Qui eût cru que les Suédois, oui les Suédois qui ont des syndicats très puissants, des programmes sociaux tant vantés, la liberté sexuelle, des salaires minimum de 18 dollars l’heure, et 5 semaines de congés payés oseraient traiter les USA comme... eh bien, comme les USA traitent le Mexique ?
Cependant, aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est ce qui se passe en ce moment même. Si on en juge par ce qui se déroule depuis trois ans à l’usine Ikéa de Danville en Virginie, il est clair maintenant que la Suède considère les USA comme une nation en voie de développement du tiers monde - une espace géographique où l’on peut se procurer une main d’oeuvre fiable à bas salaires pour monter les meubles Ikéa. Ils nous voient comme nous, nous voyons le Mexique.
Cela fait seulement trois ans que les officiels locaux et fédéraux ont offert à la firme suédoise renommée 12 millions de dollars de réduction d’impôts et de subventions pour l’attirer en Virginie. Pour une région aussi dévastée sur le plan économique et aussi désespérée que Danville, cet accord avec une entreprise brillante et respectée comme Ikéa a été considéré comme un énorme coup. Un rêve devenu réalité.
Mais le rêve a vite tourné au cauchemar au fur et à mesure que Ikéa, le sauveur, se transformait en bandit. L’entreprise a fait à Danville des choses qu’elle n’aurait jamais osé faire en Suède son pays d’origine, non seulement parce que ces actions auraient endommagé dans son pays l’image de la firme qui est celle d’une employeur éclairé et généreux, mais parce que en fait ces actions auraient été des violations du code de travail en vigueur.
Pour le dire tout net, l’usine Ikéa de Danville s’est transformée en la version scandinave d’un atelier clandestin moderne. Quand l’IMA (l’association international des machinistes) a voulu syndiquer les ouvriers, Ikéa s’est bloqué dans une posture défensive sans nuance, allant jusqu’à louer les services du cabinet d’avocats de Jackson Lewis, un cabinet agressivement anti-salariés dont la spécialité est d’empêcher les syndicats de s’implanter dans les entreprises. Cette firme soit disant généreuse et bienveillante envers ses employés a surpris tout le monde - aux USA comme en Suède - en faisant la même chose que Wal-Mart.
Sans syndicat pour protéger les employés, l’Ikéa de Danville a fait tout ce que les entreprises qui n’ont pas de syndicat font. Ils ont baissé le salaire horaire à l’embauche de 9,75 dollars à 8 dollars (le minimum fédéral est 7,25) et ont commencé à forcer les gens à faire des heures supplémentaires. En fait on leur demande de faire tellement
d’heures supplémentaires - et souvent à la dernière minute- que les employés s’en vont. Gagner huit dollars à l’heure et ne jamais savoir quand vous allez rentrer chez vous, n’encourage pas tellement les gens à rester.
En Suède, les employés d’Ikéa ne sont pas seulement bien rémunérés en salaires et en primes mais les heures supplémentaires se font uniquement sur la base du volontariat. Aucun employé en Suède n’est obligé de travailler s’il n’en a pas envie. Mais à Danville en
Virginie c’est autre chose. Les 355 employés de l’usine ne peuvent rentrer chez eux que lorsqu’on leur en donne la permission. Quant aux vacances, les employés d’Ikéa en Suède bénéficient de 5 semaines de congés payés par an ; à Danville les travailleurs ont 12 jours de congés - dont huit sont choisis par l’entreprise.
De plus, l’EEOC (la commission pour l’égalité des chances des salariés) a entamé plusieurs poursuites judiciaires au bénéfice de travailleurs américains noirs qui accusent l’entreprise de les avoir arbitrairement affectés aux postes les moins agréables et de leur avoir imposé les périodes de travail les moins confortables dans les rotations. Pourquoi d’ailleurs l’entreprise se gênerait-elle ? Qui les en empêcherait ?
Les événements de Danville prouvent clairement deux choses : La première est que sans un filet de sécurité imposé à l’entreprise (soit sous la forme de syndicats, soit sous la forme d’un code du travail rigoureux - justement ce que les USA n’ont pas) les travailleurs se retrouvent à la merci de leurs employeurs. Et deuxièmement que la réputation qu’a Ikéa d’être une entreprise éclairée et bienveillante envers ses employés est de la foutaise. Comment dit-on "exploitation" en suédois ?
David Macaray
David Macaray a été syndicaliste. Il habite Los Angeles et écrit des
prièces de théâtre et des livres (It’s Never Been Easy : Essays on
Modern Labor),. On peut le joindre à : dmacaray@earthlink.net.
Pour consulter l’original : http://dissidentvoice.org/2011/04/swedish-creepballs/
Traduction D. Muselet pour LGS