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Palestine : La barrière mentale, par Oren Medicks

Gush Shalom, 5 janvier 2004

Ce n’est pas tant la barrière physique que je redoute, en dépit de la réalité désastreuse qu’elle représente pour le peuple palestinien, et de la réalité honteuse qu’elle représente pour nous, Israéliens. La barrière elle-même pourrait être démolie en bien moins de temps qu’il n’a fallu pour la construire. De nouveaux oliviers peuvent croître, et recouvrir les cicatrices de la terre sur sa route longue et sinueuse.

Je redoute ce que la barrière exerce sur notre état d’esprit. J’écris ceci parce que je vois ce qui est en train de se passer, et qui progresse de jour en jour : les Israéliens s’habituent à la vue d’un peuple derrière des barbelés.

« Nous étions effrayés, réellement effrayés », dit l’un des soldats qui a pris part aux tirs à Mas’ha il y a quelques jours. « Nous les avons vus secouer le portail [métallique] comme des animaux. Que serait-il arrivé s’ils étaient parvenus à franchir cette porte et arriver jusqu’à nous ? » Conséquence de cette peur, un jeune soldat a tiré sur un manifestant non armé, Gil Na’amati, qui restera probablement handicapé pour le restant de ses jours.

Peut-être était-ce juste une piètre excuse pour un acte abominable, mais elle illustre une dramatique cristallisation des mentalités qui frappe de nombreux Israéliens.

Ils suivent à peu près la logique suivante : Le fait même que les Palestiniens soient mis en cage derrière des murs, des barbelés et des barrières électroniques les définit comme des animaux dangereux dans l’esprit des Israéliens.

Cette impression naît du même processus que celui par lequel nous nous formons l’image d’une personne à partir de son habillement, de sa maison, de sa voiture, etc.

Lorsqu’on voit une personne menottes aux poignets, plusieurs réactions sont possibles. La première question qui vient à l’esprit est : « Qu’a-t-il fait ? », afin d’adopter une attitude appropriée - pitié, s’il est par exemple un prisonnier politique, ou rejet, s’il s’agit d’un criminel.

La plupart des Israéliens ont depuis longtemps déjà condamné les Palestiniens.

Nos manuels scolaires ont remplacé la lutte nationale palestinienne par des histoires de « bandits », faisant de la lutte pour les droits politiques, sociaux et culturels une simple malveillance insensée.

Nombre de jeunes Israéliens, qui sont nés bien des années après la fondation de l’État d’Israël et la destruction de la société palestinienne (la Naqba) ne parviennent tout simplement pas à se faire à l’idée que les Palestiniens puissent avoir des droits.

Les 420 villages palestiniens détruits ont disparu depuis longtemps, enterrés sous des « kibboutzim » ou des villes israéliennes.

Pour ces jeunes Israéliens, la violence palestinienne est dépourvue de motivations et injustifiée. Dans leur univers mental, elle ne trouve à se représenter que sous la forme d’un terrorisme insensé, et les terroristes, on les enferme derrière des barreaux.

Cette mentalité est de plus en plus mise à l’épreuve, confrontée qu’elle est à la contradiction qui existe entre l’image mentale du « terroriste » et l’image réelle de jeunes Palestiniens armés d’un fusil qui tentent de protéger leurs maisons à Jénine ou à Naplouse des chars et des bulldozers israéliens écrasant tout sur leur passage.

La barrière ne dissimule pas seulement cette réalité à la vue, elle résout également cette contradiction en fabriquant une réalité extérieure qui correspond à l’image intérieure. Le monde en devient ainsi équilibré et compréhensible : les Palestiniens, mauvais et violents, se retrouvent derrière des barreaux et des barbelés, dans un monde qui est le leur.

Désormais, cette mentalité qui ne reconnaît pas les droits des Palestiniens, et met parfois en doute leur humanité même, peut se cristalliser autour de la barrière. Cela se manifeste clairement dans la facilité avec laquelle la plupart des Israéliens acceptent la nouvelle réalité d’un peuple entier maintenu derrière des barbelés.

Combien il semble naturel à de jeunes soldats d’ouvrir ou de fermer des barrières, d’autoriser ou de refuser le passage en raison d’un comportement bon ou mauvais, ou même par pur caprice...

Je crains la solidité et la stabilité de cette structure. Le parfait reflet physique d’une image mentale.

Si le monde permet l’enfermement du peuple palestinien derrière un mur, et si les Palestiniens deviennent un « peuple fantôme » derrière ce mur, ils risquent de perdre leurs dernières chances de convaincre les Israéliens de leur humanité : le contact visuel, et la voix humaine.

Oren Medicks Oren@gush-shalom.org.ns

Traduit de l’anglais par Giorgio Basile

 Source : www.solidarite-palestine.org/rdp-isr-040105-1.html

 Photo de Darren Ell : Les enfants de Jamal Said Othman à côté du mur,
maintenant situé à 25 mètres de leur maison (près du village de Jerrushiye). Photo extraite de son photoreportage www.solidarite-palestine.org

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