"En agissant ensemble , l’Union européenne et les États-Unis peuvent constituer une formidable force au service du bien dans le monde"
Cette perle est extraite de la "Stratégie européenne de sécurité", document adopté en 2003 par tous les chefs d’État et de gouvernement de l’UE et pompeusement intitulé "Une Europe plus sûre dans un monde meilleur ". Ce texte,toujours en vigueur, avait été élaboré à la veille d’une rencontre officielle entre les dirigeants européens de l’époque et le Président américain George W.Bush, quelques semaines seulement après que celui-ci a eu proclamé fièrement , depuis le porte-avions USS Abraham Lincoln, son fameux "Mission accomplie !"dans la guerre en Irak .
Cette allégeance au "leader du monde libre", véritable péché originel de l’actuelle construction européenne, s’est tout naturellement manifestée tout au long de la période de "guerre froide". Mais le plus étonnant est qu’elle se poursuive contre vents et marées malgré la chute du mur de Berlin et la disparition de l’Union soviétique il y a plus de vingt ans,au nom de prétendues "valeurs communes". Les révélations qui tombent comme à Gravelotte depuis six mois -grâce au courageux Edward Snowden, qui entrera dans l’Histoire- sur les dimensions invraisemblables de la surveillance américaine au sein-même de la "famille occidentale" apportent à cet égard un éclairage nouveau. On peut même dire qu’elles couvrent de ridicule les adorateurs zélés de l’Oncle Sam qui se targuaient de leurs "liens de confiance" avec la Maison Blanche et placent les dirigeants européens face à un dilemme stratégique : assumer leur servilité atlantiste au grand jour, devant leurs concitoyens ou prendre enfin le taureau par les cornes pour s’émanciper de la tutelle cynique de Washington. Et , accessoirement, mettre Londres devant ses responsabilités.
En effet, voilà qu’on apprend qu’il existe une "Five Eyes Intelligence Community" , une communauté de services secrets de cinq nations anglophone-saxonnes (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zélande et…Grande Bretagne ) , autrement dit un club très fermé de partenaires "sûrs", qui ne s’espionnent pas entre eux, mais coopèrent étroitement dans l’interception des communications des autres, à commencer par leurs "alliés stratégiques" aux "valeurs communes". Circonstances aggravantes pour le Royaume Uni, jusqu’à nouvel ordre toujours membre de l’Union européenne : plus "cheval de Troie" que jamais, il a créé en 2011 le programme de surveillance électronique Tempora , grâce auquel il recueille secrètement pour le compte des États-Unis toutes les données de ses partenaires européens qui transitent sur fibre optique par la zone que le suzerain américain lui a assignée. On croit lire un polar !
La plupart des États membres de l’UE, ont estimé,comme la France, que toutes ces pratiques étaient "inacceptables"… avant de les accepter et de passer à autre chose. L’Allemagne n’a pas fait exception : ses dirigeants actuels rêvent de pouvoir intégrer à leur tour le "groupe des cinq", le saint des saints du renseignement occidental, et se contentent donc de quelques remontrances à l’égard de ceux qui ont poussé la délicatesse jusqu’à mettre sur écoute le portable de la Chancelière. Mais l’opinion outre-Rhin ne l’entend pas de cette oreille : une majorité de citoyens s’y déclare favorable à un gel des négociations européennes sur le "grand marché transatlantique". Même le Président , social-démocrate allemand, du Parlement européen , Martin Schulz, se sent obligé de défendre l’idée d’une "pause" des négociations pour ne pas se couper de la gauche allemande et européenne ! Voilà qui permet de travailler à une véritable contre-offensive.
Puissent ces révélations salutaires faire mûrir cette exigence incontournable dans une optique de refondation de la construction européenne : NSA, comme Non à la Soumission à l’Amérique !