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12 octobre 1492 : « terre ! ». L’or de Christophe Colomb, par Gianni Proiettis - il manifesto.


San Cristobal de las Casas


Le grand navigateur génois ne découvrît pas l’Amérique, ce jour-là , déjà découverte bien avant. Mais il ouvrit « l’autoroute atlantique » qui permit à l’Europe de s’enrichir grâce aux trésors du nouveau monde. Le réveil indien. Après 5 siècles d’extermination et de saccage, les 400 peuples natifs relèvent la tête et revendiquent leur version de l’histoire.


il manifesto, 13octobre 2005.


Pour les 50 millions d’indo américains survivants, le 12 octobre 1492 représente le commencement d’une tragédie qui n’est pas terminée. Mais à Gênes et en Italie, on festoie. L’année dernière, le Conseil municipal de Gênes a eu l’idée géniale d’instituer un Columbus Day avec clinfocs ( voir note ), presque comme aux Etats-Unis, pour fêter le souvenir de la « découverte » de l’Amérique. Joli coup de l’administration de la Superbe, celui d’aller repêcher une figure comme Christophe Colomb... Notre pays a encore besoin de saints, héros, navigateurs. Et c’est ainsi qu’on en revient à une figure que l’historiographie avait déjà fortement redimensionnée. Que Cristobal, comme le nommaient ses mandants espagnols, n’aient rien découvert du tout, c’est désormais patrimoine commun. Au 10ème siècle aprés jc, le viking Eric le Rouge avait déjà débarqué dans la péninsule du Labrador, en y installant diverses colonies. Quand Jacques Cartier arriva dans ce qui est aujourd’hui le Québec, il fut stupéfait de découvrir combien les indiens algonquins connaissaient d’expressions basques et bretonnes. Les cartes de l’amiral turc Piri Reis, conservées au musée du Topkapi à Istanbul, montrent une connaissance détaillée des côtes atlantiques et du continent américain. Et elles ont été établies en 1513, sur la base de cartes plus anciennes, comme l’affirme ce même Piri Reis dans le Kitab al Bahriya, le livre des mers. Les théories transpacifiques de Paul Rivet et de son école ont trouvé le confirment de lus en plus, ces dernières décennies : les contacts entre le versant asiatique et la côte américaine du Pacifique, dans les migrations et les échanges, ne se sont jamais interrompus.

L’Amérique, à la différence des autres continents, n’a jamais développé d’hominidés, à l’époque préhistorique. Il n’existe pas d’homo americanus. Le continent s’est peuplé avec de grandes migrations d’Asie, à partir de la dernière glaciation. L’Amérique a toujours été un territoire de conquête, depuis le début. En dehors de ses nombreux prédécesseurs, il est indubitable que revient à l’illustre génois la découverte, elle oui, de « l’autoroute » atlantique, des meilleures routes pour aller et revenir en un petit mois de navigation. Et ce n’est pas rien. Après Colomb, la traversée transatlantique devient un jeu d’enfants. Ou presque. Mais les intentions de Cristoforo-Cristobal étaient-elles aussi pures que ses nombreuses hagiographies le transmettent ?


77 fois « or »

C’est l’évêque brésilien Helder Camara qui a pensé à compter combien de fois apparaît le mot « or » dans les quatre lettres de Colomb à la couronne de Castille et dans les fragments de son Diario (Journal) rapporté par Frère Bartolomeo de las Casas : 77 fois en tout. Et le fait que les pauvres taino de Guanahani’ (aujourd’hui Watling Islands aux Bahamas) et presque tous les arawak des Caraïbes utilisaient des petits morceaux d’or comme breloques aiguisa l’appétit des navigateurs européens. Quand, en 1984, l’archéologue florentin Brunetto Chiarelli commença à creuser pour ramener à la surface les restes de l’Isabella, la première colonie sur l’île de Hispaniola (aujourd’hui partagée entre Haïti et Saint Domingue), il fût consterné de la quantité de cadavres d’indios torturés et mutilés qu’il découvrit. D’autre part, Colomb n’écrit-il pas depuis le début que « avec 50 hommes des nôtres nous pourrions réduire en esclavage toute la population de l’île » ? Et ne propose-t-il pas, après son premier voyage, d’envoyer des indiens comme esclaves en Espagne, en échange de denrées de première nécessité pour les nouvelles colonies ? L’amiral était-il vraiment si pur et chrétien ? A deux heures du matin du fatidique 12 octobre, le marin Rodrigo de Triana lance de la Pinta le cri attendu : « Terre ! ». Le gilet de soie fine et la pension à vie de 10 mille maravédis par an, promise pour le repérage, devraient lui revenir. Mais l’Amiral va la réclamer ensuite, en soutenant que, vers 10 heures du soir, lui aussi avait déjà vu quelque lueur à l’horizon. Et le bon Rodrigo de Triana, tout en ayant laissé son nom à l’Histoire, se retrouva avec une poignée de pois chiches.

Pour Colomb, comme pour Hernan Cortès, le conquistador du Mexique, les choses ne tournèrent pas très bien et il n’arriva pas à profiter des fruits espérés. C’est mieux comme ça, avec tous ces morts sur la conscience. Mais qu’il y ait encore des gens pour vouloir sanctifier notre Cristoforo national comme un évangélisateur, signifie qu’ils ne savent pas faire la différence entre un chrétien et un assassin (la référence à l’Irak et à sa « démocratisation » est inévitable).

Le 12 octobre de l’année dernière, pendant qu’à Gênes les trompettes résonnaient et les caravelles voguaient toutes voiles dehors, à Caracas, au Venezuela, une foule furieuse a abattu la statue de Colomb. Aux Etats-Unis, il y a eu une série de manifestations de répudiation du « découvreur ». Chez le million et demi d’ « indiens des prairies » survivants, ceux du moins qui ne sont pas en taule ou dans les réserves ou dans l’armée, ont commémoré la date comme un événement de deuil, le début de leur malheur. De grandes nations d’hommes libres à déchets d’un american dream qui les maintient dans l’exclusion et la soumission. A Mexico, le même jour, un cortège qui célébrait Cuauhtémoc, le général aztèque qui résisté aux espagnols, a défilé devant le monument à Colomb, sur le Paseo de la Reforma, et l’a trouvé entouré par la police et recouvert de toiles de plastique noir, comme celles des ordures, pour le protéger des jets d’oeufs et de tomates. Encapuchonné ainsi, le célèbre navigateur ressemblait beaucoup aux prisonniers d’Abou Ghraib.

D’ici quelques jours, en allant fouiller à travers les pubs des agences de voyage, on pourra reconstituer la nouvelle mosaïque continentale des manifestations de protestation. Depuis une vingtaine d’années, les peuples indigènes - une cinquantaine de millions dans le continent américain mais plus de 350 millions dans le monde, se réunissent chaque année à l’ONU, à Genève, pour élaborer une Charte universelle des droits des peuples indigènes. Le texte s’est sans aucun doute perfectionné au cours de cette période mais nous sommes loin encore de son approbation définitive à cause du refus obstiné de nombreux gouvernements.

Il suffit de regarder le Mexique, où le gouvernement a signé en 1996 les accords de San Andrès, qui reconnaissent les droits principaux aux 12 millions d’indios mexicains, mais sont encore lettre morte. Heureusement que Vicente Fox, dans sa conquête de la présidence en 2000, avait promis de résoudre le problème « en un quart d’heure ». L’obstruction à la reconnaissance des droits indigènes, dans presque tous les pays du continent, n’est pas seulement une conséquence du racisme persistant des sociétés américaines, de l’Alaska à la Terre de Feu. Les revendications des peuples originaires, comme ils préfèrent se définir, se heurtent aux puissants intérêts des multinationales. L’enseignement des langues autochtones et le respect des différentes cultures, l’usufruit des ressources dans les territoires ancestraux, la reconnaissance de l’autonomie politique et administrative, la consultation pour tout projet les concernant, la concession des moyens de communication, le respect des usages, coutumes et systèmes judiciaires traditionnels -tous droits indiscutables sur le plan de la justice historique - ont souvent été incorporés dans les législations des divers pays mais en pratique reconnus au compte-gouttes. Pour le capital international, à l’attaque sur tous les fronts sous la couverture du bushisme, ils ne représentent que des obstacles au business et donc au progrès et au bien-être.

Une poignée d’indios ignorants s’oppose à une affaire juteuse comme le Plan Puebla Panama, qui promet de semer des maquiladoras, centrales électriques, supermarchés, autoroutes et monocultures dans tous le Mexique et l’Amérique Centrale ? Un commando d’exaltés conteste Wal Mart, McDonald’s et Benetton, sans comprendre qu’ils apportent travail et développement ? Ils se plaignent qu’on leur vend du maïs transgénique, alors qu’il coûte moins cher et a un meilleur aspect ? Est-il possible que depuis 500 ans ces sacrées caboches ne réalisent pas quelles sont les bonnes choses de la vie ?


La décennie des peuples indigènes

Au cours des dix dernières années, intitulées pompeusement « décennie des peuples indigènes » par l’ONU, le mouvement indo américain s’est consolidé à l’échelle continentale et a bien montré qu’il voulait s’asseoir à la table de l’humanité, avec une précieuse contribution à apporter. Il n’a pas arrêté de s’organiser et dans certains pays il a même pris les armes ou commencé à mettre en pratique son autonomie, comme les zapatistes. Depuis 1992, les plus de 400 peuples amérindiens ont commencé à raconter leur version de ce que Voltaire définît comme « l’avènement le plus important de l’histoire, où une moitié de l’humanité entrait finalement en contact avec l’autre moitié ». Dommage que ça ait été cinq siècles de souffrance, violences, déprédations et contraintes et que ça ne soit pas encore fini. Dommage qu’aucun des conseillers communaux de Gênes ni des ministres de Berlusconi ne s’en soit aperçu.

Gianni Proiettis


 Source il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



13 octobre 2005

Les indiens commémorent la découverte de l’Amérique

GUATEMALA - Les indiens mayas - 60 % des 11,2 millions de Guatémaltèques - ont commémoré mercredi le 513e anniversaire de la découverte de l’Amérique. Leur communauté misérable a été la principale victime des inondations provoquées par la tempête Stan.

Des dirigeants indigènes ont estimé que la cause de leurs maux n’étaient pas la tempête Stan mais de manière plus générale un système économique déprédateur pour "la terre nourricière".

Daniel Pascual, chef du comité d’unité paysanne, a souligné combien la tempête Stan avait "mis à nu la réalité et les conditions d’inégalités dans lesquelles vivent les indiens au Guatemala".

Le leader paysan a critiqué le président Oscar Berger, estimant qu’il s’était surtout concentré sur "la réparation des ponts et sur la côte sud (la plus développée du pays) au lieu des endroits où nos frères sont morts et où ils souffrent de la faim parce que l’aide du gouvernement n’arrive pas".

Selon M. Pascual, les gouvernements successifs ont manqué de détermination à éradiquer la pauvreté, qui touche 80 % de la population de ce petit pays.

Le gouvernement donne "des statistiques sur les 100 000 têtes de bétail perdues et chiffre les pertes économiques à 130 millions de dollars mais ils ne savent même pas combien de gens sont morts ou disparus ni les pertes agricoles des plus pauvres", a critiqué M. Pascual.

Juan Tiney, chef de la Coordination nationale indigène et paysane, a rendu les multinationales, responsables des glissements de terrain causés par Stan. "Ils ont eu lieu à cause de la déforestation, provoquée par les grandes multinationales, du pétrole et des mines, et celles qui utilisent des fertilisants qui affectent la mère nature", a-t-il dénoncé. SDA-ATS


[ NOTE : Sur la photo du beau cotre ci-dessus, le foc, le clinfoc et la trinquette sont les 3 voiles d’avant (devant le mât). Le foc est amuré (attaché) à l’extrémité du bout-dehors (ou beaupré), la trinquette est plus en arrière et descend jusqu’au pont, le clinfoc est au dessus du foc, en l’air. C’est une voile légère et haute, parmi les premières que l’on affale (rentre) quand le vent fraîchit (se renforce). ]



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