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Comment convaincre un convaincu (du contraire)

Je discutais, il y a peu, du sujet à la mode du moment (pas l’affaire Woerth, elle est déjà passée aux oubliettes), le «  problème des roms ». Au cours de cette conversation, dans laquelle je tâchais de défendre mon point de vue, je me trouvai abasourdi par l’incompréhension mutuelle à laquelle nous étions tous deux confrontés : alors que mon contradicteur me passait par le menu les exactions commises par certains individus de cette communauté, j’essayais en vain de lui faire comprendre que celles-ci n’étaient absolument pas représentatives de la communauté dans son ensemble, et qu’on trouvait des délinquants dans toutes les couches de la société, dans toutes les communautés.
 
Mon contradicteur, qui se trouve être une personne intelligente et sensible, embraya alors sur les différences culturelles qui nous séparaient de cette communauté, qui selon lui ne respectait ni les lois françaises, ni les animaux, ni les êtres humains n’appartenant pas à leur communauté. Ne désirant ni s’insérer, ni travailler, ni respecter la loi, ils exigeaient de la part du gouvernement français des terrains, de l’électricité et de l’eau, tout cela gratuitement, sans compter les dégradations qui s’ensuivaient inévitablement à leur départ, départ de plus monnayé par la contribution publique, avec une somme qu’ils s’empresseraient de dépenser là -bas avant de revenir presque aussitôt sur le territoire français.
 
Je tentai alors de lui expliquer que cette communauté, malgré ses différences culturelles, se devait d’être accueillie par la population française au nom de "valeurs humanistes", et que le système actuel avait les moyens et la place nécessaire pour les recevoir décemment, au même titre qu’elle autorise de nombreuses associations à profiter de terrains, de locaux municipaux...

J’essayai de lui faire voir comme les différences culturelles sont dures à estomper (et le fallait-il ?), et combien il était difficile pour des populations itinérantes de s’adapter à la culture de tous les différents pays qu’elles traversent. N’ayant pour ainsi dire presque aucune chance d’être régularisés, il n’était pas étonnant qu’ils vivent quelque peu en marge. Que si certains en venaient à voler, c’était plus par nécessité que par vice, et s’ils abandonnaient parfois les lieux utilisés dans un état délabré, c’était sans doute car ils n’en étaient que les éphémères utilisateurs, un peu à la manière des toilettes publiques : elles sont sales quand on arrive, et encore plus quand on en sort. On n’y touche le moins possible...
 
Et puis, face à ses dénégations contre lesquelles j’épuisais mes forces, j’évoquais mon argument ultime : quelle solution existe-t-il d’autre à part l’intégration ? Les mettre dans des camps et les exterminer, tous, pour payer les crimes de quelques uns ? Et si on faisait ça à toutes les communautés où il existe des délinquants, n’allait-on pas finir, à force d’amalgames, par vouloir supprimer tout le monde ?
 
Bien sûr, mes arguments ne portaient pas, et ils n’avaient aucune chance de porter. On ne convainc pas un convaincu du contraire aussi facilement : mon contradicteur me répondit qu’ils n’avaient qu’à respecter la Loi, et qu’il serait ravi de voir punis tous ceux qui ne la respectent pas, que les lois n’étaient pas assez contraignantes, et qu’il fallait aller encore plus loin. Alors ce ne sont pas les roms qui étaient en cause, mais bien les délinquants, n’est-ce pas ? Peut-être bien, mais au lieu de les retirer de sa liste, ce dernier était plutôt prêt à l’allonger....
 
Alors je m’embarquai sur la responsabilité de la société, qui entrainait inévitablement à la course à l’argent, et donc à tous les moyens pour en acquérir ; à la notion culturelle du bien et du mal qui différait selon les populations ; au double jeu du gouvernement qui d’un côté donnait de l’argent aux roms pour qu’ils s’en aillent tout en sachant très bien qu’ils reviendraient, ajoutant à la défiance du peuple en crise une jalousie sur l’injustice des sommes qu’eux-mêmes ne reçoivent pas.
 
Bien sûr toute cette discussion était interminable, et si embrouillée qu’elle ne pouvait mener nulle part. Mon contradicteur ne me convaincrait pas, et je ne le convaincrai pas non plus. Dialogue de sourd ultime qui trouve ses bases dans l’incompréhension originelle qui sépare les deux sortes d’hommes qui existent : ceux qui croient que l’homme est naturellement bon et que le système le pervertit, et ceux qui croient que l’homme est naturellement mauvais et que le système doit le recadrer. Une vaste discussion impossible à résoudre autrement que par des détours interminables entre histoire, philosophie, sociologie, politique...
 
Comment, en effet, sortir d’une discussion comme celle-là en disant «  ah oui, j’ai compris ! », comme une fulgurance, une illumination ? Ce serait remettre en cause toute sa vie, toutes ses croyances, toutes ses amitiés, tout son être en définitive.Alors qu’il est si simple de rester persuadé de son opinion sans même penser qu’il est possible de changer....

Mais il existe pourtant bien une relation évidente et incontestable entre la misère et la violence ! Et quand la misère augmente, la violence aussi. Comme le démontrait déjà le Raphaël de «  L’Utopie » (de Thomas More) à propos de la pendaison des voleurs (au 16ème siècle !), la délinquance est le résultat de la politique du pouvoir en place, qui préfère satisfaire son profit plutôt que celui de son peuple, appauvri et délaissé par ceux qui en ont la charge : «  en effet, vous laissez donner le plus mauvais pli et gâter peu à peu les caractères depuis la petite enfance, et vous punissez des adultes pour des crimes dont ils portent dès leurs premières années la promesse assurée. Que faites-vous d’autre, je vous le demande, que de fabriquer vous-mêmes les voleurs que vous pendez ensuite ? »
 
Un peu plus tard, je rencontrai un autre ami, à qui je confiais mon désespoir, mon indignation devant tant d’incompréhension : comment mon contradicteur pouvait-il à ce point être victime d’une propagande si grossière et si voyante ? Ne voyait-il pas que l’on était en train d’abuser de ses sentiments, en lui mettant chaque jour en pleine lumière des faits divers sordides (mais heureusement rares), en lui indiquant un ennemi capable de l’entraîner vers la haine des autres, ne connaissait-il pas tous les malheurs que ces techniques de conditionnement avaient déjà engendré, ne comprenait-il pas le jeu des puissants qui veulent détourner l’attention de leurs échecs en désignant d’autres coupables ?
 
Non, il ne pouvait pas comprendre. Il n’a pas, n’a plus la volonté de comprendre. Cela lui ferait trop mal, et remettrait trop de choses en cause sur sa vision du monde. Il risquerait de voir que le pouvoir se moque de nous depuis trop longtemps, et que le seul moyen qu’il a trouvé pour le conserver sans risque est de diviser des hommes appauvris, afin qu’ils se battent entre eux, au lieu de se battre contre ceux qui les ont rendu misérables ; ce que Thomas More avait compris il y a bien longtemps déjà  : «  quant à croire que la misère du peuple soit une garantie de sûreté et de paix, l’expérience prouve assez que c’est la plus grande des erreurs. Où y a-t-il plus de bagarres que parmi les mendiants ? Qui est le plus empressé à bouleverser l’état des choses existant, sinon celui qui est mécontent de son lot ? Qui s’élance plus témérairement dans la voie de la révolution que celui qui n’a rien à perdre et qui espère gagner au changement ? Un roi qui serait méprisé et haï de son peuple au point de ne pouvoir tenir ses sujets en respect que par des rigueurs, des extorsions, des confiscations, un roi qui les réduirait à mendier, mieux vaudrait pour lui abdiquer tout d’un coup que d’user de procédés qui lui gardent peut-être la couronne, mais qui lui enlèvent sa grandeur, car la dignité royale consiste à régner sur des gens prospères et heureux, non sur des mendiants. »
 
Enfin, mon ami finit tout de même par mettre un terme à mes réflexions, et les éclaira d’un jour nouveau, en exprimant simplement la vérité des choses : on ne convainc pas un convaincu par des mots, ni par des raisonnements. Mais par la réalité. Pour comprendre l’inconnu, l’autre, il faut le découvrir, le côtoyer...le connaître. Alors il ne sera plus un inconnu, et ne fera donc plus peur.
 
Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr

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