CRIS D’EGYPTE
Le Caire, 17 septembre 2011.
Cher Nicolas,
Comment vas-tu ? La Libye, tout ça ?
Écoute, on vient de m’envoyer un article du Figaro qui fait le bilan de ton déjeuner du 14 septembre à l’Elysée (le déj’ pour les préparatifs du 11 novembre, avec Waresquiel, Rouvillois, Rey et les autres).
Charles Jaigu, l’auteur de l’article, rapporte que tu aurais dit ceci :
Il (Jaigu parle de toi) salue Hosni Moubarak, « un grand patriote, cultivé ». « On pouvait leur parler », dit-il, en désignant l’appareil d’État égyptien. « Les manifestants de la place Tahrir, c’est le Café de Flore à Saint-Germain-des-Près. »
Écoute la coincidence est folle. Je viens de lire ce matin qu’un jeune égyptien s’est fait sodomiser dans un poste de police, après avoir été torturé par des officiers " aucun rapport, je te rassure, avec ceux de la police militaire qui vérifient la virginité des manifestantes. Les officiers de police n’auraient pas apprécié que, pendant son interrogatoire, le jeune homme ait fait allusion à l’incarcération de leur ancien chef, Habib el Adly, l’ex-ministre de l’intérieur. El Adly, comme tu sais, était l’homme clé de l’état policier de Moubarak. Il était, à lui seul, l’incarnation de l’appareil d’État égyptien avec lequel le dialogue t’était, semble-t-il, plus facile.
Avec quelle nostalgie je repense avec toi à ce bon patriote qui, trente années durant, nous aura interprété Pol Pot, Franco et, quand nous nous ennuyions, Pinochet. C’était le bon temps, Nicolas… Tout passe.
Et puis sa culture… Tu as raison de rappeler l’ouverture et la curiosité de Moubarak, cet homme du monde, attentif, si raffiné. Pas un film, un livre, un débat, pas une information de mauvais goût auquel il aurait exposé son peuple, hostile comme lui, à tout ce qui aurait pu éveiller son sens critique. Pas un livre scolaire de géographie qui représente l’état d’Israel au risque que le peuple d’Egypte fasse un pas de trop vers des relations fraternelles qui ne justifieraient plus, du coup, la redevance américaine versée pour le "maintien de la paix". On ne dira jamais assez avec quel soin et quel dévouement Safwat el Sherif, l’ex-ministre de l’information, passait tout cela au peigne fin de la censure, par amour et pour le seul bien de la patrie.
Tu aurais aussi pu épater tes invités en ajoutant que la culture de Moubarak s’étendait bien au-delà des frontières de l’Egypte ! N’a-t-il pas lu, entre autres, les travaux des plus grands penseurs de l’ex-Allemagne de l’Est ? Ne l’auront-ils pas grandement inspiré dans la construction d’un merveilleux appareil d’état connu sous le nom de Amn el Dawla (Sécurité d’Etat) ? Nicolas, c’est un appareil magnifique, aussi beau… non, encore cent fois plus beau que la STASI.
Là où tu m’as bien eu, c’est avec le coup du Flore. « Les manifestants de la place Tahrir, c’est le Café de Flore à Saint-Germain-des-Près. Je suis mort de putain de rire. Tu sais pourquoi ? Parce que j’y vais dans quelques jours ! On s’y retrouve ou tu préfères le Fouquet’s ?
Quoiqu’il arrive je ne manquerai pas de porter ton message à mes potes de Tahrir " pas aux 1000 qui sont déjà morts, mais aux 12,000 manifestants qui sont en train de crever en taule. Dans leur peine immense et leur solitude qui ne cesse de croître, ils apprécieront cette petite pensée venue de France.
Pour finir, voici une petite chanson pour toi, venue d’Egypte. J’espère que tu aimes, c’est assez beau, non ?
Aalam
http://www.youtube.com/watch?v=6-dkXgS6pmI&feature=player_embedded