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Mme B. Chirac nommée au conseil d’administration de LVMH

photo : couverture du livre Le choix de la défaite - Les élites françaises dans les années 1930 d’Annie LACROIX-RIZ

Les historiens ont matière "‘ purement intellectuelle, malheureusement "‘ à se réjouir quand ils voient que, faute de transformations profondes, nous en sommes exactement au même point qu’il y a environ 70 ans, dans une conjoncture décrite par un rapport sur le « rôle du patronat dans la genèse et la conduite de la guerre actuelle » et son « plan d’action […] pour la France » depuis 1920, rapport anonyme et très bien informé, sans date, de 1942 ou 1943, accompagné d’une « appréciation de XP/150 » "‘ les Renseignements généraux de Vichy "‘ d’août 1943 (sans autre précision) : « assez fantaisiste », mais contenant « des indications dont certaines mériteraient une enquête et des recherches attentives », F7 15343, Synarchie : études, rapports, coupures de presse, 1941-1948 (vous savez, « la-synarchie-qui-n’existe-pas »), Archives nationales.

« Les Français n’ont pas été battus : ils ont été trahis […] par le haut patronat, par peur du socialisme et notamment de sa forme ultime : le communisme. Toute la politique mondiale, depuis 1917, s’explique par la lutte entre le grand capitalisme international et le socialisme. Le haut patronat international a sa capitale, tantôt dans un pays, tantôt dans un autre. Naguère, c’était Londres, c’est aujourd’hui New York. Les États sont, pour lui, de simples instruments de gestion. Il est au-dessus de nos "Patries" . Sa patrie à lui, ce sont les matières premières : l’or, le fer, cuivre, le charbon, le pétrole, etc. Il est contre Moscou, parce que Moscou lui a fermé l’accès des matières premières de l’Union Soviétique et gère celles-ci sans patrons, avec de simples fonctionnaires. Pour cette raison, le haut patronat mondial veut abattre le communisme russe par la guerre, il lui fallait l’armée allemande pour battre l’armée russe. Il lui fallait la défaite de la France pour que l’armée allemande ait les mains libres en Russie. Il a organisé la défaite truquée de la France. […]

Rois, parlements, presse, armée, église […sont] depuis un demi-siècle complètement passés sous le contrôle du haut patronat. On parle souvent de la responsabilité des partis politiques, de la maçonnerie et des syndicats, mais les hommes politiques, les ministres, les vénérables des loges et les secrétaires de syndicats, cela ne pèse pas lourd devant le Comité des Forges et le Comité des houillères, qui sont les organismes qui commandent tous les autres. La moitié des hommes publics importants sont achetés par eux. » A la fin du 19e siècle ont été créées de « grandes coalitions patronales, ou trusts, […] pour empêcher l’avilissement des prix et pour limiter les revendications ouvrières. Cela les a conduits à organiser, dans chaque catégorie, un contrôle presque total de la production. » Ces groupements ont organisé « le débauchage des grands fonctionnaires [, qui] ont su que, s’ils fermaient les yeux sur l’action des grands patrons, ils pourraient obtenir des situations de premier ordre. Un fonctionnaire qui gagnait 50 000 frs au service de l’État était engagé par eux, avec un traitement de 500 000 frs et bien au-delà , c’est ainsi qu’ils ont "possédé" l’Administration française et pris à l’État ses meilleurs fonctionnaires. […] Ils ont pris 70% des sénateurs en leur faisant donner des places dans les conseils d’administration. Des députés sont devenus avocats-conseils des grandes compagnies. Mais les jeunes normaliens, les jeunes professeurs des facultés de droit devenaient socialistes. Le Comité des Forges organisa le recrutement des meilleurs élèves des grandes écoles, et il les casa, à leur sortie de l’école, à la tête de syndicats avec de gros appointements.

La presse pouvait gêner le haut patronat, il en organisa systématiquement la corruption. Contrôlant les agences de publicité et les messageries de journaux, il contraignit les journaux à un déficit permanent, et leurs agents spéciaux, que l’on nomme distributeurs de publicité, mais qui sont, en fait, des organisateurs de silence, apportèrent aux journaux des subventions qui comblaient leur déficit et les mettaient à leur merci. En trente ans, le haut patronat français a ainsi acquis le contrôle de toute la presse, de l’Action française au Populaire.

Le haut patronat comprend ce que l’on appelle les "Deux Cents Familles" . Mais il va bien au-delà . Ses états-majors de premier rang représentent cinq mille administrateurs et techniciens, parmi lesquels se recrutent les grand commis qui deviennent parfois les chefs de ces organisations. De cet ensemble directeur dépend ce qu’on appelle "Le Monde" qui vit des dividendes distribués par les trusts. C’est avec "Le Monde" que le haut patronat gouverne les lettres, les arts, l’armée, une partie du monde ecclésiastique, les salons tenus par les grandes dames "du Monde" dont les Académiciens, les Évêques et les généraux.

La police est à la disposition du haut patronat. Aucune grande mesure de police n’est prise sans concert entre le Préfet de police et les grands Chefs des trusts. Ceux-ci ont, en outre, des hommes à eux parmi les grands fonctionnaires de la police. Ils ont, enfin, leur propre police ; tous les syndicats patronaux leur fournissent automatiquement tous renseignements politiques, économiques et sociaux.

L’État d’aujourd’hui n’est rien devant les trusts. Ni l’État de Lebrun, de Daladier, de Paul Reynaud, ni l’État de Pétain ni de Laval ni ceux de Mussolini, de Hitler ou de Roosevelt. Derrière tous les Rois, chefs d’État et ministres, il y a le haut patronat, dont le public ne connaît pas les chefs, qui n’aiment pas à se faire connaître ». Trônent en son sein les Comités des Forges et des houillères « de beaucoup les plus riches, et qui, sous le contrôle des grandes familles, dont la plus puissantes est celle de Wendel, sont dirigés par deux grands commis de haute valeur, Lambert-Ribot pour le Comité des Forges et de Peyerimhoff pour les Houillères. Servant les trusts, deux grandes banques d’affaires, la Banque de Paris et des Pays-Bas, présidée par Moreau (ancien gouverneur de la Banque de France) et l’Union parisienne (où régnait Schneider du Creusot). Toutes les banques catholiques, juives, protestantes, sont associées aux trusts. Les […] plus actives dans la politique des trusts ont été la banque de l’Indochine, avec Baudouin (ancien ministre des Affaires étrangères) et la banque Worms, dirigée par Hyppolite Worms, […] la grande organisatrice des gouvernements de Vichy. »

[ce qui n’est pas entre guillemets résume le texte initial, dont la citation provient presque entièrement].

La masse des sources environnantes (F7 et F1 a des Archives nationales et Renseignements généraux de la Préfecture de police, BA et GA), réalisant les conditions d’« enquête et de[…]recherches attentives » prescrites par les RG de Vichy (près de cinq ans de dépouillements de ces seuls fonds en ce qui me concerne), démontre que, bien loin d’être « assez fantaisiste », ce rapport cernait parfaitement les choses. Il nous éclaire sur ces « généraux » gavés par les trusts qui ont ouvert les frontières à l’ennemi (tel Weygand, gratifié en 1935 par « la Compagnie du canal de Suez » d’une retraite de « directeur » lui assurant « de l’ordre de 600 000 frs par an », comme Gaston Doumergue, fabricant des décrets-lois anti-salaires de 1934, citations : Werth Alexander, The twilight of France, 1933-1940, New York, Harpers & Brothers Publishers, 1942, p. 23, et Géraud André (dit Pertinax), Les fossoyeurs : défaite militaire de la France, armistice, contre-révolution, New York, 1943, 2 volumes t. II, p. 45), généraux qui viennent de nous être une fois de plus présentés par les historiens « comme il faut » comme des gâteux, mal informés, trop informés, etc. Bref, si on refaisait couramment de l’histoire comme naguère, on comprendrait mieux les réalités d’aujourd’hui, et on serait tenté au surplus d’arrêter de se faire « dindonner » en usant du moyen si logique que constitue l’abolition de la propriété des grands moyens de production et d’échange. C’est aux héritiers de ces gens-là que nous devons les malheurs de nos salaires directs et indirects (retraites et santé comprises) du temps présent, rien n’ayant changé après la Libération de la France (ou fort peu, le fort peu étant précisément ce que les héritiers cassent allègrement par les temps qui courent, sur même fond de crise qu’à l’époque décrite ci-dessus).

Tout le monde aura observé à quel point tout ceci (l’ancien et le nouveau) démontre la validité d’un thème particulièrement apprécié de notre grande école française de sciences politiques, celui de « l’autonomie du politique ».

Si vous avez un peu de temps disponible pendant les « vacances », n’oubliez pas de lire ou relire, entre autres, Marx, frais comme à la parution de 1847-48 ou 1867 (sans parler de l’histoire ringarde). Ne serait-ce que pour qu’on se mette en mesure de les uns et les autres d’éviter les suites habituelles de la troisième grande crise systémique du capitalisme…

Amitiés syndicalistes

Annie LACROIX-RIZ

http://canempechepasnicolas.over-blog.com/article-de-l-histoire-d-hier-a-celle-d-aujourd-hui-par-annie-lacroix-riz-53750557.html

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