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Bahrein : « Ils n’ont pas fui. Ils ont fait face aux balles »

« C’est un massacre - un massacre, » criaient les médecins. Trois morts. Quatre morts. Un homme a été transporté sur une civière dans la salle des urgences, du sang giclant sur le plancher d’une grosse blessure par balle dans la cuisse.

A quelques pas de là , six infirmières tentaient de sauver la vie d’un homme au visage pâle et barbu avec du sang suintant de sa poitrine. « Je dois l’emmener au bloc maintenant, » a crié un docteur. « Il n’y a pas de temps à perdre - il est en train de mourir ! »

D’autres étaient plus proches de la mort. Un pauvre gamin - 18, 19 ans, peut-être - avait une blessure terrible, un trou par balle dans la jambe et une plaie sanglante sur la poitrine. Le docteur près de lui s’est tourné vers moi en pleurant, ses larmes éclaboussant sa blouse tachée de sang. « Une balle a éclaté dans sa tête et je ne peux pas sortir les fragments, et les os du côté gauche de son crâne sont complètement écrasés. Toutes ses artères sont broyées. Je ne peux rien faire. » Le sang coulait en cascades sur le plancher. C’était pitoyable, indigne, scandaleux. Ce n’étaient pas des hommes armés mais des personnes en deuil qui revenaient d’un enterrement, des musulmans chiites naturellement, abattus par leur propre armée hier après-midi.

Un infirmier revenait avec des milliers d’autres hommes et femmes de l’enterrement à Daih d’un des manifestants tués sur la place de la Perle dans les premières heures de jeudi.

« Nous avons décidé de marcher jusqu’à l’hôpital parce que nous avions appris qu’il y avait une manifestation. Certains d’entre nous portaient des branches d’arbre en guise de paix que nous voulions offrir aux soldats près de la place, et nous étions en train de crier «  paix, paix ». Il n’y a eu aucune provocation - rien contre le gouvernement. Puis soudain, les soldats ont ouvert le feu. Il y en avait un qui tirait à la mitrailleuse du haut d’un camion. Il y avait des policiers présents mais ils sont partis lorsque les soldats ont commencé à tirer. Mais vous savez, les gens à Bahreïn ont changé. Ils ne voulaient pas s’enfuir. Ils ont fait face aux balles avec leurs corps. »

La manifestation à l’hôpital avait déjà attiré des milliers de Chiites - dont des centaines de médecins et infirmières de partout dans Manama, qui portaient encore leurs blouses blanches - pour exiger la démission du Ministre de la Santé, Al-Homor de Faisal Mohamed, parce qu’il avait refusé aux ambulances d’aller chercher les morts et les blessés jeudi matin sur la place de la Perle après l’attaque de la police.

Mais leur fureur s’est transformée en hystérie lorsque les premiers blessés ont été emmenés hier. Près de 100 médecins se sont serrés dans les salles d’urgence, en criant et maudissant leur roi et leur gouvernement tandis que les infirmiers tentaient de se frayer un chemin en poussant des chariots transportant les dernières victimes au milieu d’une foule hurlante. Un homme avait une épaisse couche de bandages enfoncé dans sa poitrine mais le sang souillait déjà son torse et coulait par terre. « Il a pris une rafale dans la poitrine - et maintenant il y a de l’air et du sang dans ses poumons, » m’a dit l’infirmière près de lui. « Je pense qu’il va mourir. » C’est ainsi que la colère contre l’armée de Bahreïn - et contre aussi, je suppose, la famille d’Al-Khalifa, roi inclus - est arrivée au centre médical de Sulmaniya.

Le personnel estimait qu’ils étaient aussi des victimes. Et ils avaient raison. Cinq ambulances qui avaient été envoyées - les victimes d’hier avaient été abattus en face d’une caserne de pompiers près de place de la Perle - ont été arrêtées par l’armée. Quelques instants plus tard, l’hôpital a découvert que tous leurs téléphones portables avaient été coupés. A l’intérieur de l’hôpital il y avait un médecin, le docteur Al-Aberi de Sadeq, qui avait été lui-même blessé par la police lorsqu’il a tenté de porter secours aux blessés jeudi matin.

Les rumeurs se répandaient comme un feu de broussailles hier à Bahreïn et de nombreux employés médicaux insistaient sur le fait que jusqu’à 60 cadavres avaient été emportés de la place de la Perle jeudi matin et que la police avait été aperçue par la foule en train de charger des cadavres dans trois camions frigorifiques. Un homme m’a montré une photo prise avec un téléphone portable où les trois camions étaient clairement visibles, garés derrière des véhicules blindés de l’armée. Selon d’autres manifestants, les véhicules, qui portaient des plaques d’immatriculation saoudiennes, avaient été aperçus sur la route qui mène à l’Arabie Saoudite. Il est facile d’ignorer de telles histoires sordides, mais j’ai trouvé un homme - un infirmier qui travaille dans un hôpital sous la protection des Nations Unies - qui m’a raconté qu’un collègue américain, du nom de « Jarrod », avait filmé les cadavres en train d’être chargés dans les camions mais qu’il avait été arrêté plus tard par la police qu’on ne l’avait pas revu depuis.

Pourquoi la famille royale de Bahreïn a-t-elle permis à ses soldats d’ouvrir le feu sur des manifestants pacifiques ? Faire tirer à balles réelles 24 heures seulement après le premier massacre ressemble à un acte de folie.

Mais la main lourde de l’Arabie Saoudite pourrait être l’explication. Les Saoudiens ont peur que les manifestations à Manama et dans les villes de Bahreïn provoquent les mêmes troubles dans l’est du royaume, où vit une importante minorité Chiite autour de Dhahran et d’autres villes près de la frontière koweïtienne. Leur désir de voir les Chiites de Bahreïn promptement écrasés fut très clair lors du sommet des pays du Golfe qui s’est tenu ici jeudi, où tous les cheikhs et princes ont convenu qu’il n’y aurait aucune révolution de style égyptien dans un royaume où la population est constituée d’une majorité Chiite, à environ 70%, et d’une petite minorité sunnite, dont la famille royale.

Pourtant la révolution en Égypte est sur toutes les lèvres à Bahreïn. A l’extérieur de l’hôpital, ils criaient : « Le peuple veut renverser le ministre, » une légère variation du chant des Égyptiens qui se sont débarrassés de Mubarak, « le peuple veut renverser le gouvernement. »

Et beaucoup dans la foule disaient - tout comme les Égyptiens disaient - qu’ils n’avaient plus peur des autorités, de la police ou de l’armée.

Les policiers et les soldats tant méprisés étaient plus que présents hier dans les rues de Manama, observant d’un air maussade sur des véhicules blindés ou juchés sur les tanks fabriqués aux Etats-Unis. Il n’y avait apparemment aucune arme britannique en vue - même si on n’en était qu’au début des évènements et que certains blindés de fabrication russe ont été aperçues aux côtés des tanks M-60. Dans le passé, de petits soulèvements de Chiites ont été impitoyablement écrasés à Bahreïn avec l’aide d’un tortionnaire jordanien et d’un conseiller auprès des services de renseignement qui était aussi un ancien officier des forces spéciales britanniques.

Les enjeux sont élevés. Il s’agit du premier soulèvement d’envergure dans un des états riches du Golfe - plus dangereux pour les Saoudiens que les islamistes qui avaient pris le contrôle du centre de la Mecque il y a 30 ans - et la famille al-Khalifa de Bahrain vient de réaliser l’importance des jours qui vont suivre. Une source qui s’est toujours révélée fiable m’a raconté que tard dans la nuit de mercredi, un membre de la famille al-Khalifa - on dit qu’il s’agit du prince régnant - a eu une série de conversations téléphoniques avec un important chef religieux chiite, le dirigeant du parti Wifaq Shia, Ali Salman, qui campait près de la place de la Perle. Le Prince lui a apparemment proposé une série de réformes et de changements qu’il pensait que le religieux accepterait. Mais les manifestants sont restés sur la place. Ils ont exigé la dissolution du Parlement. Puis la police est intervenue.

Hier, en début d’après-midi, environ 3000 personnes ont participé à une manifestation de soutien aux al-Khalifas et il y avait beaucoup de drapeaux agités aux vitres des voitures. Ils feront peut-être les premières pages des journaux de Bahreïn demain, mais ils n’arrêteront pas le soulèvement chiite. Et le chaos de la nuit dernière dans le plus grand hôpital de la capitale - avec le sang dégoulinant de partout, les cris de détresse des blessés sur les civières, les médecins qui n’avaient jamais vu de telles blessures par balle ; un médecin a secoué la tête, incrédule, lorsqu’une femme a fait une crise près d’un homme couvert de sang - n’a fait que rendre les chiites de ce pays encore plus amers.

Un médecin qui s’est présenté sous le nom de Hussein m’a arrêté à la sortie de la salle d’urgences pour m’expliquer sa colère. «  Les Israéliens font ce genre de choses aux Palestiniens - mais ici ce sont des Arabes qui tirent sur des Arabes, » m’a-t-il crié par dessus le vacarme et la furie. «  C’est le gouvernement de Barhein qui fait ça à son propre peuple. J’étais en Egypte il y a deux semaines, je travaillais à l’hôpital Qasr el-Aini - mais ici c’est bien pire. »

Robert Fisk

19 février 2011

http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/they-didnt-run-away-they-faced-the-bullets-headon-2219267.html

Traduction «  encore une nuit blanche » par VD pour le Grand Soir, avec probablement les fautes et coquilles habituelles

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Pierre Lemaitre. Cadres noirs.
Bernard GENSANE
Contrairement à Zola qui s’imposait des efforts cognitifs démentiels dans la préparation de ses romans, Pierre Lemaitre n’est pas un adepte compulsif de la consultation d’internet. Si ses oeuvres nous donnent un rendu de la société aussi saisissant c’est que, chez lui, le vraisemblable est plus puissant que le vrai. Comme aurait dit Flaubert, il ne s’écrit pas, pas plus qu’il n’écrit la société. Mais si on ne voit pas, à proprement parler, la société, on la sent partout. A l’heure ou de (…)
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John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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