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Egypte : « On est toujours debout. Et on va continuer à lutter ! »

Entretien avec Kamal Al-Fayoumi, dirigeant textile à Mahalla

Au fond, dans la nuit, on voit les énormes cheminées de la centrale électrique qui alimente tout le secteur textile ainsi qu’une partie des quartiers de Al-Mahalla Al-Khubra, grosse ville tentaculaire d’un demi-million d’habitants de la région du Delta. Le soleil a disparu depuis longtemps mais il fait encore très chaud, une impression sans doute renforcée par le taux d’humidité très élevé qui se respire en Basse-Egypte. On approche de l’heure du changement d’équipe et on voit des ouvriers qui commencent à presser le pas dans les rues qui mènent à une des multiples portes de l’usine Misr Spinning and Weaving Co. Ici la vie est rythmée par les hurlements de la sirène de l’usine également connue comme Ghazl Al Mahalla, Textiles de Mahalla, nom que porte également l’équipe de foot locale dont on voit les couleurs peintes sur les murs un peu partout. Dernièrement cependant, les graffitis ont été supplantés par ceux des partis politiques et des slogans, des partis libéraux, islamistes et de la gauche, qui réapparaissent sur les murs de la ville.

Kamal Al-Fayoumi nous attend dans un café non loin d’une des portes d’entrée de l’usine. Il est avec des collègues qui, comme lui, ne vont pas tarder à rentrer à l’usine pour l’équipe de nuit. Cheikh Kamal se lève de sa chaise et vient nous saluer. Les camarades qui ont organisé la rencontre et le traduisent ainsi que ses collègues de travail l’appellent ainsi, en signe de respect. Al-Fayoumi, en effet, n’est pas n’importe qui à Mahalla. Cheikh Kamal est l’un des principaux dirigeants ouvriers de cette entreprise qui est l’une des plus grosses usines de filature de tout le Moyen-Orient et qui emploie encore aujourd’hui plus de 25.000 ouvriers, soit prés d’un dixième de tous les travailleurs du secteur textile en Egypte.

C’est à Mahalla que les premières luttes ouvrières dures sont reparties au milieu des années 2000. Des luttes ouvrières au sens plein du terme, car portées notamment par des travailleuses du secteur, en décembre 2006. C’est de Mahalla qu’est parti également l’appel à la grève du 6 avril 2008, qui sera un point de référence obligé pour toute l’opposition au régime Moubarak. La police du régime arrête et emprisonne les principaux leaders ouvriers du mouvement, dont Kamal. C’est l’occasion de trois journées d’émeutes dans la ville et sa grande banlieue au cours desquelles la police recule devant les manifestants et les ouvriers comme dans une sorte de signe avant-coureur de ce qui arrivera Place Tahrir trois ans plus tard, en janvier et février 2011. Ce sont ces mêmes mobilisations ouvrières qui seront une des sources d’inspiration pour les travailleurs qui bientôt vont commencer, avant même la chute du tyran en février 2011, à s’organiser en syndicats indépendants, au sein de la Fédération des Syndicats Indépendants (ITUF, selon l’acronyme en anglais), autonome du régime et du parti National Démocrate.


JP Clech(JPC) : Encore une fois, merci de nous accorder un peu de ton temps. Ce n’est pas tous les jours qu’on croise un « working class hero », comme t’a appelé il y a quelques temps dans un de ses articles Hossam Al-Hamalawy

KamalAl-Fayoumi (KAF) : (Rires). Tu sais, je n’ai rien fait de vraiment spécial. Pour ce qui est des remerciements, attends de voir. Il faut encore voir ce dont on sera capable à l’avenir. Car pour nous autres, les travailleurs, c’est la lutte qui nous attend… Je ne vais te donner qu’un seul exemple : la question des salaires. Alors que le salaire minimum devrait s’élever à 1.200 livres égyptiennes [moins de 100 euros], aujourd’hui il y a pas mal de collègues qui en touchent 700 [moins de 70 euros], c’est-à -dire moins que sous Moubarak.

JPC : Rien n’a changé dans l’usine depuis la chute de Moubarak ?

KAF : Tu sais, les ouvriers n’ont pas vraiment ressenti de changement après la chute de Moubarak. Alors c’est sûr qu’on a renversé un dictateur. Mais il y a plein de petits Moubarak qui restent au pouvoir, partout.

Dans l’usine par exemple, la vieille bureaucratie syndicale, et bien on l’a encore sur le dos. C’est l’arme principale aux mains du système pour freiner le processus révolutionnaire. Et le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) joue cette carte-là à fond.

Alors bien entendu je ne vais pas te cacher que voir Moubarak en cage [lors de son procès] ne nous a pas remplis de joie, moi et mes collègues, à l’usine. D’ailleurs le CSFA pensait que ça allait nous calmer. En fait non. Ca nous renforce dans notre idée qu’il faut qu’on lutte pour obtenir nos droits. Et pour ça il faut détruire la vieille bureaucratie et construire de nouveaux syndicats. L’idée ce n’est pas de prendre le poste de l’ancien secrétaire général. C’est d’être aux côtés des travailleurs. Alors c’est vrai que même si on a des camarades [de Ghazl Al Mahalla] qui siègent au sein de la Fédération des Syndicats Indépendants (ITUF) comme Wael Habib, la vieille bureaucratie a encore beaucoup de prise ici.

JPC : Les différentes entrées de l’usine sont ceinturées par des chars de l’armée qui sont là , soi-disant, pour protéger les ouvriers et la révolution du 25 janvier. Qu’est-ce que les travailleurs en pensent ? Qu’est-ce que tes collègues pensent des promesses électorales du CSFA ?

Beaucoup pensent que les prochaines élections vont être organisées correctement. Beaucoup pensent que les réformes vont venir des élections et qu’au bout du compte le CSFA va finir par remettre le pouvoir aux civils. C’est faux. Le Parlement, c’est comme la vieille bureaucratie syndicale, il faut s’en débarrasser.

JPC : Quelle est la situation de la gauche ici ? Al Mahalla est un vieux bastion ouvrier, un des fers-de-lance dans les années 1940 de la lutte contre la domination britannique, et aujourd’hui…

KAF : Je te coupe tout de suite. Cela fait vingt ans que la gauche à Mahalla a été séparée des luttes ouvrières. Mais c’est vrai que ce n’est pas une spécificité des provinces du Delta. C’est un problème qui concerne tout le pays. Une des raisons de cela c’est que la répression a été brutale sous Moubarak, contre la gauche et contre la classe ouvrière. L’autre raison c’est que la gauche, en l’occurrence le Tagammu, le PC égyptien, les courants nasséristes, etc., ont aussi passé leur temps à s’occuper d’autres choses, et pas des luttes ouvrières, pas de nos revendications, de nos bagarres. Ca les a conduits aussi à se séparer de la classe ouvrière. C’est pour cela qu’aujourd’hui, même ici à Mahalla qui est historiquement un bastion de gauche, ils ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient.

Avec le Parti Démocratique des Travailleurs, on essaie de faire le contraire. C’est vrai que la gauche n’a pas accès aux médias. Mais l’essentiel, c’est d’être aux côtés de la classe ouvrière, de défendre ses revendications, le salaire minimum par exemple, le droit à l’éducation, à la santé, dire que les travailleurs peuvent parfaitement prendre en charge leur outil de travail. Parce qu’en fait les capitalistes et les investisseurs veulent compenser les pertes subies au début de la révolution en attaquant les travailleurs. Et bien cette offensive ne doit pas passer. Et dans pas mal d’endroits, il y a des luttes et des travailleurs qui s’organisent.

Alors je crois que l’avenir de la gauche à Mahalla est bon. C’est vrai que les Frères musulmans viennent d’installer leur nouveau siège à quelques centaines de mètres de l’entrée de l’usine. Mais j’ai confiance. Ca dépend de notre capacité à être dans la classe et à coordonner les luttes en cours.

JPC : Tel que tu parles, il semble que tu as toujours fait de la politique au sein de la classe ouvrière…

KAF : Pas du tout. Quand j’ai commencé à travailler ici, au milieu des années 1980, je n’étais pas politisé du tout. Après, ça a changé, mais les années 1990 ont été très dures, avec les vagues de privatisations, les problèmes de salaire.

En 1998, avec des collègues, on s’est posé la question de ce qu’il fallait qu’on fasse. C’était pendant la grève pour le treizième mois. Et on s’est rendu compte que la lutte ouvrière, c’est une lutte politique.

Après, avec le mouvement Kefaya, à partir de 2004, on a eu des discussions. On était contre Moubarak nous aussi, mais également pour avoir nos droits, dans l’usine.Après ça a été les grandes grèves, et notamment celle du 6 avril [2008]. Le gouvernement a voulu nous décapiter, mais il n’a pas réussi. On est toujours debout. Et on va continuer à lutter.

Al Mahalla, 24/08/11

http://www.ccr4.org/Egypte-On-est-toujours-debout-Et

Propos recueillis par Jean-Patrick Clech, Jamila M., Marco Rug et Silvia Kristof le 24/08/11 à Al-Mahalla Al-Khubra. Cette rencontre n’aurait pu voir le jour sans l’aide précieuse de nombreux camarades, notamment Mostafa O. (Le Caire), ainsi que Mohamed Q. et Ahmed EB. (Al-Mahalla), tous trois militants de Revolutionary Socialists. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés.

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