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2003, puissant mouvement social : goût amer ?

Quel est l’événement majeur de 2003 en France ? Le Figaro présente l’année 2003 comme celle de la "victoire" (sic) de Raffarin sur les retraites, mais précise qu’elle se termine, "canicule meurtrière, croissance en berne, chute de popularité" aidant, sur un "goût amer".

Mais justement, n’est-ce pas à cause de ce qui s’est passé sur les retraites que la fin de l’année de MM Chirac-Raffarin est amère ?

1936, 45, 68, 86, 95, 2003 :

Le mouvement social qui s’est produit dans l’année écoulée est l’un des plus grands de l’histoire de France. Avec 11 journées d’action enseignantes, avec 9 journées nationales interprofessionnelles, avec quatre journées où il y eut plus de 2 millions de manifestants (le 13 et le 25 mai, les 3 et 10 juin), d’autres où il y en eut des centaines de milliers (1er février, 3 avril, 6 mai, 10 mai...) avec 140 jours de lutte (du 1er février au 23 juin), avec cinq à six semaines de gréve enseignante, avec près de 30 millions de jours de gréve, avec 66 % de l’opinion en faveur des grévistes, 2003 est une année historique record dans l’histoire sociale de notre pays.

Cette mobilisation en défense des retraites et en opposition au plan du gouvernement Raffarin-Fillon n’a pas affecté seulement la fonction et le secteur public, elle a aussi touché les grandes entreprises du privé, même si ce fut à un degré plus limité : elles ont participé massivement aux temps forts, notamment le 13 mai : jusque dans des petites villes et des régions reculées, des initiatives de luttes spectaculaires, étonnantes dans leur intelligence et leur combativité, ont été prises. Des réseaux par Internet pour la première fois à cette échelle dans une lutte nationale ont tissé une toile d’informations, d’argumentations, de solidarité, tout à fait exceptionnelle : des millions de mel ont circulé, court-circuitant les télés officielles, les médias tenus en main. Il y a eu, notamment en province, des cortèges beaucoup plus importants qu’en 1968 et en 1995. La durée et l’âpreté de la lutte ont contribué à radicaliser massivement des millions de personnes dans tout le pays. On a vu des slogans syndicaux et politiques globaux surgir dans les cortèges, non seulement défendre des mots d’ordre alternatifs pour les retraites, mais aussi mettre en cause l’ordre capitaliste, financier, mondialisé et toutes ses conséquences en termes d’inégalité sociale, de gâchis humain, de gaspillage économique.

Un axe intersyndical s’est constitué, majoritaire et profond, autour de la Cgt, de la Cgt-Fo, de la Fsu, de l’Unsa et du Groupe des dix. La Cfdt dont la direction a pris la terrible responsabilité de diviser, à chaud, seule, le front syndical, et de signer avec l’un des gouvernements les plus réactionnaires de ces 50 ans dernières années, a payé au prix fort cette trahison des salariés, elle connaît crise sur crise, départs après départs, sans doute entre 50 et 100 000 de ses adhérents la quittent, alors qu’elle recule en voix, partout, aux élections professionnelles.

La gauche, malgré ses divisions et son dramatique échec du 21 avril 2002, s’est retrouvée sur des positions communes de rejet de la loi Fillon sur les retraites. Le Pcf, les Verts, Lo et la Lcr étaient opposés au plan gouvernemental visant à baisser le niveau des retraites et à allonger la durée des annuités de cotisations. Le Ps, tenant son congrès au coeur de ce mouvement social, a choisi d’exiger le rejet de la loi Fillon, son Premier secrétaire s’est engagé solennellement à abroger la loi sur les retraites, et à l’unanimité, toutes ses sensibilités ont appelé à élargir la mobilisation autour des syndicats mobilisés.

Malgré cette force du mouvement social, syndical et politique, qui est l’événement de l’année 2003, le gouvernement Chirac-Raffarin, appuyé par le Medef, a refusé de négocier, et même de rechercher un compromis. Il a imposé sa loi.

C’est la première fois depuis 1936, 45, 68, 95 qu’un gouvernement ose ainsi résister à la force du mouvement social et s’acharne même à le défaire : s’il y a un fait marquant cette année écoulée, c’est celui-ci.

Le prix du refus de négocier :

En imposant sa loi, en refusant de négocier et en passant en force sur maints autres dossiers sociaux, le gouvernement Chirac-Raffarin a essayé d’imiter les politiques et les pratiques de Mme Thatcher et M. Reagan : vaincre le mouvement syndical et social pour détruire les acquis sociaux, et instituer en France une économie ultra-libérale à l’anglo-saxonne.

Depuis, face aux intermittents du spectacle, aux hospitaliers et professions de santé, face aux enseignants et étudiants, face aux électriciens, aux employés de la restauration, aux fonctionnaires, aux chômeurs, le gouvernement Chirac-Raffarin s’efforce d’imposer la même fermeté, de bloquer les salaires, d’allonger les durées du travail, d’affaiblir le droit du travail.

Mais cette politique nourrit un mécontentement en profondeur : toutes les catégories de la population salariée, créatrice de richesses, est frappée ; Un enseignant, au début de l’été, exprimait parfaitement les sentiments de millions de gens : " - Je suis vieux, mais ma haine est jeune, jusque-là , je n’ai guére milité, guére bougé, mais ce gouvernement vient de me prendre cinq ans de ma vie de retraite, et 30 % du niveau de celle-ci, je n’aurai de cesse de le lui reprendre".

Quand un gouvernement refuse de négocier, d’entendre, de discuter, et se fait le chantre de la destruction des droits sociaux, quand il ne tient pas compte de la force d’un mouvement social aussi grand, cela laisse des traces indélébiles dans les consciences.
C’est cela le "goût amer" de cette fin 2003. C’est cela l’origine de la chute de popularité, d’autorité de cette équipe ultra-libérale et sectaire qui nous gouverne depuis bientôt deux ans. C’est un gouvernement qui a "tenu" mais qui est couvert de plaies et de bosses, qui a dressé contre lui sa propre base sociale. C’est un Waterloo économique et une succession de Pearl Harbour antisociaux. Tout "ceux d’en-bas" y ont perdu, seuls des quarterons de riches et de spéculateurs en ont profité. La récession menace en france plus qu’ailleurs, et une hypothétique croissance venue d’outre atlantique ne saurait suffire à réparer les dégâts commis ici. Raffarin est logiquement en chute libre.

La seule chose qui freine un peu cette chute, c’est l’absence d’unité et de détermination de la gauche qui ont manqué cruellement pour offrir une alternative crédible à la politique de Chirac-Raffarin et c’est cette absence d’alternative qui lui a permis de franchir, malgré tout, le cap 2003.

De 2003, les retraites, à 2004, la Sécu :

Mais pour autant l’amertume est là , visible, présente, dans l’immense majorité des esprits. La question des retraites est loin d’être jouée : après cette victoire à la Pyrrhus, elle demeure un enjeu de tous les prochains affrontements et élections. Régionales, cantonales, sénatoriales, gréves des hôpitaux le 22 janvier prochain, tout sera occasion de régler les comptes en suspens : la loi Fillon qui doit s’appliquer par étape de 2004 à 2020 sera sans cesse remise en cause.

D’autant que les choses sont claires : les libéraux, le Medef veulent maintenant, après celle des retraites, "la peau de la Sécurité sociale".

Et ceux qui, n’ont pas vu, ou pas cru, à temps qu’ils perdaient leur retraite, vont devoir prendre conscience, à temps que c’est leur Sécu qu’ils vont perdre. Le début d’un film qui se veut une répétition de 2003 est programmé entre le 22 janvier et le 14 juillet 2004.

L’histoire ne se répète jamais de la même façon : s’en prenant aux derniers éléments de Pacte républicain survivant depuis 1945, Chirac, Raffarin, Juppé, Fillon, Mattéi risquent cette fois, d’avoir plus qu’un goût amer dans la bouche.

Le 26 décembre 2003, Gérard Filoche, pour D&S n°111, janvier 2004

 Source : www.democratie-socialisme.org

 Photos intermittents, chômeurs, stop pub métro : Clichés Z


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