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Femme Arabe, Musulmane et rapports sociaux de pouvoir.

« Nous ne pouvons espérer nous reconstituer nous même dans nos absences » [1]

Le courant féministe moderne et occidental tel qu’il s’est développé à partir des années 60 a fait du sexisme et de la « condition féminine » ses objets de lutte. Obtenir l’égalité entre les hommes et les femmes (politique et salariale entre autres) et déconstruire la représentation sociale et patriarcale de la femme a constitué la substance et le champ politique pratique des mouvements de ce courant. Cependant, les études féministes contemporaines ont rapidement été confrontées à un problème théorique de taille : celles ci, en posant « la Femme » comme objet de l’oppression ont fait du sexisme le rapport de pouvoir transversal à toutes les femmes quelques soient leurs différences. Poser ainsi la question occulte complètement l’hétérogénéité du groupe et des réalités sociales des différentes « catégories » de femmes. Mais surtout cela amène à revisiter le sujet et à articuler le rapport de pouvoir de « genre » avec les rapport de domination de race et de classe.

Cette réflexion s’est d’abord développée aux états Unis avec l’émergence des luttes pour les droits civiques des afro -américains et la visibilité de féministes noires militantes à la fois pour l’égalité et contre les discriminations sexistes. Le « Black féminism » ou « féminisme noir » entendait clairement se différencier du féminisme américain « en général ». La base de cette distanciation repose sur le postulat qu’en tant que femmes noires, celles ci ne pouvaient lutter pour leurs droits, aux côtés de la femme blanche et « à égalité » sans que ce ne soit d’un point de vue à la fois pratique et théorique éminemment problématique. Alors que beaucoup de féministes ont tenté de résoudre le problème en distinguant les luttes et en les parallélisant, (voire en les hiérarchisant) le « Black féminism » a lui défini la domination de genre sans jamais l’isoler des autres rapports de pouvoir à savoir le racisme et le rapport de classe.

Poser une problématique dans cette même perspective mais au prisme du particularisme de la situation de la femme arabe et/ou musulmane nous amène à aborder un point de vue visant à revisiter les rapport de force, à créer se faisant de nouveaux antagonismes et à construire une nouvelle identité politique.

Pour soulever « la question féminine » de la femme arabe et/ou musulmane et les rapports sociaux de pouvoir dont elle est l’objet, il faut d’abord identifier l’ancrage social de cette dernière. Autrement dit, on est forcé de situer notre approche et de poser la question « d’où parle t on » ? Pour cela il faut consciencieusement s’approprier et construire une « conscience de classe ». Car seul un point de vue « intérieur » peut mener à une étude matérialiste d’une réalité sociale et humaine vécue. Ainsi, une compréhension collective et dynamique de sa propre situation conditionne d’abord l’identification de ses propres intérêts et ensuite les modalités de leur concrétisation par la lutte.

Cette démarche ne peut que mener à une meilleure visibilité de la femme arabe et musulmane et non plus à une visibilité tantôt instrumentalisée tantôt trahie. Au terme d’un long processus, l’objectif est de restituer à cette femme son historicité ainsi que son identité pleine et entière. Par la ré-appropriation de la parole, la femme arabe et musulmane retrouvera une centralité nécessaire dans les discours qui la concernent au premier chef, pour une autodéfinition de son identité et pour une expression authentique des ses aspirations et de sa volonté.

Le Féminisme occidental et son antagonisme « racial » : vers la construction d’une nécessaire alternative.

Le féminisme occidental moderne des années 60 s’illustre par la fondation du Mouvement pour la Libération des femmes (MLF) aux États Unis et en Europe de l’Ouest. Le mouvement pour les « droits civils », contre la guerre du Vietnam a développé la mobilisation des femmes, particulièrement après 1968. En France le MLF s’inscrit dans la continuité du mouvement initiée au États Unis dans les années 70 avec le Women’s Lib.

Très vite, aux États-Unis, les féministes afro-américaines dénoncent l’indifférence et l’ignorance du mouvement pour la condition des femmes de couleur. Leurs relations avec les féministes blanches se durcissent car elles considèrent que leur situation est étrangère à la conceptualisation et à la pratique du féminisme. Elles sont dans une position qui les obligent à obéir à des lois qu’elles ne s’imposent pas elles-mêmes. Plus généralement elles relèvent que les concept centraux de la théorie féministe occidentale tels que « la famille », « le patriarcat » et la « reproduction » ont été découverts et théorisés pas des femmes blanches qui analysaient leur propre situation à partir de leur histoire. Or, la vie de la femme non blanche a été non seulement étrangère et exclue dans l’élaboration de ces théories, mais en plus tenter d’appliquer celles-ci à cette femme est nécessairement problématique. Elles reprochent également aux féministes blanches de ne pas être engagées suffisamment sur la question du racisme et surtout de ne pas faire l’autocritique de leur propre racisme dans le contexte d’une société ou les discriminations en raison de la couleur de la peau sont structurelles et s’étendent à l’ensemble de la société.

Dans le même sens, Hazel Carby historienne et féministe noire anglaise dénonce le féminisme colonial européen et conforte l’analyse selon laquelle c’est l’ensemble du féminisme occidental, dans ses fondements, qui contient en lui un rapport de domination racial envers les non-blancs : « Ce n’était pas uniquement aux maîtresses de plantation de thé, de coton ou de sucre que revenaient les bénéfices de la peau blanche ; toutes les femmes en Grande-Bretagne ont profité - à des degrés divers - de l’exploitation économique des colonisés. L’attitude pro-impérialiste de beaucoup de féministes du XIX et du début du XX° siècle n’a pas encore été reconnu dans ses implication racistes. La recherche sur le racisme contemporain dans le mouvement des féministes blanches n’a pas encore commencée. La théorie féministe est presque entièrement eurocentrique et lorsqu’elle n’ignore pas l’expérience des femmes noire « chez nous », elle met à grand pas les « femmes du Tiers-Monde » sur le devant de la scène comme victime des pratiques « barbares » et « primitives » de société « barbare » et « primitive ». Il faut noter que bien des travaux féministes souffrent de la présomption selon laquelle ce n’est seulement qu’à travers le développement d’un style occidental du capitalisme industriel et l’entrée des femmes sur le marché du travail qui en résulte que le potentiel de libération des femmes peut augmenter » [2]

Le féminisme occidental est donc clairement un féminisme « blanc » qui ne tient nullement compte de l’expérience des femmes rentrant dans une catégorie culturelle, religieuse ou ethnique différente. Bien plus, il se pose comme modèle absolu et assure que « la question » des femmes doit être résolue par toutes les femmes agissant ensemble, peu importe leur classe d’origine.

Partant de ce constat il n’est pas étonnant de découvrir le traitement infligé aux femmes arabes et/ou musulmane par ces même féministes. La « sororité » de principe a été bien mis à mal dès que certains éléments, notamment de gauche, ont décidé de s’intéresser aux femmes des pays dominés par l’impérialisme occidental. C’est ainsi qu’on applaudit la démarche « progressiste » des femmes du Sud lorsqu’elles combattent « l’obscurantisme » et la « réaction » dans les pays arabes et musulmans notamment ; et qu’on loue Atatürk en Turquie pour ses campagnes contre « l’oppression » des femmes qui héritaient leur statut de l’Empire Ottoman. La « réaction » étant bien évidemment entendue de leur point de vue, comme le fait religieux en lui-même de ces sociétés. On encourage ces femmes dans leur conquête pour leur « liberté » et leur « indépendance » en regardant les traditions culturelles et religieuses comme un frein dans le progrès général des sociétés post-coloniales notamment le point spécifique de la polygamie. [3] Or, toute cette démarche n’est révélateur en réalité que d’une seule chose : la mise en avant du modèle d’émancipation occidental comme seul modèle viable et sérieux pour toutes les femmes du monde.

A aucun moment les féministes n’ont envisagé d’étendre leur théories ou leur compréhension de l’expérience de la femme en tant qu’être dominé aux femmes non blanches. Or, il ne suffit pas de greffer le vécu de ces dernières à un discours déjà formaté il faut que le discours en lui-même se transforme. En utilisant l’exemple de l’oppression des femmes arabe ou musulmane ces féministes ne font au final que servir le racisme en le perpétuant.

En France, plusieurs facteurs sont révélateurs de ces rapports sociaux de pouvoir chez les féministes françaises. En effet, alors que se développe dans les années 70 des groupes militants dans l’immigration post-coloniale, des jeunes filles issues de l’émigration font le choix de lutter pour l’égalité sociale et contre les violences racistes de la société française. Elles s’engagent dans les collectifs, les associations, organisent et participent notamment à la Marche pour l’Egalité de 1983, tout en investissant par la suite le terrain de la lutte pour leurs droits en tant que femmes. Certains mouvements se réclamant à la fois du « mouvement beur » et du féminisme, s’il est vrai qu’ils mènent à la politisation des femmes maghrébines issues de l’immigration sur des questions réelles et personnelles telles que les mariages forcées, la répudiation, les violences, ont aussi conforté l’essentialisation de la femme arabe et/ou musulmane dans la société française. La visibilité de ces jeunes filles sur les questions précitées a par exemple été accueillie favorablement par des féministes blanches qui ne voyaient là pour ces jeunes filles qu’un moyen de « briser l’isolement » dans lequel elles étaient tenues (par le père ou le frère arabe machiste naturellement) ou encore de se « libérer des contraintes traditionnelles », à savoir l’islam et la culture maghrébine. [4]

Tout récemment encore, nous avons pu être témoins de cet état de mépris et de désolidarité envers les femmes issues de l’immigration post-coloniale de la part de ces féministes blanches. Le 17 octobre 2009 a eu lieu a Paris un rassemblement sur le Pont Saint Michel pour commémorer le 17 octobre 1961, date du massacre de 300 algériens par la police française lors d’une manifestation pour protester contre le couvre-feu qui leur été imposé. Plusieurs femmes et jeunes filles algériennes étaient également descendus protester et défendre leurs droits, et plusieurs d’entre elles périrent, dont Fatima Bedar, une collégienne martyr de 15 ans.[5] Le même jour, le Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF) co-organise une manifestation pour les droits des femmes avec une cinquantaine d’associations et de partis politiques. Ce choix semblait loin d’être approprié : ces « féministes » ont ignoré le fait évident qu’en choisissant cette date symbolique, elles faisaient un affront violent à toute une catégorie de femmes, celles, issues de l’immigration, qui se sont battues contre le colonialisme et le néo-colonialisme. Or, ces femmes ne peuvent choisir entre cette lutte contre le colonialisme et la lutte pour leurs droits, car pour elles, ces deux luttes sont intimement liées. Comment, dès lors, ignorer l’expérience de ces femmes et leur histoire ? Intégrer le 17 octobre et toute sa symbolique dans les mots d’ordres de cette manif du CNDF aurait réellement donné, pour une fois, un sens transversal au féminisme et à la cause de la Femme. [6]

Par ailleurs le positionnement des féministes banches sur la pratique religieuse des femmes musulmane en France prouve davantage cet antagonisme d’intérêts. Sans revenir sur le débat qui a secoué l’hexagone en 2004 la Loi interdisant le voile à l’école public a très largement été défendue par des féministes qui voyaient en lui une pratique « arriérée » conduisant à « l’aliénation » de la femme et à sa « soumission ». En s’autoproclamant représentantes de ces femmes elles leur ont, de ce fait, confisqué la parole et nié leur volonté.

Cet aspect dominant du féminisme occidental ramène l’oppression de la femme non blanche à une oppression culturelle, religieuse sans chercher à intégrer dans l’analyse l’expérience de ces femmes ou de ces hommes acteurs de l’oppression dans le cadre général du colonialisme et du post-colonialisme. On peut par exemple, regretter qu’à aucun moment on a pointé l’histoire de la colonisation et ses effets, plus ou moins marquants dans la construction normative de la féminité et de la virilité chez l’ex-colonisé.

Devant l’impasse théorique ainsi décrite de l’ éventualité d’utiliser les travaux féministes occidentaux comme facteur de libération de la Femme arabe et musulmane il faut dès lors envisager des alternatives. Pour cela il faut d’abord identifier les problématiques qui la concerne.

Les problématiques de la Femme Arabe, Musulmane en France.

Les problématiques auxquelles est confrontées la femme arabe et musulmane sont étroitement liés à la représentation de celle-ci par la société française. Mais on ne peut également occulter que d’autres questions se posent à elle exclusivement de part sa spécificité subjective culturelle et spirituelle.

Le défi auquel est confronté la femme non blanche c’est d’abord la déconstruction de sa représentation en tant que victime d’un système « traditionnel », « patriarcal », « machiste » hérité de l’islam et de sa culture s’opposant à la modernité et au « progrès » des société occidentales. Historiquement, les théories de la modernité telles qu’elles se sont développées au XIX° siècle ont eu pour conséquence de lier la conditions faite aux femmes et le caractère « arriéré » des société colonisées, justifiant l’expansion coloniale. Des colonialiste comme Lord Cromer, par exemple, fustigeait le voile de la femme égyptienne en tant que « symbole du mépris dans lequel les sociétés musulmanes tiennent la femme » se positionnant comme son défenseur, alors même qu’il luttait et critiquait ses compatriotes féministes qui se battaient alors pour l’amélioration de leur condition en Angleterre. [7]

Aujourd’hui cette dichotomie tradition/modernité se retrouve dans les discours dominants dont la femme musulmane et arabe est l’objet en France. Représentée comme « prisonnière » des traditions faisant barrière à son émancipation, souffre-douleur de l’homme arabe et musulman (auquel on accole l’image du pervers aux moeurs douteuses, déterminé à soumettre sa femme) ; on « racialise » ce qu’on « identifie » comme du sexisme en vue de hiérarchiser les rapports sociaux de genre. Par là même on ne fait que stigmatiser toujours plus les arabes, les musulmans et la femme musulmane. Ainsi on minimise voire occulte le sexisme de la société française, parce que celle-ci est « moderne » et on nie le caractère « général » des rapports de domination hommes/femmes (ce qui constitue pourtant le crédo des féministes blanches).

Face à ce problème de taille il est urgent d’avoir un retour critique sur les pratiques et les problèmes auxquels sont confrontées les femmes arabes et musulmanes et dont elles peuvent être victimes au sein de leur propre communauté culturelle. Nier ces problèmes c’est donner l’occasion aux « Autres » d’instrumentaliser des expériences et des histoires pour servir des intérêts que l’on peut aisément imaginer. Ainsi toutes les questions relatives à la place de la femme dans l’islam, à son rôle politique et social doivent être réappropriées par les principales concernées, débattues et résolues par elles. Car des interrogations existent lorsque certaines femmes musulmanes aspirent à tenir ces rôle et qu’elles sont confrontées à des résistances chez leurs coreligionnaire au nom d’une « authenticité » islamique qu’il conviendrait de préserver. La difficulté est d’exister en tant femme, dans une sphère culturelle et spirituelle que sont la culture arabe et l’islam en dehors du discours raconté par des hommes pour des hommes.

Ainsi les questions de la polygamie, de la répudiation, par exemple, doivent être revisitées tout en conservant l’équilibre entre une lecture authentique (tant sur le plan juridique qu’éthique) et non blasphématoire des Textes sacrés et une recontextualisation de ces pratiques. Cela nécessite un travail théologique qui peut être mené en association avec les hommes musulmans mais qui ne doit pas confisquer à la femme sa parole, son point de vue.

Sur la question de l’engagement de la femme musulmane sur le plan politique et social il convient là encore d’investir ce chantier de discussion. Si « devenir militante, en tant que musulmane, c’est être une femme dangereuse » [8], il faut là encore mener un travail de fond pour engendrer une prise de conscience dans la communauté. Une contradiction évidente se pose lorsqu’on veut faire porter à la femme seule le soin de préserver « l’authenticité culturelle » ainsi que les valeurs qui forment notre identité et qu’on souligne en même temps la nécessité pour elle de s’investir pour la communauté, de développer une conscience politique l’amenant à militer et à participer à des chantiers associatifs. Pour certains, elle donne alors l’impression de « délaisser » son foyer, son époux, ses enfants, de ne pas remplir son rôle traditionnel. Or, une double redéfinition est nécessaire, celle de la conception de nos « spécificités » elle-mêmes et celle de la femme comme « symbole » de ces spécificités.

Ce dialogue « intraculturel » doit être mené ensemble pour une émancipation collective face aux défis qui se dresse à notre communauté et qui, sur certains points, ne font pas de différence entre l’homme et la femme.

Solidarité des genres pour une lutte d’émancipation collective

Au-delà des rapports de domination raciale dont elle est l’objet par les féministes blanches en particulier et la société en général et du sexisme dont elle est la victime d’une manière plus ou moins transversale, la femme arabe et musulmane subit aussi un rapport social de pouvoir de part sa classe. Ces différentes forme d’oppression sont, rappelons le, simultanées, interconnectées, et souvent interdépendantes.

Le capitalisme a été de manière générale le système qui a exploité la femme avec le plus de force, le moins d’égards. Pour perpétuer et maintenir les classe dominées économiquement et politiquement, le capitalisme utilise les outils d’oppression que sont le racisme et le sexisme. Pour Balibar , « le racisme anti-immigré réalise l’identification maximale de la situation de classe et de l’origine ethnique » et Wallerstein explique l’analyse en identifiant le racisme comme « la formule magique qui permet d’étendre ou de contracter le nombre de ceux qui sont disponibles pour les salaires les plus bas et les rôles économique les moins gratifiants » [9]. En ce qui concerne le sexisme on peut raisonnablement penser qu’il est lui aussi un moyen du capitalisme d’attribuer aux femmes une rémunération inférieure en dehors de tout critère objectif.

Le système d’oppression « simultanée » nous force à nous poser la question de la solidarité dans la lutte collective. Ainsi, parce que la femme arabe et musulmane subit en France au même titre que l’homme arabe et musulman le racisme, les discriminations à l’embauche, la violence sociale et institutionnelle, parce qu’elle partage avec lui cette catégorie qu’est la classe de « dominés » elle doit être solidaire et investir ces terrains de lutte aux côté de l’homme, pour atteindre les mêmes objectifs.

Le problème est alors de se poser la question des priorités. Comment situer la lutte pour résoudre les problématiques qui atteignent l’ensemble de la communauté musulmane de l’immigration par rapport à la lutte que doivent mener les femmes de cette communauté contre les formes de domination spécifique dont elle est l’objet ? Comment, dans la pratique et au niveau organisationnel doit-on agir ?

Dans l’histoire du féminisme occidental, beaucoup de féministes optèrent pour la lutte indépendante, car pour elles, la dynamique de l’oppression des femmes allait au-delà des antagonismes fondamentaux, notamment de classe. Quand on soutient que l’homme est « l’ennemi » (notamment pour les féministes radicales) qu’il soit ouvrier ou rentier, blanc ou non-blanc la question des priorités ne se pose même pas. Si on admet que les luttes n’ont rien à voir les unes par rapport aux autres, si lutter contre une forme d’oppression n’apporte rien de positif pour les autres luttes, alors celles-ci doivent être menées de manière séparées, chacune pour un but différent, sans réelle priorité les unes par rapport aux autres.

D’autres mouvements de femmes au contraire, ont compris et pratiqué leur ancrage organisationnel dans un mouvement politique général et dans les mouvements de masse. On peut citer à titre d’exemple le Zhenotdel, Département des Femmes dans le mouvement Bolchévik après la révolution de 1917. Ces femmes avaient deux objectifs : rassembler autour du Parti et du socialisme et défendre les intérêts de la femme. Car pour Lénine, « il ne s’agit pas du féminisme bourgeois, mais du pragmatisme révolutionnaire » ayant pour objectif de penser le changement dans son ensemble.

En Palestine également, alors que la résistance contre l’entité coloniale sioniste et l’émancipation nationale de tout un peuple est un l’objectif commun des palestiniens, les femmes ont aussi mis en avant leur revendications et ceci sans jamais les séparer du Projet national de Libération : « Avant la signature de l’accord d’Oslo, l’état de la controverse était arrivé à la conclusion de la nécessité d’établir un lien entre la lutte contre l’occupant et la lutte sociale pour les droits des femmes. La résistance devait être un facteur de rééquilibrage des pouvoirs dans la société palestinienne, en faveur des femmes et de leurs droits individuels et collectifs, de leur recherche d’égalité. On ne devait pas séparer la lutte pour la libération nationale et la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, pour une libération des femmes partie intégrante de la lutte » [10]

Les femmes arabes et musulmanes en France doivent à leur tour mener cette réflexion, penser la défense de leur intérêts dans la perspective générale des intérêts de la communauté culturelle et spirituelle à laquelle elles appartiennent pour une libération collective, dont celle de la femme. Lorsque qu’une fille voilée se politise et milite contre les discriminations dénonce l’exploitation économique, le racisme, le colonialisme, l’impérialisme, elle libère de ce fait sa conscience, récupère une présence, évolue en dehors du discours qui l’essentialise et qui la domine, quel qu’en soit l’auteur.

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[1] Hazel Carby, femme blanche écoute ! ; article paru dans l’ouvrage « Théories of Race and racism », 2000

[2] « Black Feminism », Introduction d’Elsa Dorlin, p.27, Ed L’Harmattan, 2008

[3] Voir notamment et comme illustration au propos la vison trotskyste de la section en France de la LICR, « Pouvoir Ouvrier » ; http://www.pouvoir-ouvrier.org/femmes/liberation/LdF12,feminisme.html

[4]Voir sur cette question la vision "ethnocentrée" de Claudie Lesselier sur les initiatives des femmes de l’immigration dans sa contribution à l’ouvrage collectif « Histoire politique des immigrations post-coloniale », coordonné par Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat, Ed. Amsterdam, 2008, P.157.

[5] La collégienne martyre du 17 octobre 1961, Malika El Korso ; http://www.elwatan.com/La-collegienne-martyre-du-17

[6] Voir sur ce point un article collectif, 17 octobre : une manifestation féministe unitaire ?, de Frink Frinking et Inès de Luna notamment.

[7] Voir sur la question une critique de la modernité au prisme de la situation des femmes arabes dans un article intitulé Le discours arabe sur l’émancipation féminine au 20e siècle, de Hoda al-Sadda

[8] Saïda Kada, femme musulmane et engagée, « Histoire politique des immigrations post-coloniale », coordonné par Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat, P.225 ; Ed. Amsterdam, 2008

[9] Race, nation, classe, Les identités ambiguës, Balibar et Wallerstein, 1988.

[10] « La situation politique en Palestine au prisme de la situation des femmes » , Jamalat Abou Youssef, Séminaire organisé par le conseil scientifique d’Attac, Paris, le 20 juin 2009

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