Entre la semaine dernière et cette semaine, pas moins de trois sommets internationaux majeurs se sont tenus, mettant à chaque fois les USA et la République Populaire de Chine en présence. Mais de ce coté ci du monde à part une brève d’agence pour dire que le président Obama était content de son séjour sur les plages de Waikiki à Hawaï, où il s’était rendu pour assister au sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) c’est le calme plat. Pourtant, les discutions en cours sont en passe de modifier les relations économiques entre plusieurs acteurs majeurs de l’économie mondiale.
D’abord, il y a eu la tenue de l’APEC qui regroupe 21 pays bordant l’océan Pacifique. La Chine participe y participe depuis les années ’90 au coté des USA.Ensuite il y a eu l’annonce d’un nouveau venu le TPP (Trans-Pacific Partnership), lancé 2005 par l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Brunei et le Chili. Le projet du TPP a pris une tout autre dimension à partir de 2008 avec l’arrivée des États-Unis. Le TPP regroupe maintenant neuf pays, plus le Japon qui à prévus de se joindre à l’accord. Mais, La Chine en est exclue.
Enfin, il y a l’EAS (East Asia Summit) qui compte 18 pays, dont la Russie, les USA et la Chine.
Et ces trois grands sommets ont officiellement le même agenda : renforcer la coopération entre leurs membres et renforcer leurs échanges commerciaux, en libéralisant et en levant les barrières douanières en général.
Toutefois, s’il ne s’agissait que d’une bousculade de rencontre internationale causée par mauvaise gestion des agendas de chacun, cela serait d’aucune importance. Derrière le ballet, joué par les Américains, les Chinois, les Japonais et tous les autres, il se cache des enjeux autrement moins civils.
Les relations sino-américaines n’ont jamais été aussi froides depuis Mao et la révolution 1949. La valse des rencontres de ces dernières semaines prend place dans un jeu beaucoup plus vaste de redéploiement stratégique des États-Unis dans le Pacifique. Les accords du TPP sont illustration d’une stratégie d’isolement et de contrainte économique que les USA et Obama comptent faire peser sur Pékin. Le TPP concerne les économies les plus riches de la région à l’exclusion de la Chine. Ce sont ainsi les principaux partenaires économiques de Pékin qui signe un maxi accords de libre-échange entre eux. On y retrouve l’Australie, le Brunei, le Chili, La Malaysia, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, le Vietnam, les USA et le Japon.
« Song Guoyou, an associate professor at Shanghai’s Fudan University, said that if South Korea or Japan joins the TPP, it could negatively impact China. « The two countries may become less enthusiastic in striking a free trade agreement with China, or may press China to make concessions to their demands in the negotiation processes, » he said. » : TPP may affect China’s possible FTA with S. Korea, Japan : scholar (en) - http://english.yonhapnews.co.kr/business/2011/11/17/76/0503000000AEN20111117005200320F.HTML
A Tokyo toutefois l’adhésion au TPP s’avère plus compliquée, Yoshihiko Noda, le premier ministre, doit faire face à une levée de boucliers du Japon rural et agricole qui se voit déjà ruiné par les importations massives de riz « made in us » et de boeuf d’Australie.
« "Rice exporters in the U.S. and beef shippers from the U.S. and Australia would benefit the most if Japan joins," Tetsuhide Mikamo, director at Marubeni Research Institute in Tokyo, said in an interview. [...] Almost all of Japan’s sugar production, worth 150 billion yen a year, could be replaced by imports should tariffs be removed, according to Tetsuro Shimizu, vice president of basic research at Norinchukin Research Institute. For wheat, 99 percent of Japanese output worth 80 billion yen would be taken over by imports. Imports could also substitute Japanese beef, pork and chicken worth 1.1 trillion yen, he said. » : Japan Entry in Trade Pact May Open $48 Billion Farm Market (en) - http://www.businessweek.com/news/2011-11-09/japan-entry-in-trade-pact-may-open-48-billion-farm-market.html
A l’inverse, les industriels nippons voient dans TPP une occasion d’augmenter leurs exportations vers des pays où les consommateurs ont encore les moyens de payer. Le Kantei (le cabinet du premier ministre) voit aussi dans le TPP une occasion de raviver une économie japonaise dont les exportations ont été fort malmenées avec la crise financière et la catastrophe nucléaire de Fukushima. Alors que dans le même temps au Kantei, Yoshihiko Noda voit l’économie de son voisin chinois afficher une indécente croissance à deux chiffres.
En fait, les américains se sont lancé dans le TPP avant tout parce que les chinois n’y était pas. En effet, tant à AES qu’à l’APEC, la présence de Pékin aurait obligé Washington à les inclure dans tout accord proposé. Or, Obama, dans la droite ligne stratégique mise en place depuis les années Bush, tiens à contenir la croissance chinoise. Cela est vrai du point vue économique mais aussi militaire, même si, heureusement, cet antagonisme là est pour l’instant plus discret.
Pékin et Hu Jintao de leur coté font tout pour accélérer les travaux au sein de l’EAS et l’APEC, afin de déjouer la stratégie de l’enclavement menée par Washington. La politique internationale chinoise est particulière dépendante de la liberté de circulation en mer de Chine. Or, celle-ci est entourée par le Vietnam, le Japon et la Corée du Sud. Malgré les déclarations apaisantes d’Obama, Pékin sent l’étau se resserrer sur ces voies maritimes.
« M. Obama s’est inscrit en faux contre les commentaires qui affirment que les Etats-Unis renforcent leur présence militaire en Australie en raison de la menace qu’ils ressentent face à la montée de la Chine. [...] « Abritant la plupart des puissances nucléaires du monde et près de la moitié de l’humanité, cette région déterminera pour une large part si le siècle à venir sera marqué par le conflit ou la coopération, les souffrances inutiles ou les progrès de l’humanité« , a-t-il ajouté. « En tant que président, j’ai donc pris une décision délibérée et stratégique : en tant que nation du Pacifique, les Etats-Unis joueront un rôle plus important et à long terme pour orienter l’évolution et l’avenir de cette région, en maintenant les principes de base et en étroite collaboration avec nos alliés et amis« . » : Les Etats-Unis souhaitent développer la coopération avec la Chine (Obama) - http://french.news.cn/monde/2011-11/17/c_131251692.htm
il ne faut pas être grand clerc pour lire entre les lignes et voir que :
– D’une part, les accords du TPP vont mettre en concurrence les petits paysans et agriculteurs du Japon et du Sud-Est asiatique avec les exploitations agro-industrielles du Midwest US.
– D’autre part, l’intérêt de Washington pour cette région du monde va s’accompagner d’un renforcement de la présence militaire US, dans un but de paix bien entendu.
Or, depuis Sun Tsu, on sait qu’un adversaire est beaucoup plus dangereux s’il est acculé, étouffé sans voie de repli. C’est le retour plus ou moins feutré à une sorte de « guerre froide » qui, se dessine avec cette l’évolution des relations transpacifiques sino-américaines.
Pierre Capoue
http://kkmg.wordpress.com/2011/11/18/washington-pekin-un-faux-pas-de-deux/