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Ben Laden, barbarie et civilisation (Le Quotidien d’Oran)

Manifestations de joie bruyante à Benghazi à l’annonce de la mort de l’un des fils d’ El Gueddafi et de trois de ses petits enfants, sous les bombes de l’OTAN. Indécent. Les généraux de l’OTAN ont le double résultat de tuer des libyens et de voir d’autres libyens les applaudir. Les medias occidentaux nous montrent ces scènes, demi sourire mi amusé et mi méprisant des présentateurs devant ces manifestations "barbares".

Mais voilà , à New York et à Washington, mêmes scènes de joie à l’annonce de la mort (combien suspecte) de Ben Laden. On danse dans les rues, comme à Benghazi, en hurlant, dans une ronde échevelée et primitive autour du cadavre symbolique, immolé, de l’ennemi. Où est la barbarie, où est la civilisation ? Qui a contaminé l’autre ?

Le président Obama (que nous aurions pourtant tant voulu…aimer), prix Nobel de la paix, proclame que "Justice est faite" alors qu’il n’y a pas eu de jugement, et que lui, fils d’un noir, a rétabli, ainsi, la loi de Lynch…. Le premier ministre français, François Fillon emboîte le pas au président Américain, et déclare que "Ben Laden est un monstre, que l’essentiel est qu’il ait été éliminé, et pas de quelle manière"(France 2, lundi 2 mai, JT du soir). On nous avait pourtant appris que même "un monstre" avait le droit d’être jugé, que nul n’avait le droit de se faire justice soi même, et que c’était là un des principes des droits de l’homme et de la civilisation. L’Etat de droit occidental est- il en train de sombrer, ou bien n’a t-il jamais vraiment existé, du moins envers les "barbares". Les nazis, monstres parmi les monstres, avaient eu droit à un procès, à Nuremberg et ailleurs. Est ce parce que, contre les nazis, l’Occident ne doutait pas alors de défendre des valeurs universelles ?

CONTRADICTIONS

Les versions américaines sur la mort de Ben Laden se succèdent, plus contradictoires les unes que les autres.

Entre autres détails étranges, le porte parole de la Maison Blanche nous conte que "le corps a été immergé en haute mer". Et il insiste sur le fait qu’il l’a été dans " le respect du rite musulman". L’utilisation côte à côte des deux expressions, "immergé" et "respect du rite musulman", en fait ressortir immédiatement la contradiction et l’absurdité. Ce serait cocasse si ce n’était tragique. Depuis des siècles, les corps des marins ont été immergés dans la mer, en haute mer, parce qu’il n’y avait pas d’autres solutions, mais là c’est un corps qui est transporté de la terre en haute mer, comme s’il n’y avait pas, pour les américains d’autres solutions. Le porte- parole de la Maison Blanche précise en outre que "toutes les options ont été étudiées depuis des mois". Il n’y a pas eu donc eu place à l’improvisation.

Quels aveux ! Comment peut- on affirmer mener une guerre juste contre le terrorisme et ne pas oser affronter clairement, franchement l’opinion arabe, musulmane et mondiale au sujet de celui qui est présenté comme "le chef du terrorisme mondial". Le corps a été immergé à la sauvette en haute mer, comme s’il y avait quelque chose à cacher, comme on enterre une mauvaise conscience. "L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn".
Les Américains disent qu’ils ont procédé à un test d’ADN qui a confirmé qu’il s’agissait du corps de Ben Laden. On se souvient de cette fiole que brandissait le secrétaire d’Etat Colin Powel, en 2003, au Conseil de sécurité de l’ONU, comme preuve de la détention par l’Irak d’armes de destruction massive. Comme d’habitude, les USA ne laissent au monde d’autre choix, que de les croire sur parole. Il aurait été pourtant si simple de présenter le corps.

Il y une monstrueuse machine de propagande qui s’est emballée, qui ne se soucie plus de vérité, de logique, de rationalité, d’humanité.

C’est cette journaliste "spécialiste des affaires américaines" sur le plateau d’une chaine française (France 2, émission "mots croisés", 2 mai 2011) qui dit sa satisfaction de la mort de Ben Laden et qui décrit longuement les attentats et les "morts innocentes dont il est responsable" sans se dire un instant que sa description s’applique exactement aussi aux victimes des bombardements américains, anglais, français, en Irak, en Afghanistan, en Lybie, en Côte d’Ivoire et ailleurs, et que tous ces gens n’avaient rien à voir avec les attentats et les victimes du 11 septembre, qui ont seules droit à son émotion..

C’est ce général commandant des opérations de l’OTAN en Lybie qui déclare le 1er mai, après la mort du fils de El Gueddafi que l’objectif n’est pas de tuer ce dernier. C’est la deuxième fois "qu’ils le manquent". S’ils l’atteignent ce sera donc par hasard. Déni total de la réalité devant le monde entier.

La disparition de Ben Laden est célébrée contradictoirement, à la fois comme "la plus grande victoire sur le terrorisme" et comme un évènement qui va rendre encore plus grande la menace terroriste. Cette ligne éditoriale va être reprise d’une seule voix par tous les medias occidentaux. Les Etats Unis, l’Angleterre, la France, l’Espagne, le japon etc. déclarent tour à tour, le 2 mai, qu’ils mettent leurs bases militaires en état d’alerte, et en garde les populations de leurs pays contre le risque de représailles.

Partout, sur les plateaux de télévision, de CNN à France 24, le discours est à la fois que "le monde est plus sûr avec la disparition de Ben Laden" mais que "la guerre contre le terrorisme continue et qu’elle risque d’être plus dure".

La seule perspective ne serait-elle que celle là  ! Le monde ne serait il pas plus sûr si l’on faisait justice au peuple palestinien, si certaines puissances ne donnaient pas ce baiser qui tue, en agressant ou en occupant d’autres pays, en Afghanistan, en Irak, en Côte d’Ivoire, en Lybie sous prétexte d’y apporter la démocratie, si l’on arrêtait d’humilier d’autres peuples, et si l’on mettait fin à l’immense injustice mondiale. Et enfin, que le monde, tout le monde, devienne civilisé. On se prend parfois à rêver.

Djamel LABIDI

Paru dans "Le Quotidien d’Oran" du Jeudi 05 Mai 2011

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