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Jacques Julliard et des mondanités

Il y a quelque temps, l’historien Gérard Noiriel a réédité son excellent Dire la vérité au pouvoir, les intellectuels en question. Il réfléchit longuement sur ce qu’il appelle « les intellectuels de gouvernement » (Julliard, Ferry, Lévy aujourd’hui ; hier Furet, Rémond ; avant-hier Siegfried, Seignebos etc.), des figures institutionnelles à la croisée de nombreux réseaux (médias, édition, université) qui se sont assigné pour mission de dire la vérité au pouvoir au nom des opprimés mais qui, parce qu’ils sont en fait des électrons libres totalement individualistes, finissent par parler aux opprimés au nom du pouvoir. Noiriel saisit Jacques Julliard au moment de la splendeur de son influence, dans les années quatre-vingt-dix. En citant le journal qu’a tenu Julliard en 1995, Noiriel montre que ce qui intéresse cet intellectuel multicartes, ce sont ses rendez-vous avec les grands de ce monde, les journalistes, les hommes politiques. Il ne dit pas un mot de ses activités de directeur d’études, de son séminaire de recherches.

L’entrée du 22 janvier m’a particulièrement frappé : « Michel Winock me raconte qu’il s’est trouvé pris dans une rafle d’intellectuels », annonce Julliard, inquiétant. Serions-nous au Chili sous Pinochet ? Non, pour ce qui est de la déconne, Julliard n’en craint pas un : « Invitation à Matignon. Conversation agréable avec Balladur. Quelques jours plus tard, tous les participants à ce déjeuner se sont vus proposer la Légion d’honneur. Un seul l’a refusée. Il l’avait déjà . »

Ces quelques lignes nous disent tout ce qu’il faut savoir sur la collusion des grands de ce monde qui prétendent être antagonistes (Winock est un homme de gauche), sur les codes d’entrée, sur les renvois d’ascenseur, sur les innombrables connivences. Ces gens ne peuvent pas se faire de mal.

Récemment, Julliard a quitté le Nouvel Observateur (dont il était l’un des principaux responsables politiques) pour Marianne. J’ai cru comprendre qu’il estimait que l’hebdomadaire bientôt quinquagénaire avait par trop viré à droite, surtout depuis que son directeur, Denis Olivennes (qui a depuis rejoint Lagardère) se sent politiquement plus proche de son ami Sarkozy que du Trotski de sa folle jeunesse.

Ce transfert n’a strictement aucune espèce d’importance. Dans ce beau monde, on passe d’un trottoir à l’autre, mais on est toujours dans la même rue.

Je sais bien qu’en citant deux lignes écrites par un individu, on peut le faire condamner à la pendaison. Mais je ne résiste pas au plaisir de citer La faute aux élites d’un Julliard qui, décidément, ne manque pas d’humour. Dans cet ouvrage, son propos était de rapprocher les élites intellectuelles du peuple. Mais il faisait la part belle aux inégalités « naturelles » pour discréditer la lutte contre les discriminations :

« Ne faudra-t-il pas un jour, pour compenser les inégalités neuronales, envisager des discriminations positives en faveur des pauvres d’esprit, comme il y en a en faveur des pauvres d’argent ? »

Qu’en pense Balladur ?

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« A toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. Les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l’expression des rapports sociaux qui font justement d’une seule classe la classe dominante, donc les idées de sa suprématie. »

Karl Marx

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