LOS ANGELES - Les commentaires autour de "Avant la Nuit", le nouveau film de Julian Schnabel (...) ont débuté et n’ont pas encore atteint leur apogée. Le film a remporté le Prix du Jury l’année dernière au Festival du Film de Venise, et le prestigieux American Film Institute l’a nommé Film de l’Année.
La vedette, Javier Bardem, reçut une nomination au Golden Globes pour son portrait du romancier et poète auto exilé cubain Reinaldo Arenas dans ce film tiré de son autobiographie éponyme. Il fut nominé pour le prix du meilleur acteur au Festival de Venise, ainsi qu’au National Board of Review, National Society of Film Critics, et Southeastern Critics et recevra probablement un Oscar.
Le film, le metteur en scène et l’équipe ont reçu quatre nominations au Independent Spirit Awards, le plus grand prix attribué aux films indépendants, et il figure parmi des dix meilleurs films pour plus de 50 critiques aux Etats-Unis.
Le critique du New York Times, Stephen Holden, dans un article sur le film, eut des propos qui auraient pu figurer en légende sur l’affiche : "par un portrait flamboyant," écrit-il, "et une mise en scène qui incorpore des extraits de l’oeuvre de l’écrivain, la biographie de Julian Schnabel sur le poète et romancier exilé gai cubain Reinaldo Arenas le décrit comme une victime et un martyr de la révolution de Fidel Castro." David Ansen, de Newsweek, s’extasia sur "un lyrisme et une sensualité émouvante - une attaque dévastatrice contre le régime de Castro."
"Je ne connais pas grand chose à la politique," déclara Schnabel à "L.A. WEEKLY", mais " j’ai instinctivement senti que j’avais quelque chose en commun avec (Arenas) - et j’ai essayé d’être fidèle à sa pensée. A l’évidence, il s’agit d’une histoire latine - mais c’est une dénonciation du totalitarisme dans n’importe quel pays. C’est un film sur la tolérance."
En réalité, "Avant la Nuit" est une attaque éminemment politique, soignée et sophistiquée, contre la révolution Cubaine, trahie par le pouvoir dictatorial du tyran omniprésent Fidel Castro. Les erreurs grossières et les manipulations qui jonchent le film ne font que révéler le narcissisme du sujet principal, dont Schnabel est tombé si amoureux qu’il n’éprouve aucune réticence à embellir les faits, sans considération pour la réalité. Il serait toutefois trop facile de balayer ce film pour ces raisons-là . "Avant la Nuit" pose de sérieuses questions sur la conduite de la Révolution Cubaine. Ces questions méritent une réponse.
Le film a été tourné à Merida et Veracruz, au Mexique, avec des insertions à partir de films d’archives. Schnabel fusionne ces images pour réaliser une ouvre luxuriante, d’une beauté à couper le souffle, esthétique, crue et émouvante - le tout pour créer un Arenas aseptisé. Et si le livre "Avant la Nuit" est une attaque contre la révolution, Schnabel trouve qu’il manque cependant de souffle dramatique. Pour y remédier, il insère quelques mensonges grossiers supplémentaires pour atteindre son objectif qui est de dénigrer tout ce que représente la révolution cubaine, passé et présent. Il n’y a rien d’original dans cette méthode qui ressemble à celle employée par Arenas, qui avait commencé le livre lorsqu’il se trouvait encore à Cuba et l’a terminé sur son lit de mort. (le livre "Avant la Nuit" fût publié en anglais trois ans plus tard). L’autobiographie d’Arenas raconte sa propre histoire ainsi que celle de Cuba, une histoire réinventée et reconstituée pour être en phase avec sa haine du gouvernement révolutionnaire - un sentiment qui’il n’a pas toujours partagé.
Javier Bardem, un acteur espagnol qui incarne d’Arenas à l’age adulte et qui fait la voix "off" du film, s’empare du personnage avec un talent exubérant en une évidente sympathie. Il ressemble étrangement à l’écrivain, qui mourut ruiné dans un appartement de Hell’s Kitchen. Ravagé par le SIDA, Arenas se suicida à New York en 1990. Sa "lettre d’adieu", envoyée et publiée par la presse US, exprimait "l’espoir que Cuba sera bientôt libre" et encourageait "le peuple cubain vivant en dehors du pays ainsi que ceux vivant sur l’île à continuer le combat pour la liberté". Sur le site Internet du film Avant la Nuit [ http://www.before-night-falls.com/ ], la lettre est tronquée pour omettre "la seule personne" qui, selon Arenas, était "responsable" de son suicide - vous l’avez deviné : Fidel Castro.
Bardem comprend la politique qui est en jeu. Dans une interview au magazine INTERVIEW, il déclara qu’il était "très fier" du film parce que celui-ci "parlait de tolérance" et constituait une critique de "totalitarisme dans n’importe quel pays." Schnabel décrivit le "courage de Bardem pour jouer le rôle d’Arenas, un rôle qui illustre parfaitement l’intolérance de Castro" parce que l’acteur "est issu d’une famille de communistes."
Dans le même temps, les qualités techniques et artistiques du film le placent nettement au-dessus des films de série B. Le film est estampillé "produit par un Hollywood progressiste" ce qui prouverait de facto que le film n’est pas réactionnaire, mais simplement une étude sur l’indomptabilité de l’esprit humain.
Johnny Depp joue le rôle d’un travesti emprisonné et exécute une imitation d’un gardien de prison qui arrache une confession autocritique à un Arenas emprisonné, et demande au poète de faire une fellation sur le canon de son .45 automatique. Quelle importance que la scène soit le fruit de l’imagination de Schnabel ? Quelle importance que le gardien menace de faire "disparaître" Arenas s’il ne signe pas ses aveux, alors que le fait indéniable est - contrairement aux nombreux autres pays qui peuvent compter sur le soutien militaire et l’enseignement des techniques de torture des Etats-Unis - qu’il n’y a jamais eu de "disparitions" à Cuba ? C’est juste du Johnny Depp.
Sean Penn incarne un cameo, un paysan qui, contrairement à ses frères, ne rejoint pas les rebelles dans leur combat contre la dictature de Batista. Et Lou Reed et Laurie Anderson ont composé une musique originale qui évoque la musique cubaine, incluant des morceaux du légendaire Benny Moré. Vous voyez donc le tableau. Le public visé par le film n’est pas un public de droite, mais un public qui a, ou qui pourrait avoir, des sympathies pour Cuba.
"Avant la Nuit" reflète la vision d’Arenas sur "l’horrible" répression d’état, particulièrement contre les gays. Quelques brèves allusions sont faites sur l’influence des conseillers soviétiques, dont la présence symbolise la fin de l’élan original de la révolution. Des extraits de films d’actualité sur Fidel Castro - et les propos durs du dictateur illustrant des scènes de brutalités policières et militaires - alternent avec des scènes de trahisons et d’autocritiques humiliantes.
Dans un scène clé du film, on voit un groupe de personnages dans un appartement en train de regarder une déclamation à la télé, apparemment par le poète primé Heberto Padilla. (son arrestation en 1971 et sa confession publique sur sa tiédeur envers la révolution est une épisode sombre de la vie culturelle à Cuba.) La scène se termine avec une femme du groupe qui se suicide en se jetant par la fenêtre. Apparemment, elle faisait partie des écrivains et artistes politiquement incorrects cités par Padilla. Encore une invention de Schnabel.
Le temps se bouscule à chacune de ces scènes, qui s’enchaînent en faisant fi de tout contexte historique ou de toute réalité historique.
En premier lieu, les conditions qui ont provoqué la Révolution ne sont pas mentionnées, ou plutôt, servent uniquement à illustrer l’affirmation poétique d’Arenas selon laquelle "la splendeur de mon enfance était unique parce qu’elle était faite de pauvreté absolue mais aussi de liberté absolue ; à l’air libre, entouré d’arbres, d’animaux, d’apparitions." Voilà ce qui devrait constituer une bonne nouvelle pour les pauvres paysans dont l’expérience vécue de la surexploitation bucolique devait les convaincre de soutenir l’Armée Rebelle contre les armes, les tanks et les bombardiers de Batista.
Une scène brève où on voit un Reinaldo adolescent sauter sur un camion rempli de combattants triomphants à Holguin est censée apporter du crédit à l’affirmation d’Arenas selon laquelle il "avait rejoint la guérilla de Castro". Mais se laisser emporter par l’enthousiasme ambiant au moment de la victoire n’a pas grand chose à voir avec le fait de mener des actions de guérilla ou d’organisation urbaine - autant de choses qui coûtèrent la vie à 30.000 civils. Cependant, même cette courte scène de Schnabel est en contradiction avec les propres écrits d’Arenas.
Lorsque Arenas tenta de se faire enrôler par l’Armée Rebelle, on lui répondit - comme à tout le monde - qu’il devait se débrouiller pour obtenir une arme, en tuant un policier de Batista et en récupérant le sien. Arenas échoua dans sa mission, mais retourna dans les montagnes. Les guérilleros ne pouvaient pas le renvoyer chez lui à Holguin où l’attendaient une arrestation et des tortures certaines. Ils ont autorisé l’adolescent à rester. Arenas écrit qu’il prenait parfois ses repas chez sa tante qui vivait à côté. "Je n’ai jamais pris part à une bataille ; je n’ai jamais assisté à une bataille ; ces batailles étaient plus une légende qu’une réalité", affirme-t-il. Deux années de bataille révolutionnaire contre la tyrannie n’étaient, selon Arenas, rien de plus "qu’une guerre des mots".
Cependant, jusqu’en 1968, l’Arenas d’avant l’autobiographie était un défenseur ardent de la révolution. Il fut interviewé en tant que révolutionnaire et poète/écrivain largement respecté de la nouvelle génération, par Harry King, un journaliste socialiste vétéran qui passa trois mois à enquêter à Cuba pour le journal The Militant.
Les transformations sociales et économiques à Cuba - de la réforme agraire la plus grande de l’histoire des Amériques à la nationalisation des ressources aux mains des étrangers - toutes l’oeuvre d’une mobilisation populaire, sont totalement absentes du film. De la campagne d’alphabétisation historique, de la création des services médicaux ruraux, de l’abolition de la discrimination raciale institutionnelle, rien. Le public ne verra que le remplacement d’une tyrannie à peine mentionnée par une autre tyrannie - désormais dirigée, selon Arenas, par un "dictateur pire que Batista".
Les interventions hostiles de Washington provoquées par les changements révolutionnaires sur l’île - des bandes terroristes grassement financées jusqu’à l’invasion de la Baie des Cochons, la mise en place du blocus, et la soi-disant crise des missiles - ne trouvent aucun écho dans l’oeuvre de Schnabel (co-écrit avec Cunningham O’Keefe et Lazaro Gómez Carràles, un vieil ami d’Arenas).
La conclusion est évidente : l’ennemi du peuple Cubain se trouve à l’intérieur, porte une barbe et un uniforme militaire - et non pas aux Etats-Unis.
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Le bilan de la Révolution Cubaine sur les droits des homosexuels a été la cible d’une campagne de désinformation depuis des décennies. Des efforts ont déjà été déployés par les ennemis de Cuba qui voulaient profiter dans les années 60 et 70 des déficiences du gouvernement. Le summum fut atteint par le film documentaire "Conducta Impropia" de Nestor Almendros en 1984, qui est rempli d’inventions, de distorsions et de demi-vérités.
Mais la campagne a commencé à faiblir devant les changements significatifs qui se produisaient à Cuba. Ce changement fut symbolisé par la sortie du film de Tomas Gutierrez "Fraise et Chocolat" qui critiquait les éléments dogmatiques au sein du Parti Communiste Cubain et s’attaquait aux préjugés anti-gays.
Malgré cela, on assiste à présent à la sortie "d’Avant la Nuit" qui ressemble à une version plus branchée de "Conducta Impropia" - une tentative de rallumer la croisade anti-Cubaine. Sans surprise. Alors que les idéologues d’extrême droite nient purement et simplement les avancées irréfutables de la révolution, des opposants plus subtils du gouvernement Cubain ont longtemps critiqué la politique à l’égard des homosexuels pour lancer des attaques plus insidieuses. Cela rend service à la campagne de Washington contre Cuba - sur les soi-disant violations des droits de l’homme - une campagne qui a commencé dés le premier jour de la révolution et qui n’a jamais cessé depuis.
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L’extension des droits des gays cubains au cours de ces quinze dernières années - précédée elle-même encore quinze ans auparavant par l’abolition des contraintes imposées aux homosexuels - est un corollaire à Cuba à l’extension des droits des travailleurs. De plus en plus de tabous sont tombés sous l’impact de multiples débats et discussions sur des questions économiques, politiques et culturelles et qui touchent une population de plus en plus large.
Un retour sur ce processus est indispensable pour ceux qui voudraient comprendre et qui chercheraient des réponses aux questions soulevées par "Avant la Nuit", particulièrement s’ils sont intéressés par la question de l’homosexualité.
LA REVOLUTION CUBAINE APPORTE LA LIBERATION
La première révolution socialiste sur le continent américain avait crée un air de liberté sans précédent à Cuba. Des réformes radicales - du démantèlement de la police secrète de Batista à l’abolition des lois racistes - ont déclenché une explosion de créativité dans les arts, la culture, la musique et leur facilité d’accès pour la population. Puisque la priorité était donnée aux travailleurs et aux paysans pauvres, un mouvement de la libération de la femme fut crée. Il exposa la réalité et défia la légitimité de l’oppression des femmes, leur citoyenneté de seconde zone, et leur discrimination. La garde d’enfants devint un droit. Les lois rigides sur le divorce furent radicalement assouplies. En 1963, les lois interdisant l’avortement furent abolies, et le droit à la contraception fut institutionnalisé.
Biens que cette vague de changements ait eu un effet sur la vie des gays et lesbiennes, la Révolution Cubaine n’a cependant pas pris les mêmes mesures avant-gardistes que les Bolcheviks avaient prises dans les premiers mois de la Révolution Russe. En fait, il aurait été pratiquement impossible pour la nouvelle génération qui accédait au pouvoir en 1959 d’être au courant de ces changements.
LES MESURES AVANT-GARDISTES DE LA REVOLUTION BOLCHEVIQUE
En décembre 1917, le régime soviétique abolit les lois anti-homosexuelles réactionnaires de la tyrannie tsariste. Cette mesure sans précédent fut le résultat d’un ensemble de mesures visant à émanciper les femmes. "La relation entre la loi Soviétique et le domaine sexuel est basée sur le principe que les exigences de la vaste majorité des citoyens doivent correspondre et être en accord avec l’état des connaissances de la science moderne," écrivit le Dr Grigorii Batkis, directeur de l’Institut Moscovite de l’Hygiène Sociale dans son livre de 1923, la Révolution Sexuelle en Russie.
"La législation soviétique se base sur le principe suivant," indique Batkis, "la non-ingérence absolue de l’état et de la société dans les affaires sexuelles privées, tant que personne n’est blessée et qu’aucune atteinte n’est portée contre les intérêts d’une personne - la législation soviétique traite (les pratiques homosexuelles) exactement comme les soi-disant relations "naturelles". Toutes les formes de relations sexuelles relèvent du domaine privé."
"la révolution (d’octobre) n’a rien gardé des anciennes lois despotiques et ouvertement antiscientifiques ; elle n’a pas suivi la voie de la législation réformiste bourgeoise qui, avec une subtilité juridique, préservait la notion de propriété dans le domaine sexuel et qui, en fin de compte, imposait un deux poids deux mesures à la vie sexuelle. De telles lois surgissent toujours en ignorant la science," expliqua Batkis. S’appuyant sur la théorie et la pratique bolchevique, il liait la libération de la femme à l’abolition de la notion capitaliste de propriété, et par conséquence, de la surexploitation des femmes.
"Aucune société au monde ne s’est jamais fixée de tels objectifs, et dont les problèmes n’ont jamais été confrontés à une révolution," écrivit Batkis.
RECUL CONTRE-REVOLUTIONNAIRE SUR LES DROITS DES GAYS
La contre-révolution dirigée par Staline qui aboutit à la bureaucratie réactionnaire à la fin des années 20 et au début des années 30 devait obligatoirement s’en prendre aux aspects les plus progressistes des lois Soviétiques pour consolider son pouvoir sans partage. Tandis que le régime conservateur renforçait ses privilèges en chassant les travailleurs de la sphère politique, il disloquait les libertés artistiques et littéraires, reculait sur des conquêtes essentielles pour les femmes, et mettait en place une politique culturelle et sociale restrictive. Sur l’intervention personnelle de Staline, l’homosexualité fut criminalisée en 1934, prévoyant une peine de cinq ans de prison pour des actes entre adultes mâles consentants. En 1935, afin de renforcer encore plus les normes de la "famille nouvelle", le gouvernement interdit l’avortement, qui avait été légalisé dés les premiers mois de la Révolution.
Le célèbre romancier russe Maxim Gorki, réduit à l’état de complice littéraire auprès de la caste dirigeante, annonça dans un tract financé par l’état que "dans les pays fascistes, l’homosexualité, qui ruine la jeunesse, fleurit sans entraves ; dans un pays où le prolétariat a conquis avec audace le pouvoir social, l’homosexualité a été déclarée un crime social et sera sévèrement punie." Tout ceci était appelé à devenir la position "communiste" sur le sujet des gays - un pitoyable simulacre des préjugés réactionnaires capitalistes, drapés de rhétorique Marxiste.
La pseudoscience Stalinienne affirmait que l’homosexualité était une manifestation de la "décadence bourgeoise" et de "dégénérescence morale". Freud, qui enseignait que l’homosexualité était un phénomène sexuel naturel, fut banni. Lors des naissances multiples en URSS, les femmes se voyaient récompensées avec des médailles et de l’argent. Jusqu’en 1971, le nouvelle version de la Grande Encyclopédie Soviétique définissait l’homosexualité comme "une perversion sexuelle s’exprimant par une attirance contre-nature entre deux personnes de même sexe. Elle peut concerner les deux sexes. Le droit pénal en URSS, dans les pays socialistes et même certains états bourgeois, prévoient une punition pour homosexualité." Ceci, après que la révolte de Stonewall à New York en 1969 devint le point de départ du mouvement contemporain de la libération gay.
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C’est ce genre "d’orthodoxie" que les révolutionnaires cubains, qui ont grandi dans les années 50, ont connu lorsqu’ils se sont tournés vers le Marxisme, d’abord au sein du prosoviétique Parti Populaire Socialiste, qui ne s’engagea dans la révolution que dans la dernière année de la guerre révolutionnaire. Sa direction et plusieurs milliers de cadres composèrent une partie importante des différentes organisations révolutionnaires qui émergèrent lors de la conquête du pouvoir en 1959, jusqu’à la création du Parti Communiste Cubain en 1965. Ce processus aboutit à l’établissement de relations avec l’URSS, la Chine et le "mouvement communiste mondial". C’est à travers ce prisme déformant qu’ils analysaient la marche de l’histoire et prononçaient le mot de la fin aux débats en cours.
Pour arriver à une "conformité avec les conclusions de la science contemporaine," les jeunes révolutionnaires cubains devaient entreprendre le travail titanesque de débroussailler le "marxisme officiel" dans tous les domaines pour retrouver les idées et les expériences émancipatrices de la première époque du régime soviétique, dirigée alors par le Parti Bolchevique de Lénine. Tous ces débats riches, tous ces documents, toutes ces résolutions et analyses des événements étaient recouverts par la chape de plomb de l’infaillibilité des commissaires représentants du "socialisme réel". Leurs instructeurs, leurs catéchismes et manuels - avec l’aide de matraques et du bruit des bottes - ne souffraient aucune remise en cause, encore mois d’opposition.
Ignorant tout des positions les plus avancées et scientifiques tenues par les premières générations de révolutionnaires, les militants cubains émergèrent sur une scène internationale où l’homosexualité était sévèrement réprimée dans le soi-disant monde développé, considéré comme un tabou dans le tiers-monde et comme un crime contre-nature par ceux qui, au nom du communisme, tenaient les rênes du pouvoir dans le reste du monde.
LORSQUE LA REALITE S’IMPOSE A CUBA
Il est illusoire de croire que la révolution cubaine pouvait à cette époque surmonter seule de tels obstacles internationaux et historiques. De plus, certains - soit par ignorance, par démagogie ou les deux à la fois - identifiaient l’homosexualité masculine à la pornographie et à la prostitution, qui étaient endémiques à La Havane avant la révolution. Le sexe gay illégal faisait partie de l’industrie de la prostitution qui exploitait par ailleurs 100.000 femmes (sur une population de 6 millions) au service du tourisme, ce qui faisait de la Havane le plus grand bordel des Caraïbes. Et le business du sexe s’intégrait parfaitement aux entreprises de jeux, aux casinos et trafics de drogue qui ravageaient Cuba.
Il faudra du temps, et des luttes, pour démêler les contradictions entre le contenu profondément progressiste des changements apportés par les actions collectives du peuple cubaine, d’une part, et l’homophobie, d’autre part. Ce phénomène s’appuyait sur un mélange détonnant de machisme local (ancré dans les relations sociales et économiques du capitalisme colonial) et l’arriération culturelle qu’il produisait, (renforcée par une église réactionnaire et le mysticisme de l’église catholique) - le tout renforcé par la tutelle "scientifique" de Moscou.
Tout en reconnaissant qu’un "homosexuel" pouvait avoir "des idées politiques correctes", Fidel Castro déclara au journaliste Lee Lockwood en 1965 (interview publiée sous forme de livre intitulé "Castro’s Cuba, Cuba’s Fidel") "nous ne pensons pas qu’un homosexuel pourrait réunir les conditions et tenir la conduite indispensable pour être considéré comme un véritable révolutionnaire, un véritable communiste. Une déviation de cette nature entre en conflit avec l’idée que nous nous faisons d’un militant communiste."
"mais par-dessus tout," continua le dirigeant cubain, "je ne crois pas que quiconque ait une réponse définitive aux causes de l’homosexualité. Je crois qu’il faut examiner très soigneusement la question. Mais je serai franc et je dirai que les homosexuels ne devraient pas pouvoir accéder à des positions où ils pourraient exercer une influence sur des jeunes."
Le dirigeant cubain situa son argumentaire dans le contexte "des conditions dans lesquelles nous nous trouvons" - l’impact de la Baie Cochons et de la Crise des Missiles était encore présent - et la nécessité "d’inculquer à notre jeunesse un esprit de discipline, de lutte, de travail. Cette attitude peut ou ne pas être correcte, mais c’est notre sentiment."
UNITES MILITAIRES D’AIDE A LA PRODUCTION
En 1965, le gouvernement cubain inaugura les Unités Militaires d’Aide à la Production (UMAP), que le film "Avant la Nuit" mentionne pour parler de rafles anti-gays et des emprisonnements. Les soldats cubains et la police y emmenèrent des milliers de "délinquants", depuis les gays et les lesbiennes jusqu’aux Témoins de Jehova, pour les faire travailler dans les champs et satisfaire à leurs obligations militaires tous ceux que le gouvernement considérait comme inaptes à intégrer l’armée régulière. Les tâches accomplies dans les UMAP consistaient essentiellement récolter la canne. Contrairement à d’autres initiatives du gouvernement, les media n’ont pas fait grand bruit autour des UMAP. Néanmoins, le programme provoqua une vague de protestations de l’Union Nationale des Artistes et Ecrivains (UNEAC), ainsi que d’importants alliés internationaux de la révolution.
Les Cubains interviewés en 1970 et 1971 par le poète Nicaraguayen Ernesto Cardenal dans son magnifique livre "In Cuba" ("à Cuba" - dédié au "Peuple Cubain et à Fidel") parlaient librement de l’opposition aux UMAP et plusieurs exprimèrent leur point de vue sur leur abolition en 1967. "J’y étais", raconte un jeune milicien, poète, à Cardenal, "non pas en tant que prisonnier, mais en tant que gardien. Oui, un gardien. J’ai vu l’envers du décor, mais nous ne faisions que monter la garde. Ils ont raconté à Fidel ce qui s’y passait. Une nuit, nous sommes entrés clandestinement dans le camp, dans un de ces hamacs pour voir comment les prisonniers étaient traités. Les prisonniers dormaient dans des hamacs. Ils étaient fouettés avec les étuis des sabres s’ils ne se levaient pas. Les gardiens coupaient les cordes de leurs hamacs. Lorsqu’un garde a levé son sabre, il s’est retrouvé face-à-face avec Fidel. Il est pratiquement tombé raide mort." Le jeune homme décrivit d’autres abus constatés par Fidel. "Ca, c’est encore un exploit de Fidel," dit-il. "Fidel est l’homme des visites inattendues."
Castro, raconte le milicien à Cardenal, "supprima" les camps. "Mais personne n’en parle."
Un autre jeune qui a servi dans un camp explique que malgré l’expérience, "nous qui étions à l’intérieur de l’UMAP avons découvert que l’UMAP était dissociable de la Révolution. Nous nous sommes dits : nous n’allons pas quitter Cuba, nous allons rester et corriger ce qui ne va pas. Au bout de trois ans, et après un discours de Fidel, l’UMAP fut fermée."
Un "jeune révolutionnaire marxiste" raconta une histoire à Cardenal. "On confisqua la carte d’identité et tout autre élément d’identification à cent jeunes militants de la Jeunesse Communiste qui furent ensuite envoyés comme prisonniers à l’UMAP, pour voir comment ils seraient traités. C’était un programme très secret. Même leurs familles n’étaient pas au courant du plan. Après, les jeunes ont raconté ce qu’ils ont vu. Et ils ont fait fermer l’UMAP."
"Nous considérons que l’UMAP représente un chapitre noir de l’histoire cubaine," déclara Monika Krause, une des premières sexologues de Cuba révolutionnaire, à la revue "Gay Community News" de Boston en 1984. "C’était l’expression d’une ignorance et d’une aversion irraisonnée envers l’homosexualité - nous pensions qu’il était du devoir de notre système de corriger les attitudes qui ont abouti à la création de l’UMAP. Parce que nous sommes une société socialiste, il ne peut y avoir de discrimination."
LA "REVOLUTION SEXUELLE" D’ARENAS
En contraste, Arenas affirme dans le film que son groupe combattait la répression par "le sexe". Dans son livre, il décrit une conversation avec un compagnon - après un voyage à l’île des Pins, où il prétend avoir entretenu des relations sexuelles avec "tout un régiment" - où les deux "font l’inventaire du nombre d’hommes avec lesquels ils avaient couché ; c’était en 1968. Je suis arrivé à la conclusion, après des calculs mathématiques compliqués, que j’avais eu des relations avec environ cinq mille hommes." Son partenaire arriva à un chiffre similaire. Ils n’étaient pas les seuls à être "emportés par cette rage érotique, tout le monde l’était ; les recrues (des forces armées) qui passaient des mois dans l’abstinence, et toute la population" (et tout ceci alors qu’un soi-disant pogrom anti-homosexuel balayait l’île de Cuba.)
"Je pense", écrivit Arenas, "que la révolution sexuelle surgit en riposte à la répression politique." Par une telle phrase, Arenas lance une pique politique. Le fait est qu’elle est fausse à tous points de vue.
L’EMANCIPATION DES FEMMES
La révolution sexuelle à Cuba débuta avec la lutte pour l’émancipation des femmes après des siècles d’oppression, d’exploitation et d’arriération générées par le colonialisme et la dépendance du pays au métropole impérial. Le point de départ de ce processus fut l’effort déployé pour incorporer les femmes dans la vie active ; le travail des femmes jusqu’en 1959 se résumait principalement au travail domestique ou à la prostitution dans les salles de jeux et les bordels tenus par des investisseurs états-uniens et la Mafia. L’indépendance économique des femmes commençait par leur libération du mariage obligatoire et leur isolement et oppression au foyer, lieu de travail "gratuit".
Dans ce contexte, le nouveau gouvernement abolit le commerce du sexe, ferma les bordels et inaugura un programme spécial pour éduquer et former les prostituées cubaines à un véritable métier. La pornographie fut bannie et l’est encore aujourd’hui. Le divorce fut facilité et le contrôle des naissances (comme la médecine en général) devint gratuit. De plus en plus de couples concubins se formaient en parallèle aux couples mariés et le gouvernement traitaient leurs enfants - comme ceux des familles monoparentales - à égalité. Aujourd’hui, aucun enfant ne naît à Cuba avec une étiquette "né hors des liens du mariage". Ce concept réactionnaire fut remplacé par celui d’une responsabilité sociale de prendre soin des enfants, accompagnée par des conditions matérielles et une conscience qui abolirent l’idée que la femme, l’épouse et les enfants étaient la propriété des mâles.
Le regain de confiance des femmes cubaines était illustré par leur participation croissante aux missions internationalistes, depuis les cours d’alphabétisation dans les montagnes du Nicaragua face aux menaces de la "contra" jusqu’aux combats en Afrique contre les troupes de l’Apartheid. Aujourd’hui, les femmes composent plus de la moitié des 1.1 millions membres des Milices Territoriales, l’organisation de défense nationale de Cuba. Les anciennes structures inhibitrices et stéréotypées ont commencé ainsi à s’effondrer. De fait, les actes de violence contre les femmes, basés sur des siècles d’oppression, telles que les viols et les violences physiques, ont baissé et sont nettement inférieurs que dans n’importe quel autre pays.
La lutte pour l’égalité des femmes est appuyée par la révolution et menée dans le contexte de l’émergence d’une nouvelle éthique de solidarité humaine dans la construction d’une société libre. Elle constitue un sous-ensemble, une extension, de la lutte qui a démarré dans les montagnes de la Sierra Maestra et qui vise à la libération du pays et à l’émancipation des hommes et des femmes. Cet effort permanent fut accompagné par la science et l’éducation dans son combat contre les préjugés - y compris dans le domaine sexuel.
Dans leur lutte pour l’égalité, les femmes cubaines et leurs alliés se sont inévitablement confrontés à une résistance sur des questions allant de l’emploi dans des postes traditionnellement réservés aux hommes et le "double fardeau" du travail et des tâches ménagères, jusqu’aux libertés sexuelles. "La participation des femmes à la révolution était une révolution dans la révolution", déclara Fidel Castro lors d’une réunion de la Fédération des Femmes Cubaines en 1966, "et si on nous demandait quelle était l’aspect le plus révolutionnaire de cette révolution, nous répondrions que c’est précisément cela - la révolution des femmes dans ce pays."
Au sein de tant de luttes et de mobilisations politiques, de nouvelles valeurs se forgeaient dans le processus de transformation de la société - objectif déclaré des dirigeants de la révolution. Il en résulta l’émergence d’une morale qui surpasse largement "l’éthique" qui gouverne les relations humaines dans d’autres pays. C’est sont les avancées accomplies sur ces principes fondamentaux qui serviront de base à l’élargissement des droits des gays. (De nombreux défis relevés par les femmes et réalisés au début de la révolution sont décrits dans le livre "Women and the Cuban Révolution - Les Femmes et la Révolution Cubaine" d’Elizabeth Stone, qui présente de nombreux discours et documents, et "Cuban Women Now - les Femmes Cubaines Aujourd’hui", par Margaret Randall, qui présente un ensemble de témoignages personnels.) Il est évident que la lutte pour l’émancipation des femmes n’est pas terminée. Mais elle est menée par un peuple doté d’un niveau de conscience plus élevé que dans n’importe quel autre pays au monde.
LA PROMISCUITE CONTRE L’EGOISME
Pour Arenas, la lutte pour la libération des femmes n’a jamais existé. D’innombrables relations sexuelles (dans son cas, entre hommes) - avec comme seul critère la quantité - est une idée souvent défendue par les autoproclamés avocats de la "révolution sexuelle". Une telle définition vide le concept du toute substance historique et ramène son aspect social révolutionnaire à une recherche permanente d’assouvissement sexuel individuel comme un but essentiel dans la vie. Il n’y a rien de progressiste là-dedans - il s’agit d’une simple réponse d’ordre pornographique à une répression sexuelle qui déshumanise à la fois les hommes et les femmes, hétérosexuels ou non. Contrairement au poète William Blake, le "chemin de l’excès" ne mène pas "au royaume de la sagesse". Les conséquences d’une telle attitude sont décrits par l’émouvant documentaire de Randy Shilt sur la pandémie du SIDA, "And the Band Played On".
Le credo sexuel d’Arenas était aux antipodes de l’élément central que la révolution tentait d’inculquer aux hommes et femmes libres qui découvraient leurs talents et leurs capacités à résoudre des problèmes complexes - de l’égoïsme. La libération sexuelle, libérée des entraves posées par des normes répressives, doit d’abord s’affranchir de l’aliénation et du fétichisme exagéré qui définissent le sexe et la sexualité.
LES ORIGINES DE L’IDEOLOGIE SEXISTE
L’idéologie patriarcale, imposée pendant des millénaires, trouve ses origines dans le triomphe des hommes sur les femmes dans la bataille pour le surplus produit par la société. Cette défaite historique de la matriarchie plaça la famille au centre du développement de la propriété privée et de l’état - comme le décrit Friedrich Engels dans "L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État".
"(Donc, ce que) nous pouvons conjecturer aujourd’hui de la manière dont s’ordonneront les rapports sexuels après l’imminent coup de balai à la production capitaliste est surtout de caractère négatif, et se borne principalement à ce qui disparaîtra, " écrivit Engels. " Mais quels éléments nouveaux viendront s’y agréger ? Cela se décidera quand aura grandi une génération nouvelle : génération d’hommes qui, jamais de leur vie, n’auront été à même d’acheter par de l’argent ou par d’autres moyens de puissance sociale l’abandon d’une femme ; génération de femmes qui jamais n’auront été à même de se donner à un homme pour quelque autre motif que l’amour véritable, ou de se refuser à celui qu’elles aiment par crainte des suites économiques de cet abandon. Quand ces gens-là existeront, du diable s’ils se soucieront de ce qu’on pense aujourd’hui qu’ils devraient faire ; ils se forgeront eux-mêmes leur propre pratique et créeront l’opinion publique adéquate selon laquelle ils jugeront le comportement de chacun - un point, c’est tout."
[ NDT : j’ai rien compris. Traduction extraite de l’adresse suivante http://www.marxfaq.org/francais/engels/works/1884/00/fe18840000h.htm ]
Le mariage rend obligatoire pour des raisons économiques la réduction du rôle de la femme dans le travail domestique non rémunéré et les tâches "matériels", et sa domination par le patriarche constituent la base concrète de l’idéologie sexiste - une idéologie qui fait obligatoirement fi de l’homosexualité. C’est le degré de conscience sur ces questions et la manière de les confronter qui déterminent le degré d’émancipation de la "révolution sexuelle" qui émergera inévitablement d’une lutte plus large et plus décisive pour renverser le capitalisme et commencer la construction du socialisme.
ARENAS REINVENTE
"La vie et la mort de Reinaldo Arenas furent guidées par trois passions," écrivit avec emphase l’écrivain anticommuniste Guillermo Cabrera Infante dans le quotidien espagnol El Pais, dans une critique du livre "Avant la Nuit". Ce sont "la littérature (non pas comme un jeu, mais comme un feu intérieur), le sexe passif, et le militantisme (active politics). Des trois, la passion dominante était évidemment le sexe. Non seulement dans sa vie, mais aussi dans son travail. Il était le chroniqueur d’un pays gouverné non pas par le déjà impuissant Fidel Castro, mais par le sexe - il vécut une vie dont le début ressemblait à la fin : dès le début, un long et permanent acte sexuel." Comme d’autres qui rejettent Cuba, Cabrera Infante fait une fixation sur la personnalité de Fidel Castro pour nier la base populaire de la révolution sans qui Fidel, et les autres dirigeants, auraient été renversés il y a bien longtemps. Interviewé dans le film "Conducta Impropria" , il affirma que le sort réservé aux gays à Cuba était comparable à l’extermination des Juifs par les Nazis à Auschwitz.
Mais tandis qu’Arenas se complaisait à vanter ses exploits sexuels, Schnabel, conscient des critiques qu’un tel comportement pouvait attirer, se livre à une pirouette de mise en scène pour embellir le comportement d’Arenas. Il remplace les relations frénétiques et anonymes de l’écrivain par une jolie sensualité torride teintée d’innocence rurale.
ARENAS COMME ECRIVAIN
En 1963 fût publié le roman primé d’Arenas, "Le Puits" [ NDT - en anglais " Singing from the Well " ; en espagnol "Cantando en el poso" (1982), originalement publié sous le titre "Celestino antes del alba (1967)" selon Wikipedia ]. Ce livre est encore disponible à Cuba. Son livre avait été favorablement accueilli par Alejo Carpentier, figure clé à l’époque d’une école littéraire émergente appelée "réalisme magique", dont l’oeuvre influença et annonça Gabriel Garcia Márquez. Mais contrairement à Carpentier, Arenas se positionna dans un trajectoire de confrontation directe non seulement avec les erreurs de la révolution, mais aussi avec la lutte de libération du peuple Cubain qui pouvait corriger ces erreurs. Si Arenas avait été capable de s’intégrer dans ce processus complexe, son talent - démontré dans des oeuvres telles que "Rosa", qui rappelle le jeune Garcia Márquez et l’exceptionnel romancier portugais José Saramago - aurait pu être vacciné contre le poison de l’amertume obsessive qui imprégnera et déformera ses ouvres futures. Il était incapable de comprendre que, comme l’a déclaré le jeune cubain à Ernesto Cardenal, "l’UMAP était dissociable de la Révolution. Nous nous sommes dits : nous n’allons pas quitter Cuba, nous allons rester et corriger ce qui ne va pas".
EXEMPLES DE RESISTANCES ET D’ABANDONS
La vie et le statut de José Lezama Lima, auteur de ce qui est probablement le plus grand roman cubain, "Paradiso", et qui fut vilipendé par certains en 1960 pour "dissidence", et l’homosexualité lyrique sous-jacente de l’oeuvre, constitue une alternative à Arenas, malgré les efforts du film pour le décrire comme un cosmopolite ennemi de la révolution. Lezama Lima, qui était gay, défendit le gouvernement Cubain et Castro devant Ernesto Cardenal en 1970, tout en expliquant qu’il n’était pas un "animal politique". Il vécut à la Havane jusqu’à sa mort. Un jeune membre du Ministère des Relations Extérieures de Cuba m’a raconté l’année dernière qu’il avait lu, en compagnie d’autres étudiants en littérature cubaine, le livre de Lezama au lycée. "C’est mon roman préféré", m’a-t-il dit.
Paradiso "n’a jamais été censuré," a déclaré le cinéaste cubain Tomás Gutiérrez Alea à la revue Cineaste en 1995. "Ce qui s’est passé après la publication du livre fut que celui-ci fût retiré parce qu’il y avait un chapitre entier contenant des références à l’homosexualité. Un tel acte de censure était idiot. Néanmoins, le livre a finalement été remis en circulation."
Pablo Armando Fernández, qui "confessa" ses déviations idéologiques durant l’affaire Padilla, et qui fut privé pour un temps du droit de publier sa poésie - il dut se convertir au métier d’imprimeur pour survivre - refusa lui aussi d’abandonner le navire. Aujourd’hui, il est le lauréat des plus hautes récompenses de poésie à Cuba, et il défend la souveraineté de son pays dans les conférences qu’il donne aux Etats-Unis.
D’un autre côté, Padilla émigra aux Etats-Unis en 1979 et devint la marionnette des propagandistes anti-cubains. Ceci inclut sa participation à "Conducta impropria" . Dans ce film, Padilla va jusqu’à se ridiculiser en accusant "les dirigeants cubains" qui, tout en persécutant les "hommes gays", évitaient de harceler les lesbiennes parce qu’elles "les excitent. Rien n’excite plus le cerveau primitif d’un cubain que deux femmes au lit."
IDENTIFIER ET ANALYSER LES ERREURS
Malgré le départ de Padilla et son virage à droite, les mauvais traitements dont il a fait l’objet - comme pour d’autres intellectuels et artistes - furent condamnés par les dirigeants cubains. Abel Prieto, dans une interview accordée à la revue cubaine "Contrapunto" alors qu’il était le président de l’UNEAC (le syndicat des artistes et écrivains) et le plus jeune membre du Politburo du Parti Communiste, s’exprima en ces termes : "Je suis convaincu que l’affaire Padilla fut une erreur," et qualifia l’exilé de "bon poète".
"La fameuse autocritique de Padilla fut un piège ridicule dans lequel sont tombés les camarades impliqués dans cette affaire. Il y eut des gens très courageux, révolutionnaires et intellectuels qui ont cru à cette mise en scène, cette autocritique," souligna Prieto. En parlant d’un documentaire tourné à l’époque sur ces événements, et qui saluait ces confessions, Prieto qualifia le film de "très triste, parce que c’était une sorte de caricature des procès de Moscou". Le mot clé ici est "caricature". En effet, si un régime "à la Moscovite" avait réellement existé à la Havane, Cuba serait aujourd’hui une Bulgarie tropicale et l’Histoire aurait été tout à fait différente, et le monde dans une situation plus difficile. Le film, souligna Prieto, était en réalité l’expression d’une "bouffonnerie ". C’était un étalage de mesures imposées par un secteur bureaucratique sans scrupules et réactionnaire déterminé à éloigner les travailleurs de la politique et consolider leurs propres vies confortables en abandonnant la solidarité internationale. C’est précisément parce que Cuba n’a jamais été une "satellite" de l’URSS - au grand dam de Washington - que sa direction fut capable de mener la lutte contre les déviations et ramener la révolution sur son chemin initial.
Prieto est actuellement le Ministre de la Culture à Cuba.
Dans le film "Avant la Nuit", une voix "off" s’exprime - censée être celle de Fidel Castro - pour justifier les mauvais traitements. Le narrateur anonyme récite les paroles d’un discours de Castro, devant des intellectuels Cubains de l’époque, et dit "dans la révolution, tout ; hors de la révolution, rien." En fait, le dirigeant Cubain a dit quelque chose de bien différent : "contre la révolution, rien." Cette dernière idée a toujours fait l’objet d’une constante élaboration, de mise en pratique et de débat - le tout dans un environnement d’hostilité permanente de la part des Etats-Unis qui n’a jamais faibli avec le temps.
UN PAS EN ARRIERE
En 1970, trois ans après le meurtre de Che Guevara en Bolivie et le déclin du mouvement révolutionnaire en Amérique latine qui en résulta, la direction centrale de Cuba était incapable de remplir sa promesse de mobiliser suffisamment la population pour obtenir une récolte de sucre de 10 millions de tonnes, chiffre qui s’est révélé utopique. Ce revers pour le régime modifia l’équilibre politique en défaveur de ceux menés par Fidel Castro et en faveur de ceux qui préconisaient l’établissement de relations économiques privilégiées avec Moscou. Cette décision, et tout ce qui découlait de cette relation sur le plan politique et culturelle, eut des conséquences inattendues. Peu après, Cuba abandonna son plan d’autosuffisance alimentaire pour intégrer le Conseil d’Assistance Economique Mutuelle, qui fédérait les plans économiques de l’URSS et des pays du pacte de Varsovie.
C’est dans ce contexte que s’est tenu en 1971 le premier Congrès National sur l’Education et la Culture et que se produisit - ce n’est pas un hasard - l’arrestation de Heberto Padilla. A l’extérieur de Cuba, des partisans de la révolution protestèrent, comme Carlos Fuentes, Gabriel Garcia Márquez et Jean-Paul Sartre. Ceux-là se démarquèrent d’autres intellectuels et écrivains qui invoquèrent l’injustice commise pour rompre avec la révolution.
Dans sa résolution la plus marquante, le Congrès déclara "le caractère pathologique social des déviations homosexuelles est reconnu. Il est convenu que toutes les manifestations de déviations homosexuelles doivent être fermement rejetées et leur expression limitée." Cette proclamation encouragea la négation aux gays de tout emploi dans une institution qui pouvait influencer les jeunes. De même, le Congrès déclara que les gays ne pouvaient pas "représenter Cuba" à l’étranger.
Cette prise de position provoqua des protestations d’artistes, d’écrivains et d’autres Cubains ainsi que des partisans de Cuba à l’étranger dont le caractère révolutionnaire ne pouvait être mis en doute. Joseph Hensen, dirigeant vétéran du Socialist Workers Party ( Etats-Unis ) qui dès le début diffusait assidûment des informations sur le déroulement de la révolution et lutta pour renforcer la solidarité, écrivit que "la mise au pilori des homosexuels" était "un mauvais signe" sur l’existence de problèmes plus profonds mais pas insurmontables. (introduction à son recueil d’essais de 1978, The Dynamics of the Cuban Revolution : A Marxist Appreciation)
Un jour, je me promenais dans les rues de la Havane par une journée torride du mois d’août. J’ai cherché à me protéger de l’humidité étouffante en me réfugiant dans le hall d’entrée climatisé de l’ambassade Tchécoslovaque. En entrant, je suis tombé nez à nez avec un étalage de "déviationnisme idéologique" - une formule effrayante créée par la bureaucratie Soviétique et qui consistait à faire des amalgames, à stigmatiser et à mettre hors la loi toute une panoplie d’ennemis, à la fois réels et imaginaires. Devant moi, dans un présentoir vitré, se trouvaient les preuves, fournies par le Ministère de l’Intérieur Cubain : une copie de "la Révolution Trahie" de Trotski, un magazine d’érotisme homosexuel, et un tract Sioniste. Malgré la fraîcheur du hall d’entrée, j’étais seul.
A l’extérieur, de nombreux Cubains étaient préoccupés par les menaces répétées de Moscou à l’égard de mouvement polonais Solidarité. "Nous sommes contre une intervention", m’ont dit de nombreux cubains, préoccupés par l’éventualité de représailles étasuniennes.
LE TRAJECTOIRE D’ARENA
Le deuxième roman d’Arenas, malgré les louanges décernées par l’UNEAC, fut interdit de publication, sauf si les références à l’homosexualité étaient expurgées. Arenas refusa et commença à sortir ses livres clandestinement de Cuba. En 1973, il fut arrêté pour atteinte à la pudeur envers un mineur, qu’il nia.
Dans le film, cet événement est décrit sans aucun fondement comme un piège tendu contre le chaste Arenas. Cependant, dans ses mémoires, Arenas parle d’une occasion où lui et ses amis "eurent des relations sexuelles avec des jeunes." Il est emprisonné, mais il s’évade et se retrouve fugitif. Les proclamations d’Arenas, qui deviennent de plus en plus antirévolutionnaires, ainsi que ses relations avec des ambassades étrangères par lesquelles il fait passer ses manuscrits à l’étranger amènent le gouvernement cubain à le déclarer comme un agent au service des Etats-Unis.
Il est arrêté de nouveau. Son emprisonnement est montré dans le film dans un décor imaginé par Hieronymus Bosch. Arenas signe des aveux - grâce à la persuasion de Johnny Depp - et se retrouve libre. Ensuite, le film passe rapidement en revue sa vie dans un squat, en compagnie d’autres Cubains mécontents, jusqu’en 1980 et l’exode de Mariel où quelques 125.000 cubains partirent pour les Etats-Unis. Dans le film, les dix années suivantes sont résumées en quelques secondes.
L’arrivée d’Arenas et ses expériences à Miami - brièvement racontées dans le livre - sont entièrement absents du film. Peut-être parce qu’il pensait que la ville était "une caricature de Cuba, du pire de Cuba". Pour lui, si Cuba était un "enfer", Miami était un "purgatoire". Des propos qui, en plus de son homosexualité déclarée, ne lui attiraient pas les sympathies de l’extrême droite du sud de la Floride. Arenas se servira de cette antipathie pour répandre le mythe qu’il n’était "ni de gauche, ni de droite", comme si ses préférences sexuelles lui permettaient de transcender tout jugement basé sur le contenu politique de ses actes.
Après s’être installé àNew York, Arenas se lança dans l’organisation d’actions contre la révolution cubaine. Ses propres conférences en font partie, sa collaboration avec Nestor Almendros dans "Conducta Impropria" et sa participation à des campagnes de pétitions dénonçant la "dictature Castriste". Toutes ces actions, largement décrites dans ses mémoires, sont absentes du film.
Son roman The Brightest Star ["l’étoile la plus brillante" ] fut publié en anglais en 1984. Il est dédié à son ami, Nelson Rodràguez Leyva qui, en 1971, dégoupilla une grenade qui n’a pas explosé dans un avion de ligne Cubain en vol vers les Etats-Unis. Arrêté, celui-ci fut jugé et exécuté. Arenas salua son action armée. "Je pense souvent à ce moment où, grenade à la main, au dessus de cette île avec ses camps de concentration et ses prisons, Nelson, dans le ciel, se sentait enfin libre, peut-être pour la première fois dans sa courte vie." écrivit Arenas, en parlant de son ami.
FIN TRAGIQUE
L’auteur Arenas fait un rapide compte-rendu des dix dernières années de sa vie aux Etats-Unis, une répétition malheureuse de celle qu’il a vécu à Cuba : d’innombrables relations sexuelles anonymes, des rencontres imaginaires avec des "sorcières", des diatribes obsessionnelles contre Fidel Castro, une dérision sans relâche contre les figures de la littérature internationale - ses plus célèbres rivaux - qui défendaient Cuba. Carlos Fuentes, dit-il, cinglant, se comporte "comme un ordinateur - l’exact contraire de ce que je considère comme un véritable écrivain." Eduardo Galeano est "un homme de main de Castro". Gabriel Garcia Marquez est "un opportuniste né. Son oeuvre, qui a malgré tout des qualités, est imprégnée d’un populisme de bazar".
Surtout, Arenas devint politiquement paranoïaque et voyait des "agents de Castro" partout. Les origines de cette phobie n’étaient pas dûes à leur existence, mais au fait qu’Arenas rencontrait souvent des partisans de Cuba lors de ses interventions. Face à de tels contradicteurs, il imaginait recevoir "des menaces de mort de la part de la sécurité d’état Cubaine" et affirmait qu’il était la cible de tentatives d’assassinats, de cambriolages et d’opérations clandestines.
Rien de tout cela, à l’exception d’une allusion rapide à l’activité sexuelle d’Arenas, n’est raconté dans le film. Le film conclut rapidement sur la tragédie solitaire de sa mort, exacerbé par des effets de mise en scène. Il est expulsé d’un appartement. Affaibli par le SIDA, il est hospitalisé mais, sans couverture sociale, il est libéré et retourne à sa nouvelle demeure au confort spartiate. Bien sûr, il s’agit là d’une critique des conditions de vie aux Etats-Unis (et renforce par là la crédibilité du film auprès des progressistes). Ces "souffrances de l’ exil", écrivit Arenas dans sa "lettre d’adieu", ainsi que "les maladies contractées - n’auraient probablement jamais eu lieu si j’avais pu vivre en liberté dans mon propre pays."
Arenas s’est tué. Mais le metteur en scène Schnabel, apparemment pour tenter de renforcer la sympathie pour le personnage, transforme le suicide en un acte d’euthanasie effectué par un ami proche, Lazaro Gomez.
La prédiction d’Arenas, sur son lit de mort en 1990, que Cuba "sera libre" faisait écho aux espoirs des milieux cubano-américains de pouvoir fêter leur prochain Noël (le premier après la chute de l’URSS), à la Havane. Mais sa prédiction se révéla être aussi creuse que sa vie était devenue.
* * * *
En 1975, la Cour Suprême Cubaine annula le Résolution numéro 3 du Conseil de la Culture, prédécesseur du Ministère de la Culture. Ce jugement fût invoqué pour inspirer les déclarations anti-gay du congrès culturel de 1971 et qui fixaient les "paramètres" pour restreindre l’emploi des homosexuels dans les métiers de l’art et de l’éducation.
En 1975 aussi, après d’intenses débats et discussions populaires, Cuba adopta le Code de la Famille. Parmi d’autres changements importants, le code prônait l’égalité des sexes en matière d’éducation des enfants et des tâches ménagères, renforçant l’égalité des sexes en tant qu’objectif de la nouvelle société.
En 1979, le nouveau Code Pénal cubain dépénalisa l’homosexualité.
En 1981, "En défense de l’Amour", par le Dr Sigfried Schnabl, devint un best-seller à Cuba grâce à son traitement franc et objectif de la sexualité humaine. L’Homosexualité, écrivit Schnabl, "n’est pas une maladie, mais une variante de la sexualité humaine."
"Il n’y a pas de normes morales ou sentimentales "naturelles" chez l’homme." expliqua-t-elle. "La seule tendance naturelle est le désir sexuel lui-même. Les us et coutumes par lesquels les gens satisfont leurs désirs et tout ce qui s’instaure entre les sexes est le produit d’une culture." Ainsi, la bigoterie anti-gay de la culture héritée par la révolution Cubaine devait être rejetée. "Ce serait une erreur que de rejeter un homosexuel à cause de ses préférences sexuelles ou de considérer son homosexualité comme une tare, comme beaucoup le font, malheureusement, à cause de leur ignorance, leur incompréhension, et leurs préjugés."
Peu après, le Ministère de la Culture cubaine republia le livre populaire de Schnabl, "L’Homme et la Femme dans l’intimité", qui consacre un chapitre entier à l’homosexualité. Le livre fut publié pour la première fois en 1979. Il énumère et réfute une série de superstitions qui tentent d’expliquer les causes supposées de l’homosexualité. "Toutes ces "théories" - qui jusqu’à une date récente étaient défendues par certains spécialistes," écrivit Schnabl, "n’ont pas le moindre fondement scientifique."
CONTRE LA DISCRIMINATION ANTI-GAY
Les gays "ne souffrent pas de leur homosexualité," expliqua Schnabl, "mais plutôt des difficultés que leur condition engendre dans la vie de tous les jours," à savoir les préjugés anti-gays. Elle s’opposa explicitement, dans ce livre publié par le gouvernement, à toutes sanctions contre les gays.
"Ce que font des adultes consentants en privé ne porte pas atteinte aux valeurs morales d’une société et il n’y a donc pas lieu de prendre une quelconque action à leur encontre. Les Homosexuels, comme tous les citoyens, ont droit au respect et à la reconnaissance pour leurs actions concrètes et leur comportement," déclara Schnabl.
En citant ces passages, et d’autres aussi, dans le quotidien du Parti Communiste Cubain, Granma, Tomás Gutiérrez Alea souligna, dans une réaction en 1984 à Conducta Impropria, que "cela ne signifie pas que la publication d’un seul livre, tout "officiel" qu’il soit, fera automatiquement disparaître le phénomène social profondément enraciné par des siècles d’un passé catholique et espagnol. Cependant, un tel livre où, entre autres, apparaissent les derniers critères scientifiques sur l’homosexualité est, sans nul doute, un outil précieux délivré par l’état Cubain à tous ceux qui défendent la cause de tous ceux qui sont victimes de discriminations, qui sont marginalisés et qui souffrent des préjugés et d’oppressiond de toutes sortes."
Les critiques formulées par Gutierrez contre Almendros, qui a volontairement falsifié son "documentaire" sur la durée et la nature de l’UMAP, pourrait aussi être appliquées à Schnable. "Almendros sait parfaitement que des mensonges éhontés peuvent être fabriqués à partir de demi vérités," écrivit Gutiérrez. "Il sait, par exemple, que l’UMAP, les camps de travail où de nombreux homosexuels furent envoyés pour y effectuer leur service militaire, était une erreur et déclencha un scandale qui heureusement aboutit à leur disparition et une politique de rectification." Le magazine (US) Village Voice et le quotidien (US) Militant reproduisirent l’article du légendaire metteur en scène cubain peu de temps après sa publication à Cuba.
LA RECTIFICATION
En 1986, le Parti Communiste Cubain, mené par Fidel Castro, entreprit un profond processus de critiques, de débats et d’échanges destiné à dépasser la politique économique et l’organisation du travail inspirées des Soviétiques. Fidel expliqua que les valeurs révolutionnaires cubaines avaient été tellement érodées par la bureaucratie, la corruption, et l’inertie générée par de telles méthodes que la révolution avaient commencé à "déraper". La Parti lui-même, déclara-t-il au Comité Central, avait commencé à "se perdre".
Cette profonde "campagne de rectification des erreurs et des tendances négatives" devint réellement, comme le dirigeant cubain l’a affirmé, "une révolution dans la révolution." Son objectif n’était pas de "simplement rectifier les erreurs commises ces dix dernières années," précisa Castro, "ou les erreurs commises depuis le début de la révolution. La rectification, c’est de trouver des solutions à des problèmes qui perdurent depuis des siècles." (deux discours clés qui expliquent le processus de rectification sont toujours disponibles dans le magazine New International, à 410 West St., N.Y., N.Y. 10014, USA).
L’étendue de ce projet sans précédent - particulièrement lorsque les militants révolutionnaires cubains s’en saisirent - déclencha de nombreux débats sur les méthodes économiques qui avaient fait dévier la révolution ainsi qu’aux politiques appliquées dans le domaine de la culture, des arts et des relations sociales.
Un des résultats de ce processus fut de découvrir que, en dépit de l’arme de l’immigration utilisée par les Etats-Unis contre une Cuba soumise à un embargo économique, des départs plus récents (comme ceux de Mariel) touchaient des milliers de citoyens (dont des gays ) qui avaient souffert de discriminations ou avaient été réprimés selon des pratiques erronées exercées au nom de la révolution.
Il y a plus de dix ans, j’ai interviewé un jeune travailleur Cubain, dont l’homosexualité était connue chez ses collègues de travail, qui avait quitté Cuba lors de l’exode de Mariel, "juste pour vivre une aventure," dit il. Roberto réalisa rapidement tout ce qu’il avait abandonné. Il vécut des expériences qui ont fini par le faire adhérer à la Brigade Antonio Maceo, un groupe de jeunes cubains prorévolutionnaires à Miami et New Jersey. Il retourna visiter Cuba en plein processus de rectification et rendit visite à l’usine où il travaillait avant pour prendre la parole devant 700 de ses anciens collègues. Lorsqu’il monta sur l’estrade, ils se levèrent pour lui faire une ovation.
DES TABOUS QUI DISPARAISSENT
Un effet secondaire de la catastrophe économique qui secoua Cuba lorsque l’URSS et ses régimes alliés s’effondrèrent (entraînant une chute de 85% du commerce de l’île) fut la disparition de l’influence sociale et culturelle soviétique dans le corps politique de la révolution cubaine - les canons de "l’orthodoxie" soviétique et du "réalisme socialiste" qui n’ont jamais fait partie de l’esprit rebelle de la révolution cubaine et de ses principaux dirigeants. D’un seul coup, des questionnements et des débats historiques ; des figures politiques et littéraires considérées auparavant comme "hors limites" ; ou des "théories" jadis considérées comme sacro-saintes ou limitées par "l’autocensure" devinrent accessibles et sujets à investigations, recherches et critiques. Ce processus vivant est toujours en cours.
En 1987, une nouvelle directive adressée aux forces de police interdit la persécution des personnes sur des critères d’apparence ou d’habillement, ce qui avait été auparavant le cas pour des raisons de comportement "ostentatoire".
En 1988, lors d’une interview à une télévision galicienne en Espagne, Fidel Castro souligna "qu’une certaine rigidité" avait marquée les comportements à l’égard de l’homosexualité. Alors que "Dieu eut besoin de sept jours pour créer le monde," expliqua-t-il, "il faut comprendre que pour refaire le monde, pour détruire un monde comme celui que nous connaissons ici et en reconstruire un autre, il n’y avait pas beaucoup de lumière. Au début il y avait beaucoup de ténèbres et beaucoup de confusion sur toute une série de problèmes. Notre société, notre parti, notre gouvernement ont (désormais) des idées plus claires, plus sages, et plus intelligentes sur beaucoup de ces sujets. Etant donné que nous sommes susceptibles de commettre des erreurs, nous nous accrochons à l’idée de faire ce qui est juste, le mieux pour le peuple, ce qui est le plus humain pour notre peuple et notre société. Cependant, la tâche n’est pas facile - mais je pense que nous nous approchons de plus en plus des critères les plus justes pour faire le monde que nous voulons. Néanmoins, je crois que nous avons encore beaucoup de défauts et les générations futures devront continuer à améliorer ce monde nouveau. "
En 1992, au congrès de l’Union des Jeunes Communistes, Vila Espin, présidente de la Fédération des Femmes Cubaines (FFC - acronyme espagnol FMC, ndt) et un haut dirigeant du Parti Communiste défièrent un psychologue qui avait exprimé des préjugés sur l’homosexualité. Espin, selon Sonja de Vries dans "Cuba Update", expliqua que c’était de telles idées qu’il fallait changer et non la préférence sexuelle des gays. "L’opinion d’un révolutionnaire de longue date, et respecté, est représentatif de l’évolution des mentalités au sein des dirigeants cubain" écrivit Vries.
CASTRO ABORDE LE SUJET
En 1992, Fidel Castro répondait à plusieurs questions sur la sexualité posées par l’ancien dirigeant Sandiniste du gouvernement Nicaraguayen, Tomas Borge, dans le livre "Un Grain de Mais". Le livre, qui aborde différents sujets, fut publié à la Havane. Comme souvent le cas à Cuba, le livre s’est arraché et fut rapidement épuisé. Les remarques de Castro sont méconnus à l’extérieur de Cuba. Il est donc utile de les rappeler.
"Vous parlez de discrimination sexuelle," répond le dirigeant Cubain à une question de Borge. "Je vous ai dit que nous avions éliminé la discrimination sexuelle. Plus précisément, nous avons fait tout ce qu’un gouvernement pouvait faire, qu’un état peut faire, pour éradiquer la discrimination sexuelle contre les femmes.
"On pourrait parler d’une longue lutte, qui a été victorieuse, qui a donné beaucoup de résultats dans la lutte contre discrimination contre les femmes. Il y a encore beaucoup de machisme à Cuba. Je pense que son niveau est plus bas que partout ailleurs en Amérique latine, mais il y en a. Il fait partie de ce qui compose l’idiosynchratie de notre peuple depuis des siècles et qui a de nombreuses origines, qui vont jusqu’à l’influence Arabe en Espagne et l’influence des Espagnols, parce que nous avons hérité du machisme des conquistadors, comme nous avons hérité d’autres mauvaises habitudes.
"C’est un héritage historique. Il est plus important dans certains pays que dans d’autres, mais dans aucun pays il n’y a eu un combat comme chez nous et je crois que nulle part ailleurs il n’y a eu des résultats aussi tangibles et concrets. C’est vrai, c’est quelque chose de visible, qu’on peut voir encore, et surtout, qui est visible dans la jeunesse. Mais on ne peut pas dire que la discrimination sexuelle a été totalement éradiquée et nous ne devons pas baisser la garde. Nous devons continuer à lutter dans ce sens, parce qu’il s’agit d’un héritage historique ancestral que nous avons beaucoup combattu ; il y a eu des avancées et des améliorations, mais nous devons poursuivre le combat.
"Je ne vais pas nier que, dans une certaine mesure, ce machisme ait influencé notre attitude vis-à-vis de l’homosexualité. Personnellement - vous m’avez posé une question personnelle - je n’ai aucune phobie contre les homosexuels. Réellement, cette phobie n’a jamais existé chez moi et je n’ai jamais défendu, encouragé ou même soutenu des mesures contre les homosexuels. Je dirais que c’est dû à une certaine période et surtout à un certain héritage, ce machisme. J’essaie d’apporter des réponses plus humaines, plus scientifiques à ce problème. Et souvent, il y a eu des tragédies, parce qu’il faut voir les réactions de certains parents. Il y a des parents qui ont un enfant homosexuel et qui en font une tragédie, et on ne peut que compatir devant cette tragédie qui affecte l’individu.
"Je ne considère pas l’homosexualité comme un phénomène de dégénérescence, je vois les choses sous un autre angle. L’approche est différente : une approche plus rationnelle, si on prend en compte les tendances et la nature des êtres humains qui doivent tout simplement être respectées. C’est cela ma philosophie pour aborder ces problèmes. Je crois qu’il faut avoir de la considération pour une famille qui souffre d’une telle situation. J’aurais aimé que les familles réagissent différemment, qu’ils aient une autre attitude lorsque cela arrive. Je suis totalement opposé à toute forme de répression, mépris ou discrimination contre les homosexuels. Voilà ce que je pense."
Borge demande "Est-ce qu’un homosexuel peut être membre du Parti Communiste ?"
"Ce que je peux vous dire," répond Castro, "c’est qu’il y a eu beaucoup de préjugés à cet égard, c’est vrai, c’est une réalité, je ne vais pas le nier ; mais il y a eu d’autres préjugés, d’une autre nature, contre lesquels nous avons concentré notre lutte.
"Il y avait, par exemple, certains critères pour juger le comportement personnel d’un homme et d’autres critères pour juger celui d’une femme. C’était comme ça dans le Parti depuis des années et j’ai mené des combats et beaucoup de discussions sur ce sujet. Si un homme marié était infidèle, ça ne posait aucun problème, aucun souci. A l’inverse, une infidélité chez une femme provoquait des discussions dans les cellules du Parti. Les relations sexuelles étaient jugées différemment dans le cas d’un homme que dans le cas d’une femme. J’ai du me battre durement contre les tendances profondément enracinées qui n’étaient pas le résultat d’un sermon ou d’une doctrine, ou d’une éducation, mais le résultat des concepts machistes et des préjugés qui sont enracinés dans notre société.
"Bien sur, je n’ai pas répondu à votre question sur l’amour libre. Je n’ai absolument aucune objection. Je ne sais pas ce qu’il faut entendre par amour libre. Si cela signifie la liberté d’aimer, je n’ai pas d’objection."
Les remarques de Castro font le bilan des progrès accomplis et des défis en cours. Ces derniers sont de plus en plus relevés par les nouvelles générations de jeunes révolutionnaires cubains, dont beaucoup ont été influencés et éduqués dans les luttes pour la libération de la femme, pour les droits des gays et contre les violences anti-gays à travers le monde.
LE PROGRES DEMONTRE PAR LES FILMS
Un des résultats concrets du processus déclenché par la rectification et la perte de l’influence soviétique après les événements de 1989-1990 est la production en 1993 du film "Fraise et Chocolat", mis en scène par Tomás Gutiérrez. Son succès populaire, et les discussions provoquées, en firent un phénomène politique. Plus d’un million de Cubains ont vu le film, ce qui en fait peut-être le plus grand succès cinématographique jamais enregistré sur l’île. Le film remporta de nombreux prix importants à Cuba et à l’étranger.
Le film est une critique contre les attitudes doctrinaires et l’étroitesse d’esprit du Parti Communiste Cubain et de l’Union des Jeunes Communiste apparues dans les années 70 et début des années 80. Le film explique qu’une décision de quitter l’île peut être certes le résultat de la pression exercée par les Etats-Unis, ou d’une faiblesse de caractère. Mais elle peut aussi être le résultat et le prix à payer par la Révolution pour ses déficiences et ses erreurs. Fait rare, l’injustice de l’UMAP est mentionnée dans le film. Les préjugés anti-gays y sont disséqués. Le film laisse entendre que de telles attitudes sont contraires à l’humanisme même de la révolution. (le film est basé sur une pièce de théâtre de 1992, "Le Loup, les Bois et l’Homme Nouveau", tirée d’une nouvelle de Senel Paz.)
Gutierrez, connu familièrement comme Titon, expliqua en 1995 dans une interview à la revue "Cineaste" qu’il avait situé le film dans l’année 1979 parce que celle-ci représentait "la fin d’une période historique, parce que l’exode de Mariel eut lieu en 1980 et les choses commencaient à changer. La période d’avant 1979 était aussi une période de grande répression contre les homosexuels."
"A certaines périodes" de la Révolution, expliqua Titon, "les homosexuels avaient été interdits de certains emplois. Ils ont été interdits d’emploi dans l’éducation, par exemple, puisqu’il y avait des contacts avec les jeunes. Il y a maintenant une plus grande flexibilité pour les homosexuels en matière d’emploi. Par exemple, avant, lorsqu’il s’agissait de nommer des représentants de Cuba à l’étranger, il y avait de grandes réticences dans le cas des homosexuels. Beaucoup s’opposaient à l’attribution de tels postes aux homosexuels parce qu’ils pensaient que ces derniers étaient plus vulnérables aux scandales et aux chantages - mais de nos jours les choses ont beaucoup changé pour les homosexuels. De nombreux homosexuels Cubains affichent ouvertement leur orientation sexuelle. D’autres ne le font pas - comme partout ailleurs - mais il y a désormais un meilleur niveau de prise de conscience en ce qui concerne l’homosexualité."
A la Havane en 1994, un jeune artiste et révolutionnaire Cubain m’a raconté l’histoire de sa visite à son père, un paysan, "un communiste très convaincu." Aramis me raconta comment il avait laissé pousser ses cheveux jusqu’aux épaules depuis sa dernière visite, ce qui n’était pas très bien vu jusqu’au début des années 90, et était considéré comme un symbole d’une corruption par les valeurs de l’occident consumériste. "Mon père m’a dit, "tu as l’air d’un pédé avec ces cheveux, va les faire couper ou sors de chez moi," J’ai ramassé mes affaires et j’ai commencé à sortir. Je lui au dit, "Tu es censé être un communiste, un partisan de la liberté, des droits de l’homme. Je suis ton fils, tu devrais m’aimer que je sois ou non un homosexuel. Quel genre de communiste es-tu ?" Et j’ai commencé à partir. Il n’a rien dit. Je suis arrivé à la porte et là il a dit "Attends. Tu as raison. Tu peux rester. Pas besoin de te couper les cheveux. Il faut que j’y réfléchisse." Alors nous nous sommes embrassés et je suis resté."
On peut imaginer la répétition de telles scènes (réminiscences du "fossé des générations" et des conflits qui ont éclatés dans les années 60 aux Etats-Unis - qui étaient aussi le reflet de conflits et de désaccords politiques) dans des milliers de foyers cubains tandis que la jeune génération confrontait les anciens tabous qui coexistaient difficilement avec les perspectives révolutionnaires de leurs parents.
Le documentaire "Gay Cuba", de 1994 par Sonja de Vries, par le biais de l’histoire et des avancées de la révolution cubaine, explore avec franchise l’évolution du traitement de l’homosexualité et des homosexuels. Il s’attarde sur les changements de comportement et l’acceptation croissante des gays et lesbiennes au sein de la société et de la culture cubaine. Certaines interviews en particulier évoquent les progrès accomplis : débats entre soldats, commentaires de jeunes cubains, et l’attitude des ouvriers, dont un responsable syndical local gay. La Fédération des Femmes Cubaines organisa une projection du film à la Havane.
L’année suivante, le documentaire cubain "Mariposas en el Andamio" (Papillons sur l’Echafaud, ndt), de Margaret Gilpin et Luis Felipe Bernaza, fut présenté. Il raconte l’histoire de travestis cubains issus de la classe ouvrière qui s’intègrent dans la vie sociale de la banlieue La Guinera à la Havane, et comment ils réussissent à créer une coalition de dirigeantes de la brigade locale de construction, et raconte le show qu’ils présentent dans les locaux d’une cantine ouvrière.
CONTRASTES AVEC LES ETATS-UNIS
En 1997, le nombre de séropositifs à Cuba était dix fois inférieur à celui du comté de Los Angeles, dont la population est légèrement inférieure à celle de l’île. A Cuba, les soins pour les patients séropositifs est gratuit et volontaire - que ce soit pour les soins à domicile ou dans un établissement spécialisé. Ceci est vrai aussi pour les personnes atteintes d’autres maladies. Un programme d’éducation promue par le gouvernement fait appel à des séropositifs pour intervenir dans les écoles et expliquer les mesures de prévention. Aujourd’hui, Cuba a le plus faible taux de séropositifs au monde.
Le sentiment de haine que l’extrême droite éprouve envers les homosexuels - illustré par le lynchage et le meurtre du jeune homosexuel Matthew Shepard en 1998 dans le Wyoming - n’existe pas à Cuba.
Des lois contre la sodomie furent promulguées au Nicaragua au début des années 90 et un haut dirigeant Malaisien fut demis de ses fonctions et emprisonné l’année dernière (ie 1999 - ndt). Des lois similaires ont été confirmées par des Cours Constitutionnelles aux Etats-Unis. De telles lois n’existent pas à Cuba.
A Cuba, les escadrons de la mort qui "nettoient" les rues du Brésil ou de la Colombie des travestis et autres "détritus de la société" , ou autres actes de violence en rapport avec l’homosexualité, sont inconnus. Les lieux publics où se réunissent les gays ne font pas l’objet d’un harcèlement par la police.
Dans leurs chansons, les rappeurs populaires cubains ne parlent pas de tuer les femmes et les pédés. Les gays et et les lesbiennes cubains obtiennent la garde de leurs enfants biologiques et peuvent adopter des enfants. La position de Centre National pour l’Education Sexuelle, depuis le début des années 90, est que l’homosexualité est une forme normale du comportement humain.
Face à cette situation, Washington et tous les pourvoyeurs des lumières culturelles étasuniennes feraient mieux de se taire lorsqu’ils parlent d’atteintes aux droits des homosexuels à Cuba.
Les progrès accomplis à Cuba montrent que les gays et les lesbiennes peuvent prendre toute leur place dans la vie de tous les jours, mieux que dans n’importe quel autre pays du tiers-monde. Cuba est un exemple pour les dizaines de millions d’homosexuel(le)s qui combattent pour leur liberté. Il est vrai qu’il reste encore du chemin à faire. Comme me l’a fait remarquer un jeune gay cubain en 1998, "comment se fait-il qu’on peut voir à la télévision cubaine un film d’action de Stephen Segal alors que "Fraise et Chocolat" n’a jamais été diffusé ?"
LE COMBAT POUR LE CHANGEMENT AVEC L’APPUI DE LA REVOLUTION
D’autres avancées à Cuba seront déterminées par des initiatives prises dans le cadre de la défense de la révolution. L’injonction formulée en 1984 par Tomás Gutiérrez est plus vraie que jamais.
Fidel Castro et Raul Castro se sont récemment exprimés, et ils le font de plus en plus souvent, et en termes clairs, sur la nécessité d’aborder le problème de la "marginalisation" des noirs et des femmes - problèmes de la société cubaine qu’une législation sur l’égalité des chances n’a pas réussi à résoudre. Ce problème a été abordé dans les média cubains et tout un ensemble de militants politiques, et il s’illustre par une contestation des organisations existantes et la création de nouvelles. Par exemple, la création récente de "Colores Cubanos", affiliée à l’UNEAC, milite pour une meilleure représentation des réalités multiraciales, multiculturelles de la nation dans les domaines de l’art, de la musique, du cinéma, de la télévision et de la littérature.
LA PORTE EST OUVERTE
Lors d’une interview télévisée nationale en 2000, Raul Castro aborda ce thème. En annonçant que l’avenir devra être un avenir de luttes," il souligna "qu’il y avait encore beaucoup de terrain à couvrir." Ceci inclut "des droits qu’il faut conquérir et re-conquérir. C’est l’un des principaux objectifs de la bataille des idées." La conquête et la re-conquête des droits ne peuvent être réalisées que par la lutte dont le succès produira de nouvelles générations de Cubains et de Cubaines plus libres, plus confiants. Les révolutionnaires cubains sont tout à fait conscients que leurs propres combats sont liés aux combats menés partout ailleurs dans le monde contre l’oppression et l’exploitation. Et ces derniers, comme le montre le contexte international, prennent de l’ampleur.
Le point de vue énoncé par Raul Castro sous-entend une plus grande expression et une meilleure pratique de la libération humaine et sociale, y compris pour les gays. Un facteur essentiel qui a joué en faveur du progrès dans ce domaine a été l’interaction entre le combat international pour les droits des homosexuels et la Révolution cubaine, particulièrement dans l’atmosphère plus tolérante du milieu des années 80. Dans le même temps, les valeurs progressistes forgées par les luttes internationales dans les années 60 et 70 contre la guerre, le racisme, la répression, et pour la libération des femmes - qui a porté en elle la gestation de la libération du mouvement gay - furent renforcées par l’exemple de Cuba qui remettait en cause le statu quo bourgeois.
Tous ces changements permettent de reconsidérer les conclusions politiques de Reinaldo Arenas. En vérité, l’atmosphère euphorique de la Révolution avait permis à un adolescent rural de sortir de sa misère d’avant 1959 et de développer ses véritables dons et son talent - et ceci, quelqu’ait été son évolution anticommuniste par la suite. Je l’ai appris pas hasard lors d’une conversation en 1995 avec un jeune poète cubain qui faisait une conférence aux Etats-Unis. Nous étions en train de parler d’écrivains cubains, et le nom de Reinaldo Arenas fut mentionné. Ne le connaissant que par sa réputation politique, j’ai dit quelque chose de désobligeant. Le poète m’a regardé fixement et m’a dit, "vous savez, vous ne pouvez pas comprendre la littérature cubaine contemporaine si vous ne lisez pas Arenas."
* * * *
Au début des années 60, Fidel Castro déclara que la Révolution Cubaine "doit être l’école d’une pensée sans entraves". Une telle liberté était indispensable à la survie d’un peuple libre et souverain situé à 150 km seulement des Etats-Unis. C’était une nécessité élémentaire pour tous ceux qui apprenaient, dans les laboratoires d’une révolution, à créer une nouvelle nation, à la défendre et à étendre la solidarité qu’ils avaient reçue à toutes les autres luttes dans le monde, contre l’injustice et l’exploitation, auxquelles ils s’identifiaient sans réserves. Pour sa capacité à résister pendant plus de 40 ans à toutes les formes possibles de pression imaginées par les Etats-Unis, sans concéder un seul des principes de la révolution, Cuba a largement mérité les honneurs.
Gagner la "bataille des idées" est la version actualisée de ce que Fidel avait déclaré il y a plus de 30 ans. Elle est toujours d’une actualité brûlante. A cet égard, les révolutionnaires cubains ont démontré - à tous ceux qui font l’effort d’étudier et d’apprendre - que même les erreurs les plus graves commises dans le feu de l’action peuvent être confrontées, débattues et corrigées. Une telle méthode politique n’a fait que renforcer le confiance en soi des travailleurs cubains, et aide à la préparation des nouvelles générations de dirigeants.
Tout ceci démontre que le processus cubain est vivant et libérateur. En fin de compte, la révolution cubaine apporte une contribution décisive à tous ceux qui luttent pour un monde plus juste et plus humain.
FIN
Source : http://www.blythe.org/arenas.html
Jon Hillson (1949-2004), militant politique et syndicaliste à Los Angeles, il s’est engagé dans la solidarité avec la révolution cubaine pendant plus de 30 ans, organisant de nombreuses délégations sur l’île et s’y rendant fréquemment. Il a beaucoup écrit sur la révolution cubaine, dont un article en 1998 sur la lutte contre le SIDA et l’éducation sexuelle à Cuba, publié en première page du journal LA OPINION, le plus grand quotidien hispanophone des Etats-Unis. Dans les années 90, plusieurs de ses poèmes furent publiés dans différents journaux à travers le pays. Une première version de cet article fut publié en anglais par le site http://www.seeingred.com/ . Jon Hillson est mort à Los Angeles le 29 janvier 2004.
(Version espanol : http://www.blythe.org/arenas-s.html )