Il est en train de s’opérer en Amérique Latine une curieuse évolution qui est le signe d’un double changement au niveau international. Les leaders de l’Argentine, du Brésil et de l’Uruguay ont déclaré qu’ils reconnaissaient la Palestine dans les limites de la "ligne verte" qui est la frontière délimitée par l’armistice de 1948 entre Israël et les palestiniens.
Le premier niveau de changement international est la reconnaissance de la ligne verte elle-même en tant que frontière entre Israël et la Palestine, ce qui donne à l’état d’Israël une surface supérieure environ de 45% à celle que lui avait octroyée l’Assemblée Générale de l’ONU. A cet égard, la seule reconnaissance de la ligne verte est une concession significative aux revendications d’Israël puisque cela convertit une généreuse portion de terre palestinienne en terre israélienne. Etant donné la situation actuelle, avec les colonies qui ont divisé le territoire palestinien en quatre ou cinq bantoustans et avec Gaza transformé en prison à ciel ouvert, il n’y a aucune chance de pouvoir former un état palestinien souverain d’un seul tenant à côté d’Israël. C’est bien sur exactement ce que les Israéliens veulent et ont toujours voulu depuis la guerre des six jours de 1967. Leur détermination s’origine dans la peur de la démographie qu’avaient les premiers sionistes c’est à dire la peur que les Palestiniens ne deviennent une minorité trop puissante ou qu’ils parviennent à surpasser les colons en nombre et à rendre la création de Eretz Israel impossible. Les sionistes avaient très bien compris qu’ils rencontreraient de la résistance s’ils tentaient d’établir des colonies dans la Palestine qui était alors sous mandat britannique. La Nakba de 1948 a été l’occasion pour le nouvel état israélien de détruire des centaines de villages et de villes et de déporter 700 000 Palestiniens dans des camps de réfugiés disséminés ici ou là sur le territoire. En revenant au présent il est ironique de constater que l’établissement de facto d’un état unique israélien n’a pas modifié le ratio démographique qui est très proche de 1 : 1 avec les 5 millions environ de réfugiés qui vivent dans des pays voisins et qui sont virtuellement capables d’exercer leur droit au retour en vertu du droit international.
En réponse à la reconnaissance des leaders d’Amérique latine, P.J. Crowley du Département d’Etat des USA, qui s’occupe de la sécurité de l’état et de la défense sur Internet des intérêts des USA (en d’autres termes de la propagande, c’est toujours mieux de changer son image que ses actions selon la plus grande partie du personnel de Département d’Etat des USA) a déclaré :
"Nous croyons sincèrement que les modalités du statut final devraient être négociées par les deux parties...euh... et nous...euh... pensons qu’à ce stade... vous savez... euh... évoquer ces modalités devant les Nations-Unies aura juste comme effet de nous détourner du problème important que nous avons à résoudre qui... qui est de progresser en s’attaquant au coeur du problème." [al-Jazeerah, 11 décembre 2010, "Palestine turns to UN for statehood"]
Une négociation entre les deux camps ? C’est un mythe trompeur que les médias étasuniennes et européennes véhiculent perpétuellement en faisant semblant de croire que les deux camps se battent à armes égales. La vérité est que l’un des deux (la Palestine) est complètement dominé par l’autre (Israël) et que sans soutien extérieur il ne peut y avoir aucune négociation honnête et juste. Les USA prétendent jouer le rôle de médiateur mais leur soutien sans faille à Israël sur le plan économique et militaire et leur capacité de résister à Israël se réduisant comme peau de chagrin comme on a pu le constater avec la capitulation d’Obama, il n’y a pas la moindre chance que les USA puissent actuellement jouer le rôle d’un honnête intermédiaire. Dans les actes, les USA ne soutiennent qu’Israël tout en cherchant à prendre eux-mêmes le contrôle du Moyen-Orient et de ses ressources en hydrocarbures et le contrôle géopolitique de la Russie et de la Chine. Voilà en réalité "les importants problèmes à régler" des USA, alors que pour Israël il s’agit de multiplier les états de fait sur le terrain sous la forme de colonies illégales interdites par le droit international.
Personne ne se soucie de "progresser" vers une solution pacifique en collaboration avec les leaders israéliens. Je le répète, les enjeux sont la démographie et l’occupation de la terre palestinienne. Sous l’Administration Bush, Ariel Sharon a reçu "la garantie de pouvoir contrôler de façon permanente de larges portions de la Cisjordanie et de Jérusalem.... en dépit de ce que stipule et prescrit le droit international". Selon Dov Weisglass, le conseiller principal de Sharon, cet accord Sharon-Bush, revient à donner à Israël "Tout le formol nécessaire pour qu’il n’y aie pas de processus de paix politique avec les Palestiniens". En gelant le processus de paix "on empêche l’établissement d’un état palestinien... l’état palestinien a été éliminé indéfiniment de notre agenda politique... sous l’autorité et avec la permission [et la] bénédiction et la ratification des deux chambres du Congrès." [Saree Makdisi. Palestine Inside Out - An Everyday Occupation. W.W. Norton & Company, N.Y. 2008. p. 91.]
Quand on voit la manière dont l’actuel Président Obama obtempère à toutes les desideratas d’Israël concernant les colonies et quand on constate le dédain absolu que Netanyahu a pour Obama et pour les USA en général, on comprend que les déclarations de Sharon sont vraies. Le troisième pouvoir que constituent les USA, et il n’y en pas d’autre, est un pouvoir grandement émasculé pour le moment ; les USA n’ont rien fait pour résoudre "le problème des colonies" - sauf à étendre un écran de fumée médiatique- la forme de "confrontation" principale que les Israéliens utilisent dans le contexte mondial.
Derrière tout cela, il y a bien sur, le mythe créé de toutes pièces par les Israéliens selon lequel "il n’y a pas de partenaire pour la paix", une situation rendue d’autant plus inextricable par le fait que les leaders des "partenaires" sont systématiquement assassinés dans des meurtres extrajudiciaires ou sont mis en prison ou se disputent entre eux comme des pantins dont Israël, le pouvoir dominant, tire les ficelles.
Le second niveau de changement international ? C’est bien la capacité de ces peuples d’AL si longtemps opprimés et intimidés, économiquement et militairement, de se dresser contre l’hégémonie étasunienne et de se faire entendre. La voix pleine de bon sens de ces trois pays d’AL qui se rendent enfin compte de leur pouvoir réel et sortent de l’ombre que leur faisait la puissance étasunienne nous appelle à reconsidérer sérieusement le conflit israélo-palestinien en prenant comme point de départ la ligne verte de 1948. Le poids croissant de la voix d’une Amérique Latine de plus en plus indépendante aidera à surmonter l’inertie désolante des "pourparlers de paix" présidés par les USA et à générer une approche du conflit qui soit plus juste et qui permette d’aboutir à une solution légale et reconnue par toutes les nations de la terre.
Pour consulter l’original : http://www.aljazeerah.info/Opinion%20Editorials/2011/January/3%20o/Latin%20America%20Recognizes%20Palestine%20By%20Jim%20Miles.htm
Traduction : D. Muselet