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1985 -2005 : Fin de l’URSS et anniversaire de la perestroïka.


Il y a 20 ans déjà commençait la perestroïka. Sur sa signification, deux Cubains s’expriment en leur nom propre. Ariel Dacal Diaz, qui dirige la rédaction politique des Editions des Sciences Sociales de Cuba (Editorial de Ciencias Sociales de Cuba) apporte la contradiction à l’écrivain, diplomate et journaliste Lisandro Otero.

L’échange, vif mais courtois entre ces 2 intellectuels communistes met le doigt sur des enjeux qui vont bien au-delà de la discussion politique en cours dans l’île .

Pour une vision différente on lira avec profit les livres d’Alexandre Zinoviev (qui après avoir été un dissident de l’ex-Union Soviétique est devenu un dissident de l’Occident, condamnant notamment ses interventions militaires : ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak). Il n’a pas manqué de contester la "stupidité" de ceux, notamment les gorbatchéviens, qui parlaient de "stagnation" pour caractériser les années Brejnev, qui ont été au contraire des années de "progrès fulgurant". Zinoviev affirme en plein écroulement, en 1991, que le communisme reviendra, qu’il s’appelera peut-être autrement, que les mots d’ordre changeront peut-être, mais que le fond restera le même. Ne sommes nous pas entrés dans un nouveau cycle de lutte en faveur de quelque chose qui ressemble quelque peu au communisme, sans être "ni calque ni copie" du passé, mais "création héroïque" comme disent les latino-américains dans le sillage de Mariategui ?


Quand commença l’effondrement


Par Lisandro Otero, Rebelion 31 mars 2005.


Il y a 20 ans, le 11 mars dernier, était lancée une tentative politique, la perestroïka, qui marqua le commencement de la fin de l’Etat socialiste russe. Un sondage d’opinion récent du Centre d’Etude de l’Opinion Publique révèle que vingt ans après, les Russes ne pardonnent pas la perestroïka. Ils sont 61% à exprimer un point de vue négatif sur l’expérience politique impulsée par l’ex-président soviétique Mikhail Gorbatchev, contre 14% seulement estimant positifs les changements introduits par le dernier président de l’URSS. Sur la personne même de Gorbatchev, 45% de la population a une opinion négative de l’ex-président, alors que 13% apprécient son oeuvre.

Pour 24% des Russes, Gorbatchev avait dès le départ projeté la désintégration soviétique. Ils sont 23% à penser qu’il voulait réformer le système socialiste de l’intérieur pour lui donner un "visage humain". En revanche, selon un sondage réalisé par la Fondation Gorbatchev, 91% des Russes applaudissent au retrait des troupes d’Afghanistan, 88% se félicitent de la fin de la Guerre Froide et 74% de la chute de ce qu’on appelait le "Rideau de Fer". La démission de Gorbatchev, le 25 décembre 1991, a marqué l’achèvement de cette expérience manquée.

L’arrivée au pouvoir de Gorbatchev avait donné lieu à une bataille entre réformistes, qui voulaient poursuivre les changements à peine amorçés par Andropov, et orthodoxes qui entendaient préserver l’équilibre paralysant atteint sous Brejnev. Un compromis fut trouvé. Ils mirent à la tête du Kremlin le vieux et malade Konstantin Tchernenko.C’était, pour un brève laps de temps, la victoire de la ligne brejnévienne, tout le monde sachant que Tchernenko, malade depuis longtemps, ne tarderait pas à décéder.

Dans l’Union Soviétique, le divorce ne cessait de s’approfondir entre la nouvelle génération et le modèle ankylosé et mal en point de socialisme . Le marxisme de style russe souffrait de l’ influence pernicieuse de trois facteurs déformants. La bureaucratie tsariste lui avait légué le labyrinthe des fonctionnaires, à la puissance illimitée, avec ses privilèges, son apathie et son mépris pour les questions sociales. Le despotisme venu du sud avait transmis son penchant pour l’usage de la violence dans l’exercice de l’administration publique. La morale paysanne s’était imposée quand les rustiques villageois sortis de leur marginalité propagèrent leur bigote pudibonderie.

De surcroît, le divorce entre la jeunesse et la direction politique s’observait aussi dans le rejet du vieux style de solennités rhétoriques. En 1984 la brèche était totale entre les intellectuels et l’autorité politique. Les bureaucrates assuraient que les artistes étaient dépolitisés et les traitaient avec mépris, approfondissant la distance et la division.

La stratégie de guerre des étoiles, lancée par Reagan, ruinait l’Union Soviétique. Le coût du maintien de la parité atomique était immense en raison du nouveau système qui impliquait de lancer des fusées dans l’espace cosmique. Le niveau atteint par les dépenses militaires paralysait toute tentative de réforme économique que pouvait entreprendre le régime nouvellement instauré.

Brejnev avait gouverné durant dix-huit ans dans une stagnation qui conduisit le pays à son déclin. Les indicateurs de croissance se contractèrent progressivement, les biens de consommation se raréfièrent et l’économie se trouva engloutie dans la production d’armements pour soutenir la rivalité armée avec les Etats-Unis. L’inefficacité, la corruption, le marché noir et le mécontentement augmentèrent comme jamais auparavant. Le Parti avait perdu sa capacité de mobilisation des masses. Il se produisit une sorte de seconde révolution industrielle, la révolution informatique, que l’URSS ne put mener, demeurant retardée.

La désignation de Gorbatchev fut le signal attendu pour conduire la nation soviétique vers une nouvelle modernisation. Le socialisme ne pouvait satisfaire les besoins matériels et spirituels de l’homme que par un système d’administration dynamique et souple qui lui faisait défaut. Le nationalisme dur se déchaîna. Les Républiques périphériques avaient constitué un joyau ornemental de la couronne russe mais jamais une partie solide d’un corps unique.

J’ai conversé avec Gorbatchev en plusieurs occasions : dans son bureau du Kremlin, dans une réunion d’intellectuels ou encore à bord d’ un yacht en Asie Mineure alors qu’il avait déjà perdu le pouvoir. Gorbatchev avait une personnalité charismatique, il était d’une simplicité transparente et ne manquait pas de fermeté. Il était convaincu qu’il n’était pas possible d’accomplir les réformes nécessaires internes à l’Union Soviétique si on ne parvenait pas à sortir des conflits de politique extérieure et si on ne recueillait pas la sympathie de l’Occident pour les transformations. Ce fut là son erreur principale : subordonner la réforme à l’approbation capitaliste. L’agneau ne peut jamais compter sur la bienveillance du loup.

Lisandro Otero

 Traduit du castillan par Gérard Jugant

NB : de nombreux autres articles de Lisandro Otero sont publiés sur le site hispanique Rebelion.


Perestroïka : mettre le doigt dans la plaie


Par Ariel Dacal Diaz, depuis Cuba, in Rebelion du 13 avril 2005

J’ai lu il y a quelques jours le texte de Lisandro Otero sur le 20e anniversaire du déclenchement de la perestroïka, qui a servi d’occasion au distingué journaliste pour ébaucher quelques réflexions sur ce processus historique, son protagoniste "principal" et ses résultats finaux. J’ai eu envie de formuler quelques idées sur la série d’affirmations contenues dans son article "Quand commença l’effondrement", que je soumets aux lecteurs du site Rebelion, qui a publié l’article en question (qui a été ensuite repris par la revue cubaine La Jiribilla).

Il incombe tout d’abord de faire remarquer que l’évaluation d’un événement aussi important pour l’histoire (Hobsbawn considère que son résultat a constitué la fin du XXe siècle historique) soit reprise, ne serait-ce que pour que l’on n’oublie pas un fait d’une extrême importance qui n’a pu être étudié dans toute sa profondeur, ou dans ses défauts, dont des aspects essentiels sont passés sous silence. Pour cette raison, il y a urgence à mettre le doigt dans la plaie.

En assumant cette urgence, et c’est là une vision contraire à celle tracée par Lisandro Otero, je considère que la perestroïka est un processus beaucoup plus complexe que la fonction d’un homme dans un contexte déterminé et qu’il déborde du cadre manichéen révélé par les toujours contestables enquêtes d’opinion publique. Dans ce cadre, il est peu objectif, à présent du moins, de chercher à élucider si Gorbatchev a préconçu ou non le dénouement de sa "tentative politique" (comme l’auteur définit la perestroïka) car même si cet événement constitue un tournant déterminant dans l’événement global, ses racines sont bien plus profondes et son origine bien antérieure aux changements envisagés par Andropov, point d’inflexion souligné par l’auteur.

Dès les premières lignes le journaliste définit la perestroïka comme le "commencement de la fin de l’Etat socialiste". Faux ! L’Etat socialiste dégénéra dans l’Etat bureaucratico-totalitaire des années trente. Dans tous les cas c’est cet Etat qui s’est épuisé historiquement dans les années 80, moment à partir duquel le secteur bureaucratique dominant a lié son destin au retour du capitalisme.

A la suite du décès de Brejnev, il y eut, selon Otero, une lutte pour le pouvoir entre "réformateurs et orthodoxes", dont la conclusion fut l’ascension d’un groupe nouveau de dirigeants ayant Gorbatchev à leur tête. Si on en reste là dans l’analyse, on s’en tient à un faible niveau de lecture des causes de la perestroïka et de son dénouement.

En réalité a surgi de manière déterminante le dilemme de la restauration du capitalisme versus repenser le socialisme soviétique, même si les choses n’ont sans doute pas été aussi nettes au début, ni même peut-être bien clairement définies dans les têtes de ceux qui déclenchèrent les changements, alors qu’on continuait à se prévaloir démagogiquement de consignes socialistes et à se référer aux classiques du marxisme comme à des guides infaillibles pour l’effectivité du projet présenté, des "critères" qui se transmuèrent progressivement dans le sens d’une transformation en pluripartisme, démocratie et économie de marché.

Il faut ouvrir une petite parenthèse pour rappeler que Gorbatchev "réhabilita" des vieux bolcheviques victimes de purges pour légitimer ses escarmouches avec le marché, comme le cas de Boukharine, ce pourquoi Trotsky n’était évidemment pas utile, lequel ne fut pas "réhabilité" parce que sans doute il continuait à porter un doigt accusateur et à constituer une menace pour toutes les formes de domination exercées par la bureaucratie.

Le groupe gorbatchévien montra une désapprobation de l’état de choses existantes en Union Soviétique, mais avaient sans aucun doute été produits par les structures et groupes de pouvoir. C’est pourquoi, comme les événements le démontrèrent, s’ils étaient distants de quelque chose, en tant que légitimes héritiers de la direction soviétique, c’était bien des masses qui n’étaient plus, depuis la décennie des années trente, qu’une figure décorative. Ces hommes, héritiers du stalinisme, logiquement n’étaient pas marxistes, condition indispensable pour mener efficacement toute réforme socialiste, ou en tous cas s’y essayer de manière crédible.

Parmi les éléments qu’utilise l’auteur pour caractériser les événements soviétiques des années 80 il y a "le divorce entre les jeunes et la direction politique". On peut se demander de quels jeunes il s’agit ? Peut-être ceux qui ayant des positions-clé dans les organisations politiques et de masses qui, relégués aussi par la "gérontocratie", cherchaient à se trouver dans les espaces de privilèges (ceux qui aujourd’hui sont des hommes d’affaires et/ou politiques) ? Peut-être fait-il allusion à ceux qui, de manière désorientée, croyaient à une nouvelle route socialiste, mais n’avaient pas d’espaces pour s’exprimer dans l’édifice politique ? Ou s’agit-il de cette énorme masse mécontente et "apolitique" qui savait ce qu’elle ne voulait pas mais non ce qu’elle voulait ?

Lisandro Otero fait référence à trois héritages culturels en Russie qui, à son avis, exercèrent une "influence pernicieuse" sur le marxisme soviétique. A savoir : le dédain de la bureaucratie pour les préoccupations sociales, le goût de la violence du despotisme oriental et la mentalité paysanne. Si ces traits sont bien certains, ils n’ont pas eu à eux seuls une influence décisive sur l’édifice idéologique soviétique. Ces traits, plus que dispersés dans la psychologie collective, ont été le soubassement qui marqua la conduite du secteur bureaucratique qui, par la trahison de la Révolution et des bolcheviques, a tiré bénéfice durant des décennies du pouvoir en divorce évident avec les buts et les potentialités ébauchées par Octobre.

A la fin de son article, Otero restreint le défi de la signification du socialisme à la simple équation d’ "un système d’administration dynamique et souple afin de satisfaire les besoins matériels et spirituels de l’homme. Administration de qui, si ce n’est de la même bureaucratie qui écarta les masses des décisions politiques et fit et défit en leur nom ? A moins que, contrairement à ce critère, le socialisme ne soit le résultat d’un processus profond et complexe de dépassement du mode de production capitaliste, dans lequel les travailleurs deviennent les administrateurs de leurs propres intérêts ?

La principale erreur de Gorbatchev, pour Lisandro Otero (qui a conversé à plusieurs reprises avec le dernier empereur du PCUS), aurait été de "subordonner la réforme à l’approbation capitaliste". En réalité, plus qu’une erreur, c’était l’aboutissement, prévu depuis longtemps par des révolutionnaires marxistes, de l’abandon par la bureaucratie soviétique de la révolution socialiste mondiale et en conséquence de la désarticulation de la possibilité d’établir un régime de démocratie ouvrière en Union Soviétique.

Le processus en question se synthétise de la manière suivante : quand la bureaucratie dirigeante a réalisé que ses privilèges n’étaient pas garantis par l’économie planifiée elle décida, majoritairement, que la voie pour les préserver était la restauration capitaliste, moyennant la conversion de pouvoir politique en pouvoir économique et le remplacement des formes de domination par celles spécifiquement bourgeoises (tout un travail serait nécessaire pour caractériser la bourgeoisie russe).

Bien qu’il ne faille pas sous-estimer le rôle des individus dans des contextes déterminés, il faut se souvenir que dans le cas spécifique de Gorbatchev, sa sortie définitive de la scène politique, sans la plus minimale légitimité ni respect de personne (sans ternir son image, aux dires de l’auteur, de charisme, de simplicité et de fermeté) contraste avec le fait que plus de soixante-dix pour cent de la nomenklatura a continuer à exercer des charges politiques en Russie post-soviétique et que plus de soixante pour cent s’est maintenue dans le monde des entreprises, ce qui sans aucun doute témoigne que le mal était beaucoup plus sur le fond.

Ariel Dacal Diaz

Traduit du castillan par Gérard Jugant.


Un autre article d’Ariel Dacal Diaz a été traduit en français : L’Union Soviétique ou la transition frustrée", Inprecor n° 500, décembre 2004 (article en castillan, "Union Sovietica : la transicion frustrada", paru initialement sur le site Cuba Literaria).


La perestroïka et le rôle de l’individu dans l’histoire.


Réponse à Ariel Dacal Diaz, par Lisandro Otero, Rebelion 3 mai 2005


Dans un article publié par Rebelion le 13 avril dernier, Ariel Dacal Diaz contredit mes positions sur la perestroïka et affirme : "Je considère que la perestroïka est un processus beaucoup plus complexe que la fonction d’un homme dans un contexte déterminé et déborde des limites manichéennes".

Pour des motifs qui n’ont rien à voir j’ai dû retarder ma réponse. Je donne totalement raison à Dacal Diaz, qui dans son article s’exprime en termes raisonnables et respectueux, mais à aucun moment je n’ai indiqué que Gorbatchev était l’unique responsable de l’échec de l’expérience russe. Je me réfère à de multiples facteurs, comme la stagnation de Brejnev, l’intervention en Afghanistan, la réforme tronquée d’Andropov, le coût du maintien de la parité atomique, la perte pour le parti de sa capacité à mobiliser les masses, le divorce générationnel, l’absence d’intégration réelle des Républiques périphériques et l’aventurisme d’Eltsine, entre autres causes concomitantes et significatives.

Dacal exprime son désaccord quand j’affirme que la perestroïka était "le commencement de la fin de l’Etat socialiste". Il est bien entendu qu’exprimée ainsi, sèchement, schématiquement, la formule manque de substance, mais dans mon article je la présente comme le couronnement d’une succession d’événements qui expliquent l’effondrement. Au point de départ de la crise, il faudrait remonter à Staline, ou peut-être même bien avant, à l’impérialisme tsariste et à la manière dont furent absorbés les territoires limitrophes. Tout cela conduit à la nécessité de penser à un nouveau type de socialisme, comme nous l’a rappelé récemment dans un discours à La Havane Hugo Chavez, ce qui ne signifie pas assimiler l’économie de marché comme le firent les Russes, mais par contre aurait impliqué de se débarrasser de l’autorité universelle des bureaucraties.

Quand je fait état du mécontentement des jeunes je ne pense pas aux jeunes fonctionnaires mais à ceux qui écoutaient Vladimir Vissotsky et lisaient Ajamadulina, Ajmatov, Tsvetaeva et Voznesenki [1] ; à ceux qui, désorientés, croyaient que les rues de New York étaient pavées d’or et aspiraient à s’intoxiquer dans les McDonald’s ; à ceux qui n’avaient pas, effectivement, d’espace politique pour s’exprimer.

Bien sûr que la morale paysanne, le despotisme oriental et la bureaucratie tsariste ne furent pas les seuls legs qui déformèrent la tentative soviétique. Il y a beaucoup plus. Je n’ai pas non plus prétendu, comme me le fait dire de manière simpliste Dacal, qu’un système d’administration dynamique et souple était l’unique remède à tout ce désastre. Mais analysons le sujet point par point.

Staline constitua un appareil de contrôle totalitaire et supprima, avec une farouche violence, toute divergence. Il censura et mutila la création artistique et la recherche philosophique en les réduisant à des schémas manichéens, éloignés de la dialectique de la vie réelle. Il saigna son pays dans un effort volontariste de réalisation de réformes. Il décima ses propres partisans et érigea un empire qui survécut à sa mort. En dépit de ses crimes, erreurs et caprices, il a quand même conduit sa patrie en danger à la victoire sur le fascisme. Il est devenu un héros mythique, gardien de la doctrine et emblème de la nation, à l’image d’un Cromwell ou d’un Robespierre.

Il fit de la Russie la première puissance industrielle d’Europe et la seconde du monde. Comme l’a souligné Isaac Deutscher, Staline a trouvé un pays qui labourait la terre avec des charrues en bois et l’a laissé doté de l’énergie atomique. Après sa mort, Nikita Khrouchtchev dénonça le culte de la personnalité et engagea la réforme dans un style nouveau, plus franc et détendu. Son mandat fut marqué par le début de la conquête de l’espace, le dialogue avec l’Occident, l’exploitation des Terres Vierges et le schisme avec la Chine. Un doux vent de modernisation commença à souffler.

Brejnev gouverna durant 18 années, la plupart du temps dans la stagnation, au cours desquelles l’Union Soviétique se mit à décliner. Les indices de croissance se contractèrent progressivement, les biens de consommation se raréfièrent et l’économie fut engloutie par la production d’armements pour soutenir la rivalité armée avec les Etats-Unis. L’inefficacité, la corruption, le marché noir et le mécontentement augmentèrent comme jamais. Le Parti perdit sa capacité de mobilisation des masses. Les niveaux de suicide et d’alcoolisme augmentèrent extraordinairement. A la dépolitisation du peuple s’ajouta le manque de foi des intellectuels et le cynisme de la bureaucratie. Plus grave encore : dans ces années se produisit une espèce de seconde révolution industrielle, la révolution informatique, mais l’URSS n’ajusta pas ses pas aux temps nouveaux et demeura en retard. Andropov comprenait la nécessité du changement mais n’eut pas le temps de réaliser ses réformes ; to ut au plus eut-il le temps de faire quelques disciples, dont Gorbatchev.

Au cours de la brève année de gouvernement de Konstantin Tchernenko, qui malade et quasi invalide assuma le déclin du système, la détérioration de l’URSS la mit au bord de l’abîme. L’élection de Gorbatchev était le signal attendu pour conduire la nation soviétique vers une nouvelle modernisation. La sclérose politique empêcha la nécessaire rupture avec le passé. Le véritable socialisme peut et doit satisfaire les besoins matériels et spirituels de l’homme mais le "socialisme réel", retardé et lent, avait entamé sa marche en arrière.

Gorbatchev avait compris que si son modèle de socialisme ne s’amendait pas il allait mourir.

Quand commencèrent les changements se déchaîna le nationalisme dur, ressuscité de son apparente léthargie. Les Républiques périphériques et leurs masses sous-développées n’avaient été qu’un joyau ornemental de la couronne russe, ne formant jamais une partie articulée d’un corps unique.

En accédant au pouvoir,en 1985, Mikhail Gorbatchev lança une expérience politique extraordinaire : la démocratisation de la tentative socialiste fondée par Lénine. Apparemment, il y avait eu une escarmouche entre les réformistes, qui souhaitaient continuer les changements à peine amorcés par Andropov, et les orthodoxes, qui entendaient préserver l’équilibre paralysant atteint sous Brejnev. Il y eu un accord : ils mirent l’ancien et malade Konstantin Tchernenko au pouvoir. C’était la victoire de la ligne brejnévienne pour un bref laps de temps, tout le monde sachant que Tchernenko, du fait d’une maladie ancienne, ne tarderait pas à décéder, ce qui se produisit en mai 1985.

Tchernenko fut remplacé par Mikhail Gorbatchev, qui six mois plus tard rencontra Reagan à Genève. La stratégie de guerre des étoiles, lancée par le président étasunien, ruinait l’Union Soviétique. Le coût du maintien de la parité atomique était immense en raison du nouveau système qui impliquait de tirer des fusées depuis l’espace cosmique. Le niveau atteint par les dépenses militaires paralysait toute tentative de réforme économique du nouveau régime.

Gorbatchev inaugura une série d’audacieuses et rapides mesures de transformation du pays qui occupait le sixième du globe, qui constituèrent des concessions épuisantes du système. En 1987 il autorisa l’initiative privée, en 1988 il se réunit avec Reagan et en 1989 il effectua la première réunion au sommet avec la Chine depuis 30 ans. Cette même année il rencontra le Pape, le premier entretien d’un dirigeant de l’URSS avec le chef de l’Eglise Catholique.

Au cours de l’année 1989 se termina le désengagement des troupes soviétiques empêtrées dans une injustifiable guerre coloniale en Afghanistan. En 1990, le Parti Communiste renonça à sa position de parti unique et se plaça sur un pied d’égalité avec les autres organisations politiques. A la même époque les citoyens de l’URSS furent autorisés à être propriétaires et à louer ou engager des moyens de production, pendant qu’on élaborait un plan pour démanteler les contrôles de la production centralisée et établir le régime de libre marché.

En juillet, Gorbatchev accepta la réunification de l’Allemagne, autre pas important vers la réconciliation avec l’Occident. Les nostalgiques du stalinisme tentèrent un coup d’Etat en août 1991, qui initia le déclin de la perestroïka. Quatre mois plus tard Eltsine utilisa habilement le désir ardent d’indépendance des Républiques slaves et islamiques et parvint à un pacte qui établit la Communauté des Etats Indépendants et dépouilla Gorbatchev de toute autorité. En décembre, dans une cérémonie qui dura trente minutes, fut signée la dissolution de l’Union Soviétique et Gorbatchev démissionna. Les modifications avaient été tardives et insuffisantes et le système mourut sans que les remèdes parviennent à réactiver son corps.

Eltsine, qui avait été membre du tout-puissant Bureau Politique du temps de Brejnev, et maire de Moscou, où il avait fait preuve d’une temporaire énergie et efficacité, fut expulsé de ses charges dirigeantes dans le Parti sous Gorbatchev. Il fit une tournée aux Etats Unis, où il stupéfia ses amphitryons par les excès de sa vie privée, et rendit propice un collaborationnisme inconditionnel. Les élections qui confirmèrent Eltsine au pouvoir furent un exemple d’ingérence, de manipulation et de tromperie. Le gouvernement de Clinton trembla de la possibilité d’une défaite d’Eltsine qui favoriserait la renaissance de l’Union Soviétique et par là -même la fin du nouveau cadre unipolaire et de la capacité des Etats Unis d’imposer au monde sa volonté. La chute d’Eltsine n’aurait pourtant pas entraîné la reprise de la Guerre Froide car cette planète affligée n’en avait alors plus la force, mais le Tiers-Monde aurait vu dans la restauration de l’équilibre politique un mo yen de freiner les excès étasuniens.

Pour parvenir à la majorité précaire obtenue, on ne lésina pas sur les moyens. Les annonces passées à la télévision en sa faveur furent préparées par Video International, une filiale des compagnies étasuniennes Bains and Co et Boston Consulting Group. La télévision russe montra uniquement l’image d’Eltsine, aucun autre candidat n’étant admis à utiliser ce puissant média dans la campagne. Les conseillers étasuniens conseillèrent à Eltsine de danser le rock and roll. Sa réputation de démocrate subit un grand discrédit quand il liquida au canon son opposition et fit emprisonner les dissidents. La manière atroce dont il mena la guerre en Tchétchénie révéla son despotisme, qui avait pour origine ses années militantes dans une organisation formée par un autre despote, coutumier de l’intolérance et de la violence.

A la longue les événements dépassèrent Gorbatchev, qui était allé trop loin sur la voie des concessions. Nous n’avons pas encore suffisamment d’éléments pour affirmer que l’effondrement soviétique a été, comme le pense Dacal, une opération préméditée par la bureaucratie pour préserver ses privilèges. Nous ne pouvons pas non plus déterminer s’il s’agissait, comme l’affirment les perestroikïstes, d’une tentative de rectification qui a échappé au contrôle de la direction

Les Russes disent aujourd’hui que dans le socialisme soviétique ils ne disposaient que d’une seule variété de fromage dont ils pouvaient se payer 300 grammes. Dans l’économie de marché ils ont une trentaine de variétés de fromage, mais l’argent seulement pour en acheter 25 grammes.

Il faudra encore des années, des recherches, l’ouverture d’archives et la déclassification de documents pour aboutir à un jugement définitif. Ce qui est indéniable c’est que l’expérience socialiste soviétique a constitué une précieuse expérience sur le chemin de l’élimination de l’injustice et de la distribution plus équitable du produit de l’effort humain. Qu’il ait échoué ne disqualifie pas les autres tentatives de réforme ni ne permet d’affirmer que l’économie de marché avec son gaspillage et ses déséquilibres monstrueux serait la méthode idoine d’organisation.

Lisandro Otero

Traduit du castillan par Gérard Jugant.


 Extrait de Révolution Bolivarienne N°11.



[1Vladimir Vissostky (1938-1980). D’abord acteur officiel, il devint un poète et chanteur très populaire et interdit par le régime (Livre paru en français : Ballades-2004). Il décéda au moment des J.O. de Moscou.
-Bella Ajmadulina (1937), Anna Ajmatova (1889-1966), Marina Tsvetaeva (1894-1941) poétesses russes et Andrei Voznesenki (1933), poète russe, ndt.


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Un futur présent, l’après-capitalisme, de Jean Sève
Michel PEYRET
Une façon de dépasser le capitalisme Le livre de référence L’essai de l’historien Jean Sève intitulé Un futur présent, l’après-capitalisme (La Dispute, 2006). Ce livre propose une interprétation du mouvement historique actuel dans le sens du dépassement possible du capitalisme. Il énonce ce qu’il envisage comme des preuves de l’existence actuelle de « futurs présents » qui seraient autant de moyens de ce dépassement du capitalisme déjà à l’oeuvre dans le réel. Sur la question (…)
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