Abdoulaye Diallo est historien, réalisateur de films documentaires et producteur burkinabè, président du Festival International Jazz à Ouaga, co-fondateur et coordonnateur du Festival de films sur les droits humains et la liberté d’expression, Ciné Droit Libre. Connu pour son activisme, Abdoulaye Diallo est aussi membre fondateur du mouvement « Le balai Citoyen » qui a contribué à la chute de Blaise Compaoré en octobre 2014. Très impliqué dans la défense de la liberté d’expression et dans la promotion de la démocratie au Burkina Faso, il est, depuis 1998, le coordonnateur du Centre National de Presse Norbert Zongo à Ouagadougou.
Pour la première fois, l’affaire Norbert Zongo est racontée en images, lorsqu’en 2003 vous réalisez, avec Luc Damiba et Gidéon Vink, le documentaire Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo, hommage à un homme qui a consacré sa vie à défendre les faibles et les sans voix. Alors qu’il est largement programmé à l’international, il faudra attendre pour que le film soit diffusé au Burkina Faso, le pays de Norbert Zongo. Et ce n’est qu’après l’insurrection d’octobre 2014 qu’il sera diffusé sur six chaînes du pays, y compris la télévision d’État le 13 décembre 2014. Votre film a t-il tant dérangé au point d’être banni au Burkina Faso ? Peut-on parler de censure ?
Oui, le film Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo a beaucoup dérangé. Dès sa sortie, en 2003, plusieurs institutions, dont l’Institut français, ont décliné la programmation du film, aucune chaîne de télévision n’était disposée à le programmer, les salles de cinéma annulaient à la dernière minute, la chaîne TV5 Afrique a refusé sa diffusion... Oui, on peut parler de censure, même si celle-ci n’était pas officielle, contre laquelle nous nous sommes beaucoup battu. Nous avons développé de multiples initiatives pour diffuser le film même sous les manteaux ou encore à partir de petites projections organisés dans des quartiers. Ce n’est qu’après l’insurrection, en décembre 2014, que toutes les chaînes de télévision ont enfin diffusé le film, avant cela, aucune chaîne ne l’avait fait. Notre combat contre cette censure nous a amenés à la création du Festival Ciné Droit Libre et, entre-temps, cela nous a permit de le programmer à l’université, un peu partout au Burkina Faso et le film a pu remporter un franc succès. Dans certaines villes, l’on pouvait compter jusqu’à 5 000 ou 6 000 spectateurs lors de projections en plein-air.
En effet, vous êtes également co-fondateur et coordonnateur du Festival de films Ciné Droit Libre sur les droits humains et la liberté d’expression, qui se déroule chaque année dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal. Pouvez-vous revenir sur ce qui a motivé la création d’un festival en lien avec les idées de Norbert Zongo ?
La censure du film Borry Bana, le destin fatal de Norbert Zongo nous a amenés à créer le Festival Ciné Droit Libre. Le film étant censuré, nous ne sommes pas resté les bras croisés, nous avons développé des initiatives, des ruses... On s’est dit que si un film aussi emblématique posait problème, cela signifiait que d’autres films intéressants pour le public étaient censurés. La censure du film Thomas Sankara, l’homme intègre, de Robin Shuffield, au Fespaco en 2005, nous a décidés à nous lancer dans la création de ce festival de films sur les droits humains et la liberté d’expression, avec comme objectif secret que le film Borry Bana soit enfin programmé lors de la première édition du Festival, dans une grande salle. En effet, jusqu’ici il circulait via le collectif des organisations démocratiques de masse, ou la caravane Ciné Droit Libre qui a parcouru une cinquantaine de villes dans tout le pays. Mais le film n’avait pas encore été programmé dans une salle, ce qu’on a finalement réussi à faire en juin 2005, en annonçant le programme à la dernière minute. Borry Bana a vaincu la censure.
Une mobilisation populaire s’est construite autour du Festival, on y a pris goût et on a décidé de poursuivre l’aventure. Les idées de Norbert Zongo, son travail sur la liberté d’expression, le droit de la presse et les droits humains, se prolongent à travers l’utilisation du septième art, le cinéma. On ne s’attendait pas à un si grand succès.
Êtes-vous désormais libres en terme de diffusion ?
Oui, on ne nous impose rien. Si un film dérange l’Institut français par exemple, on le diffuse ailleurs, à l’université, dans les quartiers populaires, dans le Festival et finalement on le garde dans la programmation.
Qu’est ce qui a motivé la création du Centre National de Presse du vivant de Norbert Zongo ?
Il y avait à l’époque trois organisations : l’Association des journalistes du Burkina, le Syndicat des travailleurs de l’information (Ndlr : le syndicat des journalistes) et la Société des éditeurs de la presse privée, dont Norbert Zongo était le président. Ces trois structures ont émis le besoin de se réunir pour créer un Centre de ressources pour les médias. C’était dans le cadre d’un programme intitulé « Médias pour la démocratie en Afrique », qui à l’époque avait été lancé par la Fédération internationale des journalistes (FIJ). L’idée était de favoriser la création de maisons et centres de presse en Afrique, tels des lieux de promotion de la liberté de la presse, des lieux où on organise les médias pour qu’ils puissent mieux contribuer au renforcement de la démocratie. C’est dans ce cadre que ces trois organisations se sont rassemblées et ont créé le Centre national de presse, comme il s’appelait au début.
Le Centre a été inauguré le 3 mai 1998. J’ai commencé à travailler le 1er juin de la même année et le 13 décembre Norbert Zongo, un des membres fondateurs, était assassiné. Les trois organisations se sont réunies en assemblée générale le 21 décembre 1998, et plusieurs idées ont été retenues, dont le nom du Centre en hommage à Norbert Zongo. Ainsi, le 29 janvier 1999, ce centre a été rebaptisé Centre national de presse Norbert Zongo.
Quelle est la fonction du Centre et ses activités ?
On peut résumer la fonction du Centre national de presse Norbert Zongo en quatre grands axes :
- Il s’agit d’un centre de ressources, un cadre de rencontres et d’échanges. Un lieu où les journalistes se rencontrent entre eux, mais aussi avec d’autres, avec la société civile, les partis politiques, etc. Le Centre a la vocation d’être un cadre de rencontres et d’échanges où l’on organise des conférences, projections de films, débats, les commémorations du 3 mai, Journée mondiale pour la liberté de la presse, ou du 20 octobre pour la Journée nationale de la liberté de la presse, etc ;
- La protection des journalistes. Promouvoir des plaidoyers pour améliorer les réglementations et lois en matière de presse, mais aussi mettre en place les mécanismes qui protègent les journalistes ;
- Renforcer les organisations professionnelles des médias, syndicats et associations ;
- Renforcer le journalisme par la formation, encourager les prix d’excellence, promouvoir le métier de journaliste.
Vous faites la promotion de Prix du journalisme ?
Le Centre fait la promotion de deux Prix. Le Prix de la meilleure journaliste au Burkina. Ensuite, tous les deux ans, on décerne le Prix Norbert Zongo du journalisme d’investigation, ouvert à tout le continent africain.
Un accent est donc mis pour valoriser le travail des femmes journalistes ?
Oui, c’est un choix qui est parti d’un constat. Il n’y a pas beaucoup de femmes journalistes et quand il y en a, elles n’occupent pas de postes importants dans les rédactions, elles ne sont pas assez valorisées, on leur confie des sujets de moindre importance. On a donc lancé ce prix pour amener les femmes à faire de vraies enquêtes, de vrais reportages. Elles sont encouragées par le Prix qui les valorise un peu plus.
Vous êtes faite également parti du secrétariat exécutif de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), mise en place à Ouagadougou, le 9 juillet 2015. Hébergée au Centre National de Presse Norbert Zongo, la CENOZO vise à renforcer les capacités des journalistes d’investigation en Afrique de l’Ouest par des formations, des tutorats, des bourses, du conseil juridique, de l’appui technique aux investigations et d’un espace de publication. Peut-on avoir une estimation du nombre de journalistes concernés et quels sont les travaux les plus aboutis qui en sont ressortis, quelles en ont été les répercussions ?
20 ans après l’assassinat de Norbert Zongo, s’il y a un domaine dont on peut être assez fier, c’est celui des médias. Au Burkina Faso, on a réussi à avoir des médias qui ne sont pas partisans, dont de nombreux journaux d’investigation. On vient d’installer la Cellule Norbert Zongo pour l’investigation de l’Afrique de l’Ouest, un volet que l’on prend vraiment très à cœur. Il s’agit d’une cellule consacrée uniquement à l’investigation, elle regroupe les différents journalistes de l’Afrique de l’Ouest qui essaient de travailler ensemble. Nous leur apportons de la formation, de l’encadrement, de l’appui et des conseils, pour qu’ils puissent traiter des sujets transnationaux ou des enquêtes sur des questions pointues. Toute l’Afrique de l’Ouest est concernée et de grandes enquêtes ont déjà été réalisées, dont « West Africa Leaks » qui a eu un énorme impact. Il s’agit en l’occurrence d’une collaboration de 13 journalistes de 12 pays africains (Bénin, Burkina-Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra-Leone, Tchad et Togo). Pour une structure qui a moins de deux ans, les résultats déjà obtenus vont au-delà des espérances.
Le travail que le Centre de presse accomplit depuis 20 ans a porté ses fruits, il a permis aux médias d’être en phase avec le peuple burkinabè. L’insurrection en a été la preuve, les médias ont accompagné le mouvement insurrectionnel. Aujourd’hui, on peut être fier du classement de la presse burkinabè au niveau mondial, parce qu’il y a un travail de fait.
Entretien publié sur le blog Un monde sans dette du journal Politis.