Vous voulez savoir qui je suis ? Laissez-moi d’abord vous dire qui j’étais.
Je suis entré dans les « marines » à l’age de 18 ans, je suis allé au Vietnam à 19, je maniais une mitrailleuse, j’ai survécu à la chaleur et à l’humidité des montagnes du Nord Vietnam prés de la zone démilitarisée. Ma base arrière, Rockpile, était le poste le plus isolé au Vietnam à l’époque, c’est du moins ce qu’ils nous ont raconté. J’ai survécu à la guerre et une fois rentré j’ai profité des mesures de réinsertion pour les vétérans pour entrer dans l’école d’architecture de Boston, pour des cours du soir. J’ai travaillé quelques années comme ouvrier dans le bâtiment puis comme employé de bureau dans un cabinet d’architectes. Je me suis marié, je suis entré dans l’Université de l’Oregon et j’ai obtenu mon diplôme d’architecte en 1977. J’ai travaillé, déménagé plusieurs fois (pour cause des récessions), j’ai eu deux magnifiques filles, fondé un foyer, etc.
Après le Vietnam, je me suis rangé comme on dit, et j’ai suivi un parcours plutôt rectiligne, même lorsque les eaux de l’économie étaient agitées. Nous avons eu des hauts et des bas, connue des récessions, perdu notre maison et construit une autre, pour finalement nous installer à Knoxville, Tennessee, où j’ai monté mon propre cabinet d’architecte surtout parce que j’étais incapable de travailler dans un cube à côté de 400 autres architectes.
Mais en 2009 tout a changé. Voici qui je suis.
Je suis un ancien « marine », un vétéran de la guerre du Vietnam, fou de rage et sur le point de perdre encore une fois sa maison. Vu d’ici, tout notre système financier s’est écroulé. Je veux dire par là que vous pouvez prendre les derniers quarante ou cinquante ans de « progrès économiques » et les jeter aux orties. C’est ce qui vient de se passer. Beaucoup s’accrochent encore, en espérant une reprise. Quelque chose en sortira mais ce quelque chose n’aura rien à voir avec ce qu’il y avait avant. En 2009 ils ont changé les règles du jeu. Les emplois ont disparu, pour aller en Chine ou en Inde. Des types comme moi et ceux avant nous qui ont bâti ce grand pays sont devenus inutiles. Les ponts, les gratte-ciels, les centres industriels, les maisons, les routes, les barrages, tout ce que nous avons construit, a été balancé pour être remplacé par un « système financier » qui n’a plus besoin de nous. Ils nous ont remplacé par des choses appelées « produits dérivés ». L’industrie automobile était au fond du trou, les banques faisaient faillite, le chaos régnait à Wall Street, et des millions de gens n’avaient d’autre avenir que le chômage ou, pour les plus chanceux, un emploi sous payé.
Alors j’ai décidé de suivre le chemin que j’ai toujours suivi. Sans travail et fou de rage devant ce que je considérais comme le vol de mon avenir et celui de mon pays, j’ai décidé de suivre une voie alternative. Je n’avais pas échoué, c’est le système qui m’avait laissé tomber et j’étais déterminé à ne pas m’avouer vaincu mais aussi à ne pas faire une bêtise. J’avais 60 ans et d’une manière ou d’une autre le temps ferait son oeuvre sur moi. Fallait-il continuer à jouer le jeu selon les règles fluctuantes de cette insanité financière que l’on m’imposait ? Fallait-il accepter le premier emploi venu pour tenter de garder la maison que j’avais passé ma vie à rembourser ? En bref, fallait-il repartir pour un tour, aller là où on me disait d’aller et tout recommencer à 60 ans et fermer ma gueule et me pointer au travail et continuer ainsi jusqu’à ma mort ?
Merde alors, je préférerais encore me lancer à l’assaut d’une colline et tout donner pour sauver mon « esprit », parce que c’est ce que nous avons de plus précieux. Pensez à « Géronimo » et vous aurez une idée de pourquoi je fais ça. Une dernière goulée d’air, un dernier assaut, une dernière mission jusqu’à ce que mes forces m’abandonnent. Allais-je mourir au cours de ma tentative ? Si cela devait être le cas, je suis prêt à l’accepter. Est-ce que cela me sauvera ? Je n’en ai aucune idée. Vraiment aucune. Tout a commencé par une blague que j’ai raconté à ma femme. A force de la raconter, elle a finit par s’imposer comme une idée finalement plus sensée que tout ce qui m’entourait.
Les inégalités de la vie submergent nos existences. Au fond, nous prenons tous des décisions selon les cartes que la vie nous a distribuées. A 60 ans, j’ai décidé de défier ces cartes une dernière fois pour me libérer l’esprit.
Alors je pédale vers Whitehorse (Yukon, Canada), sur un vélo avec un paquetage de 35 kilos, pour un voyage de 5000 km. On se verra là -bas. Si j’y arrive.
John Mele
Son blog http://journeytowhitehorse.posterous.com/
via
http://www.informationclearinghouse.info/article26267.htm
Traduction VD pour le Grand Soir