A presqu’un mois de la prise de fonction de Michelle Bachelet à la tête de la coalition de la Nouvelle Majorité, on peut tirer un premier bilan des réalisations en cours, compte tenu de la célérité à laquelle va le train des réformes.
En effet, beaucoup de décisions ont déjà été prises, certaines même non prévues dans le programme. Il n’est pas inutile de rappeler que si l’élection de Michelle Bachelet ne faisait pas l’ombre d’un doute, son intention d’accomplir tous les changements annoncés par la Nouvelle Majorité était sujette à beaucoup d’élucubrations (1) tout comme sa volonté de s’intégrer dans le concert régional (2).
L’agression contre le Venezuela a donné la première occasion au gouvernement chilien de se montrer solidaire du peuple vénézuelien et de sa démocratie, en rejetant les ingérences et les manœuvres déstabilisatrices, aussi bien de la droite locale que de la nord-américaine (3). L’offensive de Washington contre le peuple vénézuelien aura permis aux gouvernements latino-américains d’avancer d’un pas dans leur unité en transformant en défaite politique l’agression américaine y compris au sein de l’OEA, privant ainsi de toute assise politique et de crédibilité la droite vénézuelienne. Et pourtant, celle-ci avait tout organisé pour créer une ambiance internationale défavorable au gouvernement de Nicolas Maduro. Ainsi a-t-on pu voir, à l’occasion de la prise de fonction de Michelle Bachelet, tous les élus de droite chiliens porter un badge avec la devise « SOS Venezuela ». Le même jour, à Santiago du Chili, face au palais de la Moneda, parmi les gens qui attendaient la nouvelle Présidente, quelques personnes arboraient un drapeau du Venezuela, mais à l’envers. Son interpellation par des manifestants présents mécontents ont fait couler des larmes à l’une de ces représentant(e)s de la droite vénézuelienne. Certainement qu’elle s’imaginait déjà que le gouvernement de Bachelet allait se ranger derrière la Maison Blanche !
En quelques semaines les choix opérés par le gouvernement ont révélé des signes forts et clairs de sa détermination à tout mettre en œuvre pour impulser les changements que la population attend.
A même pas un mois de sa prise de fonctions, le nouveau gouvernement a déjà présenté le projet de loi de réforme fiscale, indispensable et préalable pour mettre en œuvre et financer les réformes de l’éducation et de la santé. Ce « premier pas sérieux pour entamer la redistribution de la richesse » est salué par Lautaro Carmona, vice-président communiste de la Chambre des députés. (4). Ces trois projets, annoncés pendant la campagne, constituent, avec la réforme constitutionnelle, les piliers du programme de gestion gouvernementale. Le rôle du Parti Communiste, « porte parole du mouvement social au parlement », se renforce, et ses élus n’ont cesse de gagner en crédibilité.
Mais d’autres décisions encore ont agréablement surpris les mouvements sociaux chiliens. Citons le retrait définitif du projet de loi dit « Monsanto » qui a provoqué la joie des militants et des activistes qui considèrent cette mesure comme une condition essentielle pour parvenir à la souveraineté alimentaire (5).
La participation des députés ex-dirigeants étudiants à la Commission Éducation de la Chambre des députés, comme l’intégration d’autres dirigeants en tant qu’assesseurs au Ministère de l’Éducation (6), ou encore les récentes réunions des syndicats étudiants avec le ministre, montrent que le gouvernement n’est pas seulement à l’écoute de leurs revendications, mais qu’ils seront acteurs et responsables des réformes à venir. Cela révèle aussi qu’une part importante du mouvement social est décidée à appuyer le programme. Ainsi, les pronostics d’un certain « spécialiste » français qui pariait sur un « troisième tour social » pour forcer les changements se sont avérés pour le moins fantaisistes (1).
Par son attitude envers les peuples originaires, le pouvoir donne un autre signe encourageant. L’intendant de la région de La Araucania, F. Huenchumilla, a demandé pardon, au nom de l’État chilien, aux Mapuches pour la spoliation de leurs terres. De ce fait, l’optimisme renaît chez les communautés qui restent attentives aux prochaines mesures gouvernementales (7).
La création d’un Ministère de la Femme est perçue comme une avancée historique dans la lutte pour les droits des femmes et un véritable encouragement pour atteindre l’égalité des sexes réclamée (8).
Au sujet du mariage pour tous, un débat a été lancé par le nouveau ministre de la justice, qui assure qu’une vaste consultation participative aura lieu en vue d’élaborer un texte de loi (9).
Au moins 11 projets de loi et de réformes proposés par l’ancien gouvernement de droite ont été retirés, parmi lesquels ceux portant sur la carrière des professeurs, la vente de médicaments dans les supermarchés, le contrôle préventif d’identité, la gestion municipale des collèges en difficulté, etc. (10). Ces initiatives ont provoqué la colère de la droite qui commence à redouter le sérieux dont la coalition gouvernementale fait preuve dans son intention d’appliquer le programme.
De même la décision de créer une centrale électrique en Patagonie, longtemps refusée par les mouvements sociaux, est pour l’instant suspendue à la détermination finale de la Présidente après de fortes critiques des responsables ministériels (11).
On pourrait continuer à détailler les mesures en cours et mentionner, par exemple, les consultations du monde de l’art au sein de la Commission culturelle de la Chambre des députés (12) ou encore le changement de sous-secrétaires et gouverneurs, déjà désignés mais mis en cause par les mouvements sociaux (13).
On pourrait aussi citer la décision progressiste dans le domaine de la politique étrangère, initiée par la Chambre des députés qui sollicite le gouvernement pour que soient établies des relations diplomatiques avec la République Sahraouie (14).
Ou encore la proposition des jeunes élus G. Boric et G. Jackson de diminuer de 40% les indemnités des députés (15).
Ces premiers faits et gestes mettent en évidence que non seulement la Nouvelle Majorité se montre disposée et déterminée à accomplir ses promesses électorales, mais révèlent aussi un changement dans la méthode de gouverner qui sera vraisemblablement radicalement différente de celle des administrations précédentes.
Certains « chercheurs » et autres analystes partisans (16), qui avaient prédit, haut et fort, que la Nouvelle Majorité ne serait que la continuation de l’ancienne Concertation, ont tout à fait raison de garder le silence au sujet du Chili, surtout par respect des lecteurs du Grand Soir.
J.C. Cartagena et N. Briatte