En premier chef, avançons la révolution comme étant une hypothèse, d’un, pour satisfaire ceux qui nous la nie et surtout qu’elle n’est encore ni accomplie pour parler d’un résultat, ni certaine pour raconter ses péripéties complètes. Elle est un magma chimique et non une implication physique. Elle n’est pas pensée en amont, elle est un flux qui serpente les vallées et terminera bien un jour ou à prendre forme comme une coulée de lave refroidit par le souffle des progressistes, ou réduite en poussières, balayée par le vent des conservateurs.
C’est une révolution qui surgit subitement, qui prend le temps qui lui convient et qui finira bien par se calmer après avoir remodelé le paysage qui l’entoure. Une force sous les commandes d’elle-même qui nous laisse juste le privilège de dire : j’y étais.
La vraie révolution, pendant son déroulement, ne peut être ni un acquis parmi les acquis déjà répertoriés au sens d’une culture, ni un symbole d’une quiconque vérité historique. Tout ceci viendra le moment venu pour et par les historiens. Nous devons, contre notre gré, se limiter à la considérer comme un signifiant qui ne veut délivrer son signifié. Elle est une sensation d’un fait en devenir, dont personne n’est sûr de son avenir.
Ainsi, le « quatorze janvier » en Tunisie, ou le mouvement des « gilets jaunes » en France, est un événement réel qui n’est pas encore vrai, il est la sensation d’un « autre que », un refus du statu quo, et juste une invitation vers autre chose que l’actuel. Ce genre d’événement est une matrice qui porte en elle que la « chose », comme un ovule qui est prêt, aussi bien à être fécondé, qu’à être avorté.
Les deux événements ont un dénominateur commun : celui d’un ras-le-bol actuel, sans pour autant nous présenter une proposition d’un lendemain.
Une matrice est un utérus qui porte en lui l’espoir pour certains, et la peur pour d’autres, mais son état ne peut être ni nié, ni renié, ni surtout, combattu : il est là ! Face à ceux qui le protègent et à ceux qui désirent l’avorter, les batailles s’organisent paradoxalement comme un jeu de pétanques où tous se mettent du même côté et cherchent que leurs boules soient le plus proche du « but » pour le maîtriser. Ce jeu est ce qu’aujourd’hui on appelle "la démocratie" qui, en son nom, ceux qui sèment et ceux qui désaiment, sont appelés à en débattre. Pourtant, une fois déclenché le « quatorze janvier », comme les « gilets jaunes », ont semé l’enthousiasme chez certains et la panique chez d’autre. Peut-on, dès lors, attendre un vrai débat entre ceux qui sont portés par l’enthousiasme, et ceux qui sont tétanisés par la peur ? Même si l’enthousiasme est une peur, une peur créatrice, c’est le trac que connait l’acteur et comme disait Alain : « La peur est ce qui gronde dans le courage ».
Maintenant, en Tunisie comme en France, ceux qui veulent et qui cherchent à créer, sont piégés à perdre leur temps dans cette partie de pétanque, sous le nom sacré de "démocratie" où la crapule, le lâche, l’ignorant et ceux qui entreprennent pour la construction d’un lendemain autre, ont le même poids. L’image de l’utérus est perspicace, car pour lui, le laps du temps pour la fécondation est court et la prochaine ovulation n’est pas certaine ; les autres gagnent du temps à discourir, se protégeant avec ce sacré dialogue qui leur est cher, juste pour nous égarer.
On nous impose la démocratie comme une religion : est maudit celui qui crie que la vérité n’émane pas d’un vote.
Elle est un combat sur soi au départ, avec l’autre qui nous ressemble et contre les autres qui nous tendent pleines de cordes trop longues avec rien à l’autre bout. On perdra le temps à les tirer, ce même temps qui profitera à l’autre pour nous ligoter, ce sera le choix de la majorité silencieuse nous dit-on, celui de la majorité inerte à vrai dire.
Soyons comme les abeilles dans leur ruche, où l’objectif premier est de nourrir une nouvelle génération avec du bon miel, celui même qui attire tous les gourmands. Pour ça, nos desseins doivent prendre formes et ampleurs. Pour cela nous devons user de l’architecture à toutes ses échelles, telle qu’elle est décrite dans la diction de Victor Hugo : « L’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’Homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence. ». Nous devons maintenant aménager par intelligence et non par la force, et inventer un processus qui optimise les idées au lieu d’user d’une démocratie faite pour réduire le Vrai à un Réel.
Oui rêver les lieux de proximité et rêver toutes les espaces comme un lieu d’épanouissement.
Aujourd’hui, nos logis, nos villages, nos villes et au-delà, nos pays sont des lieux d’exclusion, des lieux crées puis gérés par la force. Rêver ces lieux qu’on peut mettre en forme : l’aménagement de ces territoires doit être fait par le citoyen et pour le citoyen où les idées à l’arrivée dépassent les propositions au départ.
Le citoyen se rebelle oui ! Contre le mal-vivre du quotidien, contre une vie qui a perdu ses vrais repères. En somme : des abeilles qui en ont ras-le-bol de se faire voler leur miel.
Tout citoyen doit s’interroger sur son nouveau rôle social : est-il condamné à être un consommateur ? Pour nos espaces, on doit glisser de simples consommateurs d’espace, vers de vrais entrepreneurs de lieux de bien-être, vers des lieux de bien-vivre. L’acte parait simple et évident, mais en vérité, rêver son espace est un geste collectif complexe et intelligent, là nous pouvons exposer le débat constructif en vue de son aboutissement qui ne pourrait être que notre épanouissement.
Aujourd’hui, il y a crise. Mais nous ne sommes pas des malades pour nous proposer la santé, ni des incultes pour reformer l’éducation. Nous avons seulement la sensation d’être des êtres hétérogènes, des exclus. Notre sort n’est pas une déficience, mais issu d’une déprogrammation de notre statut de citoyen. La marionnette ne peut compter sur le marionnettiste pour espérer son émancipation. L’architecture citoyenne est le meilleur, si ce n’est le seul moyen pour libérer le citoyen de son mentor si consciencieux soit-il, pour être un humain.
Bellagha Ilyes