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Vergès/Dumas/Kadhafi

L’épître du procureur Bilger

Dans un texte publié sur le site Marianne2, Philippe Bilger fait part d’un léger différend qu’il nourrit à l’égard de Jacques Vergès et Roland Dumas. Il reprend un thème qui fit florès dans les médias - en substance : silence, les papys gâteux ! - mais y ajoute un ton personnel : « Vergès et Dumas n’étaient pas destinés, en vieillissant, à se statufier eux-mêmes dans une posture ridicule (…) et à accumuler des pitreries pour oublier que le temps passe et que la mort attend ». Tout le texte est à l’avenant. Bref, les deux accusés sont devenus « pathétiques » et peinent même à mériter de la « pitié ». On le voit : tout en nuances, tout en élégance. Et tout en arguments. L’on devine en passant que Philippe Bilger a dû être de toutes les manifs contre le recul de l’âge de la retraite.

Apostrophant les deux avocats, leur procureur leur distille ce judicieux conseil : « il convient de retenir l’emballage fou qui vous conduit à toute allure vers une sorte de néant qui fait qu’on n’est plus pris au sérieux du tout et qu’on se gausse alors vraiment, et à juste titre ». L’ampleur du style appuie ici la rigueur de la démonstration, ce qui explique probablement que le lecteur profane se perde un peu dans la syntaxe. En tout cas, on est littéralement emballé devant cet emballage - carambolage stylistique qui semble ici faire se chevaucher l’attelage et l’emballement.

Le lecteur peu averti chercherait en vain le corps du délit dans le réquisitoire. Seule, la subtile allusion à l’« accusation grotesque à l’encontre du président de la République » peut mettre sur la piste. En l’occurrence, le crime de lèse-majesté évoqué est constitué par l’annonce par Maîtres Dumas et Vergès d’une plainte accusant Nicolas Sarkozy de « crime contre l’humanité » dans le contexte de la guerre en Libye.

La démonstration du procureur est d’autant plus irréfutable qu’il se dispense d’évoquer les faits. On en rappellera ici quelques uns. Le 19 mars, les avions français commencent à bombarder la Libye - les premiers. Comme le rapporte Le Monde (09/04/11), à ce moment précis, « une onde de fierté parcourt l’Elysée ». Ils seront vite rejoints par les appareils britanniques, avant que, une douzaine de jours plus tard, l’OTAN reprenne l’opération en main.

La thèse est connue, et forcément vraie puisque tout le monde, ou presque, la répète à l’envi : l’armée loyale au Colonel Kadhafi était sur le point de hacher menu jusqu’au dernier bébé de Benghazi, seconde ville du pays, mais cette boucherie planifiée a été stoppée in extremis par le chevalier blanc qui siège à l’Elysée.

Nul ne doute évidemment que Nicolas Sarkozy soit mû par la seule défense de la veuve et de l’orphelin. Pourtant, quelques mois avant d’être élu à la magistrature suprême, il prononça à Strasbourg un discours à la gloire de l’« unification européenne ». Pour lui, celle-ci doit prolonger aujourd’hui « le rêve brisé de Charlemagne et celui du Saint Empire, les Croisades, le grand schisme entre l’Orient et l’Occident, la gloire déchue de Louis XIV et celle de Napoléon (…) » (qu’on se rassure, il arrêta là la liste des grands conquérants) ; et conclut que « l’Europe est aujourd’hui la seule force capable (…) de porter un projet de civilisation ». Dans l’esprit du maître de l’Elysée, qui sait si les Rafale et autres Mirage n’apportent pas leur première contribution à ce noble projet de civilisation (dont Total pourrait être un mécène attentionné) ?

Quoi qu’il en soit, la population civile, de Tripoli en particulier, est désormais chaque jour - en réalité plutôt chaque nuit - protégée, avec la bénédiction onusienne, par le largage de centaines de tonnes de bombes humanitaires. Celles-ci détruisent bunkers, installations militaires, centres de commandement, tous situés en pleine ville, sans naturellement faire le moindre dégât « collatéral ». A peine l’OTAN annonce-t-elle de temps à autre une enquête (la première fut diligentée le 31 mars, quand le vicaire apostolique apporta son témoignage direct sur la mort de quarante personnes dans le quartier de Buslim). Il y eut bien, aussi, le décès d’un des fils de Mouammar Kadhafi et de trois de ses petits enfants, mais enfin, ils l’avaient bien cherché.

Peut-être faut-il signaler aussi la possible utilisation d’uranium appauvri (notamment pour percer les bunkers) - une technologie déjà expérimentée en Yougoslavie et en Irak. Dans ce dernier pays, certaines conséquences (notamment la multiplication spectaculaire de malformations à la naissance) commencent à être répertoriées. Quant aux effets sur l’environnement, ils ne semblent pas préoccuper outre mesure les écologistes. Il est vrai qu’au début des « frappes » en Libye, le Pentagone n’était pas peu fier de signaler qu’une partie de ses bombardiers volaient au « bio-fuel ». Bref, une guerre propre dont le bilan carbone exemplaire est de nature à éclipser les dernières objections.

Entre le début avril et la mi-mai, les chefs de l’Alliance ont affiché une moyenne de 142 sorties aériennes par jour. Après cette date, les opérations ont été intensifiées. Les appareils tricolores effectuent 20% des missions, et près du tiers des bombardements.

Mais c’est bien aux deux avocats que Philippe Bilger réserve sa vindicte et décoche son dernier trait : « ils ne divertissent plus personne ». On devine un zeste d’amertume, un soupçon de regret, une once de frustration quant à ce divertissement évanoui. Peut-être pourrait-on dès lors lui adresser un modeste conseil : faire un saut dans la capitale libyenne. Il pourrait ainsi profiter du doux bruit des bombardiers, goûter les charmes d’une nuit dans un immeuble éventré, deviser avec des familles endeuillées.

Il paraît qu’on s’y divertit à merveille.

Pierre Lévy

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