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Zone Rouge

Il y a deux jours, je me trouvais sur un marché, au centre de Bamako en compagnie d’un camarade du parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance) également responsable du réseau de radios libres «  réseau Kayira ». Il souhaitait acheter une paire de chaussures.. Alors qu’il s’arrête pour négocier le prix d’une paire de chaussure avec un commerçant, je m’arrête en face d’une échoppe à quelques pas. Sur le fronton de celle-ci, je peux voir et lire des affichettes à l’effigie de Mouammar Kadhafi. Très certainement des affichettes collées au passage d’un manifestation de protestation contre l’intervention en Libye. Un portrait du Colonel occupe la moitié supérieure du papier, en dessous du portrait, est écrit : «  soutenons le guide de la révolution Kadhafi ». Le marchand qui vend des pièces de tissu est occupé avec un client et je m’adresse tout d’abord, aux quelques personnes assisses devant et à côté de l’échoppe pour leur demander qu’ils m’autorisent à faire une photo. Deux gamins, s’adressent tout d’abord à moi sur le registre du racket à touriste et réclament de l’argent alors que la question ne les concerne nullement. Comportement de gamins sans suite ni intérêt. Alors que Madou s’approche pour me rejoindre, le commerçant de la boutique voisine du commerçant de tissu m’interpelle pour me faire savoir que le marchand en a fini avec son client et que je peux m’adresser à lui directement pour savoir si oui ou si non je peux réaliser cette photo. Après avoir hésité un instant, le marchand me répond qu’il ne souhaite pas que je prenne cette photo.

Sans la moindre agressivité, il me répond : non. Tu es blanc et en plus, tu es français. Sarkozy a assassiné le Colonel Kadhafi. Pour moi comme pour la majorité du peuple Malien et de l’Afrique, il n’était pas un dictateur et il était l’un des rares à oser dire «  non » à la France et aux Grandes puissances. Je ne peux pas accepter la recolonisation de l’Afrique par la France de Sarkozy. Tous les blancs ont soutenu Sarkozy, son intervention en Côte-d’Ivoire et la guerre en Libye et ils ont tous applaudi à son assassinat. Voilà pourquoi, je ne souhaite pas que tu prennes cette photo. Car pour moi cela signifie que tu glorifies cette victoire du colonialisme et cette photo serait un trophée.

Madou intervenant dans notre conversation explique brièvement les raisons ma présence au Mali. Encore une fois les références à radio Kayira et au parti SADI font miracle et Madou retourne la situation en expliquant aux quelques personnes qui s’intéressent à notre débat la position du parti et qu’on ne peut répondre avec une vision manichéenne blanc/noir. Ce serait conforter Sarkozy et les puissances occidentales dans leur stratégie d’intervention sur le Continent. Finalement, je reçois l’accord du commerçant pour faire la photo et nous nous quittons bons amis, moi reconnaissant que son analyse d’un point de vue africain est juste et lui reconnaisant qu’il ne fallait pas simplifier les sources de conflit entre blanc et noir. Il s’appelle par ailleurs Traoré c’est également le nom qui m’a été attribué par l’équipe de radio Kayira et nous nous quittons après une poignée de main amicale.

Cet épisode est très représentatif de l’opinion des africains et des Maliens notamment. J’ai bien souvent entendu ce point de vue de la part de Maliens que j’ai rencontrés qu’ils soient politisés ou non. L’intervention du tribunal de La Haye, n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu.

En France et, plus généralement dans l’ensemble des pays européens, il n’a été fait état que des sujets de conflits entre ces pays et le dirigeant Libyen, sans que, à aucun moment il n’ai été tenu compte du point de vue des peuples africains. Ces derniers n’ont que faire des griefs des occidentaux à l’égard du colonel Kadhafi. Ce qu’ils retiennent, c’est que personne en Libye ne mourait de fin, que les soins étaient gratuits ainsi que l’enseignement. Aucun de ces dirigeants des régimes pétroliers n’a voulu investir le moindre dollar pour aider les pays africains à sortir de la famine, du surendettement et acquérir une réelle indépendance à l’égard des nations impérialistes. C’est pour ces raisons parmi bien d’autres que les peuples africains ont été bouleversés par l’assassinat du leader Libyen.

Au cours de ce conflit, les dirigeants africains qui ont tenté une médiation pour une résolution pacifique du conflit ont été traités comme des moins que rien dont l’opinion était sans valeur. Très tôt, le colonel Kadhafi avait acepté toutes les conditions posées par le CNT. Alors que dans le même temps, le Qatar envoyait 5 000 hommes en Libye et que les services spéciaux français et britannique opéraient depuis la frontière du Niger.

Que ce soit par l’intervention des troupes franco-onusiennes en Côte-d’Ivoire, l’intervention des forces occidentales en Libye ou par le biais d’élections plus truquées les unes que les autres, la politique de la France et de ses associés est considérée comme la recolonisation du Continent. Le fossé entre classe politique dirigeante inféodée aux intérêts occidentaux et population est de plus en plus considérable et se révèle de plus en plus clairement dans son rapport de classes.

Alors oui, le président Sarkozy peut déclarer zone rouge les Etats subsahariens mais en réponse ce sont les peuples d’Afrique qui déclareront zone rouge aux intérêts occidentaux tout le Continent, d’Alger au Cap.

Pierre Banzet
Correspondant du réseau Kayira
Bamako, 4 décembre 2011

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