Texte I - La réalité des-sans abri aux États-Unis en dix points.
Voici, d’abord, trois histories vraies :
Renee Delisle faisait partie des 3500 sans-abri à Santa Cruz quand elle s’est retrouvée enceinte. Le journal, le Santa Cruz Sentinel explique qu’elle n’avait pas pu aller dans un refuge parce qu’ils n’avaient pas de place pour elle. Alors que d’autres sans-abri dormaient dans des voitures ou sous des ponts, Renee avait trouvé refuge dans une cage d’ascenseur désaffecté jusqu’à ce qu’elle perde les eaux.
Jerome Murdough, 56 ans, ancien marine sans domicile fixe, avait été arrêté pour intrusion à New York quand on l’avait trouvé un soir de grand froid en train de dormir dans la cage d’escalier de logements sociaux. Le New York Times raconte qu’une semaine plus tard, Jerome était mort d’hyperthermie dans une cellule de la prison, où la température dépassait les 37°.
Paula Corb et ses deux filles ont vécu, à la suite de la saisie de leur maison, quatre ans dans leur mini van. Elles faisaient la lessive dans l’annexe d’une église, allaient se laver dans les stations-service et les filles faisaient leurs devoirs sous des lampadaires.
Dix réalités concernant les sans-abri
N°1 – Plus d’un demi-million de personnes sont sans-abri
Le rapport du "US Department of Housing and Urban Development (HUD)" ("Département du logement et du développement urbain") sur les sans-abri aux US indique qu’il y a, chaque nuit et sur toute l’année, plus de 600 000 sans-abri aux Etats-Unis. La majorité d’entre eux passe la nuit soit dans des refuges soit dans quelque abri de transition à court terme. Un peu plus qu’un tiers vivent dans des voitures, sous les ponts ou ailleurs.
N°2 – Un quart des sans-abri sont des enfants
Le HUD indique que plus de 138 000 sans-abri aux États-Unis sont des mineurs. Parmi ces enfants, il y en a des milliers qui ne sont pas accompagnés, toujours selon le HUD.
Un autre programme fédéral, "No Child Left Behind" ("Aucun enfant abandonné", réforme de l’Éducation des années G. W Bush, NDT), donne une définition plus large des enfants sans-abri, qui englobe non pas uniquement ceux qui vivent dans des refuges ou dans des logements de transition, mais également ceux qui cohabitent avec d’autres personnes à cause des difficultés économiques, qui vivent dans des voitures, dans des parcs, des gares routières ou ferroviaires, ou qui attendent un placement dans une famille d’accueil.
En s’appuyant sur cette définition, le "National Center for Homeless Education" signalait en septembre 2014 que les secteurs scolaires locaux (LEA) comptaient qu’il y avait plus d’un million d’enfants sans abri qui fréquentaient les écoles publiques
N°3 - Des dizaines de milliers d’anciens combattants sont sans-abri.
Plus de 57 000 anciens combattants de l’armée sont sans abri de façon permanente. 60% d’entre eux dorment dans des refuges, les autres n’ont pas d’abri. Parmi eux, il y a près de 5000 femmes.
N°4 – la violence domestique est la cause principale pour laquelle les femmes se retrouvent à la rue.
Plus de 90% des femmes sans abri ont été victimes de violences sexuelles et physiques graves et, c’est pour échapper à ces violences qu’elles ont été contraintes de quitter leur domicile.
N°5 – Beaucoup sont sans domicile parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer un loyer.
Selon le HUD, le manque de logements à loyer modéré est la première cause de la multiplication des cas de sans-abri. Le budget du HUD a été réduit de plus de 50% au cours de ces dernières décennies, ce qui s’est traduit par la perte chaque année de 10.000 logements subventionnés destinés aux personnes à faible revenu.
N°6 – Il y a aujourd’hui moins de locations abordables pour les pauvres
Un logement social sur huit a disparu définitivement depuis 2001. Il manque sept millions de logements à loyer modéré pour les familles à faibles revenus et, en conséquence, des millions de ménages dépensent plus de la moitié de leurs revenus mensuels en loyer.
N°7 – Ces dernières années, des millions de personnes ont perdu leur maison
Plus de 5 millions de maisons ont été saisies depuis 2008, parmi lesquelles une sur 10 était hypothéquée. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de personnes se sont retrouvées en concurrence pour trouver des logements abordables.
N°8 - L’État ne fournit pas autant d’aides qu’on le pense.
Il y a des aides au logement pour environ un quart des ménages à très bas revenus. Ceux qui ne reçoivent pas d’aides sont sur des listes où l’attente dure des années.
Ainsi, la ville de Charlotte, en Caroline du Nord, qui vient, pour la première fois en quatorze ans, d’ouvrir les inscriptions pour l’obtention de logements à loyers modérés a enregistré plus de 10.000 candidatures pendant la journée d’inscriptions.
N°9 – Un sans abri sur 5 souffre de maladie mentale grave non traitée
Selon les chiffres officiels, si environ 6% de l’ensemble de la population souffre de maladie mentale grave, ils sont 20 à 25% dans ce cas parmi les sans-abri.
La moitié d’entre eux se soignent tout seuls et sont plus susceptibles de souffrir de dépendance et d’être en mauvaise santé physique.
Une étude réalisée par le "Penn Center for Mental Health Policy and Services Research" de Pennsylvanie montre que les sans-abri qui souffrent de maladie mentale coûtent, en moyenne, à l’Etat 40 500 dollars par an.
Cette somme sert à payer leurs séjours en prison, dans les refuges ou à l’hôpital alors que, avec la même somme, on pourrait leur offrir un logement supervisé qui leur fournirait non seulement un toit, mais également les services nécessaires pour se soigner et se réinsérer.
N°10 – Les villes criminalisent de plus en plus l’impossibilité de se loger.
Une enquête réalisée en 2014 par le "National Law Center on Homelessness & Poverty" (organisation nationale qui défend les droits des personnes sans abri et /ou économiquement faibles) montre que :
24% d’entre elles pénalisent la mendicité dans l’ensemble de la ville ;
33% interdisent le vagabondage ;
18% pénalisent ceux qui dorment dans les espaces publics ;
43% pénalisent ceux qui dorment dans leur voiture ;
53% interdisent de s’asseoir ou de s’allonger dans des lieux publics spécifiques.
Et le nombre des villes qui criminalisent l’itinérance est en constante augmentation.
Bill Quigley enseigne le droit à l’Université de Loyola à la Nouvelle-Orléans.
Texte II - Comment on fait payer les pauvres
http://talkpoverty.org/2014/10/07/punished-for-being-poor
par Rebecca Vallas
Le week-end dernier, j’ai participé à une table ronde sur MSNBC avec le journaliste du New York Times, Michael Corkery, dont l’enquête sur l’essor des prêts automobiles "subprime" est à la fois grave et terrifiant (système mis en place en 2009, NDT).
Car il s’agit d’une nouvelle offensive des pratiques prédatrices qui ont déclenché la crise des prêts hypothécaires à risque.
Les particuliers à faible revenu sont incités à contracter des prêts automobiles deux fois plus élevés que la valeur effective de la voiture, avec des taux d’intérêts atteignant jusqu’à 29%.
Ils peuvent, ainsi, se retrouver avec des remboursements mensuels de 500 dollars — une somme plus élevée que celle que la plupart des emprunteurs dépensent en alimentation en un mois, et certainement bien plus élevée que ce qu’ils peuvent raisonnablement se permettre.
De nombreux concessionnaires seraient donc prêts en substance à piéger les emprunteurs à bas revenus.
En outre, les concessionnaires ont fait installer sur le GPS des voitures des emprunteurs à risque un nouveau dispositif qui leur permet, d’une part, de savoir à quel endroit se trouve l’emprunteur et, d’autre part, de bloquer le starter à distance depuis un ordinateur ou un téléphone portable. Ainsi, la voiture peut être aussitôt immobilisée en cas de non-versement des remboursements, même s’il n’y a qu’un ou deux jours de retard.
Une habitante du Nevada raconte la frayeur qu’elle a eue quand sa voiture a soudain été bloquée alors qu’elle roulait sur l’autoroute.
[NDT : Une autre, parent isolé, raconte ici qu’elle devait, un jour de mars, conduire d’urgence à l’hôpital sa fille de 10 ans, dont la fièvre était montée à 40° et qui était en pleine crise d’asthme, mais qu’il lui avait été impossible de faire démarrer sa voiture. Cette femme ayant un retard de paiement de trois jours, le prêteur avait immobilisé sa voiture. Pour la débloquer, il lui fallait débourser plus de 389 dollars, somme qu’elle n’avait pas ce jour-là].
Et, pour beaucoup d’emprunteurs, l’affaire est loin de se terminer avec la saisie du véhicule, ils peuvent être poursuivis des mois et même des années plus tard pour les contraindre à rembourser le reste du crédit.
Les prêts automobiles "subprime" sont les toutes dernières trouvailles dans une longue liste de pratiques qui font qu’être pauvre, ça coûte très cher – ce que j’ai pu constater tous les jours quand je représentais des clients à faibles revenus en tant qu’avocate commise d’office.
Les personnes à faibles revenus risquent beaucoup plus que les autres d’avoir à acquitter des frais bancaires, comme des frais de gestion mensuels, si le solde de leur compte courant descend en dessous du minimum requis – des sommes qui peuvent s’élever à 1500 dollars dans des banques importantes comme la Bank of America et Wells Fargo — sans parler des agios exorbitants.
Pour les plus de 10 millions de ménages étasuniens qui n’ont pas de compte bancaire, ceux qui encaissent les chèques prennent une commission qui peut atteindre 5% de la somme. Cela ne semble peut-être pas grand chose, mais, sur un salaire d’employée à faible revenu d’environ 1500 dollars par mois, cela signifie qu’il faudrait quelle verse 75 dollars uniquement pour pouvoir toucher son salaire. Si on ajoute à cela le coût de l’envoi d’un mandat – ce qu’elle est obligée de faire pour payer son loyer et les autres factures – on en arrive à environ 1000 dollars par an juste pour payer les services financiers.
Qu’ils aient un compte bancaire ou pas, les ménages à très faibles revenus ont rarement des fonds d’épargne d’urgence, et plus de 2/3 d’entre eux disent qu’ils ne pourraient pas réunir 2000 dollars en 30 jours en cas de frais urgents comme le remplacement d’un chauffe-eau ou une facture médicale imprévue. Sans solution de rechange, beaucoup ont recours à des prêteurs sur salaire pour avoir l’argent liquide nécessaire.
Jon Oliver, présentateur de Last Week Tonight, traite cette question cruciale de façon remarquable, expliquant en détail comment les familles qui ont recours à ces agences de prêts sur salaire peuvent se retrouver piégées dans une spirale infernale d’endettement à 400 % d’intérêts annuels.
Ensuite, il y a le secteur du "crédit-bail" ("rent-to-own"). Avec des échéances hebdomadaires, les ménages à faibles revenus qui ont un mauvais score de crédit ou pas de crédit du tout peuvent finir par rembourser jusqu’à deux fois et demi le coût effectif de produits de base comme un lave-linge, un séchoir à linge, ou l’ordinateur portable pour que leur enfant puisse faire ses devoirs. Les achats de produits alimentaires peuvent également entrainer des surcoûts. Les ménages qui n’ont pas les moyens d’acheter en grosse quantité, ne peuvent pas bénéficier des économies que fait réaliser Costco. Quant à ceux qui n’ont pas de voiture et qui habitent dans un quartier pauvre où il n’y a pas de grandes surfaces, il leur faut, soit payer le taxi ou le bus pour pouvoir rapporter les courses, soit acheter chez les petits commerçants du coin, où les prix sont plus élevés.
Et ensuite, il y a la question de la perte de temps. Quand je m’occupais d’aide juridique, j’ai souvent entendu mes clients se plaindre du temps qu’on perd pour tout quand on est pauvre. Beaucoup m’ont raconté qu’ils (/elles) prenaient trois bus différents pour aller travailler et pour revenir, et qu’ils avaient jusqu’à 5 heures de trajet aller-retour tous les jours.
Ceux qui sont obligés d’avoir recours aux aides sociales pour joindre les deux bouts parlent des journées passées à attendre leur tour au bureau d’aides sociales, parfois juste pour signaler un changement dans leur revenu.
A tout cela, s’ajoute également la criminalisation de la pauvreté et les couts élevés que cela entraine.
Selon l’enquête du National Law Center on Homelessness and Poverty, il y a, actuellement, au niveau national, un nombre croissant d’états et de municipalités qui ont voté des lois qui peuvent paraitre innocentes – comme l’interdiction de s’asseoir sur le trottoir, d’uriner en public, de "mendier de façon agressive" – mais qui, en fait visent les sans–abri (une citation d’Anatole France me vient à l’esprit :"la majestueuse égalité des lois interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans la rue et de voler du pain").
Arrêter un sans-abri pour avoir uriné en public quand il n’y a pas de toilettes publiques n’est pas seulement une piètre utilisation des ressources policières, mais cela déclenche également une spirale infernale : l’individu qui a été arrêté ne pourra pas payer la caution, ni une amende éventuelle, et le non-paiement de ces frais pourrait bien se traduire par un retour à la case prison.
Dans un cas extrême, en Arkansas, le défaut de paiement d’un mois de loyer est considéré comme un délit. Si un locataire a, ne serait-ce qu’un jour de retard de paiement, la loi autorise son propriétaire à l’expulser – et si le locataire n’est pas parti dans les dix jours, il peut être incarcéré.
Les États et les municipalités, qui cherchent actuellement à racler les fonds de tiroirs, comptent de plus en plus renflouer leurs caisses grâce au paiement des infractions au code de la route – et les amendes et les frais de justice – qui sont infligés à ceux qui ont commis une infraction.
A Ferguson, Missouri, la municipalité comptait, en 2013, sur l’augmentation des tarifs des amendes pour gonfler de 20 % son budget annuel de 12,75 millions de dollars.
Que la personne soit solvable ou non n’est pas souvent pris en compte quand il s’agit de ces amendes et frais de justice qui rendent les particuliers encore redevables bien longtemps après qu’ils ont payé leur dette à la société. Alors que la prison pour dette a été déclarée anticonstitutionnelle depuis bien longtemps, le défaut de paiement peut ouvrir la voie au retour en prison dans de nombreux états.
Rebecca Vallas est directrice-adjointe du "Poverty to Prosperity Program" au "Center for American Progress" et a été avocate aux services d’aide judiciaire de Philadelphie.
(Traduction Leo Lerouge)