Imaginez qu’un chef des pompiers, par souci d’économie, décide de ne pas utiliser plus de 4000 mètres cubes d’eau pour éteindre un incendie. Pensez-vous que les citoyens continueraient de soutenir cette décision si la ville était en feu ? C’est pourtant cela que font les leaders de la zone euro dans leur gestion de la crise de la dette. La banque centrale (BCE) détient virtuellement des ressources sans limites (comprendre : la planche à billet) pour défendre la dette des états individuels et pour agir comme préteur ultime, mais les eurocrates ne veulent pas en entendre parler. Ils refusent d’utiliser la BCE comme on utilise les banques centrales dans le reste du monde. Ils préfèrent réinventer la roue en improvisant un génial fond d’urgence (Fond européen de stabilisation financière ou FESF) largement financé par l’emprunt et qui ne garantit que 20 % des premières pertes ("first loss") sur les obligations souveraines. C’est ainsi, par exemple, que si l’Italie se retrouve exsangue l’année prochaine et ne peut pas rembourser ses dettes, celui qui détient des obligations récupérera un fastueux 20 cent par dollar. Une affaire formidable !
Vous rendez-vous compte à quel point c’est ridicule ?
Voyez vous mêmes : les obligations du trésor étasunien sont entièrement garantis, capital et intérêt, par les Etats-Unis d’Amérique. Qu’est-ce qui garantit les obligations italiennes ? Les obligations portugaises ? Les obligations irlandaises ?
Selon ces nouvelles dispositions, ils vont être "partiellement" garantis par un fond d’assurance aléatoire et insuffisamment capitalisé. Cela devrait rassurer les investisseurs !
Est-ce ainsi qu’on dirige une confédération d’états qui représente des milliers de milliards ?
Et le FESF n’est qu’une partie du dernier fiasco de l’euro. Il y a aussi un véhicule spécial d’investissements qui sera utilisé pour attirer les investissements étrangers (comprendre : la Chine). Les dirigeants européens s’imaginent que les Chinois sont si avides de profits qu’ils vont se jeter sur des milliards de ces obligations européennes (toxiques) pour les empiler dans leurs caches d’UST. On peut toujours rêver. Apparemment Nicolas Sarkozy s’est déjà donné la peine de démarcher les leaders chinois en quête de futurs investissements. Mais jusqu’ici sans succès. En fait, loin de faire la queue pour investir en Europe, les investisseurs la quittent aussi vite que leurs pieds le leur permettent.
Le bon bateau Europe fait eau de toutes parts et c’est pourquoi l’embellie boursière d’hier a été une telle surprise. Dès que Wall Street a eu vent de "l’ACCORD" européen de jeudi, le Dow Jones a grimpé en flèche, de plus de 300 points le jour même. Moins de 24 heures plus tard, cependant, l’atmosphère est beaucoup plus sombre. Les détails (coupes de la dette grecque, recapitalisation des banques, FESF, etc) sont des points critiques et comme ils sont imprécis, cela engendre beaucoup de scepticisme.
Voici ce qu’on lit sur Bloomberg ce vendredi :
"Les actions étasuniennes ont baissé, réduisant la reprise hebdomadaire la plus difficile depuis janvier, selon l’indice S & P 500* et la surveillance des dernières mesures de l’Europe pour contenir la crise de la dette souveraine dans la région s’accentue..."
"le diable est dans les détails" a dit Don Wordell, un gestionnaire de fonds du RidgeWorth Capital Management, basé à Atlanta, qui gère environ 47 milliards, lors d’un interview téléphonique. "L’Europe fait tout ce qu’elle peut pour résoudre ses problèmes. Cependant beaucoup de gens se demandent comment le plan va fonctionner et comment ils vont régler leur problème de dette." (Bloomberg)
Ah oui, "les détails". Un des détails qui a été clarifié est le fait que les marchés du crédit n’ont pas "embarqué", en fait les écarts de crédit** se sont moqués des belles paroles et ils continuent de se creuser.
Selon Reuters :
"Les coûts des emprunts italiens ont grimpé à des niveaux records vendredi, soulignant la vulnérabilité du pays au coeur de la crise européenne de la dette et révélant les doutes du marché sur la capacité du gouvernement du premier ministre Silvio Berlusconi à mettre en place des réformes vitales.
L’Italie, la troisième économie de la zone euro est encore une fois au centre de la crise de la dette et on voit grandir les craintes que ses coûts d’emprunt n’atteignent des niveaux qui dépassent la capacité de l’Union de l’aider dans le contexte de l’instabilité politique chronique à Rome". (Reuters)
Les possesseurs d’obligations n’ont donc pas été dupes du battage médiatique autour de "l’ACCORD". Les intérêts continuent à grimper ce qui signifie que ce sera plus dur pour le premier ministre Bunga-bunga de financer le gouvernement italien. Après tout, à quoi sert une police d’assurance (FESF) si vous ne trouvez pas de fonds ? Voilà la question ! Malheureusement il y a encore moins d’acheteurs. Pourquoi ? Parce que les investisseurs ont perdu confiance dans la capacité des Eurocrates à régler la situation. Tout le monde se moque du grand tas d’argent de la zone Euro. (Le FESF sera de 1400 milliards de dollars). Ce qu’ils veulent c’est la garantie totale et absolue d’une institution capable de tenir ses engagements quels que soient les problèmes. C’est si difficile à comprendre ? C’est normalement le boulot des banques centrales.
Selon Bloomberg :
"Le taux auquel les banques basées à Londres disent qu’elles peuvent emprunter en dollars (Libor***) pour trois mois a augmenté pour le 35ième jour consécutif, c’est la plus longue période d’augmentation depuis novembre 2005...
L’écart de crédit Libor-OIS dollar, le signe que les banques répugnent à prêter, a atteint 34,66 points de base... Le plus haut niveau en clôture depuis le 3 juin 2009.
L’indicateur d’écart de taux TED (Ted spread) ou la différence entre ce que les prêteurs et le gouvernement des USA paient pour emprunter pour trois mois est passé de 41,46 points de base hier à 41,79 et atteindra sans doute son plus haut niveau en clôture depuis le 23 juin 2010." (Bloomberg)
D’accord. Donc les voyants clignotent à nouveau et les annonces d’hier n’ont apporté aucune amélioration. Les banques répugnent toujours à prêter et les conditions du crédit continuent à se resserrer. Et maintenant que les banques européennes vont être forcées d’augmenter leur capital, vous pouvez parier sur un nouvel effondrement catastrophique du crédit.
Voyez ce qu’en dit Bloomberg :
"Les banques européennes disent qu’elles doivent réduire leurs actifs pour répondre à la demande des états de recapitalisation plus rapide que prévu pour les protéger de la crise de la dette souveraine. Cela pourrait provoquer un effondrement du crédit aux entreprises et aux particuliers dans les 17 pays de la zone Euro, et engendrer une récession économique selon les analystes de Citigroup Inc. et Deutsche Bank AG.
Les leaders se réunissent aujourd’hui à Bruxelles pour approuver une plan d’augmentation des capitaux des prêteurs d’environ 100 milliards d’euros (139 milliards de dollars). Les banques disent que, pour se faire, elle seront amenées à rapetisser plutôt qu’à diminuer les profits des actionnaires, un scénario qu’elles veulent éviter en partie du fait que la valeur de leurs actions a diminué de 30 % cette année..."
"L’histoire montre que la recapitalisation des banques fournit le catalyseur de l’effondrement du crédit" lit-on dans une note du 20 octobre. "Le Japon l’a appris en 1998 et les USA et l’Angleterre en 2008. C’est au tour de l’Europe d’apprendre cette leçon."
Les banques européennes ont annoncé qu’elles allaient enlever plus de 775 milliards d’euros de leurs bilans sur les deux prochaines années pour réduire les besoins de financement à court terme et parvenir aux 9 % de capital légal demandé par le Comité de Bale sur le contrôle bancaire avant la date butoir, selon les données dont Bloomberg dispose….
"Les banques doivent diminuer leur niveau d’endettement mais si elles décident de le faire en réduisant leurs actifs au lieu d’augmenter leurs fonds propres cela aura des conséquences néfastes sur l’économie" selon Simon Maughan, chef des vente de Global Holdings Ltd. à Londres." ("European Banks Warn of Credit Drought" , Bloomberg)
Et donc les leaders de la zone Euro —après avoir déjà déclenché une mini-dépression dont on ne voit pas la fin chez les PIIGS — s’apprêtent à intensifier le déclin en forçant les banques à mettre sur le marché des centaines de milliards de dollars d’actifs, ce qui fera baisser les prix et augmentera la détresse des marchés financiers. En voilà un beau projet ! L’alternative serait que les gouvernements individuels recapitalisent les banques à leurs propres frais ce qui exigerait d’augmenter les impôts, de réduire les services publics et entraînerait (et c’est là que le bat blesse) une dégradation importante par les agences de notation. C’est donc une situation perdant-perdant.
Et qu’en est-il des "dépôts de nuit" que les banques ont pris l’habitude de faire à la BCE parce qu’elles ont peur de laisser leur argent dans d’autres banques ? Cela a dû s’améliorer n’est-ce pas, maintenant qu’un accord "général" a été conclu ?
Voici ce qu’on lit sur Bloomberg :
"La banque centrale européenne dit les banques ont augmenté au maximum les dépôts de nuit en plus de deux semaines.
Les banques de la zone Euro ont confié 218,1 milliards (308,8 milliards de dollars) à la BCE la nuit dernière, par rapport aux 204,4 milliards de la veille, ce qui représente la somme la plus importante déposée depuis le 10 octobre. Elles ont emprunté 2,7 milliards d’euros de fonds d’urgence la nuit dernière au taux marginal de 2,25 %, par rapport aux 1,8 milliards de la veille." (Bloomberg)
Tout a empiré. La zone Euro est en train d’exploser et elle explose parce que les politiques mises en oeuvre sont, comment dire, idiotes, c’est à dire qu’elles ne peuvent pas marcher. Les investisseurs savent qu’elles ne peuvent pas marcher et c’est pourquoi ils fuient massivement l’Europe.
Faut-il leur en vouloir ?
Mike Whitney
Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/2011/10/28/the-never-ending-eurofiasco/#.TqujsKzCbdE.email
Traduction : Dominique Muselet pour LGS