Emboîtant le pas à une longue tradition de marches entreprises par les indigènes zapatistes du Chiapas (1), des milliers de participants à la Caravane pour la Paix dans la Justice et la Dignité se préparent à parcourir, du 4 au 10 juin, la longue distance qui sépare Cuernavaca, au sud de la capitale, de Ciudad Juárez, à la frontière avec les Etats-Unis.
De Cuernavaca était déjà partie, le 8 mai dernier, la Marche Nationale pour la Paix, à l’initiative du poète Javier Sicilia (2). Manifestement, ni la douleur, ni l’indignation, ni la clarté des exigences portées par Sicilia et des centaines de milliers de manifestants n’ont infléchi la politique du gouvernement de Felipe Calderón, qui persiste et signe dans la guerre qu’il prétend mener contre les narco -trafiquants. Une guerre qui a causé plus de 40 000 morts en moins de 5 ans, la plupart victimes collatérales d’un conflit dont les objectifs ne trompent plus grand monde. La politique de « sécurité nationale », inspirée directement par le gouvernement des Etats-Unis (3), se traduit par une militarisation de régions entières du pays. Un déploiement militaire et policier qui aggrave, quand il ne la déclenche pas, une violence absolument pas aveugle. Elle a pour cibles principales les mouvements sociaux, les femmes, les villages indigènes, les migrants et la jeunesse populaire. Mais d’autres secteurs de la société, notamment dans les classes moyennes, sont aussi touchés. En particulier par le développement des agressions et des enlèvements, souvent perpétrés avec la complicité de forces de l’ordre gangrenées par la corruption et l’impunité dont elles jouissent. Le centralisme autoritaire et brutal, sous la botte d’un président élu après une fraude aussi massive que manifeste, a pour but d’accélérer la destruction d’un tissu social encore vigoureux, afin de laisser la voie libre au pillage des ressources et à l’exploitation sans limite des populations.
Calderón a donc refusé de répondre à l’appel de Javier Sicilia. Pourtant, le « Halte à la guerre » de ce dernier ne relève pas du discours rhétorique. Il exprime la conviction que seule la société civile mexicaine (dans toutes ses composantes, et en particulier les classes populaires) est capable de mettre fin à la violence qui ravage le pays.
Sicilia et ses amis ont entamé une lutte de longue haleine. Ils impulsent une stratégie de masse, pacifiste mais extrêmement ferme, indépendante de tous les partis politiques, dénoncés comme corrompus et complice de la violence. Un mouvement résolu à aller jusqu’au bout, et que certains observateurs (4) n’hésitent pas à comparer avec celle de Gandhi.
Dans ce combat, peut-être celui de la dernière chance, le Mexique « d’en bas » pourra compter sur la participation active des pueblos indigènes, qui du Chiapas à Ostula et Cherán (5), dans le Michoacán, en passant par la Costa Chica et la Montaña dans le Guerrero, ont réactivé les anciennes traditions des polices communautaires (6). Dans ces régions les habitants des villages (indigènes ou non) ont repris en main leur sécurité, après avoir destitué ou chassé les policiers officiels corrompus. Ils ont nommé leurs propres policiers, suivant le principe de la rotation des responsabilités et la révocation éventuelle par l’assemblée. Et la délinquance, celle des narco-trafiquants et de leurs acolytes, officiels ou non, y a considérablement reculé.
Ces exemples d’organisation et d’auto-défense indigènes seront de précieuses références dans la résistance qui se construit aujourd’hui au Mexique, comme le souligne Javier Sicilia dans un entretien avec la journaliste Gloria Muñoz (7).
La Caravane pour la Paix dans la Justice et la Dignité atteindra Ciudad Juárez le 10 juin. Dans cette ville, des centaines de femmes ont été violées et assassinées au cours de ces dernières années. Tout simplement parce que dans cette zone de maquiladoras et de night clubs où viennent se défouler un certain type de touristes gringos, les femmes sont ravalées au rang de marchandises taillables, corvéables et jetables après usage. Mais à Ciudad Juárez, justement, bravant la double menace des gangs et des polices locales, des groupes de femmes et de jeunes s’organisent (8).
Face à la guerre de Calderón, le peuple mexicain n’a pas dit son dernier mot.
Juin 2011
Jean-Pierre Petit-Gras
1/ Parmi lesquelles la marche des 1111 communautés zapatistes en 1997, la marche Couleur de la Terre en 2001, mais aussi les caravanes de solidarité en provenance de Mexico et d’autres villes du pays, qui année après année ont visité les communautés de l’EZLN en résistance. Il faut également mentionner celles qui ont tragiquement échoué dans leur tentative de briser l’encerclement paramilitaire, comme à San Juan Copala (Etat de l’Oaxaca) en 2010.
2/ Le fils de Sicilia venait d’être assassiné, en même temps que six de ses camarades. Le procureur avait qualifié le crime de « règlement de comptes ».
3/ Et mise en application avec la fameuse « Initiative Mérida », un véritable remake du Plan Colombia.
4/ Carlos Fazio, par exemple, dans http://desinformemonos.org/2011/06/sobre-seguridad-nacional-la-marcha-...
5/ Nous reviendrons prochainement sur la situation dans la communauté p’urépecha de Cherán. Mais on peut lire une série d’articles passionnants sur cette expérience, dans la revue en ligne Desinformémonos du mois de juin 2011.
6/ Appelées parfois gardes communales. Ajoutons que ces tâches de maintien de l’ordre, demandées aux jeunes des communautés, ne sont pas rétribuées. Elles font partie des services que chaque membre du village doit à la collectivité. Et reçoit de celle-ci, par réciprocité.
7/ http://desinformemonos.org/2011/06/el-zapatismo-conserva-una-gran-rese...
8/ On peut lire, toujours en espagnol, l’article de Julián Contreras, du Frente Plural Ciudadano de Ciudad Juárez. http://desinformemonos.org/2011/06/justicia-paz-y-desmilitarizacion-ex...