Penser l’oligarchie, la classe dominante et le peuple-classe.

Il y eu d'abord des intuitions en lien avec des contextes (29 mai 2005 puis Occupy Wall Street) le tout sur fond d'une histoire militante qui articulait sans trop théoriser "ordre des peuples" et "ordre des classes"

Puis vint un premier travail un peu élaboré - qui date de l’été 2012 avec une publication dans Mouvements : "Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe" - qui opérait un lien théorique entre "ordre des peuples" et "ordre des classes" (repris de feu Georges Labica) sous le concept de "peuple-classe" (qui n’est pas de moi) . CF :

http://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/


La période actuelle, néolibéralisme ou capitalisme financiarisé mondial, se caractérise par l’énorme pouvoir d’une toute petite minorité de riches très grands possédants, minorité très haut placée en surplomb du reste de la société mondiale.

I - Les très grands possédants et le reste.

On retrouve ces grands possédants dans tous les pays, au nord comme au sud. Il n’existe aucune formation sociale (ou « pays ») sans oligarchie, sans classe économique dominante et sans "caste" politique associée. Mais c’est dans les formations sociales capitalistes sur-développés qu’ils sont les plus puissants. Mais leur domination s’exerce partout, tant en interne (dans les pays dit de la Triade) qu’en externe (tous les pays dominés par l’impérialisme).

La critique en acte (critique-pratique et matérielle) a pu exprimer avec force contre cette petite minorité de grands possédants : « nous sommes les 99% » . Le mouvement altermondialiste international qui s’est déployé depuis 20 ans a voulu, à travers les résistances diverses, ouvrières, paysannes et populaires tendre à construire un autre monde post-capitaliste à partir de peuple d’en-bas dans sa diversité contre les élites dominantes et prédatrices.

La « bifurcation » vers une nouvelle alternative mondiale, vers un nouveau socialisme mondialisé, devra prendre en charge d’autres problématiques, dite de « pluri-émancipation » (Christian Delarue), car il n’y a pas que la domination économico-sociale à combattre. Il y a aussi la forte prédation contre la nature et l’environnement qui est nuisible à toute l’humanité mais qui frappe d’abord les plus pauvres. Il faut ne pas oublier aussi le patriarcat sous ses quatre formes (1), ainsi que le racisme sous plusieurs formes également (cf MRAP et plus personnellement : "peuple-classe multicolore"). Enfin, les intégrismes religieux porteurs de dogmes archaïques et autoritaires sont aussi à combattre (ennemi secondaire mais ennemi néanmoins).

Le peuple-classe est depuis longtemps associé à ces 99% d’en-bas. On peut débattre à l’infini sur le fait de calibrer la classe dominante de chaque nation à 1%. C’est secondaire dés lors que l’on admet que ce 1% de riches (et assurément riches) est lui-même hiérarchisé. Que l’oligarchie est au sommet du 1%. Le peuple-classe dans sa diversité de situation est la très large fraction de peuple qui subit le classisme d’en-haut, la politique de domination de classe de l’oligarchie et de la classe dominante .

II - Classe dominante et rapport sociaux de domination.

Résumons l’axiome marxiste sur le sujet évoqué. « À la classe dominante (bicéphale) s’oppose toujours une classe dominée : une classe sociale n’est pas une réalité isolable, mais l’un des termes d’un rapport social » . Il y a plusieurs rapports sociaux : capital-travail (le plus structurant) mais aussi vendeurs-clients (rapport de solvabilité), propriétaires-locataires (de logements), automobilistes-piétons et cyclistes, administrateurs-usagers, etc... plus le rapport à la nature : vie urbaine, vie rurale. Se superpose les problèmes du racisme, du sexisme, de la xénophobie, etc.

Il faut rappeler que le "premier Marx" (matérialisme pré-marxiste) a d’abord théorisé « l‘activité humaine » dans son ensemble, dont l’activité économique, comme moteur matérialiste du développement des sociétés avant de théoriser plus tard l’évolution des sociétés sous l’effet des contradictions de cette activité et notamment des rapports sociaux qui la clivent dans le secteur de la production surtout.

Les rapports sociaux ne sont pas des relations choisies. Les individus sont nécessairement inscrits dans des rapports sociaux, lesquels sont multiples et variables selon les sociétés et leur histoire. Il n’y a donc pas à considérer que le seul rapport social de production et d’exploitation entre détenteurs du capital et le travail. Ce dernier est certes important et structurant mais il n’est pas le seul ! Tous les individus sans propriété sur les moyens de production forment à priori une même classe sociale, que l’on nommait jadis « ouvrière ». Aujourd’hui on peut considérer que les prolétaires sont ceux et celles qui, dans le privé ou dans le public, vendent leur force de travail (manuelle ou intellectuelle) pour vivre. Sans cela ils survivent dans le sous-prolétariat (chômage avec aides sociales). Les prolétaires forment donc une classe sociale immense mais divisée. Car d’autres facteurs interviennent.

III - Divisions du prolétariat.

Il y a plusieurs divisions au sein du salariat à prendre en compte (en laissant de côté ici discrimination raciste et sexisme...). Elles correspondent à des différentiations dans l’exploitation de la force de travail par le capital direct ou indirect : 1) travailler dans le privé et travailler dans le public en est une. 2) Il y a aussi la séparation "cols blancs" et "cols bleus", les travailleurs manuels (cols bleus) des travailleurs de bureau (cols blancs). 3) Travail précaire et travail stable avec avancement dans une carrière . 4) Travailler comme cadre supérieur ou comme simples travailleurs du rang . Cette distinction semble plus structurante, plus "distinctive" que les précédentes. Il y a la masse des travailleurs et travailleuses qui certes connaissent des régimes de travail différents mais doivent se contenter d’un salaire ou d’un traitement inférieur à 3000 euros net par mois (en France 2015-18).

L’encadrement et les personnels assimilés se distinguent des personnels de base sur trois plans : 1) le pouvoir hiérarchique avec ici un rapport social de contrainte au quotidien (qui assure la reproduction systémique du capital) 2) la rémunération des cadres au-dessus de 3000 euros net par mois, (au-dessus des rémunérations courantes du salariat de base privé ou public) 3) un certain prestige dans la fonction que ce soit dans le privé ou le public.

Mais il n’en demeure pas moins cependant que les « cadres sont des travailleurs comme les autres » . Dire cela, c’est de nos jours « aller derrière l’apparence des choses » . Evidemment plus le cadre sera en position très supérieure (conjonction des trois aspects cités) dans une organisation elle-même très hiérarchisée et plus l’idée du « cadre, travailleur comme les autres » va s’atténuer. Elle va subsister néanmoins.

Ce propos se distingue d’une "sociologie de l’exclusion" qui jadis se préoccupait exclusivement des seuls travailleurs précaires et peu payés laissant le salariat qualifié et stable "en inclusion", non problématique (relativisation des souffrances au travail), dans le système de la carrière publique ou privé. La crise et le renforcement de l’intensification du travail a marginalisé cette théorisation. Mieux, la tendance est à l’inclusion des travailleurs et travailleuses indépendantes dans le cercle du travail problématique.

IV - Autre aspect : Il n’y a pas que la production.

Il n’y a pas que le secteur de la production et ses rapports sociaux de production et ses méfaits divers : « produire pour quoi ? pour qui ? » notamment. Il y a la sphère de la circulation marchande.

La consommation marchande constitue de nos jours aussi un rapport social (face aux marchés divers) puisque certains peuvent acheter plus que le nécessaire et d’autres, insolvables, peinent à acheter ce qui est utile au bien vivre. Le logement, la santé, la communication, le tourisme, l’alimentation de qualité, dans la mesure ou ils ne sont pas « sous services publics » (avec une logique de satisfaction des besoins sociaux et de péréquation tarifaire), relèvent de marchés divers où certains disposent de tout y compris le superfétatoire du fait de leur richesse quand d’autres n’ont pas le minimum. On comprend ici que la justice fiscale combinée aux aides sociales puissent ensemble participer de la justice sociale dans la mesure ou l’une ponctionne les très riches et l’autre redistribue aux couches sociales pauvres et modestes.

Quid du plafonnement des revenus et du patrimoine pour changer la donne et notamment supprimer le pouvoir de la suraccumulation de l’argent au sommet des grandes organisations et des sociétés ? Il faut avancer sur cette question qui ce pose du fait du néolibéralisme.

V - Quid de l’expression démocratique dans ce cadre ?

On pourrait penser que l’expression du vaste peuple-classe qui s’exprime à travers le peuple souverain des citoyens égaux débouche sur un modèle beaucoup plus égalitaire. qui prennent en compte les besoins sociaux des classes populaires les plus modestes. Il n’en n’est rien. La démocratie que nous connaissons sous le nom de "représentative" est marginale et biaisée car sous l’influence forte du capitalisme et de ses appareils d’influence idéologique. La « démocratie réellement existante » laisse partout place prépondérante aux élites néolibérales dominantes.

Il y a là, sauf erreur, une question de contre-hégémonie à débattre. Cf La gauche, le peuple et la stratégie contre-hégémonique :

https://blogs.attac.org/contre-hegemonie/democratisation/article/la-gauche-le-peuple-et-la-strategie-contre-hegemonique-christian-delarue

Christian DELARUE

1) Quatre formes de patriarcat en perspective historique | Le Club de Mediapart

https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/201217/quatre-formes-de-patriarcat-en-perspective-historique

COMMENTAIRES  

02/07/2018 19:33 par alain harrison

Merci pour ce ce portrait de classe. Une synthèse utile à mettre dans sa boîte à outil. Comme canevas de discussion en petit groupe.

Parfois il suffit d’un portrait articulé, pour justement, faire avancer les consciences.

En tout cas c’est l’impression que J’en ai.

Tient ça me ramène à l’idée de faire des petits groupes sur la question du revenu de base-salariat et des coopératives autogérées (à6 temps partagé) en vue de discussion. Un genre d’atelier qui procède par questionnement.
La question de départ pour la réflexion :
Qu’est-ce que cela me rapporte à moi, à ma famille, à l’organisme de proximité, à mon milieu de vie (quartier...), car le milieu a`une influence sur ma vie et moi sur lui.
Quelles sont les avantages et le potentiel ?
Voilà, une formule simple (procéder par questionnement), ainsi tout un chacun, après avoir assimilé le procédé peut animer des groupes, et ainsi prendre de l’expansion. Un petit groupe peut se rencontrer partout (6 à 8 personnes).

Donc, cet article peut très bien se prêter à une démarche semblable). Il suffit d’assimiler les grandes lignes et procéder par questionnement ou plus traditionnel selon (le conseiller comme lecture de réflexion) .
Pour un travail de fond en continue.....
Une suggestion.

03/07/2018 08:35 par Christian Delarue

Ce texte n’est qu’une base effectivement.
- La question de la non neutralité territoriale n’est pas abordée, ni l’existence des Etats or c’est important.
- Les différences culturelles et linguistiques n’y sont pas présentes non plus : la France n’est pas l’Espagne par exemple !
Mais on devine bien que c’est la mobilisation d’un peuple-classe spécifique d’une formation sociale que nous privilégions et non un peuple-nation ou un peuple souverain de citoyens égaux ordinairement mobilisé au nom des droits universels et de la démocratie.
Face à l’Union Européenne, qu’il s’agisse "d’en sortir" ou de "changer totalement les règles" depuis 86 (Acte unique) ou 92 (Maastricht) ou autre repères, c’est au peuple-classe que je préconise de m’adresser, et non à partir d’une position interclassiste qui se combinerait trop avec un nationalisme
Ce serait en outre un peuple-classe non populiste car il importe de refuser aussi explicitement à un moment ou un autre le racisme et le sexisme

06/07/2018 03:31 par alain harrison

Bien, je crois comprendre, la notion de nation est abstraite en regard de la notion de peuple. Mais la droite réussi à pervertir toute notion à ses intérêts. De toute façon pour qu’un peuple puisse exister, il faut des règles communes. La notion de valeurs est pervertie aussi. Nous voyons tous les jours les grands joueurs de mots jouer avec les mots à perte de sens.
Il y a le mot démocratie qu’il faut sauver, je crois. Pour deux raisons, d’abord cette notion existe depuis l’antiquité (?) avec la Grèce et le plus important est sa définition qu’il fait rappeler sans cesse. À mon avis, c’est ainsi que cde mot gardera sa signification que l’état de droit a mis de côté, la rappelant comme slogan pour l’image.
La gauche a le devoir de faire passer la démocratie : de l’image à la ressemblance.

06/07/2018 22:34 par alain harrison

Le mot démocratie, bien que le libéralisme essaie de le ramener à ses catégories, sa définition originaire met au centre la notion de peuple. C’est à nous de revaloriser des mots comme socialiste, social, société versus ce qui nous est commun. Ceci n’étant aucunement contradictoire avec l’épanouissement personnel de chacun. Tout au contraire, quand nous aurons remis à leur juste place des notions comme le travail, la justice, l’égalité……., le monde sera sur la bonne voie.
Vision d’ensemble et cohérence du questionnement.
Je conseil le document : le langage au service des puissants, Alain Deneault.
Bien qu’il semble disparate, il nous amène à une réflexion sur les interrelations au sein de l’ensemble. Comme a dit Cousteau : être capable de faire les liens.
Je crois que la gauche française se doit de ressaisir ses fondamentaux : le programme du CNR, et les dérives qui s’en suivi.
L’idée du marxisme communiste lié à celle de l’anarchisme sont les prémisses de la véritable Démocratie. Il faut se donner la vue d’ensemble. Non plus regarder à travers le prisme de la division, mais de la cohésion.
Je cite ici Krishnamurti : voir le vrai du faux et le faux du vrai.
Vue d’ensemble et questionnement cohérent.

10/07/2018 00:28 par Delarue

Ajout : Hors populisme, fut-il de gauche, il importe de construire aussi un programme ou un projet politique pour articuler les diverses perspectives émancipatrices (cf pluri-émancipation). Mais c’est bien à un peuple-classe que les acteurs de mobilisation s’adressent pas aux classes dominantes, pas à un peuple-nation trop soumis à ces classes dominantes.

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