Très bonne livraison, en ce mois de mai 2011.
Serge Halimi revient sur les effets de la crise financière d’il y a quatre ans :
Le Fonds monétaire international (FMI) vient de l’admettre : « Près de quatre ans après le début de la crise financière, la confiance dans la stabilité du système bancaire global doit toujours être entièrement restaurée. » Mais ce que le président de la Réserve fédérale américaine, M. Ben Bernanke, qualifie de « pire crise financière de l’histoire mondiale, Grande Dépression[de 1929] comprise », n’a entraîné aucune sanction pénale aux Etats-Unis. Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan avaient misé sur l’effondrement des placements à risque qu’ils recommandaient avec empressement à leurs clients... Ils s’en tirent au pis avec des amendes, plus souvent avec des bonus.
Un article saisissant de Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade : " Quand le peuple islandais vote contre les banquiers " :
Aux États-Unis, les républicains bataillent pour amputer le budget fédéral ; au Portugal, les autorités négocient souveraineté contre plan de sauvetage ; en Grèce, la perspective d’une restructuration de la dette renforce l’austérité. Sous la pression des spéculateurs, les gouvernements ont fait le choix de l’impuissance. Consultés par référendum, les Islandais suggèrent une autre voie : adresser la facture de la crise à ceux qui l’ont provoquée. Petite île, grandes questions. Les citoyens doivent-ils payer pour la folie des banquiers ? Existe-t-il encore une institution liée à la souveraineté populaire capable d’opposer sa légitimité à la suprématie de la finance ? Tels étaient les enjeux du référendum organisé le 10 avril 2011 en Islande. Ce jour-là , pour la seconde fois, le gouvernement sondait la population : acceptez-vous de rembourser les dépôts de particuliers britanniques et néerlandais à la banque privée Icesave ? Et, pour la seconde fois, les habitants de l’île ravagée par la crise ouverte en 2008 répondaient « non » " à 60 % des votants, contre 93 % lors de la première consultation, en mars 2010.
Janet Biehl se demande s’il existe un lien naturel entre le féminisme et l’écologie :
Augmentation des accouchements à domicile, odes à l’allaitement… Ces dernières années, la montée en puissance de l’écologie a modifié la façon d’envisager la maternité. Au-delà des remises en cause de la surmédicalisation ou des lobbies industriels, on voit parfois poindre l’idée controversée d’une « nature féminine ». Un débat qui, aux Etats-Unis, dure depuis déjà vingt ans.
Une analyse intéressante d’Anne-Cécile Robert sur les vicissitudes du droit d’ingérence :
En moins d’un mois, l’Organisation des Nations unies (ONU) a autorisé par deux fois le recours à la force, en Libye et en Côte d’Ivoire. Exceptionnelles, puisque la Charte de l’ONU prône le règlement pacifique des différends, ces décisions sont fondées sur la récente reconnaissance du « devoir des Etats de protéger les populations civiles ». L’ONU serait-elle en passe de valider un « droit d’ingérence » à géométrie variable ?
« J’ai donné l’ordre de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’usage d’armes lourdes contre la population civile », déclare le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), M. Ban Ki-moon, le 4 avril 2011. Quelques heures plus tard, à Abidjan, les hélicoptères de combat de l’ONU et la force française Licorne se joignent à l’offensive des troupes de M. Alassane Dramane Ouattara contre celles du président sortant Laurent Gbagbo.
Dans les couloirs de l’organisation, à New York, cette décision suscite un certain malaise. Si la résolution (n° 1975) du Conseil de sécurité qui la fonde a été adoptée à l’unanimité, le 30 mars 2011, des fonctionnaires expriment des doutes quant au pouvoir du secrétaire général de donner un tel « ordre » (qui reviendrait au seul Conseil de sécurité) et soulignent l’ambiguïté de l’expression « mesures nécessaires ». La grande liberté que laisse celle-ci aux acteurs engagés au nom de l’organisation fait craindre des dérives. « Ce n’est pas dans la culture des Nations unies de mener des actions militaires fortes ou de prendre parti dans une guerre civile. La Libye, puis la Côte d’Ivoire : cela commence à faire beaucoup »,confie un fonctionnaire qui souhaite garder l’anonymat. Un autre ajoute : « Il ne faudrait pas que le recours à la guerre se banalise. »
Qu’en est-il du « bien-être de l’enfant », demande Sandrine Garcia ?
L’Union européenne définit désormais comme « maltraitance » l’« absence de disponibilité affective » ou l’« incapacité à favoriser l’adaptation sociale de l’enfant ». Des principes qui s’imposent en premier lieu aux mères. La prise en compte de la vie psychoaffective du jeune enfant constitue un progrès qui a permis à différentes institutions d’améliorer l’accueil des enfants séparés de leurs parents, que cette séparation soit durable ou quotidienne. On la doit en grande partie à la psychanalyse, dont les théories ont aidé à la professionnalisation des personnels se consacrant à la petite enfance. Mais ces savoirs se sont diffusés bien au-delà . Ils ont eu une audience particulièrement forte dans les années 1970, parce qu’ils mettaient en cause une conception hiérarchique des rapports parents-enfants et correspondaient à la sensibilité antiautoritaire de l’époque.
Gérard Mauger pose le problème du retour des bandes de jeunes. Sommes-nous en présence de rites de passage ou de délinquance ?
Le décès d’un adolescent lors d’un affrontement entre jeunes dans la région parisienne, en mars 2011, a de nouveau projeté les bandes à la « une » de l’actualité. Mais, au-delà des discours alarmistes des experts et des martiales déclarations des ministres de l’intérieur, que sait-on de ces formes de sociabilité des milieux populaires et de leurs évolutions ? A l’occasion de tel ou tel fait divers, de la publication des dernières statistiques policières ou de l’annonce d’un nouveau projet de loi sécuritaire, le monde des bandes resurgit régulièrement dans les débats politiques et médiatiques. Aux figures des apaches de la Belle Epoque, des blousons noirs de la fin des années 1950, des loubards des années 1970 a succédé le spectre des « jeunes des cités ».
L’une des interprétations du phénomène relie immigration et délinquance. Martelée par le chroniqueur Eric Zemmour, elle a trouvé un relais récent dans le monde académique. Refusant, lui aussi, de « se laisser intimider par la pensée unique » et en quête d’une théorie originale de la délinquance, le sociologue Hugues Lagrange a cru bon de mettre en avant les « origines culturelles ». Mais, si l’exhibition d’une « nouvelle variable » peut, la conjoncture politique aidant, être au principe d’un « scoop sociologique », l’étude au coup par coup de variables isolées conduit à une impasse scientifique. En l’occurrence, s’il est vrai que les enfants d’immigrés sont surreprésentés en prison et, vraisemblablement, dans la population délinquante, c’est notamment parce qu’ils le sont aussi dans la population en échec scolaire et, de ce fait, dans celle des jeunes sans diplôme en quête d’un emploi et jugés inemployables - tant à cause de leur absence de ressources scolaires que des discriminations qui les frappent. Quant à l’influence propre de « facteurs ethniques ou culturels » (domination masculine, polygamie, etc.), encore faudrait-il, après les avoir identifiés, montrer qu’ils ont un effet criminogène : les réserves sont permises...
Nicolas Séné explique pourquoi la profession d’informaticien est de plus en plus déclassée :
Dans l’imaginaire collectif, les informaticiens forment une élite privilégiée. Pourtant, derrière l’écran, l’épanouissement que vantent les directions des ressources humaines n’est bien souvent qu’un mythe masquant une atteinte au droit du travail. « Il y a trente ans, l’élite faisait Polytechnique, les Mines ou les Ponts et Chaussées. Désormais, elle sort de l’Ecole nationale d’administration [ENA], où elle a appris à produire un bon bilan comptable », déplore Joseph Saint-Pierre, statisticien à l’université Paul-Sabatier de Toulouse. Le prestige de l’ingénieur est écorné, son statut banalisé.
Pierre Conesa nous parle d’ " Un Américain bien tranquille " :
Vendre des centrales nucléaires après la catastrophe de Fukushima ? Si ce défi peut en effrayer certains, d’autres ont déjà accompli des prouesses au moins aussi remarquables. Ils ont en effet compris qu’un équipement ne vaut que s’il est fourni avec des solutions de sécurité.
« J’écris un article sur les raisons du succès de l’offre nucléaire coréenne au détriment de la France à Abou Dhabi, pourrais-je vous demander un entretien ?
" Malheureusement, cela ne va pas être possible. »
L’homme qui nous ferme ainsi poliment la porte aurait pourtant beaucoup à dire. Il vient de prendre la parole lors d’une conférence organisée par un grand centre émirati d’études stratégiques (Emirates Center for Strategic Studies and Research). Au cours de son intervention " consacrée à « la sécurité dans la cité intelligente du futur » ", il a, pendant une bonne demi-heure, convoqué toutes les crises majeures ayant éclaté ces dernières années : outre la récente catastrophe de Fukushima, les attentats du 11 septembre 2001, les tremblements de terre avec ou sans tsunami, les incendies en Australie, le cyclone Katrina, le virus Stuxnet... Au point qu’un auditeur local s’est mis en colère, accusant les Occidentaux d’alimenter l’angoisse pour mieux vendre leurs armes et leurs équipements.
Qui sont les " travailleurs du cybersexe " , demande Olivier Aubert ?
On les appelle « performeurs », « modèles », « animateurs ». Des jeunes femmes surtout, bien qu’il y ait aussi des hommes, des couples et des femmes d’âge mûr. Installés face à la webcam de leur ordinateur, et le plus souvent en musique, ils travaillent, reliés au réseau Internet. De leur bout de trottoir numérique, ils tentent d’appâter le client pour qu’il vienne les rejoindre sur leur « chat » privé. Strip-tease d’un continent à l’autre, ils dialoguent, s’exhibent, simulent l’excitation sexuelle, le plaisir, l’orgasme, répondent aux injonctions des clients envoyées sous forme de textes brefs, au clavier ou en paroles.
Alain garrigou revient sur 1848, " le printemps des peuples " :
La révolution est parfois contagieuse. Dans une ville, une étincelle : les barricades du peuple qui exige un changement de régime se dressent contre les fusils de la garde royale. La contestation s’étend, gagne un pays voisin, bientôt tout un continent. Puis les monarchies se ressaisissent. L’Europe, en 1848.
En 1848, le printemps commence le 22 février, à Paris. Pour contourner l’interdiction de réunion et d’association imposée par la monarchie de Juillet, les partisans d’une réforme du suffrage censitaire organisent, depuis juillet 1847, une campagne de banquets où les toasts se transforment en discours politiques. Celle-ci doit culminer lors d’un rassemblement à Paris : il est interdit. Les organisateurs décident néanmoins de le maintenir et en fixent la date au 22 février. La veille, ils renoncent à leur projet. Trop tard : les participants se rassemblent, accueillis par les fusils. La soirée se termine par des échauffourées.
Rodney Benson explique la " Trahison au Huffington Post " :
D’anciens blogueurs bénévoles ont décidé, en avril, de porter plainte contre le Huffington Post, le site américain d’information qui les hébergeait et dont ils ont permis le développement. Ils protestent contre son rachat par America Online et réclament 105 millions de dollars. Comment, en six ans, un média-phare de la gauche américaine s’est-il transformé en centre de profit d’une multinationale ?
Le Diplo nous offre de délicieuses bonnes feuilles de Frédéric Lordon (en alexandrins) consacrées à la crise financière :
La crise financière en alexandrins... Mais, grands dieux, quelle idée ! Peut-être d’abord parce que les télescopages produisent des effets par eux-mêmes, et que celui de la langue du théâtre classique, avec tout son univers de raffinement Grand Siècle, et de l’absolue vulgarité du capitalisme contemporain se pose un peu là .