Le départ de George Bundy Smith de la Cour d’Appel de New York (photo), derrière lui, Judith S. Kaye, Juge en chef, accuse le coup. La prochaine fois, c’est son tour. Bientôt, la Cour d’appel de New York qui comprend 7 juges risque d’être composée de 7 juges blancs et conservateurs. Le cas de New York est emblématique de ce qui se passe aux Etats-Unis d’Amérique.
Septembre 2006.
Jeudi 21 septembre, la Cour d’Appel de New York s’est réunie et a traité trois cas assez ordinaires.
C’est la dernière pour le juge associé George Bundy Smith -seul noir de cette Cour- qui atteint, le 24 septembre 2006, un dimanche, la date limite d’expiration de son mandat d’une durée maximale de 14 ans.
George Bundy Smith est reconnu unanimement comme le juge le plus indépendant de la Cour d’Appel de New York. A tel point que depuis le mois d’août, une pression publique sans précédent de responsables noirs et de groupes de droits civiques, ainsi qu’une coalition d’anciens juges de la Cour d’Appel des années 80/90 -dont Joseph Bellacosa, indépendant, et surtout Stewart Hancock et Richard Simons, républicains tous les deux- écrivent à George Pataki, gouverneur républicain de l’Etat de New York, l’invitant à laisser la politique de côté. Ils demandent au gouverneur de reconduire George Bundy Smith une année de plus (jusqu’à ses soixante-dix ans, âge de la retraite obligatoire) afin que ce juge continue à participer au traitement des importants dossiers en cours dans une configuration qui reflète un minimum la diversité ethnique de l’Etat de New York.
Depuis bientôt 12 ans, le Gouverneur Pataki (dont le grand-père était hongrois) a nommé six des sept juges de la Cour d’Appel de New York (le septième juge, Juge en chef, Judith S. Kaye, ne perd rien pour attendre) et jamais un démocrate ni un membre d’une minorité (ce qui n’est pas forcément d’une grande habileté pour une personne qui vise l’investiture républicaine aux élections présidentielles). Sur la soixantaine de juges nommés dans l’appareil judiciaire de l’Etat de New York par le gouverneur Pataki, il y a seulement deux noirs. A croire que dans ces deux cas, Pataki ne pouvait pas faire autrement. Les républicains disent que c’est la fin de l’ère Cuomo (Mario Cuomo, Gouverneur démocrate qui précéda George Pataki et qui nomma le juge noir George Bundy Smith ainsi que la Juge en chef de cette Cour, Judith S. Kaye, prochaine sortante début 2007) qui désigna des juges trop activistes à leur goût.
Le gouverneur Pataki n’a pas d’état d’âme, au diable la diversité géographique et ethnique de l’Etat de New York. A la place du juge George Bundy Smith, le gouverneur Pataki a nommé un juge républicain, blanc, Eugène F. Piggot Jr., 59 ans. La politique c’est la politique. « J’ai voulu inscrire cette nomination dans le temps », justifie le Gouverneur. La capitale de l’Etat de New York est Albany, même si la moitié de la population vit à New York City. New York City compte 52% de blancs, les 48% restants se décomposent comme suit : 29% de noirs, 24% d’Hispaniques et 7% d’Asiatiques.
Les partisans du mariage gay comptaient sur la voix de George Bundy Smith... mais, à n’en pas douter, c’est par-dessus tout les enjeux financiers considérables liés à la plainte des victimes vietnamiennes de l’Agent Orange qui ont conforté ce choix.
Judith S. Kaye, Juge en chef de la Cour d’Appel de New York, déclara sa déception.
Le nouveau venu, Eugène F. Piggot Jr., a fait part du besoin d’être plus sensible aux Cours inférieures (le Tribunal de première instance, Cour inférieure, a débouté les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange)
Comme je l’écrivais dans un article au début du mois de mai 2006, les reports des attendus de la Cour d’Appel de New York ont pour but de laisser se consumer le calendrier afin de décapiter cette Cour pour la faire basculer sur un seul versant. Le voyage de George Bush au Viêt Nam au mois de novembre 2006 fera le reste, permettant de temporiser jusqu’au début de l’année 2007 qui emportera la Juge en chef Judith S. Kaye. De plus, pour que la Cour d’Appel se prononce sur la recevabilité de la plainte des victimes vietnamiennes de l’Agent Orange, elle doit entendre les arguments oraux des avocats des plaignants et de la défense. Or, ces avocats doivent être avertis huit semaines à l’avance et, à ma connaissance, ils n’ont encore rien reçu.
Le jeudi 21 septembre, quand l’huissier de la Cour d’Appel de New York leva la session qui venait de traiter trois affaires ordinaires, un tonnerre d’applaudissements salua un grand visage de droiture pour la moralité et la justice.
George Bundy Smith ne fit aucun commentaire. Ses collègues émus l’ont embrassé, étreint en tapotant son dos, serrés ses mains et épongés des larmes. Tranquillement, l’indigène de la Nouvelle-Orléans au parlé doux disait ses « goodbyes ».
Un grand juge est parti.
P.S. Dans le même temps, un autre juge, Jack Weinstein, celui qui obtint « réparation » pour les vétérans américains victimes de l’Agent Orange au Viêt Nam et qui rejeta la plainte des victimes vietnamiennes, donnait raison aux victimes étasuniennes du tabac qui attaquaient les fabricants américains de cigarettes light. Le verdict dépend de qui est empoisonné.
André Bouny, père adoptif d’enfants vietnamiens, préside le « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York » (CIS)