Le « Livre rouge » ou « constitution secrète » est un document qui détermine les relations stratégiques internationales de la Turquie et les défis auxquels elle est confrontée, qui est révisé tous les cinq ans.
En 2010, le Conseil de Sécurité Nationale (MGK - Milli Güvenlik Kurulu), à savoir le Président, le Premier ministre et la direction de l’armée, en ont ratifié le document amendé, et les modifications apportées à ce dernier ont été jugées comme représentant une transformation stratégique dans la politique d’Ankara. Le plus important parmi ces amendements a été l’accent mis sur le fait que « l’instabilité de la région provient des actions israéliennes et de la politique [de Tel-Aviv], qui pourrait conduire à une course aux armements au Moyen-Orient. »
La « constitution secrète » a également enlevé la Syrie, l’Iran, la Grèce (partiellement), la Bulgarie, l’Arménie et la Géorgie dans la liste des pays qui constituent une menace pour la Turquie. Ces pays avaient été, avant les amendements, considérés comme représentant la plus grande menace envers Ankara, en particulier l’Iran avec son gouvernement islamiste et ses efforts [NdT : prétendus] afin d’obtenir des armes nucléaires.
En ce qui concerne les menaces domestiques, le terme « danger de réaction religieuse » a été remplacé par « groupes radicaux exploitant la religion (...) en employant des méthodes violentes (...) visant à des activités (...) destructrices ».
Cette transformation de la « constitution secrète » avait été le point de départ pour de nouvelles relations au Moyen-Orient. Tout le monde pensait que le Parti Justice et Développement (AKP - Adalet ve Kalkinma Partisi) avait été capable d’imposer son pouvoir à l’institution militaire, et avait commencé à appliquer sa politique « zéro problème », telle que conçue par l’AKP et son théoricien du gouvernement Ahmet Davutoglu. Cela signifiait qu’Ankara aurait commencé à pencher vers l’axe syro-iranien et se serait détourné d’Israël et de l’Occident. En effet, les déclarations enthousiastes d’Erdogan contre l’Etat hébreu sont bien connues, comme le sont ses louanges de l’histoire commune qui réunit les peuples du Moyen-Orient, en particulier en Syrie et en Iran, et ses visites répétées à Téhéran et à Damas. Que lui est-il arrivé ensuite pour se retourner contre la « constitution » rédigée par son propre parti ?
Le fait est que l’exclusion du danger de la « réaction religieuse » du Livre Rouge représentait une réconciliation « historique » entre l’institution d’Atatürk et les islamistes, qu’Erdogan et son parti représentent - un rapprochement dans lequel les Etats-Unis et l’OTAN ont joué un grand rôle. En effet, personne ne voulait croire que l’armée turque allait soudainement devenir démocratique et aurait cédé le contrôle de ses affaires aux islamistes sans coordination avec Washington, qui avait précédé Ankara en forgeant de bonnes relations avec elle, car ils partagent avec l’armée son inimitié envers les mouvements de gauche et nationalistes, ainsi que le « radicalisme religieux extrémiste », comme indiqué dans les amendements.
Les changements dans la politique turque, à partir de celle de « zéro problème" pour revenir à son ancien rôle d’inimitié envers l’Iran, la Syrie et la Russie, ont été précédés par des changements dans la politique de l’OTAN, partant d’une alliance en charge de défendre l’Europe vers une organisation qui fait usage de son bras armé tel que le souhaite Washington (la Libye en étant l’exemple le plus récent). En plus de cela, les Arabes dans leur basculement du « Printemps arabe » visant à travailler à la consécration des valeurs européennes de justice et de liberté, et l’opposition à un comportement colonialiste, pour consacrer leur réalité religieuse et confessionnelle, ont également contribué à l’enthousiasme manifesté par Erdogan et son parti dans cette direction antagoniste.
Sous la direction de ses islamistes, la Turquie s’ouvre à son voisinage sous une idéologie religieuse, transportant avec elle la politique des États-Unis et de l’OTAN, en préparation de changements de la géopolitique de ce voisinage en soutenant le « Printemps arabe » dans lequel fleurissent des gouvernements ressemblant à celui de l’AKP, sans armées ressemblant à celle d’Atatürk.
Samedi 03 Décembre 2011
Mostafa Zein - (Dar Al-Hayat)
NdT : Le titre anglais comporte un jeu de mot qui n’apparait pas en français, l’adjectif « red » (rouge) dans un sens archaïque ou littéraire pouvant évoquer le sang ou la violence.
Source : Turkey from the "Red Book" to the "Red" Role
Traduction par un lecteur assidu du Grand Soir