgré la perte de 13 millions d’électeurs depuis les législatives de 2007. Pourtant, le soupçon s’est installé, et il est difficile de savoir quel eût été le résultat de Russie unie sans la composante liée aux fraudes. L’existence même de ces violations trahit en outre la nervosité du parti.

Imaginons que Russie unie, qui assure vouloir libéraliser à terme le système politique, soit "tombé" à 40 ou 45% ; cela aurait-il été si terrible ? Certes, la perte de la majorité absolue aurait forcé ce parti à tenir compte des griefs de l’opposition, à changer sa façon de faire de la politique. Il aurait fallu négocier, perdre certaines batailles. Mais le parti aurait gagné en légitimité ce qu’il cédait en "puissance de feu" politique.

Reste à savoir si Russie unie a intérêt à maintenir une emprise absolue sur la vie politique. Au cours de la décennie 1990 et au début des années 2000, l’impératif de stabilité a présidé de façon légitime aux destinées du pays. Une confrontation politique trop violente menaçait de plonger la jeune Russie dans un chaos extrême : que l’on songe aux affres dans lesquelles a sombré l’Ukraine voisine, à ces joutes de pouvoir sans fin entre les "orange" et les autres, puis au sein même du camp "orange". A ce titre, un pouvoir fort a permis à la Russie de réussir sa consolidation nationale.

Mais les temps changent. Vingt ans jour pour jour après la chute de l’URSS, une nouvelle génération est en train d’arriver à maturité politique. Aux antipodes des personnes ayant vécu sous le communisme, souvent politiquement apathiques, les jeunes nés après la chute du Mur et les trentenaires exigent de peser sur le processus politique. Cette génération qui voyage (pas seulement en occident), ouverte au monde et férue d’internet, ne se satisfait plus de l’impératif de "stabilité". Elle rejette l’immobilisme et veut prendre des risques, quitte à se brûler. Seul un déverrouillage progressif du système politique semble en mesure de désamorcer sa frustration : un déverrouillage sincère, qui ne serait pas destiné à complaire à l’occident, mais à refléter les tendances de fond d’une société russe changeante.

La crispation de Russie unie sur le pouvoir n’est pas nouvelle. Le président russe a à plusieurs reprises reconnu la nécessité de donner un champ d’action à l’opposition, mais les promesses sont toujours restées lettre morte. Que l’on songe à l’hypothétique mise en place d’un bipartisme russe, dont les différentes tentatives ont à chaque fois été tuées dans l’oeuf. Le refus d’enregistrer les partis et candidats gênants avant les élections relève de la même logique, en partie dictée par la crainte d’une ingérence étrangère via les forces politiques de Russie.

Mais en réalité, les événements actuels sont éminemment russes. Tout d’abord parce que les électeurs n’ont pas soutenu les partis ouvertement tournés vers l’occident, qui ne manqueront pas de chercher à récupérer une contestation très hétérogène et contestataire. Ensuite car les fraudes ont été le révélateur de tensions anciennes caractéristiques de ce pays.

Il y a longtemps que je décris dans mes articles le ras-le bol de différentes couches de population. Ras-le-bol de nombreux jeunes, découragés par l’absence d’ascenseurs sociaux, les examens obtenus contre une bouteille de cognac et les bakchich pour ne pas faire le service militaire. Ras-le-bol affiché par les militaires, irrités par les promesses non tenues. Le ras-le-bol silencieux des personnes âgées, qui étaient déjà descendues dans la rue début 2005, mais dont la situation ne s’est pas radicalement améliorée. Le tout enrobé d’une corruption qui sape la confiance de la population envers le pouvoir.

Disparates, ces revendications n’ont pas de leader ; elles ont cependant un bouc-émissaire tout trouvé. Une réponse de type "biélorusse" au problème, fondée sur les arrestations et les répressions, ne ferait qu’approfondir le fossé qui sépare les Russes et leurs dirigeants.

Hugo Natowicz - (RIA Novosti)

Le 09 décembre 2011.

Note :

[1] Certains ne manqueront pas de sourire de ce satisfecit concernant la participation au scrutin, considérant les nombreuses allégations de vote des « absents », grabataires et autres handicapés mentaux qui auraient été contraints de voter, à en croire par exemple ce qui est indiqué sur les sites des deux grands partis de l’opposition russe de gauche, le KPRF et Russie Juste.

NB : On notera que RIA Novosti est un média officiel russe contrôlé par le Kremlin, cet article provient toutefois d’une rubrique « Expression », supposée indépendante de la ligne éditoriale.

Source : Triomphe sans gloire

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