"Un tailleur ne prend pas les mesures d’un boubou sur un arbre." Pensée africaine qui prenait tout son sens, au moment où les dirigeants des huit pays les plus riches du monde se réunissaient au Canada pour débattre, entre autres, des problèmes de l’Afrique. C’est sur le continent noir que la branche malienne de la coalition anti-mondialiste Jubilé 2000 décidait de "prendre les mesures du boubou "développement", en organisant un contre-sommet à Siby, localité située à 52 km de la capitale malienne.
Siby. Grosse bourgade de 18 000 âmes, à 80 km de la Guinée-Conakry. Il y a huit siècles, elle abritait l’adoption de la toute première constitution de l’empire du Mali, qui regroupait plusieurs pays de l’Afrique de l’ouest, sous la direction de Soundiata Keïta.
Aujourd’hui, dans cette localité, aucune trace de développement, pas de somptueuses résidences, de grosses cylindrées ou encore de luxueuses salles de conférences. Et pourtant...
Pourtant, au moment où le sommet du G8 se déroulait à Kananaski, les 26 et 27 juin derniers, la branche malienne de la coalition anti-mondialiste Jubilé 2000 organisait à Siby un contre-sommet, baptisé "forum, Kananaski, village des peuples". La rencontre se voulait un espace d’échanges et de proposition, face à la politique néo-libérale sous-tendue ou sous-entendue par la mondialisation. On dormait à même le sol et les discussions se déroulaient en "plein air", pendant que le G8 se réunissait au coeur de l’épaisse forêt canadienne, pour éviter les manifestations des anti-mondialisation.
Ni pour, ni pour
Quelque 200 activistes venus des huit pays de la sous-région ont disséqué, sans pincettes, des thèmes relatifs à la dette, à la mondialisation, à la sécurité alimentaire, au commerce inéquitable mondial. "Notre forum réunit les pauvres du Sud qui proposent des alternatives aux propositions des responsables du G8 qui, isolés des réalités des peuples du monde, vont décider du devenir de milliers de personnes de tous les continents, en ne privilégiant que les intérêts des multinationales, des Etats industriels et des gouvernements corrompus du Sud", déclarait avec hargne, à l’ouverture du sommet, la présidente de la coalition Jubilé 2000, Barry Aminata Touré.
Pas question de laisser la parole aux seuls riches du monde. Le secrétaire général du Jubilé 2000, Dounantié Dao, confiait au Marabout : " Au moment où ils parleront de notre sort, nous avons décidé de ne pas nous taire. "
Autrement dit, on ne coiffe pas une personne en son absence...
Le contre-sommet contrait d’emblée le G8 sur un des trois points inscrits à l’ordre du jour des "nantis" : le NEPAD, nouveau partenariat pour l’Afrique. Les participants au fopum de Siby ont platement critiqué cette fusion du plan omega du Sénégalais Wade et du Millenium partnership for The Africain recovery program du Sud-africain Mbeki. Pour eux, on ne saurait prôner la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, en s’appuyant sur une politique néo-libérale inquiétante. Un activiste malien s’indigne :
"Les études ont prouvé que les capitaux privés étrangers n’apportent jamais la croissance, mais la suivent. " L’Afrique est aujourd’hui prise entre le marteau de la mondialisation et l’enclume de la dette. En 1980, la dette extérieure des pays en voie de développement était de 586,7 milliards de dollars américains. Ce montant atteignait 2 527,5 milliards de dollars en l’an 2000. Les organisateurs du sommet de Siby n’y vont pas avec le dos de la cuillère : la dette étant "odieuse" et "injuste", il faut donc l’annuler, pour espérer résoudre le problème de la sécurité alimentaire, au moment où un Américain mange 45 fois plus et mieux qu’un Africain.
Les participants au Forum de Siby se sont accordés sur une déclaration qui demande un plan Marshall pour l’Afrique, avec notamment un fonds de développement pour financer l’éducation, la santé et les infrastructures.
Le Forum en a profité pour dénoncer, avec fracas, la question du commerce inéquitable imposé par l’Organisation mondiale du commerce. " Alors que le F.M.I. impose à l’Afrique de supprimer toute mesure protectionniste, les pays riches décrochent des exemptions auprès de l’O.M.C., se protègent contre les exportations de produits concurrentiels du Sud (sucre, banane, riz, textile...) et subventionnent les surplus agricoles pour les exporter à moindre prix vers le Sud ", s’indigne Arnaud Zacharie, un activiste belge, membre du Comité pour l’annulation de la dette des pays du Tiers-monde. Il peste et signale que le Japon, les Etats-unis et l’Union européenne se sont développés grâce à des mesures protectionnistes envers les industries naissantes et les secteurs stratégiques. Il lui semble malhonnête de refuser ce privilège à l’Afrique qui voit constamment ces marchés inondés par des produits occidentaux largement subventionnés.
L’Afrique décrite à Siby est malade. La thérapie résiderait dans une vision alternative. Le NEPAD, censé être une nouvelle balise, tomberait, avant même d’être mis en oeuvre, dans le cercle creux des utopies.
Le Marabout est un hebdo satirique de Ouagadougou - Burkina Faso.
Cet article est disponible sur le site du CADTM
Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde est un réseau international qui milite pour des alternatives radicales visant le respect des libertés et des droits humains fondamentaux.
Dans ce but, le CADTM milite pour la constitution d’un fonds de développement démocratiquement contrôlés par les populations locales et alimenté par l’annulation de la dette extérieure publique du Tiers Monde ; la rétrocession des biens mal acquis ; la taxation des transactions financières (taxe de type Tobin) ; l’augmentation de l’Aide Publique au Développement à 0,7% du PIB des pays riches ; l’établissement d’un impôt mondial exceptionnel sur les grosses fortunes ; la conversion des dépenses militaires mondiales en dépenses sociales et culturelles.
Le CADTM demande également l’établissement d’une nouvelle architecture économique et financière internationale par l’arrêt des réformes d’ajustement du FMI et de la Banque mondiale ; la réforme radicale de la logique de l’OMC qui permet un protectionnisme des pays riches envers les pays pauvres ; le contrôle des marchés financiers ; la suppression des paradis fiscaux.
Enfin, le CADTM encourage l’émancipation des femmes, la réforme agraire radicale et la réduction généralisée du temps de travail.