il manifesto, 9 et 10 septembre 2005.
« Ils m’ont fait monter sur un tabouret, avec un capuchon sur la tête et les bras en croix. Ils m’ont dit qu’ils allaient me faire des décharges électriques. Moi, je n’y ai pas cru. Alors ils ont pris deux câbles et les ont enfilé dans mon corps. J’avais l’impression que mes yeux jaillissaient hors des orbites. Après, je suis tombé par terre ». Voici l’histoire de Haj Ali al-qaisi, celui dont le portrait - capuchon noir sur la tête et électrodes- a fait le tour du monde, quand les photos faites à Abu Ghraib ont été publiées.
Avant que ne commencent ses ennuis avec les américains, Ali était un mukhtar, un chef de village, dans le district d’Abu Ghraib. Il parlait dans les mosquées, cultivait des dattes et gérait un parking à côté de la mosquée locale. Quand on le voit, Haj Ali est loin d’être un personnage inquiétant. C’est un homme d’aspect aimable, on imagine difficilement comment il a pu recevoir un tel traitement, comment on a pu le destiner aux tortures infernales d’Abu Ghraib.
« Mes problèmes avec les américains », raconte Ali, « ont commencé quand j’ai trouvé un terrain vague et que j’en ai fait un terrain de jeux pour les enfants ». Ali explique que les américains avaient commencé à amener là les poubelles de la zone de l’aéroport, qui contenaient entre autres des excréments et des revues pornographiques. Un médecin de la zone avait signalé de nombreux cas de blessures chez les pauvres qui fouillaient dans les déchets, à la recherche d’objets de valeur. « Avant », plaisante Ali, « je pensais que la démocratie américaine était un terrain de jeu. Au contraire ils ont réduit cette zone à un dépotoir de produits chimiques, d’excréments et de pornographie ».
Le capitaine Philips
En tant que responsable du village, il essaye de protester contre cette situation, auprès de l’administration. « Cette dénonciation », dit Ali, « a marqué le début de mes tourments ». Le 30 octobre, à onze heures du matin, il est enlevé par des soldats dans la rue où il était en train de travailler, et emmené sur une jeep hummer. On le transporte à al-Amriye, une ex-base militaire irakienne transformée maintenant en centre de détention américain. Là il rencontre un certain capitaine Philips, qui lui dit : « Je ne sais pas quelle agence a demandé ton arrestation mais tu vas être détenu ici ».
De nombreuses personnes de sa famille, qui avaient appris son arrestation, viennent demander qu’on le libère. Le capitaine Philips demande à Haj Ali s’il croit que les personnes à l’extérieur vont attaquer. « Je ne sais pas », répond Ali. Il est resté là deux jours. Le matin du troisième jour de détention, on le transporte avec un sac sur la tête dans la prison d’Abu Ghraib. « Bien entendu, à cette époque, je ne savais pas où j’étais », dit Ali. « Avant d’entrer dans cette prison, on m’a fouillé avec une procédure très humiliante ». La procédure dont Haj Ali parle dure environ une heure, une heure et demie. Les américains relèvent ses empreintes digitales, lui font un fond d’oeil et font quelques prélèvements corporels, puis le transportent dans une pièce pour l’interrogatoire. « Ces pièces, en réalité, sont des cabinets inondés d’eaux usées. Deux agents et un traducteur étaient assis loin de moi, loin de l’égout ». On oblige Ali à s’asseoir au fond de ce trou plein de merde. Ils lui demandent immédiatement : « Tu es sunnite ou chiite ? ».
Ali est pris de cours. « C’était la première fois que j’entendais cette question », dit-il. Il explique qu’avant, en Irak, du fait aussi de la loi sur le mariage, on ne demandait pas quelle était la confession d’appartenance religieuse. Puis on l’accuse d’avoir attaqué les forces d’occupation. Haj Ali montre ses doigts et fait voir un défaut qui le rend incapable de manier une arme à feu. « Je leur ai dit que je n’aurais pas pu participer, et qu’ils prennent le numéro de téléphone du médecin qui m’avait opéré. Ils m’ont même demandé si je connaissais Oussama Ben Laden - continue Ali- et j’ai répondu que je le connaissais à la télé. Ils continuèrent à me poser des questions de ce genre, même sur Sadam Hussein. J’avais l’impression qu’ils cherchaient à m’accuser de quelque chose. Après ils ont dit que j’étais anti-sémite, à quoi j’ai répondu que je considère les sémites comme étant les pères de l’humanité ». « Alors tu sais de quoi je parle », répond un des responsables de l’interrogatoire.
Les hommes qui l’avaient capturé, lui disent ceux qui l’interrogent, savaient qu’il était une personne influente, qu’il était un mukhtar de son village et lui demandent : « Pourquoi tu ne collabores pas avec nous ? On pourrait même te faire opérer la main ». L’homme qui dirige l’interrogatoire répète sans arrêt : « Nous sommes le plus grand peuple du monde, nous vous avons occupé et vous, vous devez vous rendre et collaborer ».
La suite révèle que l’enlèvement de Haj Ali, et de nombreux autres qui ont eu le même destin, n’a pas pour objectif d’« arrêter l’insurrection », mais plutôt d’obtenir des renseignements, et de recruter des gens parmi les personnages importants des villages de la zone et des sociétés tribales. Quoi qu’il en soit, Haj Ali n’accepte pas et répond : « Si vous vous définissez comme des occupants, alors résister à la force d’occupation est légitime selon la loi islamique et le droit international ». Mais les hommes qui l’interrogent continuent à lui demander s’il voulait collaborer, puis le menacent de l’envoyer à un endroit où « même les chiens ne survivent pas, ou même à Guantanamo ».
Après ce premier interrogatoire, Haj Ali est embarqué dans un camion. On distribue aux prisonniers des sacs qu’ils doivent mettre sur la tête. Un des soldats demande : « Vous avez tous le sac pour mettre sur la tête ? ». Un des prisonniers, qui est aveugle, répond que lui n’en a pas. Cet homme aussi est accusé d’avoir attaqué les forces d’occupation. Puis, quand on les fait descendre, on les transporte à un endroit de la prison appelé « Fidji ». Là , ils sont sous des tentes, par groupes de cinq tentes. Chaque groupe est entouré de fils de fer barbelés et d’un mur de 15 mètres. « C’est là qu’on mettait ceux que les américains appelaient « les gros poissons ».
Haj Ali continue à parler des conditions de vie. « Dans chaque tente, il y a quarante personnes, il n’y a pas de place, et si tu veux dormir il faut te coucher sur le côté. Dans les cinq tentes vivent environ 300 personnes ». Les prisonniers avaient des cabinets portables à leur disposition. Ils devaient faire la queue pendant deux ou trois heures, les toilettes étaient pleines « avant que n’arrive ton tour ». Toute autre possibilité de toilette était pratiquement impossible. Dans chaque tente les prisonniers partageaient chaque jour 20 litres d’eau pour tous les besoins. Pour boire ils devaient utiliser des bouteilles trouvées dans les poubelles. « La nourriture aussi était très mauvaise », raconte Haj Ali. « Nous n’avions pas de repas réguliers et, si une seule personne manquait à la discipline, on avait des punitions collectives. Par exemple, si un prisonnier parlait avec un prisonnier d’un autre camp, tout le camp était privé de repas, ou bien on était obligés de rester debout au soleil pendant des heures. A un moment, une chose étrange arriva à un chiite disciple de Al Sadr, qui s’appelait Sheikh Jaber-al-qadi. Comme tous les autres, dans le camp, venaient de villes sunnites comme Fallujah, Ramadi et Mosul, il se sentait isolé. Pour l’aider, nous lui avons demandé d’être notre guide pour la prière, et de la dire avec nous ». Quand ça s’est passé, les américains ont attrapé le gars et lui ont hurlé : « Pourquoi tu pries avec les sunnites ? ». Et ils l’ont tabassé.
Pendant cette période Haj Ali a rencontré de nombreux groupes provenant de plusieurs prisons, parmi lesquelles celle de l’aéroport de Bagdad et de Mosul. Il a commencé à entendre des histoires de torture, à voir des signes de torture ; il entend même parler de gens à qui on a injecté des substances hallucinogènes pour qu’ils voient des choses effrayantes, des scorpions ou des images de cauchemar. C’est à cette période que Haj Ali a eu l’idée de fonder une association pour représenter ces prisonniers. Haj Ali est de nouveau interrogé, et ils le menacent une fois de plus de l’envoyer à Guantanamo ou dans d’autres endroits de ce genre. Il raconte que « des femmes soldats étaient présentes pendant les interrogatoires et qu’elles exhibaient des parties de leur corps ».
La torture du Ramadan
Pendant le Ramadan, les prisonniers ont une autre souffrance à supporter. Pendant le mois de Ramadan, les musulmans ne peuvent pas manger, du lever au coucher du soleil. Pendant toute cette période, le deuxième repas était apporté aux prisonniers juste après la prière du matin, ce qui signifiait que les prisonniers devaient rester là à le regarder jusqu’à 11 heures du soir. « Ils voulaient faire plier notre capacité de résistance », c’est comme ça que Haj Ali explique ces pratiques. « Six générateurs électriques fonctionnaient jour et nuit, avec un bruit incroyable. Chaque générateur était relié à trois lampes seulement. Ils ne faisaient presque pas de lumière, rien que du bruit. Bien entendu, dans les tentes il n’y avait pas d’électricité ».
Puis, un jour, on appela son numéro, 11 716. On lui met des menottes aux mains et aux pieds, on lui couvre la tête d’un capuchon et on le met sur une jeep hummer. « Quand ils m’enlevèrent le sac de la tête, j’étais dans un long corridor. J’entendais un tas de gens qui criaient à cause des tortures. Ils me dirent d’enlever mes vêtements, ma djellaba (vêtement traditionnel des hommes musulmans), mon tricot, et mon slip ». Comme il refusait, cinq soldats l’attrapèrent et le déshabillèrent de force. Après ça, il dut marcher pendant dix mètres environ, jusqu’à un escalier. « Ils voulaient que je monte ces escaliers, mais mes pieds étaient très faibles et je n’arrivais pas à soulever les jambes. Je tombai par terre et ils se mirent à me tabasser. Alors, j’ai du me hisser en me traînant. Il m’a fallu une heure ».
Après, Haj Ali est jeté contre un mur, les mains attachées au châssis d’une porte, en extension. « Bien sûr, ils me frappèrent de nouveau, ils versèrent sur moi de l’urine et de l’eau souillée, ils écrivirent sur mon corps, tirèrent des salves de coups de feu, ils utilisaient un haut parleur pour me hurler des insultes dans les oreilles et faisaient claquer les menottes, toujours dans les oreilles. Je restai comme ça jusqu’à la prière du matin ».
Quand ce fut le moment de la prière du matin, quelqu’un vint lui enlever le capuchon. Il me demanda, en parlant avec un fort accent arabe libanais : « Tu me connais ? Je suis très connu, j’ai fait des interrogatoires à Gaza, en Cisjordanie et dans le sud du Liban. J’ai une bonne réputation : ou je tire ce que je veux d’un détenu, ou je le finis ».
« Torturez-le encore » dit le médecin étasunien
Ils lui enlèvent les menottes à une main. « Je vais te mettre en croix » dit l’homme qui l’interroge. Maintenant les secousses sont continues, comme les jets d’eau sale qu’on lui lance dessus. Ils pointent un fusil sur ses génitoires. Une personne s’avance, qui lui enlève son capuchon. « Je reconnus son accent arabe, c’était celui des juifs maghrébins (séfarades), voilà pourquoi nous disons que nous sommes victimes de l’occupation américano sioniste ». Haj Ali subit ce traitement pendant trois jours. On le lui fait dans plusieurs positions, on le fait rester sur la pointe des pieds. On lui dit que sa main allait « pourrir ». « Après j’ai compris que ce que j’étais en train de subir entrait dans le cadre d’une opération appelée Iron horse, destinée à recruter des gens influents, des chefs de tribu, pour les faire travailler pour l’ occupant ». Le troisième matin, à nouveau, Haj Ali rencontre un étranger, et une fois de plus on lui propose sa libération en échange de sa collaboration. « Je répondis que je n’avais rien à dire ». « Pendant tout l’interrogatoire, j’entendis des hurlements, des hurlements de femmes, des hurlements d’enfants. Tous ceux qui passaient dans le hall me frappaient. »
By the rivers of Babylon
Après la prière de midi, ils lui attachent les poignets avec des bandes de plastique, l’amènent dans une cellule et le mettent à une barre. Ils le font étendre sur le dos et apportent un gros haut-parleur. Ils mettent la chanson By the rivers of Babylone (tirée du psaume 137 de la bible, NDR) sans arrêt, à plein volume. Haj Ali raconte qu’à ce moment-là , bien entendu, il voulait qu’on lui remette le capuchon qu’on lui avait enlevé entre-temps. Un peu après, l’homme qui faisait l’interrogatoire vient lui enlever le haut-parleur, mais désormais Haj Ali n’arrive plus à rien entendre. « J’avais encore la chanson dans les oreilles, même s’ils avaient éteint la musique ». Malgré les seaux d’eau qu’on lui jette à la figure, « je n’arrivais pas à entendre une seule parole de ce que me disait l’homme ». Alors ils le font mettre debout, lui font étendre les bras hors des barreaux de la cellule et le menottent dans cette position. « C’était le cinquième jour que je ne mangeais plus », dit Ali. L’homme préposé à l’interrogatoire revient et lui dit qu’ils ont fait une « fête de bienvenue ». « Plus tard, dit Ali, j’ai appris que c’est un traitement qu’ils font à tout le monde ».
Cellule numéro 49
« On me mit dans la cellule 49. Ils me firent une photo avant de m’enfiler le capuchon, puis firent une autre photo. Je regardais dans les cellules en face de moi et je reconnus un imam. Tous les prisonniers étaient dévêtus. « Ne t’en fais pas, me dirent ces pauvres gens, nous sommes comme ça depuis trois mois. » Alors Haj Ali cherche à se couvrir avec du papier utilisé pour la nourriture, mais les américains ne le laissent pas faire : « Les américains nous avaient donné un surnom à chacun. "Big Chicken", Dracula, « l’homme loup », Joker, Gilligan. Moi ils m’appelaient Colin Powell ».
Le lendemain arrive Charles Graner, le spécialiste, qui sera ensuite inculpé pour le scandale d’Abu Ghraib. Haj Ali a une bande sur la main pour couvrir une blessure, le sang est mal coagulé. Il attrape et arrache la bande, qui emporte la chair. Haj Ali perd connaissance. « Le jour suivant, je demandai à une femme soldat un médicament anti-douleur. Elle me dit de tendre la main au dehors en la faisant passer sous la porte. Je pensais qu’elle voulait voir ma main, mais elle monta dessus en disant : « voila l’antidouleur américain ». Quinze jours plus tard on lui donne une couverture. « J’essayais de m’en servir pour me couvrir, et mes amis étaient contents pour moi ». Dans cette enceinte, appelée « la fosse », Haj Ali raconte qu’il entendait des hurlements : « Quand ils voulaient porter de la nourriture aux prisonnières, ils envoyaient des hommes nus ». Les prisonnières étaient otages pour des frères, des pères ou des fils. « On les entendait hurler, elles ne faisaient que crier Allah Akbar (Allah est grand, NDR) ».
Après 15 jours, les interrogatoires s’accélèrent, les américains voulaient se débarrasser de ces prisonniers pour faire rentrer des gens nouveaux, dans une rotation entre les fosses et les tentes à l’extérieur. Un de ses amis demande à une femme soldat : « Pourquoi nous humiliez-vous ? ». Elle répond : « Ce sont les ordres, vous humilier, dans cette situation ». Ils l’amènent ensuite dans la salle des interrogatoires. Il se retrouve face à dix personnes, certains en uniforme, d’autres en civil. Ils ont des téléphones et des appareils photo. « Là , je crus rêver et je pensai qu’ils utilisaient les téléphones pour enregistrer le son ou quelque chose de ce genre », dit Ali. C’est dans cette salle que se passe la scène qu’on a vue ensuite dans le monde entier comme l’exemple des tortures pratiquées par le régime américain. « Ils me firent monter sur un tabouret avec un capuchon sur la tête et les bras écartés. Ils me dirent qu’ils allaient m’envoyer des décharges électriques. Moi, je ne le croyais pas. J’eus la sensation que mes yeux jaillissaient hors des orbites. Puis je tombai par terre ».
Les mains et la tête attachées à un tube
Pendant cette séance, Haj Ali se mord la langue. Le médecin arrive, lui arrache la cagoule avec sa chaussure, verse de l’eau dessus. « Il ne vit aucune blessure sur la langue », dit Haj Ali, « et il leur dit de continuer. D’habitude les médecins participaient aux tortures. Ils décidaient si les prisonniers simulaient ou exagéraient la douleur et faisaient signe aux tortionnaires de continuer ». Ils l’emmènent trois fois dans cette salle, et le soumettent cinq fois aux décharges électriques. Ils lui attachent la tête et les mains à un tube du plafond, lui mettent du pain sec dans la bouche. Ils lui font quelques photos et l’interrogent à nouveau. Pendant qu’ils l’interrogent ils lui demandent : « Qu’en dirais-tu si on essayait d"autres tortures ? ». Haj Ali répond : « Plus vous nous torturez, plus Dieu nous récompensera ».
L’imam
Mais Haj Ali n’est pas le seul à subir ce type de traitements. « J’ai vu l’imam de la plus grande mosquée de Fallujah. Il avait 75 ans. Ils ne se sont pas contentés de le traîner nu, ils lui ont aussi fait porter de la lingerie féminine. Et une autre, encore : ils ordonnèrent à un prisonnier d’uriner avec un sac sur la tête. Quand ils le lui enlevèrent, il vit que c’était son père qui était dessous, et ils photographiaient la scène ». « Une des femmes soldats se déshabilla devant l’imam d’une autre mosquée - dit Ali- et lui demanda d’avoir un rapport sexuel avec elle. Comme il refusait, bien sûr, la femme prit un pénis artificiel et le viola ».
Haj Ali dit que ces camps de prisonniers sont en fait des camps de formation pour la résistance. « D’habitude, 90% des gens arrêtés sont innocents. Et une fois sortis, ils sont parfaitement prêts à commencer une résistance armée contre les occupants. Quiconque a été traité de cette façon, ou voit son frère ou sa soeur traités comme ça, le ferait ». Et là Haj Ali souligne aussi l’importance de comprendre quel effet cette façon de traiter les femmes peut avoir sur la société arabe.
Après 49 jours dans la fosse, il entend les hommes qui l’interrogeaient dire qu’il avait été arrêté par erreur et qu’on allait le renvoyer dans la tente. Le lendemain, un soldat vient le chercher et le ramene dans le camp. « Tu es né une deuxième fois » dit-il. Une fois revenu dans la tente, après avoir été accueilli, il passe deux jours à regarder le ciel, en essayant de refaire la paix avec la lumière. Les cellules étaient très sombres. « Pendant ma période de cellule j’ai perdu 38 kilos, et ça je le sais parce que quand j’étais arrivé ils m’avaient mis une bande au poignet sur laquelle ils avaient écrit mon poids ». Après tout ça, on lui redonne ce qui lui appartenait, on le met dans un camion avec un sac sur la tête, mais cette fois sans les menottes. Puis ils le jettent hors du camion. « Quand j’enlevai le sac, je vis que j’étais dehors, sur la route. Je compris alors que j’avais été relâché ».
Ainsi finit l’histoire de Haj Ali à Abu Ghraib. Après l’explosion du scandale d’Abu Ghraib, Haj Ali a reçu une formation de l’ONU sur les questions relatives aux droits de l’homme. Il voulait utiliser son expérience pour fonder une association et il est allé au gouvernement irakien pour se faire aider, mais il s’est entendu répondre qu’ « il n’existe pas de mauvais traitements dans nos prisons ». Alors a été organisée une conférence de présentation de l’ « Association des victimes des prisons américaines d’occupation ». Les objectifs sont de diffuser les informations sur la torture et sur ce qui arrive dans ces prisons, aider ceux qui sont relâchés et aider les familles à contacter leurs parents prisonniers. L’association ne s’intéresse pas qu’aux américains. « De nombreuses prisons sont gérées par des privés, des mercenaires », explique Ali. « Il y a des gens du monde entier. Il n’y a pas que les américains qui sont coupables ».
Un crime contre l’humanité
« Ce qui arrive en Irak est une réaction très naturelle à toutes ces violations » dit Haj Ali. « Ce qu’on apelle violence est une réaction très naturelle ». « A l’époque de Saddam, il y avait 13 prisons. Maintenant, il y en a 36 gérées par le gouvernement, et 200 par les milices gouvernementales. Les prisons irakiennes sont pires, nous avons vu des cas attestés d’ongles arrachés, de mains écrasées, tout ça avec le consentement des USA ». « Tout ce qui est en train d’être commis en Irak est aussi un crime contre le peuple européen et contre le peuple américain. Ils perdent la face. La torture est pratiquée par toutes les nationalités ». « Je ne blâme pas celui qui enlève un étranger, parce que c’est une réaction à ce qu’il a subi ». Son association travaille maintenant sur la réhabilitation physique et psychologique. L’histoire de Haj Ali n’est pas finie. Le premier et le 2 octobre, il devrait venir en Italie pour la raconter au mouvement européen pour la paix et contre la guerre. Et il continuera à la raconter à tous ceux, dans le monde, qui sont disposés à entendre, de la part d’un témoin direct, des informations sur les méthodes de torture et sur les abus pratiqués par les américains.
Lars Akerhaug
Comité Irak libre Norvège (nous remercions le docteur Hisham Bustani qui a rendu cette entrevue possible)
– Traduit par Marina Impallomeni
– Traduction de la version italienne par Marie-Ange Patrizio
– Source : il manifesto
Cette version est une traduction d’un texte qui a du être traduit au départ de l’arabe, en passant par plusieurs interprètes. La version italienne, peut-être pour rester proche d’un texte qui présente des incertitudes dans le vocabulaire voire des invraisemblances, est elle-même quelques fois approximative. J’ai fait le choix de ne pas rester trop près de ces incertitudes et de simplifier en fonction du sens... Je ne pense pas cependant que cette version soit trop éloignée du texte de base. (M-A.P)
Démocratie au phosphore, par Giuliana Sgrena.<BR>
Comment les Etats-Unis ont pris Falluja. Un document révèle aussi un test sur un nouveau type de napalm.
Irak : un soldat témoigne, par Derek Seidman.
Irak : Détails d’un nettoyage ethnique soutenu par les USA, par Patrick Martin.
Irak : Moi, un marine tueur de civils, par Patricia Lombroso.
Les guerres mentent, par Eduardo Galeano.
Un Irak théocratique, par Giuliana Sgrena.