Les ravages de la LRU (20)

Le fils d’un inspecteur primaire russe a écrit que l’université « était un miroir dans lequel se reflètent toutes les contradictions de la société. »

Lorsque je suis entré dans l’Université française en 1966, on se demandait comment faciliter l’accès des enfants d’ouvriers dans l’Alma Mater. Les travaux de Bourdieu, Baudelot, Establet nous avaient déjà convaincus que l’Éducation nationale française, loin de l’idéal républicain, ne faisait que reproduire les inégalités sociales, quand elle ne les renforçait pas.

Aujourd’hui, nous n’en sommes plus là . La question est de savoir comment faire entrer massivement les capitaux privés dans l’institution universitaire, et donc comment donner toujours plus de pouvoirs aux intérêts privés. Cette mutation, aussi désarmante que scandaleuse, s’est opérée en moins de vingt ans. De nombreux enseignants de gauche, pas toujours à leur corps défendant, l’ont facilitée.

Je reproduis ci-dessous une analyse de l’AGEN (http://agen-nanterre.over-blog.com/), une association d’étudiants de Nanterre. Elle montre à quel point le curseur s’est violemment déplacé vers la droite. Ce qu’on peut lire aujourd’hui comme une analyse subversive aurait été dans la norme il y a une trentaine d’années.

« Il y a plus de dix ans un virus redoutable frappait Nanterre. Un virus bien nocif nommé « mépris de classe ». Premier touché, un ancien président de l’université développait alors une curieuse allergie. Il ne supportait pas l’arrivée des enfants des catégories populaires à l’université. Il leur refusait l’inscription. Privilégié paniqué, notre baron local évoquait avec effroi cette nouvelle menace issue du monde ouvrier. Dans les colonnes du journal Le Monde, il dénonçait amèrement un bouleversement sociologique « non consenti » au sein du temple du savoir. Pourquoi notre bourgeois-gentilhomme, pris de fièvre, jouait-il à se faire peur ? « C’est une importation de la culture des cités, ils sont culturellement inadaptés » lançait-t-il en visant les jeunes bacheliers, devançant malgré lui les propos du sinistre Sarkozy. Des phrases chocs à la Une pour justifier l’injustifiable : le refus acharné d’inscrire des dizaines de bacheliers sans facs, refus "argumenté" par leurs origines sociales. Heureusement, la tragi-comédie a tourné court. La détermination et la lutte des étudiants ont eu raison du virus.

Provisoirement ? Sûrement, car les souches ne semblent pas éradiquées. Loin s’en faut. Ces mêmes clichés, générés par le mépris de classe, on les retrouve, dans une version aggravée, balancés au visage des étudiants étrangers. Eternels cobayes sans cesse soupçonnés d’être une potentielle et dangereuse filière d’immigration clandestine. C’est le racisme banalisé, un racisme d’en haut, institutionnel, celui qui est couvert, comme le rappellent les cas médiatiques d’un Brice Hortefeux ou d’un Manuel Valls.

L’AGEN l’affirme depuis des années : il n’est pas de racisme plus visqueux et plus dévastateur que celui dont le visage porte le masque de l’humanisme. C’est ce masque dont se parent les autorités universitaires.

Et aujourd’hui ? Quelle est la situation de ces étudiants « socialement défavorisés » ? Qui les défend ?

L’égalité des droits est un combat toujours actuel à l’université. Il porte un nom : la lutte contre l’apartheid universitaire. C’est une priorité fondamentale pour l’AGEN.
Prenons un exemple sur le calcul des bourses. Une étudiante de Mantes-la-Jolie, inscrite à la fac de Cergy, avec un père ouvrier de Renault à la retraite, une mère sans revenus, a fait une demande de bourse. Résultat : elle a droit à l’échelon 1, soit 1445€, c’est-à -dire 120€ par mois. Une somme ridicule pour étudier dans des conditions décentes, somme « justifiée » par le CROUS car elle est benjamine de la famille et donc sa fratrie n’est pas prise en compte dans le calcul. Salariat contraint et échec organisé au programme.

Pour le logement même logique implacable, celle d’un mécanisme froid qui broie les milieux populaires. La destruction de plus de 500 logements à la cité-U d’Antony ou la disparition sous couvert de rénovation de 260 chambres à la cité-U de Nanterre. Destructions s’accompagnant de raids policiers et de mesures d’expulsions des non-solvables. Pour tous, il y a cette fumeuse « mastérisation », machine à précariser, qui oblige à un bac+5 pour se présenter aux concours d’enseignements, c’est-à -dire pour espérer être titulaire.

Disons-le clairement, les syndicats étudiants classiques, l’arche croulante de l’Unef en tête, sont défaillants sur ces questions. Pire ils mettent en place ces mesures scélérates, en cogestionnaires dociles et intéressés.

La raison en est simple. Parlant soit-disant au nom de « tous les étudiants », les syndicats institutionnels ne gênent personne et ils ne défendent pas un point de vue de classe. Ils ne sont pas du côté des dominés. L’expérience du réformisme étudiant est d’ailleurs éloquente : des défaites sans combat avec, sur le dos des étudiants, des chefaillons qui préparent de futures carrières de politiciens aux petits pieds.

A l’inverse L’AGEN depuis sa création se met au service des enfants des classes populaires à l’université. Parce qu’ils sont les plus touchés par l’université inégalitaire. Par conviction révolutionnaire aussi, avec la certitude que ce sont les dominés qui changent la société.
« Sauver l’université » bourgeoise ou détruire l’université de classe ?

Pourquoi cet engagement ? L’université n’est pas qu’un lieu de transmission du savoir, c’est aussi un centre de tri et de reproduction sociale. L’élite dans les 225 grandes écoles ; les cadres intermédiaires et les fonctions subalternes pour les 83 universités. Elle devient avec la pseudo « démocratisation » un rouage où les dominés sont voués au déclassement social. Le niveau général des études augmente mais la structure de classe reste intangible. « les jeunes générations issues des catégories populaires ou moyennes se retrouvent fréquemment aujourd’hui, vers l’âge de trente ans, malgré un niveau et des titres scolaires plus élevés pour certains, dans une situation socio-économique plus défavorable que celle de leurs parents » souligne le sociologue R. Pfefferkorn (Services publics, n°9, 2009). Voilà une des raisons pour laquelle la lutte contre la sélection scolaire ne peut qu’être liée à la lutte contre le système capitaliste.

Pour conclure, nous n’oublions pas l’échec fracassant de l’année dernière. Sous couvert de « conscience professionnelle » pour les examens, on a fait avaler « dans l’intérêt des étudiants » la trahison du mouvement contre les décrets Pécresse, la mastérisation et pour l’abrogation de l’ensemble de la loi LRU. Le tout en « oubliant » souverainement les revendications et les besoins des étudiants issus du monde populaire.

Preuve s’il en est qu’il faut s’organiser et lutter autrement et ne pas attendre du « corps enseignant » qu’il mène la danse.

En ce début d’année, pas de long programme, formulons un souhait :

Que les facs de France redeviennent des foyers de résistance !"

COMMENTAIRES  

22/09/2009 13:20 par Jolly Rogers

Au risque d’être en désaccord total avec beaucoup de gens, les étudiantEs représentent selon moi de petits soldats que l’on conditionne au monde du travail. De la chair à patrons.

Que ce soit à l’école maternelle, primaire, secondaire ou universitaire.

Leur slogan pseudo révolutionnaire avec la grosse étoile rouge sur l’image me fait doucement rire : "Lutter plus pour gagner plus".
De vraiEs petitEs alterno-Cobendistes qui s’ignorent.

Au lieu de s’attaquer au système lui-même, ils/elles quémandent l’aumône. Plus d’argent pour dépenser plus, et donc huiler les rouages du système productiviste.

Selon moi, il ne faut pas confondre vraie liberté et acquits sociaux. Les acquits sociaux sont nombres de "privilèges" que les éluEs (vos éluEs) nous accordent histoire de nous rendre la vie moins morne. Une mort plus lente et moins douloureuse si vous voulez.
Et ainsi faire croire aux masses que ce sont eux/elles qui dirigent la politique par le biais de la démocratie.

Mais ces acquits ne remettent en rien le capitalisme en cause.

Travailler 35h n’est pas une liberté, c’est un avantage social, mais qui huile de toute façon les rouages du capitalisme et ses chimères productivistes.
Travailler selon ses besoins est une liberté, qui plus est un grand pas en avant vers la décroissance et la démocratie direct.

Je parle de démocratie directe non de communisme libertaire ou d’Anarchie, histoire de ne pas choquer quelques âmes sensibles.

C’est triste à dire mais la réalité est là , les gens ne veulent pas la liberté elle leur fait peur. Non, ils/elles veulent la sécurité économique et sociale.

22/09/2009 15:58 par Bernard Gensane

Je ne connais pas personnellement ces étudiants. Mais je suis allé longuement sur leur site, en particulier sur cette page programmatique : http://agen-nanterre.over-blog.com/...
Il est évident, à mes yeux, qu’ils utilisent sur cette affiche le verbe " gagner " au sens figuré.
Bernard Gensane

22/09/2009 17:30 par Jolly Rogers

C’est ce que j’ai pensé par après. Gagner plus au sens figuré. Gagner sur le plan des droits et de la justice.

Mais voilà . On en revient encore aux acquits, non à la véritable liberté. Ces révolutionnaires de conférences je m’en méfie un peu, surtout s’ils/elles sont syndicalistes.

Déjà les étudiantEs soixante huitardEs prônaient nombres de revendications. Et sur le terrain même, autrement dit dans les rues. Faut voir comme ils/elles se sont bien rangéEs à présent. CertainEs se sont venduEs, jouissent d’une petite vie bien pepere et reproduisent le même système.

Et dieu sait si j’en connais, si vous me permettez l’expression.

Je n’aime pas ces gens qui négocient avec leurs bourreaux.

Vous voulez changer le système, coupez totalement les ponts avec. Chose plus facile à dire qu’à faire j’en conviens.
Déjà , ne plus accorder de pouvoir à ces gens qui votent des lois à tout va, toujours plus absurdes et liberticides les unes que les autres au nom de la démocratie. Sans même en faire part au peuple : le parlementarisme, le suffrage universel.

23/09/2009 08:09 par Bernard Gensane

Même après avoir lu quelques philosophes, je ne sais pas ce qu’est la "véritable liberté".

Pourquoi se méfier des "révolutionnaires de conférences", "surtout s’ils sont syndicalistes" ?

Ayant derrière moi 45 ans de carte syndicale, je ne peux évidemment vous suivre sur cette appréciation. J’ai exposé ici même les raisons pour lesquelles je pense qu’il faut être syndiqué (http://www.legrandsoir.info/Syndica...). J’ai observé, au cours des luttes auxquelles j’ai pu participer, que les "anti-syndicats", d’où qu’ils viennent (droite gauche, extreme droite, extrême gauche, anarchistes), sont des poids morts, freinent les actions.

Je ne doute pas que vous "connaissiez" de nombreux étudiants "pépères", mais je pense que votre perception de cette catégorie est tronquée. J’habite à 800 mètres d’une des plus grandes universités de France. 1 étudiant sur 5 n’a pas de couverture médicale valable. 1 sur 10 dort dans une voiture, un camping car de fortune ou une tente. 2 sur 3 est contraint d’avoir un emploi salarié, à temps plus ou moins partiel. Ces étudiants n’ont pas besoin de conférences ou de lectures théoriques pour savoir ce qu’est la prolétarisation des jeunes diplômés (ils ont tous au minimum le bac).

D’accord avec vous sur le fait que la démocratie, telle qu’elle est pratiquée dans nos pays, est de plus en plus un leurre.

Bernard Gensane

06/10/2009 10:29 par JAck_3rror

Travailler 35 heures n’est pas un avantage social, c’est une durée légale minimale de conditionnement.

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