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Quand L’Oréal recrute des enseignants

Le DRH de L’Oréal Luc Chatel ressent à peu près autant d’empathie pour l’Éducation nationale qu’Ornella Guyet pour l’administrateur toulousain du Grand Soir. Pour Chatel, l’éducation, l’école de la République resteront à jamais le cadet de ses soucis. Et un monde totalement inconnu.

33000 enseignants et administratifs vont partir en retraite cette année. Selon la règle érigée en dogme par le Medef et par Sarkozy qui veut qu’un poste libéré sur deux ne doit pas être repourvu, Chatel a décidé de ne recruter que 17000 enseignants pour l’année prochaine. Pour ce faire, il vient, en bon DRH, de lancer une campagne de publicité multi médias.

Lorsque l’on fait tout pour introduire dans la Fonction publique les méthodes du privé (la notation au mérite, par exemple), il est logique que l’on fasse appel aux ressources de la communication pour imposer à l’opinion une image fallacieuse de l’état des lieux de l’éducation.

La publicité est mensonge, non seulement parce qu’elle prend les récepteurs pour des gogos mais parce qu’elle vise volontairement à côté de la plaque : une publicité pour un tampon hygiénique ne sert pas à faire vendre des tampons hygiéniques : elle sert à faire entrer dans le cerveau de la cible un concept, une manière de se regarder vivre en croyant affirmer sa singularité. Par ailleurs, la différence entre l’information et la communication est que celle-là s’adresse à celui qui la reçoit en visant une certaine forme d’objectivité alors que celle-ci met en scène l’émetteur du message sans souci du contenu ou du récepteur. Il est sidérant que les jeunes journalistes n’utilisent plus que le mot " communication " pour qualifier leur activité professionnelle.

Donc, Chatel recrute par la pub. Il recrute des femmes et des hommes. Pas pour faire le même métier, pas pour devenir des enseignants identiques si l’on se réfère à sa com’.

La pub nous dit que les métiers de l’Éducation nationale « évoluent en profondeur ». Sûrement pas : ce qui change, ce sont les rapports de pouvoir au sein des écoles, collèges et lycées, et la compétition féroce instaurée par le système Sarkozy entre les établissements. Il s’agit, par exemple, de l’objectif poursuivi par les " évaluations " en primaire, qui ne servent pas du tout à évaluer les enfants mais (je simplifie) à institutionnaliser les différences entre écoles des beaux-quartiers et écoles des quartiers défavorisés. Accessoirement à repérer et à fliquer, dès le CE1, les enfants à problèmes.

En matière de recrutement, le DRH de L’Oréal distingue les futurs enseignants selon le sexe : les femmes seront des rêveuses, les hommes des ambitieux.

Nous avons donc tout d’abord sous les yeux la photo d’une jeune femme qui, grâce à Chatel, « a trouvé le poste de ses rêves ». Merveille de la pub performative : elle est prof’ avant même d’avoir candidaté. Elle est belle, blonde, zen, douce. Dans une lumière apaisante, au milieu de meubles de ton crème, elle lit, détendue, un ouvrage qui lui permet de se cultiver, avant de « transmettre des savoirs et des valeurs » et de « se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves ». Elle s’appelle Laura. Et l’on sent bien que, comme dans Pétrarque (et Guy Béart), Laura, on l’aura pas car il y restera toujours une part de mystère en elle.

Et puis, il y a Julien. Lui, c’est une autre paire de manches (retroussées). Le Juju a de « hautes ambitions ». Il ne passe pas son temps à lire du Gavalda ou du Marc Levy. Il évolue dans un monde de bleu-gris hight-tech. Il est connecté à un ordinateur portable de la même couleur que sa chemise. Il est brun, ses traits sont acérés, son regard doux mais volontaire. Il va « concrétiser un projet ».

Laura fera des enfants. Julien aura des enfants. Laura finira par lire La princesse de Clèves en écoutant La Mer de Debussy. Julien sera inspecteur pédagogique régional, à moins que le privé le repère et lui offre un poste où il doublera son salaire.

Cette campagne de pub sexiste nous aura coûté 1,3 million d’euros.

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